« Reine Rouge », un page-turner glaçant entre polar et critique sociale

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Reine Rouge de Juan Gómez-Jurado

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Présentation de l’intrigue et des personnages principaux

Dans « Reine Rouge », Juan Gómez-Jurado nous plonge dans une enquête palpitante mêlant enlèvements, meurtres sordides et secrets d’État. L’intrigue s’ouvre sur la disparition d’Álvaro Trueba, le jeune fils d’une puissante banquière. Malgré les efforts de sa famille pour garder l’affaire secrète, la police découvre bientôt le cadavre de l’adolescent, mis en scène de façon morbide et énigmatique.

C’est alors qu’entre en scène Antonia Scott, une femme aussi brillante que mystérieuse. Génie à la réputation sulfureuse, elle se voit contrainte par un certain Mentor de prêter main-forte à l’enquête. Elle sera épaulée par l’inspecteur Jon Gutiérrez, un flic atypique au passé trouble mais à l’instinct aiguisé.

Leur investigation croise bientôt la route d’un autre enlèvement, celui de Carla Ortiz, fille d’un richissime homme d’affaires. Parviendront-ils à la retrouver à temps et à démasquer le ravisseur ? Car ils ont affaire à un adversaire redoutable et insaisissable, qui signe ses crimes du pseudonyme Ezequiel.

Au fil des chapitres, Juan Gómez-Jurado distille des indices sur la psychologie torturée de ce tueur d’un genre nouveau. On suit en parallèle le calvaire de Carla, séquestrée par ce mystérieux Ezequiel qui semble prendre un malin plaisir à garder la police en échec.

Le récit alterne entre le point de vue des enquêteurs, qui tentent de remonter la piste du ravisseur, et celui des victimes, plongées dans un huis clos angoissant. Une course contre la montre s’engage pour retrouver la jeune femme et mettre fin à la folie meurtrière d’Ezequiel.

Livres de Juan Gómez-Jurado

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Le personnage énigmatique d’Antonia Scott

Antonia Scott est sans conteste le personnage le plus fascinant de « Reine Rouge ». Dès son apparition, cette jeune femme à l’intelligence hors norme intrigue par son attitude distante et son mode de vie pour le moins atypique. Retirée du monde dans un appartement vide, elle semble avoir coupé les ponts avec son ancienne vie pour des raisons qui restent obscures.

On comprend au fil du récit qu’Antonia possède des capacités intellectuelles exceptionnelles, qui confinent au génie. Dotée d’une mémoire phénoménale et d’un sens aigu de l’observation, elle parvient à reconstituer le fil des événements à partir de détails qui échappent au commun des mortels. Un don qui s’avère précieux pour résoudre des affaires criminelles particulièrement retorses.

Mais ce talent a aussi ses revers. Antonia souffre de hypersensibilité sensorielle et peine à entretenir des relations sociales. Elle doit prendre des médicaments pour gérer le flot d’informations qui envahit son cerveau et a développé des rituels bien à elle, comme ces « trois minutes où elle s’autorise à penser au suicide ». Un personnage plus complexe qu’il n’y paraît, dont la froideur et la brillance cachent une fêlure profonde.

Sa relation avec Mentor, le mystérieux chef du projet Reine Rouge, est un autre fil rouge du roman. Cet homme élégant et manipulateur est le seul capable de la convaincre, bon gré mal gré, de reprendre du service. Leur lien, tissé d’admiration et de ressentiment, de non-dits et de secrets lentement dévoilés, apporte une épaisseur supplémentaire au récit.

Antonia devra aussi apprendre à composer avec l’inspecteur Gutiérrez, qui lui a été assigné comme partenaire et protecteur. Deux tempéraments que tout oppose, mais qui vont devoir dépasser leurs différences et apprendre à se faire confiance. Car il en va de la vie des victimes dont ils ont décidé, envers et contre tout, de découvrir la vérité. Une collaboration explosive, qui réserve son lot de moments de grâce et de frustration !

