« La meute » d’Olivier Bal : le thriller qui interroge nos démons collectifs

La meute de Olivier Bal

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Une intrigue aux multiples strates narratives

Olivier Bal construit son récit comme un architecte du suspense, déployant une mécanique narrative qui fonctionne par strates temporelles et géographiques. Le roman s’ouvre en février 2024, mais ne tarde pas à convoquer d’autres époques : juin 2011, mai 2012, mai 2013. Ces allers-retours temporels ne relèvent pas du simple procédé stylistique ; ils tissent les fils d’une intrigue dont la complexité se révèle progressivement. Chaque flashback apporte sa pierre à l’édifice, dévoilant les origines des personnages et les racines d’une machination qui s’étend sur plus d’une décennie. Cette architecture narrative évoque le travail d’un enquêteur qui reconstitue patiemment un puzzle en apparence incohérent.

La géographie du roman participe également à cette stratification. De Toulon à Paris, de Saint-Denis aux environs de Lille, jusqu’au mystérieux château de Noirval, Bal promène son lecteur à travers un territoire français fragmenté où se jouent plusieurs drames parallèles. Cette dispersion géographique reflète l’ampleur de la menace qui se dessine : l’enquête de Sofia Giordano sur « l’Ange noir » qui enterre vivants des notables, celle de Gabriel Geller sur l’assassinat de réfugiés aux corps lacérés, et la découverte d’un mouvement identitaire inquiétant, la Meute. Ces fils narratifs semblent d’abord indépendants, évoluant dans leur propre temporalité et leur propre espace, avant de converger vers un point de jonction qui révélera leur véritable nature.

L’auteur manie avec habileté le principe du récit polyphonique. Chaque chapitre adopte le point de vue d’un personnage différent, offrant une palette de regards sur une même réalité toxique. Cette technique permet d’installer une tension constante : le lecteur en sait tantôt plus, tantôt moins que les protagonistes, créant un jeu subtil d’attente et de révélations. La narration progresse ainsi par touches successives, chaque voix apportant sa couleur propre à une fresque dont l’ensemble ne se dévoile que graduellement. Cette construction chorale transforme la lecture en une expérience immersive où l’on ressent physiquement l’étau se resserrer autour des personnages.

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Sofia Giordano et Gabriel Geller : deux destins cabossés

Sofia Giordano et Gabriel Geller incarnent deux facettes d’une même quête de vérité, portant chacun le poids d’un passé douloureux qui alimente leur obstination. Sofia, agent de la sous-direction de l’antiterrorisme, porte en elle la cicatrice indélébile d’un drame familial : son frère Bilal, happé par la radicalisation, mort à Raqqa où elle était partie le chercher. Cette blessure intime colore son regard sur l’enquête et nourrit sa détermination à traquer les mécanismes du fanatisme. Gabriel, lieutenant de la PJ parisienne, traîne quant à lui le fantôme de sa fille Léa, disparue dans des circonstances qui ont brisé son couple et obscurci son existence. Ces deux enquêteurs cabossés par la vie trouvent dans leur mission une forme de rédemption, un moyen de donner du sens à leurs pertes respectives.

Autour d’eux gravitent des figures secondaires qui enrichissent la fresque humaine du roman. Louis Farge, colosse au visage marqué par un bec-de-lièvre, incarne la trajectoire d’un homme que la société a rejeté et qui trouve dans le béhourd un exutoire à sa violence intérieure. Victor Mirval, entrepreneur charismatique au sourire éclatant, dissimule derrière son masque de golden boy des abîmes insondables. L’auteur excelle à composer ces portraits en clair-obscur, refusant la facilité du manichéisme pour explorer les zones grises de l’âme humaine. Chaque personnage devient ainsi le véhicule d’une interrogation plus vaste sur ce qui pousse des individus ordinaires à basculer dans l’extraordinaire du mal.

La force du roman réside dans cette capacité à entrelacer les destins individuels avec une mécanique collective plus vaste. Les protagonistes ne sont pas de simples pions sur un échiquier narratif, mais des êtres de chair qui affrontent leurs propres démons tout en tentant de déjouer une conspiration qui les dépasse. Bal parvient à maintenir un équilibre délicat entre l’action trépidante de l’enquête et l’exploration psychologique de ses personnages. On suit Sofia dans les sous-sols sordides d’une cité où se terre un jeune radicalisé, on accompagne Gabriel dans sa planque nocturne devant le QG de la Meute, et l’on ressent leur épuisement, leurs doutes, leur rage contenue. Ces enquêteurs imparfaits, rongés par leurs fantômes, gagnent en authenticité et en profondeur ce qu’ils perdent en infaillibilité héroïque.

