« Les Désobéissantes » : Portrait d’une France où les secrets ne meurent jamais

Désobéissantes de Emmanuelle Faguer

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Une intrigue policière aux multiples temporalités

Dès les premières pages, Emmanuelle Faguer pose les jalons d’une architecture narrative complexe qui défie les conventions du polar traditionnel. L’auteure ne se contente pas de dérouler une enquête linéaire : elle tisse un véritable labyrinthe temporel où le présent de l’investigation dialogue constamment avec les fantômes du passé. La découverte des corps de Marcus Solar et d’Elizabeth Storm dans leur manoir de Belleville ne constitue que la pointe visible d’un iceberg narratif dont les ramifications plongent profondément dans les années 1980 et 1990.

Cette fragmentation temporelle, loin d’être un artifice gratuit, devient le moteur même de la révélation. Faguer orchestre avec habileté ces allers-retours entre époques, chaque flashback apportant sa pierre à l’édifice du mystère sans jamais tomber dans la facilité de l’exposition pure. Les chapitres consacrés à l’enfance de Marcus dans le pensionnat ou aux années de formation du trio d’amies aixoises ne fonctionnent pas comme de simples éclairages biographiques, mais comme autant de pièces d’un puzzle dont l’assemblage progressif révèle la véritable nature du drame.

L’enquête menée par Leïla et Ronan se nourrit de cette stratification narrative. Leurs découvertes dans le présent résonnent avec les événements du passé dans un jeu de miroirs temporels particulièrement maîtrisé. Faguer évite l’écueil du récit à tiroirs en maintenant une tension constante : chaque révélation historique relance l’investigation contemporaine, créant un effet de spirale narrative qui happé progressivement le lecteur.

Cette construction polyphonique permet à l’auteure d’explorer avec subtilité les mécanismes de la mémoire et du refoulement. Les traumatismes enfouis remontent à la surface par fragments, à l’image des souvenirs qui ressurgissent sous l’effet de l’enquête. Cette approche temporelle éclatée sert ainsi parfaitement le propos du roman : montrer comment le passé continue de sculpter le présent, comment les blessures anciennes finissent toujours par rattraper ceux qui ont cru pouvoir les fuir.

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Désobéissantes Emmanuelle Faguer
Brûlent les falaises Emmanuelle Faguer
Désobéissantes Emmanuelle Faguer

Les personnages féminins au cœur du récit

Emmanuelle Faguer déploie dans « Les Désobéissantes » une galerie de portraits féminins d’une richesse saisissante, où chaque femme incarne une facette différente de la condition féminine et de ses contradictions. Leïla Cherfa, jeune lieutenante aux prises avec un milieu professionnel encore largement masculin, porte sur ses épaules le poids de l’enquête principale tout en naviguant entre ses propres questionnements identitaires. Son regard acéré sur les rapports de classe, notamment face à Gabrielle Jansen, révèle une conscience sociale aiguë qui enrichit considérablement la dimension sociologique du roman.

Gabrielle elle-même constitue un personnage fascinant dans sa vulnérabilité assumée. Loin du cliché de la femme parfaite, l’agente artistique de Marcus Solar se débat avec son épilepsie, ses angoisses et sa relation complexe à la beauté qui l’emprisonne autant qu’elle la définit. Faguer évite avec intelligence l’écueil du misérabilisme en donnant à ce personnage une profondeur psychologique qui dépasse largement le simple rôle de témoin privilégié. Ses séances avec la psychiatre Inès Adler dessinent les contours d’une féminité contemporaine en quête d’authenticité.

Le trio originel formé par Diane, Esther et Virginie dans les années 1980 offre un tableau nuancé de l’amitié féminine adolescente, avec ses codes, ses trahisons et ses loyautés absolues. Chacune des trois jeunes femmes incarne un destin différent : Diane la rebelle en quête d’absolu, Esther la séductrice prisonnière de ses propres charmes, Virginie la fidèle condamnée à porter le poids des souvenirs. Cette trinité féminine fonctionne comme un miroir grossissant des aspirations et des déceptions d’une génération.