L’inspecteur Gutiérrez, un anti-héros attachant

L’inspecteur Jon Gutiérrez est l’autre personnage clé de « Reine Rouge ». Flic atypique au physique massif, il est loin de l’image du héros sans peur et sans reproche. Quand le récit commence, sa carrière est au point mort suite à une bourde monumentale : il a tenté de piéger un proxénète violent en planquant de la drogue dans sa voiture. Sauf que son « bon » geste lui a valu d’être filmé par une prostituée et s’est retourné contre lui.

Mis à pied, menacé de perdre son poste et de finir en prison, Gutiérrez n’a d’autre choix que d’accepter la mission que lui confie le mystérieux Mentor : retrouver Antonia Scott et la convaincre de reprendre du service. Une rencontre explosive entre deux personnalités diamétralement opposées, qui vont pourtant devoir apprendre à collaborer.

Car sous ses airs bourrus et ses manières peu amènes, Gutiérrez cache un cœur d’or. C’est un homme intègre, prêt à tout pour rendre justice aux victimes, quitte à outrepasser les règles quand c’est nécessaire. Son obstination et sa ténacité impressionnent Antonia, malgré leurs perpétuelles prises de bec.

L’inspecteur doit aussi composer avec son passé et ses failles. Homosexuel pas totalement assumé, il vit toujours chez sa mère et peine à construire une relation durable. Traumatisé par la violence du monde, il s’est forgé une carapace et noie ses angoisses dans le travail. Mais sous son apparence de gros dur perce une sensibilité à fleur de peau, qu’Antonia va lentement apprendre à apprivoiser.

Au fil de l’enquête, le tandem qu’il forme avec la jeune femme se révèle aussi improbable qu’efficace. Gutiérrez apporte son expérience du terrain et son obstination, là où Antonia excelle dans l’analyse des indices et la compréhension de l’esprit criminel. Une complémentarité qui ne sera pas de trop pour affronter Ezequiel et dénouer les fils de son funeste projet. Car au-delà de leurs différences, les deux enquêteurs partagent la même soif de vérité et de justice.

Ezequiel, portrait d’un tueur hors normes

Ezequiel, le tueur qui sévit dans « Reine Rouge », est un personnage aussi fascinant que terrifiant. Dès les premiers chapitres, ses crimes odieux et la mise en scène macabre de ses victimes donnent la mesure de sa cruauté et de son intelligence maléfique. Mais qui est vraiment cet assassin insaisissable qui signe ses forfaits d’un simple prénom et semble prendre un malin plaisir à narguer la police ?

Au fil du récit, Juan Gómez-Jurado distille des indices sur la personnalité de ce tueur hors norme. On découvre un être méthodique et organisé, capable d’ourdir des plans d’une redoutable complexité. Ezequiel ne laisse rien au hasard, de l’enlèvement de ses victimes à la mise en scène de leurs cadavres, en passant par la manière dont il communique avec leurs proches.

Mais ce qui rend ce personnage si dérangeant, c’est son absence apparente de mobile. Ezequiel ne semble pas tuer pour l’argent, ni pour assouvir des pulsions sexuelles. Il y a chez lui une dimension presque mystique, une volonté de punir ceux qu’il considère comme des pécheurs. Ses crimes sont autant de messages adressés à une société qu’il juge corrompue et décadente.

Les rares dialogues où il apparaît révèlent un esprit torturé, en proie à des obsessions religieuses. Ezequiel se voit comme un justicier, un bras armé de la providence divine. Une folie froide et implacable qui le rend d’autant plus dangereux et imprévisible. Car c’est un homme qui n’a plus rien à perdre, et qui est prêt à tout pour mener à bien sa funeste mission.

Pourtant, malgré toute l’horreur de ses actes, Ezequiel reste un personnage complexe et ambigu. Au détour d’un chapitre, on le voit tenaillé par la culpabilité et le remords, conscient du mal qu’il inflige mais incapable de s’arrêter. Un tueur qui se rêve en saint, un bourreau qui se prend pour une victime… Autant de paradoxes qui font d’Ezequiel un « méchant » aussi détestable que fascinant, dont on brûle de découvrir les secrets et les motivations au fil de ce roman haletant.

