« Du sang sur les miens » : Un thriller psychologique sur les fantômes de l’Histoire

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Un héritage familial complexe

Yves Paudex ouvre son roman sur une vérité dérangeante : nous portons en nous bien plus que nous-mêmes. Cette phrase liminaire, prononcée par David Dormond dit « Dado », plante d’emblée le décor d’une œuvre où les fantômes du passé hantent le présent avec une persistance troublante. L’auteur s’empare d’un questionnement universel – celui de notre rapport à l’héritage familial – pour tisser une intrigue où chaque révélation dévoile de nouveaux abîmes. Le protagoniste, photographe lausannois d’apparence ordinaire, découvre progressivement que son patronyme même constitue un mensonge, une construction destinée à effacer des traces compromettantes.

L’architecture narrative de Paudex repose sur cette tension constante entre ce que l’on croit savoir de soi et la réalité cachée de nos origines. David Dormond incarne cette génération d’après-guerre qui hérite de secrets soigneusement enfouis, de non-dits qui empoisonnent les relations familiales sans que les victimes comprennent toujours pourquoi. L’auteur excelle à montrer comment ces silences se transmettent de génération en génération, créant des blessures invisibles mais tenaces. Le père de David, maître Gabriel Dormond, apparaît d’abord comme un homme froid et distant, avant que les circonstances ne révèlent les traumatismes qui l’ont façonné.

Cette exploration de l’héritage prend une dimension particulièrement saisissante lorsque Paudex dévoile les origines juives de sa famille, dissimulées derrière une francisation forcée du patronyme Goldberg en Dormond. L’écrivain manie avec subtilité cette révélation, évitant l’écueil du pathos pour privilégier une approche nuancée des mécanismes de survie et d’adaptation. Il montre comment l’Histoire, avec sa grande hache, force parfois les individus à renier leur identité pour préserver leur existence, créant des cicatrices qui se transmettent bien au-delà de ceux qui les ont initialement subies.

Le génie de Paudex réside dans sa capacité à universaliser cette problématique spécifiquement liée à la Shoah pour en faire une métaphore plus large sur le poids des héritages familiaux. Chaque lecteur peut reconnaître dans le parcours de David ces moments où l’on découvre que nos parents nous ont légué bien plus que des traits physiques ou des manies : des traumatismes, des secrets, des hontes qui continuent d’irriguer notre présent de façon souterraine.

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La construction narrative et temporelle

Paudex déploie une architecture temporelle complexe qui fonctionne comme un véritable mécanisme d’horlogerie littéraire. L’auteur fait le choix audacieux d’entrelacer trois époques distinctes : le présent de David en 2011-2013, les événements dramatiques de l’an 2000, et les abominations de la Seconde Guerre mondiale. Cette stratification temporelle ne relève pas du simple artifice narratif mais constitue le cœur même du propos romanesque. Chaque strate révèle progressivement comment les traumatismes historiques se répercutent à travers les décennies, créant des échos et des correspondances troublantes entre les générations.

L’écrivain maîtrise particulièrement bien l’art du dévoilement progressif, distillant les informations avec une parcimonie calculée qui maintient le lecteur dans un état de tension permanente. Les révélations s’enchaînent selon une logique implacable : la découverte des agendas paternels mène à l’affaire Mansfeld, qui elle-même ouvre sur les horreurs de Mauthausen et les errances de Harald Hahn. Cette progression en spirale permet à Paudex d’éviter l’écueil de l’exposition didactique tout en construisant un puzzle narratif d’une redoutable efficacité. Le romancier parvient ainsi à transformer chaque chapitre en une nouvelle pièce du grand échiquier tragique qu’il a conçu.

La polyphonie narrative constitue un autre atout majeur de cette construction. Paudex alterne habilement entre la voix de David, celle d’Angie, et les extraits de la biographie de Harald Hahn, créant un jeu de miroirs déformants où chaque perspective éclaire différemment les mêmes événements. Cette multiplicité des points de vue enrichit considérablement la texture narrative et permet d’explorer les répercussions psychologiques des traumatismes sous des angles variés. L’auteur évite ainsi l’écueil du récit univoque pour proposer une vision kaléidoscopique de la mémoire familiale.