Le thriller contemporain et ses enjeux sociétaux

Olivier Bal inscrit résolument son roman dans le paysage français de 2024, convoquant des thématiques qui résonnent avec l’actualité sans jamais verser dans le pamphlet. La Meute, ce mouvement identitaire aux accents nationalistes, n’est pas une pure invention romanesque mais le reflet déformé de tensions réelles qui traversent la société contemporaine. L’auteur explore les mécanismes du populisme et de la radicalisation avec une acuité troublante, montrant comment des discours de peur et d’exclusion peuvent séduire et embrigader. Les actions-chocs filmées pour les réseaux sociaux, les opérations de communication politique, le blocage des cols alpins : autant d’éléments qui ancrent le récit dans une réalité palpable, presque documentaire.

La question migratoire s’impose comme un fil rouge essentiel du roman. Hassan Mansour, réfugié syrien vivant sous une tente à la porte des Poissonniers, incarne la vulnérabilité de ceux qui ont tout perdu et cherchent simplement un toit. Sa trajectoire, depuis Tilalyan ravagé par l’État islamique jusqu’aux rues parisiennes, dessine en creux la violence d’un monde qui broie les plus fragiles. Bal ne se contente pas d’évoquer la misère des exilés ; il interroge ce qui peut transformer l’indifférence en haine active, la peur en violence organisée. L’association Trait d’Union, façade charitable dirigée par Victor Mirval, symbolise cette ambiguïté glaçante où l’aide humanitaire masque des intentions autrement plus sombres.

Le roman dialogue également avec les fantômes du terrorisme islamiste. Le passé de Sofia, marqué par la radicalisation de son frère et son voyage à Raqqa, rappelle les plaies encore vives laissées par Daech. La traque de Giniel, jeune radicalisé influencé par un mystérieux Nakîr, évoque ces processus d’endoctrinement qui se jouent dans l’ombre, loin des regards. Bal tisse ainsi un réseau de menaces multiples qui se répondent et se nourrissent mutuellement : fanatisme religieux d’un côté, extrémisme identitaire de l’autre, et au milieu, une société qui semble paralysée. Le roman pose une question vertigineuse : et si ces forces apparemment opposées n’étaient que les deux faces d’une même machination ? Cette interrogation donne au thriller sa dimension la plus dérangeante, celle d’un miroir tendu à nos propres angoisses collectives.

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La construction d’une atmosphère oppressante

Dès le prologue, Bal installe un climat de terreur viscérale qui ne se relâche jamais. Hassan Mansour reprend conscience dans l’obscurité d’une cave, entravé, incapable de comprendre ce qui lui arrive. Les cris en contrebas, le poids du métal sur ses mains, cette progression vers une porte derrière laquelle gronde une foule : chaque détail contribue à créer un sentiment d’enfermement cauchemardesque. L’auteur excelle dans l’art de distiller l’angoisse par touches sensorielles, privilégiant les impressions fragmentées du personnage à une description omnisciente. On entend les hurlements, on sent l’odeur âcre, on ressent la désorientation totale d’un homme qui bascule dans l’impensable.

Cette maîtrise de l’ambiance se déploie dans des décors variés qui deviennent autant de pièges. Les sous-sols labyrinthiques de la cité marseillaise où Sofia poursuit Giniel se transforment en enfer claustrophobe, avec leurs murs éventrés, leurs graffitis menaçants, leurs passages secrets connus des seuls dealers. L’atmosphère y est suffocante, chargée de suie et de danger, chaque percée dans un parpaing pouvant dissimuler une embuscade mortelle. Le château de Noirval, avec ses voûtes médiévales et ses torches qui déforment les visages, évoque un monde parallèle où les règles de la civilisation ne s’appliquent plus. Bal joue habilement sur le contraste entre des lieux anodins – une villa toulonnaise, un bar lillois, une association caritative – et la violence qui sourd de leurs entrailles.

Le rythme narratif participe pleinement à cette tension continue. L’auteur alterne les scènes d’action haletantes et les moments de contemplation inquiète, refusant au lecteur tout répit véritable. Une course-poursuite effrénée dans les rues d’Angers, où Louis fuit à scooter ses poursuivants qui tirent à balles réelles en plein jour, côtoie des passages plus introspectifs où Gabriel, seul dans sa voiture, rumine ses échecs. Cette respiration narrative, loin de briser la tension, l’amplifie en permettant à l’angoisse de s’installer durablement. L’oppression ne naît pas seulement des scènes spectaculaires, mais aussi de ce sentiment diffus que quelque chose de monstrueux se prépare, que derrière chaque sourire policé se cache une violence prête à exploser.