Une plongée dans l’univers des puissants à travers le cas Carla Ortiz

« Reine Rouge » n’est pas qu’un simple thriller psychologique. C’est aussi une plongée fascinante dans l’univers des puissants, ces hommes et ces femmes qui dirigent le monde par-delà les lois et les frontières. Et c’est à travers le personnage de Carla Ortiz, fille d’un richissime homme d’affaires, que Juan Gómez-Jurado nous entraîne dans les coulisses de ce milieu aussi glamour que cruel.

Dès les premières pages, le cadre est planté : Carla évolue dans un monde de luxe et de paillettes, entre villas de rêve et voitures de sport. Une vie dorée qui vire au cauchemar lorsqu’elle est enlevée par le mystérieux Ezequiel. S’ensuit un huis clos éprouvant, où la jeune femme découvre que son statut social ne la protège en rien des pires sévices.

Mais le calvaire de Carla est aussi un révélateur des dérives de son milieu. Au fil des chapitres, on découvre les secrets inavouables de sa famille, les compromissions de son père pour bâtir son empire financier. Un univers où l’argent achète tout, même le silence et l’impunité. Où les puissants se croient à l’abri derrière leurs murs et leurs gardes du corps, jusqu’à ce que le drame les rattrape.

Car le rapt de Carla ébranle cette forteresse dorée. Soudain, les masques tombent et les langues se délient. On découvre une société parallèle régie par le mensonge et la manipulation, où les liens du sang ne valent guère plus que les autres. Une jungle impitoyable, dont la loi suprême est celle du plus fort et du plus riche.

Mais dans cette fable noire, Carla apparaît aussi comme une lueur d’espoir. Au fil de sa captivité, elle se révèle plus forte et plus combative qu’on ne l’aurait cru. Sa détermination à survivre, son refus de céder à la peur et au désespoir en font un personnage aussi attachant qu’inspirant. Une héroïne moderne, qui doit puiser en elle des ressources insoupçonnées pour affronter l’innommable.

Avec le destin de Carla Ortiz, Juan Gómez-Jurado signe une critique acerbe des dérives de notre époque. Une époque où l’argent semble tout acheter, jusqu’à l’âme humaine. Mais aussi un vibrant plaidoyer pour le courage et la résilience, ces valeurs qui restent notre meilleure arme face à la barbarie. Un message d’espoir, porté par une femme en lutte pour sa dignité et sa liberté.

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Mentor et le mystérieux projet Reine Rouge

Au cœur de l’intrigue de « Reine Rouge » se trouve un homme aussi énigmatique que fascinant : Mentor. Ce personnage, qui tire les ficelles de l’enquête dans l’ombre, est le chef d’un projet top secret baptisé « Reine Rouge ». Une initiative dont les ramifications et les objectifs se dévoilent peu à peu au fil des chapitres, ajoutant une dimension géopolitique et conspirationniste au récit.

Mentor apparaît d’abord comme un manipulateur hors pair, capable de forcer la main à Antonia Scott et à l’inspecteur Gutiérrez pour les mettre sur la piste d’Ezequiel. Un homme élégant et charismatique, qui use de son pouvoir et de son influence pour parvenir à ses fins. Mais qui est-il vraiment, et quels sont les buts du projet Reine Rouge ?

On découvre que cette mystérieuse organisation, pilotée depuis Bruxelles, vise à traquer les criminels les plus insaisissables et les plus dangereux. Des « cygnes noirs », comme les appelle Mentor, ces êtres imprévisibles et maléfiques capables de semer le chaos à l’échelle d’un pays ou d’un continent. Et pour les arrêter, tous les moyens sont bons, même les plus discutables.

C’est ainsi que Mentor a recruté Antonia Scott, l’être humain doté du QI le plus élevé au monde. Une arme secrète, un « cerveau spécial » capable de résoudre les énigmes les plus retorses et de percer à jour les esprits les plus retors. Mais le projet Reine Rouge ne se limite pas à ce duo atypique : il dispose d’une véritable armée de l’ombre, avec ses propres experts et ses propres technologies.