Le rythme narratif témoigne d’une maîtrise certaine de l’écriture romanesque, même si quelques passages auraient pu bénéficier d’un resserrement plus marqué. Paudex sait alterner les moments de tension psychologique intense avec des respirations plus contemplatives, créant une respiration narrative qui épouse les mouvements intérieurs de ses personnages. Cette modulation temporelle permet au lecteur de digérer progressivement la violence des révélations tout en maintenant son attention en éveil.

David Dormond, un protagoniste en quête d’identité

David « Dado » Dormond incarne avec justesse ces hommes de la trentaine qui naviguent entre héritage familial pesant et construction personnelle inachevée. Paudex dessine un personnage aux contours volontairement flous, photographe de profession mais observateur de l’existence par essence, qui porte en lui cette mélancolie sourde des fils mal aimés. Son surnom enfantin, « Dado », cristallise cette difficulté à accéder pleinement à l’âge adulte, comme si les blessures de l’enfance l’avaient figé dans une adolescence prolongée. L’auteur évite le piège de la complaisance en dotant son héros d’une lucidité parfois cruelle sur ses propres faiblesses, notamment cette tendance à l’introspection excessive qui le caractérise.

La profession de photographe choisie par Paudex pour son protagoniste révèle une intuition romanesque particulièrement fertile. David manipule les images, révèle ce qui était caché dans l’ombre, développe la réalité dans sa chambre noire – autant de métaphores qui résonnent avec sa quête identitaire. Cette activité professionnelle devient le miroir de son parcours personnel : révéler les secrets familiaux enfouis, développer une vérité longtemps occultée, fixer enfin une image claire de ce qu’il est vraiment. L’écrivain exploite habilement cette symbolique sans jamais tomber dans la lourdeur, laissant au lecteur le plaisir de saisir ces correspondances subtiles.

La relation complexe que David entretient avec la figure paternelle constitue l’un des ressorts dramatiques les plus aboutis du roman. Paudex campe un père, maître Gabriel Dormond, qui incarne cette génération d’hommes prisonniers de leur époque, incapables d’exprimer leurs sentiments tout en portant le poids de secrets indicibles. Le dialogue impossible entre père et fils traverse tout le récit, trouvant sa résolution tragique dans les derniers instants de Gabriel, quand la mort imminente libère enfin la parole longtemps retenue. Cette réconciliation in extremis évite l’écueil du sentimentalisme grâce à la retenue de l’écriture.

L’évolution psychologique du personnage principal témoigne d’une compréhension fine des mécanismes de maturation. David passe progressivement du statut de fils blessé à celui d’homme capable d’assumer son héritage, fût-il douloureux. Cette transformation s’opère à travers les révélations successives mais aussi grâce à sa relation avec Angie, qui lui renvoie une image apaisée de lui-même. Paudex montre avec subtilité comment l’amour peut devenir un catalyseur de reconstruction identitaire, permettant d’accepter enfin la complexité de ses origines.

Les secrets de famille et leurs répercussions

Paudex explore avec une acuité remarquable la façon dont les non-dits familiaux empoisonnent les relations sur plusieurs générations. L’auteur démontre comment le silence, initialement conçu comme protection, se mue insidieusement en poison relationnel. Dans l’univers romanesque qu’il déploie, chaque secret dissimulé engendre des blessures collatérales, des incompréhensions durables qui façonnent les personnalités de manière souterraine. Gabriel Dormond, en taisant ses origines juives à son fils, crée involontairement une distance émotionnelle qui marque profondément leur relation. Cette stratégie de l’omission, née d’une volonté de préservation, génère paradoxalement ce qu’elle cherchait à éviter : la souffrance et l’isolement.