Le béhourd et la symbolique médiévale

Le béhourd, ce sport de combat médiéval à mi-chemin entre la reconstitution historique et le full contact, occupe une place singulière dans l’économie narrative du roman. Bal ne se contente pas d’en faire un simple décor exotique ; il en explore les dimensions symboliques et rituelles. Les combattants revêtent leurs armures, empoignent leurs épées émoussées et s’affrontent dans des arènes où la violence est codifiée, encadrée, presque sacralisée. Pour Louis Farge, découvrant ce sport lors d’une fête médiévale au château d’Angers, c’est une révélation : ses mains habituées à frapper trouvent enfin un exutoire légitime, un cadre où sa force brute devient acceptable, voire glorifiée. Le béhourd lui offre ce que la société lui a toujours refusé : une place, une identité, une fraternité.

Cette pratique sportive résonne avec les obsessions de la Meute et de la famille Mirval. Le château de Noirval devient le théâtre de compétitions où se mêlent passion du combat médiéval et fantasmes identitaires. Armand Mirval, sénateur érudit, parle du béhourd comme d’un dépositaire des « valeurs qui font défaut à notre époque : sens de l’honneur, du sacrifice, courage ». Derrière cet éloge apparent d’un sport, se profile une nostalgie douteuse pour un âge d’or fantasmé, un temps révolu où régnaient des hiérarchies immuables et des certitudes guerrières. La symbolique médiévale imprègne tout l’univers du roman : les chevalières en forme de loup que portent les membres de la Meute, les rituels initiatiques évoquant les épreuves chevaleresques, cette obsession pour un passé mythifié qui justifierait les combats du présent.

Bal établit un parallèle troublant entre les combats d’arène et d’autres formes de violence moins encadrées. Le prologue révèle une scène cauchemardesque où Hassan Mansour, revêtu d’une armure et de lames fixées à ses mains, est jeté dans une arène face à un adversaire monstrueux, sous les acclamations d’une foule en délire. Ce qui devrait être un sport réglementé se métamorphose ici en spectacle de mort, en gladiature moderne où l’on sacrifie les indésirables. Le béhourd devient alors le masque respectable d’une brutalité ancestrale, la façade civilisée d’une barbarie qui n’a jamais vraiment disparu.

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Les rouages du fanatisme et de l’extrémisme

Olivier Bal dissèque avec précision les mécanismes de l’embrigadement idéologique, qu’il soit religieux ou identitaire. Le parcours de Bilal, frère de Sofia, illustre cette lente métamorphose qui transforme un jeune homme sociable en militant radicalisé. Les forums obscurs, les vidéos de propagande, le vocabulaire qui se charge progressivement de haine : l’auteur retrace cette spirale de la radicalisation sans raccourcis ni simplifications. Bilal ne bascule pas du jour au lendemain ; il glisse imperceptiblement vers un univers mental où ses parents deviennent des « mécréants », où sa sœur incarne la « jahiliya », cette ignorance préislamique synonyme de décadence. Le roman montre comment l’idéologie fonctionne comme un poison lent, réorganisant entièrement la vision du monde de celui qui s’en abreuve.

La Meute obéit à une logique similaire, mais revêtue d’atours différents. Victor Mirval incarne cette figure inquiétante du recruteur charismatique, celui qui sait habiller ses obsessions identitaires dans le langage de la respectabilité bourgeoise. Son association Trait d’Union, ses vidéos de coaching entrepreneurial, son profil d’entrepreneur visionnaire : autant de façades qui dissimulent son rôle de leader d’un mouvement aux relents nauséabonds. Bal explore comment ces organisations extrémistes fonctionnent sur un mode quasi sectaire, avec leurs signes de ralliement (la chevalière au loup), leurs rituels d’appartenance, leur hiérarchie rigide où l’on vénère « l’Alpha ». Le roman dévoile également leurs méthodes : actions-chocs filmées pour les réseaux sociaux, manipulation des codes de la communication politique, création d’un sentiment d’appartenance à une élite combattante.

L’intuition la plus dérangeante du roman réside dans la mise en miroir de ces fanatismes apparemment antagonistes. D’un côté, le terrorisme islamiste qui a emporté Bilal à Raqqa ; de l’autre, l’extrémisme identitaire qui prospère dans les zones grises de la République. Bal suggère que ces deux formes de radicalisation se nourrissent mutuellement, créant une spirale de violence et de rejet. Les membres de la Meute justifient leurs actions par la menace islamiste, tandis que leurs agressions alimentent à leur tour la marginalisation des populations qu’ils ciblent. Le roman interroge cette dynamique toxique où chaque camp se construit en opposition à l’autre, dans une escalade qui semble n’avoir pas de fin.