Au fil du roman, on comprend que les ramifications de ce réseau s’étendent bien au-delà de la traque d’Ezequiel. Le projet Reine Rouge semble être le bras armé d’une puissance occulte, qui cherche à maintenir l’ordre mondial par tous les moyens. Une perspective qui n’est pas sans soulever des questions éthiques et politiques, que Juan Gómez-Jurado prend un malin plaisir à distiller au fil des pages.

Mais Mentor n’est pas qu’une incarnation du « système » ou du « complot ». C’est aussi un personnage ambigu et complexe, tiraillé entre sa mission et ses propres démons. Sa relation avec Antonia, teintée d’admiration et de ressentiment, de non-dits et de trahisons, apporte une profondeur supplémentaire à l’intrigue. Jusqu’au dénouement final, où les véritables intentions de cet homme insaisissable sont enfin révélées…

Un suspense haletant et des rebondissements inattendus

« Reine Rouge » est de ces livres qu’on dévore d’une traite, porté par un suspense haletant et des rebondissements qui vous tiennent en haleine jusqu’à la dernière page. Juan Gómez-Jurado signe un thriller redoutablement efficace, qui alterne les moments de tension et de contemplation pour mieux nous entraîner dans les méandres d’une intrigue complexe et passionnante.

Dès les premières pages, le ton est donné : un meurtre sordide, une mise en scène macabre, et voilà le lecteur happé dans une enquête qui s’annonce aussi difficile que dangereuse. Mais c’est surtout lorsque le Mentor entre en scène et convainc Antonia Scott de reprendre du service que le récit prend son envol. Une fois ce duo improbable lancé sur les traces d’Ezequiel, impossible de lâcher le livre avant de connaître le fin mot de l’histoire.

Car Juan Gómez-Jurado excelle dans l’art du faux-semblant et du retournement de situation. Chaque chapitre apporte son lot de révélations et de fausses pistes, qui viennent sans cesse relancer l’intérêt et la curiosité du lecteur. On croit tenir la clé de l’énigme, et soudain un détail vient bousculer nos certitudes et nous entraîner vers d’autres horizons. Un jeu de piste haletant, qui tient en alerte jusqu’au dénouement final.

L’auteur joue aussi habilement sur les changements de rythme et de point de vue pour maintenir la tension. On passe des scènes d’action survoltées, comme la course-poursuite entre la police et le mystérieux taxi, à des moments plus introspectifs, où l’on plonge dans la psyché torturée des personnages. Cette alternance permet de maintenir un rythme soutenu sans pour autant épuiser le lecteur, et d’explorer toutes les facettes de cette intrigue aux ramifications multiples.

Mais si « Reine Rouge » tient en haleine de la première à la dernière page, c’est aussi grâce à la profondeur de ses personnages. Loin des archétypes convenus du genre, Antonia Scott et Jon Gutiérrez apparaissent comme des êtres complexes et ambivalents, dont les failles et les doutes ne font que renforcer l’attachement que l’on éprouve pour eux. On tremble pour eux lorsqu’ils se retrouvent dans des situations périlleuses, on jubile lorsqu’ils progressent dans leur enquête… Une empathie qui décuple l’intensité du suspense.

Jusqu’au dénouement final, qui vient clore cette valse de révélations et de fausses pistes de manière aussi surprenante que satisfaisante. Juan Gómez-Jurado signe un final à la hauteur de ce thriller exceptionnel, qui réussit le pari de surprendre le lecteur tout en apportant des réponses à toutes les questions soulevées par l’intrigue. De quoi refermer ce livre avec la sensation grisante d’avoir vécu une expérience de lecture intense et inoubliable…

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L’enquête à l’ère du numérique et de la surveillance

« Reine Rouge » n’est pas qu’un thriller haletant, c’est aussi un roman profondément ancré dans son époque. En filigrane de l’enquête menée par Antonia Scott et Jon Gutiérrez, Juan Gómez-Jurado nous offre une réflexion passionnante sur les défis de l’investigation policière à l’ère du numérique et de la surveillance généralisée. Une dimension qui apporte une profondeur supplémentaire à l’intrigue et soulève des questions aussi dérangeantes que nécessaires.