La mécanique des révélations successives orchestrée par l’écrivain met en lumière l’effet domino des secrets familiaux. Chaque vérité découverte en appelle une autre, créant une spirale où le mensonge initial se ramifie en multiples dissimulations. L’affaire Mansfeld, révélée par les agendas paternels, ouvre la boîte de Pandore d’un passé que tous les protagonistes tentaient d’oublier. Paudex excelle à montrer comment ces révélations transforment rétrospectivement la perception que les personnages ont de leur propre histoire, obligeant David à reconsidérer entièrement sa vision de son père et de lui-même.

L’auteur saisit avec finesse la dimension transgénérationnelle de ces traumatismes cachés. Les enfants de ceux qui portent des secrets héritent d’une souffrance qu’ils ne comprennent pas, développant des symptômes sans en connaître la cause. Angie incarne parfaitement cette transmission inconsciente du mal-être : ses crises d’angoisse, ses fuites soudaines, sa difficulté à s’abandonner dans la relation amoureuse trouvent leur origine dans un drame familial qu’elle n’a découvert qu’à l’adolescence. Cette approche psychologique évite l’écueil du déterminisme simpliste pour proposer une vision nuancée de l’hérédité émotionnelle.

Le romancier parvient à universaliser cette problématique en montrant que chaque famille porte ses zones d’ombre, ses épisodes inavouables qui continuent d’agir longtemps après que les faits se sont produits. Cette exploration des secrets familiaux dépasse le cadre historique spécifique de la Seconde Guerre mondiale pour toucher à quelque chose de plus fondamental : la façon dont nous construisons nos identités sur des fondations parfois fragiles, constituées autant de vérités que de mensonges bienveillants. Paudex réussit ainsi à transformer un cas particulier en méditation plus large sur les mécanismes de la mémoire familiale.

L’amour face au poids de l’Histoire

La rencontre entre David et Angie cristallise l’une des tensions les plus saisissantes du roman : comment construire un amour authentique quand l’Histoire a dressé entre les amants des murs invisibles mais tenaces ? Paudex orchestre cette relation avec une délicatesse particulière, évitant les facilités dramatiques pour explorer les méandres psychologiques de deux êtres blessés qui tentent de s’apprivoiser. L’ironie tragique de leur situation – un descendant de déporté juif épris d’une petite-fille de nazi – aurait pu donner lieu à des effets de manche romanesques. L’auteur choisit au contraire une approche intimiste, privilégiant l’étude des caractères à la spectacularisation du conflit historique.

L’écrivain démontre avec subtilité comment les traumatismes du passé continuent d’irriguer le présent amoureux de ses personnages. Angie porte en elle cette culpabilité héréditaire qui entrave sa capacité à s’abandonner pleinement dans la relation. Ses fuites soudaines, ses silences inexpliqués, ses réticences à dévoiler son histoire familiale traduisent cette difficulté à concilier bonheur personnel et héritage douloureux. David, de son côté, manifeste cette fragilité émotionnelle caractéristique de ceux qui ont grandi dans l’incompréhension, cherchant désespérément dans l’amour une réparation des blessures paternelles. Leur couple devient ainsi le laboratoire où s’expérimentent les possibilités de guérison mutuelle.

Paudex excelle à montrer comment l’amour peut devenir un agent de révélation autant que de réconciliation. C’est par amour pour David qu’Angie finit par accepter de confronter son passé, de lever le voile sur les zones d’ombre de sa famille. Inversement, c’est pour mieux comprendre celle qu’il aime que David s’engage dans cette enquête qui le mènera à redécouvrir ses propres origines. Cette dynamique créée par l’amour transforme la quête identitaire en entreprise commune, où chaque révélation douloureuse devient supportable parce que partagée. L’auteur évite ainsi l’écueil du misérabilisme pour proposer une vision constructive du couple comme espace de reconstruction.

La force du roman réside dans cette capacité à montrer que l’amour véritable ne peut s’épanouir que dans la vérité, même quand cette vérité est douloureuse. Les tentatives d’Angie pour préserver David en lui cachant certains aspects de son histoire familiale se révèlent contre-productives, créant une distance qui menace leur relation. C’est seulement quand les deux amants acceptent de regarder en face l’héritage complexe qui les lie – descendant de victime et descendante de bourreau – qu’ils peuvent envisager un avenir commun. Paudex propose ainsi une méditation sur l’amour comme dépassement possible des clivages historiques, sans pour autant minimiser la difficulté de cette entreprise.