Un style au service de la tension dramatique

L’écriture d’Olivier Bal privilégie la phrase courte, nerveuse, qui mime l’urgence de l’action. Les paragraphes s’enchaînent par touches brèves, créant un tempo haché qui colle à la respiration des personnages en fuite ou à l’affût. « Des mains rouges… Louis Farge n’a jamais connu que ça. » Cette économie de mots, loin d’appauvrir le propos, lui confère une intensité particulière. L’auteur sait également varier son rythme, alternant des passages au présent qui immergent le lecteur dans l’immédiateté de l’action et des retours en arrière qui permettent de creuser la psychologie des protagonistes. Cette souplesse narrative évite la monotonie tout en maintenant une pression constante sur le récit.

Les descriptions sensorielles traversent le roman comme autant d’éclats tranchants. Bal ne s’attarde pas sur de longues peintures d’atmosphère ; il préfère les détails qui frappent : le botox qui tire les traits de Sylvia Chassagne, l’odeur de javel dans la camionnette de Trait d’Union, les néons peints à la bombe rouge dans les caves marseillaises. Ces notations précises suffisent à planter un décor, à créer un malaise, à suggérer une menace. L’auteur excelle particulièrement dans les scènes d’action où la violence devient presque palpable : les armures qui s’entrechoquent, le sang qui perle sur les mains de Louis, la balle qui siffle près du dos de Gabriel. Cette écriture viscérale transforme la lecture en expérience physique.

Le choix du point de vue interne pour chaque séquence narrative renforce l’identification aux personnages. On voit le monde à travers le regard de Sofia traquant Giniel dans les sous-sols, on ressent la panique de Hassan Mansour découvrant l’horreur qui l’attend, on partage les pensées désordonnées de Louis fuyant ses poursuivants. Cette proximité avec la conscience des protagonistes crée une forme d’empathie immédiate, même pour les personnages les plus ambigus. Bal manie également avec habileté le procédé de la focalisation limitée : ses personnages ne comprennent pas toujours ce qui leur arrive, et cette confusion devient la nôtre. L’écriture se met ainsi au service d’une mécanique narrative où le lecteur, privé de la vision d’ensemble, avance à tâtons dans un labyrinthe dont seul l’auteur possède le plan.

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Un polar qui interroge notre époque

« La meute » s’impose comme bien davantage qu’un simple thriller efficace. Olivier Bal signe un roman profondément ancré dans les questionnements de notre temps, explorant les fractures qui traversent la société française contemporaine. Au-delà de l’intrigue policière et de ses rebondissements, l’auteur propose une réflexion sur les forces obscures qui travaillent le corps social, sur cette tentation du repli identitaire qui se nourrit des peurs collectives. Le roman fonctionne comme un révélateur de nos angoisses : la question migratoire, la montée des extrémismes, la radicalisation religieuse, l’instrumentalisation politique de la violence. Ces thématiques ne sont pas plaquées artificiellement sur une trame policière ; elles en constituent le cœur battant, la matière même.

L’œuvre interroge également la notion de justice et de vérité dans un monde où les apparences sont systématiquement trompeuses. Sofia et Gabriel, ces enquêteurs cabossés, cherchent moins à arrêter des coupables qu’à dévoiler une machination qui les dépasse. Leur quête devient métaphore d’une société qui peine à démêler le vrai du faux, à distinguer la philanthropie de la manipulation, le patriotisme du nationalisme haineux. Victor Mirval, avec son sourire éclatant et ses actions caritatives, incarne cette ambiguïté toxique où le mal se dissimule sous les oripeaux de la respectabilité. Le roman suggère que les menaces les plus dangereuses ne viennent pas forcément des marges, mais parfois du cœur même des institutions.

« La meute » se clôt sur des interrogations qui résonnent bien au-delà de la dernière page. Bal ne propose pas de solutions faciles aux problèmes qu’il soulève ; il se contente de les exposer dans toute leur complexité troublante. Le titre lui-même porte cette dimension symbolique : la meute, c’est à la fois le nom du groupuscule identitaire, mais aussi cette logique grégaire qui pousse les individus à se rassembler autour d’une identité exclusive, à chasser en bande ceux qui sont désignés comme différents. Le roman nous rappelle que l’humanité oscille perpétuellement entre civilisation et barbarie, que les pulsions les plus archaïques peuvent ressurgir sous des formes modernes. En cela, « La meute » s’inscrit dans la grande tradition du polar social, celui qui utilise le crime comme révélateur des maux d’une époque et transforme l’enquête policière en exploration des abîmes contemporains.