Tout au long du récit, les nouvelles technologies apparaissent comme un outil à double tranchant pour les enquêteurs. D’un côté, elles leur offrent des possibilités inédites pour traquer les criminels et recouper les informations. On voit ainsi Antonia utiliser les réseaux sociaux et les bases de données pour reconstituer le parcours des victimes et remonter jusqu’à Ezequiel. Les caméras de surveillance, les relevés téléphoniques, les traces numériques laissées sur le web… autant d’indices précieux pour progresser dans l’enquête.

Mais cette profusion de données a aussi ses revers. Face à la masse d’informations à traiter, il devient de plus en plus difficile de trier le vrai du faux, de repérer le détail crucial noyé dans un océan de bruit. Un défi que doivent relever Antonia et Jon à chaque étape de leur traque, au risque de se laisser submerger ou de passer à côté de l’essentiel. Car dans ce monde hyperconnecté, la clé d’une enquête peut tenir à un message cryptique, à une image fugace, à un mot de passe oublié…

Mais « Reine Rouge » va plus loin dans sa réflexion sur les enjeux de la surveillance. Car si les nouvelles technologies sont un outil pour les enquêteurs, elles sont aussi une arme redoutable entre les mains de ceux qui cherchent à contrôler et à manipuler. C’est tout le sens du projet « Reine Rouge », cette organisation tentaculaire qui utilise les données personnelles et les algorithmes pour traquer les « cygnes noirs » susceptibles de menacer l’ordre établi. Une dérive liberticide qui en dit long sur les risques d’une société où la vie privée est devenue un concept obsolète.

À travers les personnages de Mentor et d’Ezequiel, le roman explore les deux faces de cette réalité inquiétante. D’un côté, un big brother bienveillant qui se rêve en gardien de la paix mondiale. De l’autre, un hacker fou qui détourne les outils numériques pour semer le chaos et défier le système. Deux visions opposées d’un même pouvoir, qui s’affrontent dans un duel sans merci dont l’issue décidera du sort de l’humanité.

En filigrane de cette intrigue haletante, Juan Gómez-Jurado signe une réflexion nécessaire sur les dérives de notre monde hyperconnecté. Un monde où la frontière entre sécurité et libertés individuelles devient chaque jour plus ténue, où les données sont le nouvel or noir qui attise toutes les convoitises. Un monde qui a plus que jamais besoin de sentinelles comme Antonia et Jon, prêtes à se dresser contre les maîtres chanteurs et les manipulateurs de tous bords. Pour que le numérique reste un outil d’émancipation et non une arme d’asservissement.

Entre thriller et critique sociale

« Reine Rouge » n’est pas qu’un simple thriller haletant. C’est aussi un roman engagé, qui pose un regard acéré sur les travers de notre société. Derrière l’enquête palpitante menée par Antonia Scott et Jon Gutiérrez, Juan Gómez-Jurado signe une critique sociale aussi lucide que pertinente, qui donne à son intrigue une résonance et une profondeur particulières.

Car en nous plongeant dans l’univers des puissants et des nantis, l’auteur ne se contente pas de nous divertir avec les codes du genre. Il explore les rouages d’un système où l’argent et le pouvoir semblent tout acheter, jusqu’à la vie humaine. Un monde où les riches se croient à l’abri derrière leurs murs et leurs privilèges, quitte à sacrifier les plus faibles sur l’autel de leurs intérêts.

C’est tout le sens du personnage de Carla Ortiz, fille d’un richissime homme d’affaires, enlevée par le mystérieux Ezequiel. À travers son calvaire, c’est toute l’arrogance et la vulnérabilité des élites qui est mise à nu. Ces hommes et ces femmes qui se pensent intouchables, mais qui peuvent basculer dans l’horreur du jour au lendemain. Une fable noire qui en dit long sur la fragilité d’un système bâti sur l’injustice et l’exploitation.