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La mémoire collective et individuelle

Paudex interroge avec une perspicacité troublante la façon dont la grande Histoire s’immisce dans les destins individuels pour les façonner de manière irréversible. L’auteur ne se contente pas d’évoquer les atrocités de la Seconde Guerre mondiale comme toile de fond dramatique, mais explore minutieusement les mécanismes par lesquels ces événements continuent de hanter les générations suivantes. La biographie de Harald Hahn, ce « Teufel » aux méthodes d’une cruauté raffinée, fonctionne comme un miroir déformant où se reflètent les abîmes de la nature humaine. Cette plongée dans les archives de l’horreur permet à l’écrivain de montrer comment l’Histoire officielle, celle des manuels scolaires, occulte souvent la complexité des parcours individuels pris dans la tourmente des événements.

La stratégie narrative de l’auteur révèle une compréhension fine des rapports entre mémoire personnelle et mémoire collective. David découvre progressivement que son histoire familiale s’inscrit dans la grande tragédie du XXe siècle, transformant sa quête identitaire personnelle en voyage au cœur de la mémoire européenne. Cette découverte de ses origines juives ne relève pas de la simple anecdote biographique mais devient le révélateur d’une appartenance à une communauté de destin. Paudex évite habilement l’écueil de la victimisation pour montrer comment cette révélation permet à David de donner un sens nouveau à ses souffrances personnelles, de les inscrire dans une continuité historique qui les transcende.

L’écrivain explore également les mécanismes de l’oubli volontaire et de la reconstruction identitaire. Les changements de noms – Goldberg devenu Dormond, Hahn transformé en von Mansfeld – témoignent de cette volonté d’échapper au poids de l’Histoire en se réinventant de nouvelles origines. Cette stratégie de l’effacement, née de la nécessité de survie, engendre paradoxalement de nouvelles souffrances chez les descendants qui grandissent dans l’ignorance de leurs véritables racines. Paudex montre avec nuance comment ces tentatives d’amnésie familiale, compréhensibles dans leur contexte, créent des vides identitaires qui se transmettent de génération en génération.

Le roman propose une réflexion stimulante sur la responsabilité mémorielle et la transmission des traumatismes collectifs. À travers le parcours d’Angie, petite-fille de criminel de guerre, l’auteur interroge la notion de culpabilité héréditaire sans tomber dans le manichéisme. Cette jeune femme porte un fardeau qu’elle n’a pas choisi, illustrant la complexité des situations où les descendants de bourreaux deviennent à leur tour victimes du poids de l’Histoire. Paudex réussit ainsi à humaniser des questions mémorielles souvent traitées de manière abstraite, montrant comment l’Histoire continue de blesser bien après que les événements se sont produits.

L’art du suspense psychologique

Paudex maîtrise l’art délicat du suspense psychologique en construisant une tension qui ne repose pas sur l’action spectaculaire mais sur l’angoisse sourde de la révélation imminente. L’auteur distille ses indices avec la précision d’un horloger, transformant chaque détail apparemment anodin en pièce d’un puzzle plus vaste. L’agenda paternel découvert par hasard, la cicatrice mystérieuse d’Angie, ses fugues inexpliquées à Florence : autant d’éléments qui alimentent une inquiétude grandissante chez le lecteur comme chez les personnages. Cette technique narrative évite l’écueil du sensationnalisme pour privilégier une montée progressive de l’angoisse, plus insidieuse et donc plus efficace que les rebondissements artificiels.