Mots-clés : Thriller français, Extrémisme identitaire, Enquête policière, Radicalisation, Béhourd médiéval, Polar social, France contemporaine


Extrait Première Page du livre

 » Prologue

3 février 2024
Hassan Mansour a peur.

Le Syrien vient de reprendre connaissance. Il se sent ankylosé, a du mal à bouger. Tente d’aspirer un peu d’air, mais seul un fragile filet d’oxygène parvient jusqu’à ses poumons comprimés. L’impression d’étouffer.

Tout est sombre. Plus loin, en bas, il entend des cris. Quelques marches en pierre s’enfoncent vers les ténèbres. Où est-il ? Dans une cave ? La police française l’aurait arrêté ? Au campement de la porte des Poissonniers, où il vit avec sa femme Darya, on raconte que, parfois, certaines personnes disparaissent. Des hommes qu’on attraperait au hasard pour les renvoyer dans leur pays, en Afghanistan, au Soudan, en Guinée… Il n’y croyait pas, pensait qu’il s’agissait de rumeurs, de légendes. Il se dit tant de choses. Parler pour tenir. Parce qu’on n’a que ça à faire. Mais désormais, il doute. Peut-être était-ce vrai ?

Essayer de se souvenir. En début de soirée, il est parti chercher de quoi se nourrir auprès d’une association, dans le 18e arrondissement. Un trajet de vingt-cinq minutes à pied. Là-bas, pas de longue file d’attente. Il arrivait, parfois, qu’une bénévole le laisse prendre un peu plus d’aliments. Ça valait bien un petit effort. Il pleuvait fort. Hassan a enfilé son imperméable, attrapé son parapluie tordu. Il a promis à Darya qu’il n’en aurait pas pour longtemps. Elle a repositionné le col de son manteau, l’a embrassé.

Mansour a marché à travers les rues vides de la capitale française. Ses baskets détrempées sur les trottoirs huileux. Boulevard Ornano, rue de Clignancourt, rue Marcadet… Des noms qui ne voulaient rien dire pour lui il y a peu. Mais qui, désormais, lui servent de balises pour évoluer au cœur de ce dédale vertical. Malgré la pluie, le froid, ça ne déplaisait pas à Hassan de quitter le campement. Se retrouver seul. Pendant ces fragiles instants, oublier, un peu, qu’ils vivent à la rue. Oublier ce qu’ils sont devenus. Le sourire de sa femme, qui chaque jour, s’érode. Ces mêmes phrases qu’il a tant répétées, à les essorer : « Je suis désolé, Darya. Je ne pensais pas que ça serait aussi dur, aussi long. » Hada Nasibna… C’est comme ça, a-t-elle l’habitude de lui répondre. Depuis leur arrivée en France, un an plus tôt, Darya perfectionne son français avec des bénévoles. Elle a fait des progrès formidables. Elle lui explique que ça sera peut-être leur chance. Construire un avenir ici. Mais lui n’y croit plus vraiment. Ce monde ne veut pas d’eux. « 


  • Titre : La meute
  • Auteur : Olivier Bal
  • Éditeur : XO Éditions
  • Nationalité : France
  • Date de sortie : 2024

Résumé

Février 2024. « L’Ange noir » sévit en France, enterrant vivants des notables dans un rituel macabre marqué par deux ailes d’oiseaux, l’une blanche, l’une noire. Sofia Giordano, agent de la sous-direction de l’antiterrorisme, traque ce tueur énigmatique. Parallèlement, le lieutenant Gabriel Geller enquête sur l’assassinat de réfugiés aux corps lacérés, découverts dans les rues de Paris. Deux affaires en apparence distinctes, jusqu’à ce qu’un fil conducteur émerge : la Meute, un mouvement identitaire d’ultradroite dirigé par le charismatique Victor Mirval.
Pour démêler cette machination, Sofia et Gabriel vont devoir infiltrer ce groupuscule aux pratiques inquiétantes et pénétrer dans l’univers opaque de la famille Mirval, qui règne sur le château de Noirval. Entre épreuves initiatiques terrifiantes et combats de béhourd médiéval, ils découvriront les rouages d’un complot diabolique qui pourrait faire vaciller la société française. Une course contre la montre s’engage pour empêcher le grand cauchemar.


Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis une soixantaine d’années, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.


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