Mais « Reine Rouge » va plus loin dans sa dénonciation des travers de notre époque. En explorant les arcanes du projet « Reine Rouge », Juan Gómez-Jurado s’attaque aussi aux dérives sécuritaires et à la tentation du contrôle absolu. Cette organisation tentaculaire, qui utilise les données et les algorithmes pour traquer les « cygnes noirs », apparaît comme une incarnation glaçante du « meilleur des mondes ». Une société de surveillance où la liberté serait sacrifiée sur l’autel de la sécurité.

Face à ces menaces, Antonia Scott et Jon Gutiérrez apparaissent comme les sentinelles d’un monde en perdition. Deux êtres cabossés, marqués par la vie, mais animés par un sens aigu de la justice et de la vérité. Leur quête obstinée pour retrouver Carla et confondre Ezequiel prend alors une dimension symbolique : c’est un combat pour la dignité humaine, pour le droit de chacun à vivre libre et en sécurité.

Car au-delà de la critique, « Reine Rouge » est aussi un appel à la résistance et à l’engagement. À travers le courage et la détermination de ses héros, Juan Gómez-Jurado nous invite à ne pas baisser les bras face à l’injustice et à l’oppression. À croire en la force de l’individu face aux systèmes qui cherchent à l’écraser. Un message d’espoir, qui résonne comme une invitation à ne jamais renoncer à nos idéaux et à nos combats.

C’est toute la force de ce roman que de mêler avec brio le suspense du thriller et la profondeur de la critique sociale. En nous tenant en haleine jusqu’à la dernière page, Juan Gómez-Jurado nous pousse aussi à regarder le monde d’un œil nouveau et à nous interroger sur le prix de nos libertés. Un tour de force littéraire, qui confirme tout le talent de cet auteur et promet de marquer durablement les esprits.

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La promesse d’une série à succès ?

Avec « Reine Rouge », Juan Gómez-Jurado signe bien plus qu’un simple thriller à succès. Il pose les bases d’un univers fascinant et complexe, qui semble promis à un bel avenir éditorial. Car au-delà de l’enquête palpitante menée par Antonia Scott et Jon Gutiérrez, ce roman ouvre de nombreuses perspectives qui ne demandent qu’à être explorées dans de futurs opus.

En créant le personnage d’Antonia Scott, génie tourmenté au passé trouble, l’auteur s’offre un formidable potentiel de développement. On devine que cette héroïne atypique a encore de nombreux secrets à révéler, des blessures à panser, des combats à mener. Sa relation complexe avec Mentor, ce manipulateur qui l’a sortie de sa retraite pour la jeter dans la gueule du loup, promet aussi de belles surprises pour la suite.

De même, le projet « Reine Rouge » et ses ramifications insoupçonnées offrent un terreau fertile pour de nouvelles intrigues. Derrière cette organisation secrète qui traque les « cygnes noirs », on devine des enjeux géopolitiques et des luttes de pouvoir qui ne font que s’esquisser dans ce premier tome. De quoi imaginer des complots internationaux, des alliances souterraines, des trahisons en cascade… Tout un univers de l’ombre qui ne demande qu’à être mis en lumière.

Juan Gómez-Jurado a aussi su créer une galerie de personnages secondaires hauts en couleur, qui pourraient prendre plus d’importance dans les épisodes suivants. On pense notamment au Dr Aguado, cette médecin légiste aussi brillante qu’énigmatique, ou encore à ce mystérieux taxi qui semble lié à Ezequiel. Autant de pistes intrigantes, qui témoignent de la richesse de cet univers et de ses possibilités narratives.

Mais c’est surtout le tandem formé par Antonia et Jon qui porte la promesse d’une grande saga. Ces deux êtres que tout oppose, mais qui apprennent peu à peu à s’apprivoiser et à se faire confiance, forment un duo aussi improbable qu’attachant. Leur alchimie, faite de tensions et de non-dits, de respect mutuel et de découverte de l’autre, est l’un des grands attraits de ce roman. Et nul doute que leur relation sera encore amenée à évoluer et à se renforcer au fil des enquêtes.