L’écrivain excelle particulièrement dans la création d’une atmosphère oppressante où l’invisible pèse plus lourd que le visible. Les non-dits entre David et Angie génèrent une tension palpable qui transforme leurs moments de bonheur en répit précaire, comme si une menace sourde planait constamment au-dessus de leur relation. Cette maîtrise de l’implicite permet à Paudex de maintenir le lecteur dans un état d’alerte permanent, scrutant chaque geste, chaque silence, chaque hésitation des personnages pour y déceler les signes avant-coureurs des révélations à venir. L’auteur transforme ainsi la lecture en véritable enquête psychologique où le lecteur devient complice de la quête identitaire des protagonistes.

La construction en abyme du récit renforce ce sentiment d’inquiétude diffuse. Chaque découverte de David ouvre sur de nouveaux mystères plutôt que d’apporter des réponses définitives, créant un effet de vertige où la vérité semble constamment se dérober. Cette stratégie narrative mime parfaitement les mécanismes de la mémoire traumatique, où chaque souvenir retrouvé en réveille d’autres, plus douloureux encore. Paudex réussit ainsi à faire coïncider forme et fond, utilisant les ressorts du suspense pour explorer les méandres de la psyché humaine confrontée à son passé.

Certains passages auraient néanmoins gagné en intensité avec un resserrement plus marqué, notamment dans les séquences où l’auteur s’attarde sur les détails quotidiens au détriment de la tension dramatique. Malgré ces quelques longueurs, l’ensemble témoigne d’une réelle maîtrise des codes du thriller psychologique, enrichie d’une dimension littéraire qui élève le propos au-dessus du simple divertissement. Paudex parvient à concilier exigence stylistique et efficacité narrative, proposant un suspense qui stimule autant l’intelligence que l’émotion du lecteur.

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Une œuvre sur la transmission et la rédemption

« Du sang sur les miens » s’impose finalement comme une méditation profonde sur les possibilités de rédemption face aux héritages les plus lourds. Paudex refuse les facilités du manichéisme pour explorer les zones grises de la culpabilité et du pardon, proposant une vision nuancée de la transmission générationnelle. L’auteur démontre avec subtilité que la rédemption ne passe pas par l’effacement du passé mais par son acceptation lucide, transformant la connaissance douloureuse en sagesse constructive. David et Angie incarnent cette génération qui doit apprendre à vivre avec l’héritage complexe de l’Histoire, sans se laisser paralyser par des fautes qu’ils n’ont pas commises mais dont ils portent malgré tout la trace.

L’écrivain développe une conception originale de la transmission qui dépasse la simple hérédité biologique pour englober la dimension spirituelle et morale. À travers le parcours de David, qui découvre tardivement ses origines juives, Paudex montre comment l’identité véritable peut ressurgir malgré les tentatives d’occultation. Cette résurrection identitaire ne relève pas du déterminisme mais d’un choix conscient d’assumer pleinement son histoire familiale. L’auteur évite ainsi l’écueil du fatalisme pour proposer une vision dynamique de l’héritage, où chaque génération peut choisir de transformer la malédiction en bénédiction par un travail de conscience et d’acceptation.

La notion de rédemption traverse l’ensemble du roman sans jamais tomber dans la facilité sentimentale. Paudex montre que la guérison des traumatismes familiaux passe nécessairement par la confrontation avec la vérité, même quand celle-ci est douloureuse. La relation amoureuse entre David et Angie devient le creuset de cette possible rédemption, prouvant que l’amour authentique peut transcender les clivages historiques les plus profonds. Cette vision optimiste de la nature humaine évite néanmoins l’angélisme grâce à la lucidité de l’auteur sur la difficulté de l’entreprise et les résistances qu’elle suscite.

Le roman s’achève sur une note d’espoir mesuré qui honore la complexité du propos développé tout au long de l’œuvre. Paudex suggère que la réconciliation avec le passé, bien qu’ardue, demeure possible pour ceux qui acceptent de regarder la vérité en face. Cette conclusion évite les fausses consolations pour proposer une sagesse authentique, fondée sur l’expérience douloureuse mais nécessaire de la confrontation avec l’Histoire. L’auteur livre ainsi une œuvre qui, au-delà de ses qualités narratives indéniables, propose une réflexion stimulante sur notre rapport au passé et les conditions d’une transmission apaisée entre les générations.