Car on imagine sans peine Antonia et Jon confrontés à de nouveaux défis, de nouveaux mystères à élucider. Leur quête de vérité et de justice, leur combat contre les puissants et les manipulateurs, semblent destiner ces héros atypiques à devenir de grands détectives récurrents. Des personnages dont on a envie de suivre les aventures au long cours, pour mieux les voir évoluer et se révéler au fil des pages.

Avec « Reine Rouge », Juan Gómez-Jurado réussit donc le pari de créer un univers romanesque riche et passionnant, qui semble promis à un bel avenir. Et au vu du succès rencontré par ce premier opus, nul doute que les lecteurs seront au rendez-vous pour découvrir la suite des aventures d’Antonia Scott et Jon Gutiérrez. La promesse d’une grande saga du thriller contemporain, portée par des héros inoubliables et des intrigues à couper le souffle. Vivement la suite !


Extrait Première Page du livre

« Une interruption

Antonia Scott ne s’autorise à penser au suicide que trois minutes par jour.

Pour la plupart des gens, trois minutes représenteraient un infime intervalle de temps.

Mais pas pour Antonia. On pourrait dire que son esprit a beaucoup de chevaux sous le capot, mais le cerveau d’Antonia n’est pas une voiture de sport. On pourrait dire qu’il possède une impressionnante capacité de traitement de données, mais la tête d’Antonia n’est pas un ordinateur.

L’esprit d’Antonia s’apparenterait plutôt à une jungle, une jungle grouillant de singes, qui bondissent à toute allure de liane en liane en transportant des choses. Énormément de singes portant énormément de choses, qui se croisent dans les airs en montrant les crocs.

Voilà comment, en trois minutes – les yeux fermés, assise par terre, pieds nus, jambes croisées –, Antonia est capable de calculer :

– la vitesse à laquelle son corps heurterait le sol si elle sautait par la fenêtre qui se trouve face à elle ;

– le nombre de milligrammes de Propofol nécessaires pour sombrer dans un sommeil éternel ;

– combien de temps elle devrait rester immergée dans un lac gelé pour que son cœur cesse de battre.

Elle réfléchit au moyen d’obtenir une substance aussi contrôlée que le Propofol (en soudoyant un infirmier) et à l’emplacement du lac gelé le plus proche à cette période de l’année (Laguna Negra, Soria). Elle préfère en revanche laisser tomber l’option saut du dernier étage : sa fenêtre est étroite et la nourriture dégueulasse servie à la cafétéria de l’hôpital lui a fait prendre des hanches.

Ces trois minutes durant lesquelles elle pense aux différents moyens de se tuer sont trois minutes rien qu’à elle.

Elles sont sacrées.

Elles la maintiennent saine d’esprit.

C’est pourquoi elle est contrariée, extrêmement contrariée, quand des pas inconnus, trois étages plus bas, interrompent son rituel.

Ce n’est pas un voisin : elle reconnaîtrait sa façon de monter l’escalier. Ni un livreur, c’est dimanche.

Qui que ce soit, Antonia est certaine qu’il vient la chercher.

Et ça la contrarie encore davantage. »


  • Titre : Reine Rouge
  • Auteur : Juan Gómez-Jurado
  • Éditeur : Pocket
  • Pays : Espagne
  • Parution : 2023

Autoportrait de l'auteur du blog

Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis plus de 60 ans, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.


2 réflexions au sujet de “« Reine Rouge », un page-turner glaçant entre polar et critique sociale”

  1. Reine Rouge de Juan Gómez-Jurado est un polar magnifique ! Quand on commence, impossible de lâcher le livre ! L’intrigue captivante et le rythme soutenu vous tiennent en haleine du début à la fin. Les personnages complexes et bien développés, en particulier l’héroïne Antonia Scott, ajoutent une profondeur supplémentaire à cette histoire palpitante. Excellent choix Stefano et je suis sûr que tu vas apprécier chaque page de ce thriller passionnant.

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