Mots-clés : Secrets familiaux, Mémoire transgénérationnelle, Identité juive, Thriller psychologique, Seconde Guerre mondiale, Héritage traumatique, Rédemption


Extrait Première Page du livre

 » Chapitre I

Je m’appelle David Dormond, dit « Dado ». Ce dimanche 2 octobre 2011, j’ai 28 ans et je suis seul. Mal dans ma peau, je vivote. Une brève idylle me donne l’im-pression d’exister, d’enfin vivre ma jeunesse, comme disent ceux qui n’ont pas vécu celle qu’ils désiraient. Cela remonte à mon adolescence, dès que cette saleté de can-cer a emporté maman, à l’âge où la femme est, paraît-il, la plus belle. J’avais à peine douze ans. Elle me manque.

Mon père, en revanche, n’a pas éprouvé la même absence. Avocat réputé, il s’est vite consolé avec une coiffeuse, qui a passé du statut d’amante à marâtre, en moins de temps qu’il me faut pour l’écrire. Maître Gabriel Dormond, tout à ses affaires, m’ignorait royale-ment. Quant à sa « chérie », elle dénigrait systématique-ment mes compétences. À l’entendre, c’est elle qui avait obtenu un doctorat en droit. Depuis ce temps-là, je ne connais rien de plus pathétique que ces êtres dont la pré-tention s’appuie sur la réussite du conjoint. Pour cette raison et tant d’autres, je n’ai jamais pu me résoudre à l’appeler par son prénom. J’en garde une sensation de profond rejet. Le souvenir de soirées solitaires, pendant que mon père et sa compagne brillaient de mille feux dans des soirées de bienfaisance – si rassurantes pour leur bonne conscience –, reste vivace. En y songeant, j’y vois la cause directe de mon adolescence passée à rétré-cir. Cette blessure n’a pas cicatrisé.

À l’approche de la trentaine, je me trouve insignifiant. Je suis de taille moyenne, mes jambes courtes me font paraître trapu. Quant à ma tignasse aux touffes indomp-tées, elle me valait naguère le surnom de « Ciboulette ». Bref, je n’ai rien d’un jeune premier.

J’habite au centre de Lausanne, à la rue de l’Ale, une rectiligne piétonnière tracée d’est en ouest. Dans ce pas-sage animé, artisans, badauds et désœuvrés papotent aux terrasses des bistrots dans un joyeux brouhaha. Mon appartement domine l’une d’elles. L’écho des rires et des conversations me rassure. J’ai presque l’impression d’y prendre part. Mon gîte a beau être vétuste, je le trouve plaisant. Il donne sur des toits où des pigeons ont pris asile. J’y accède par des escaliers en colimaçon datant du siècle précédent. Un puits de lumière les éclaire et de grands paliers font office de balcons intérieurs. Il règne entre les locataires une entraide que l’on ne trouve guère dans les grands ensembles. « 


  • Titre : Du sang sur les miens
  • Auteur : Yves Paudex
  • Éditeur : Éditions Montsalvens
  • Nationalité : Suisse
  • Date de sortie : 2025

Résumé

Quand David tombe sous le charme d’Angelika, il est loin d’imaginer jusqu’où cet enchantement va l’entraîner. Un destin cruel a provoqué la rencontre entre ce jeune photographe et la belle étudiante. Peu à peu, il va découvrir les lourds secrets qui voilent les longs yeux gris de son amie. Leur amour va devoir absorber l’infect bouillon des larmes de la mémoire. Il s’ensuivra, chez ce couple, une quête éperdue de vérité sur les non-dits de leurs familles respectives. Cette obsession les conduira de la passion aux confins de la folie. Pour se libérer des ombres qui éclipsent leur bonheur, David va partir en Égypte, à la recherche de cet ancêtre d’Angelika qui a fui après la Deuxième Guerre mondiale. Mais exhumer les fantômes du passé est un jeu de piste dangereux. Parfois, leur vengeance dépasse l’entendement.

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Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis une soixantaine d’années, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.


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