Même les figures plus secondaires, comme Elizabeth Storm ou Rose Ravensberg, échappent aux archétypes convenus. La gouvernante dévouée cache des zones d’ombre intrigantes, tandis que l’héritière américaine distille ses révélations avec une froideur calculée qui masque mal d’anciennes blessures. Faguer réussit ainsi à créer un univers où les femmes ne sont jamais réduites à leurs fonctions narratives, mais existent pleinement comme individus complexes et contradictoires, porteurs de leurs propres secrets et motivations.

Le poids du passé et les secrets enfouis

Dans l’univers d’Emmanuelle Faguer, le passé n’est jamais véritablement révolu : il demeure tapi dans l’ombre, prêt à ressurgir avec une violence inouïe. Le manoir de Marcus Solar, avec ses tiroirs secrets et ses documents soigneusement archivés, devient la métaphore parfaite de cette mémoire enfouie qui refuse de disparaître. L’auteure développe avec finesse l’idée que certains traumatismes, loin de s’estomper avec le temps, se cristallisent et continuent de modeler les destins des protagonistes des décennies plus tard.

La disparition de Diane Leroy fonctionne comme l’épicentre d’un séisme dont les répliques continuent de se faire sentir trente ans après. Faguer explore avec subtilité la manière dont cet événement a façonné la trajectoire de chaque personnage qui l’a côtoyée : Marcus qui abandonne sa carrière au sommet de sa gloire, Virginie qui porte le poids de la culpabilité, Rose Ravensberg qui traverse l’Atlantique pour des raisons qu’elle peine à s’avouer. Cette approche permet à l’auteure de questionner la nature même du deuil impossible et de montrer comment l’absence peut parfois peser plus lourd que la présence.

Les révélations s’égrènent comme autant de couches géologiques mises au jour par l’enquête. Chaque découverte – des cicatrices de Marcus aux mensonges de Rose, des non-dits d’Elizabeth aux silences de Virginie – révèle un pan supplémentaire d’une vérité complexe et douloureuse. Faguer maîtrise parfaitement l’art du dévoilement progressif, distillant les informations de manière à maintenir la tension tout en respectant la psychologie de ses personnages. Aucun secret ne tombe du ciel : tous s’enracinent dans des blessures authentiques et des mécanismes de protection psychologique crédibles.

Cette architecture de l’enfouissement donne au roman une dimension presque archéologique. L’enquête de Leïla et Ronan s’apparente à une fouille minutieuse où chaque indice exhumé révèle une strate supplémentaire de souffrance et de mensonges. L’auteure parvient ainsi à transformer l’investigation policière en véritable exploration des tréfonds de l’âme humaine, là où se nichent les hontes inavouables et les remords tenaces qui finissent toujours, un jour ou l’autre, par remonter à la surface.

La musique comme fil conducteur narratif

Bien au-delà du simple décor artistique, la musique classique irrigue chaque page du roman d’Emmanuelle Faguer comme une veine mélodique qui donne son rythme à l’ensemble de la narration. Le personnage de Marcus Solar n’est pas qu’un pianiste de renom : il incarne cette capacité de la musique à transcender la douleur, à transformer les blessures en beauté. Faguer utilise avec intelligence cette dimension artistique pour explorer les mécanismes de la création née de la souffrance, montrant comment l’art peut devenir à la fois refuge et prison pour ceux qui le pratiquent.

Le piano Bechstein disparu constitue plus qu’un simple élément d’intrigue : il symbolise la rupture entre l’artiste et son art, entre Marcus et sa capacité à exprimer ses émotions autrement que par le silence. Cette absence matérielle résonne comme une métaphore puissante de tous les non-dits qui jalonnent le récit. L’auteure parvient à faire de cet instrument absent un personnage à part entière, dont la disparition mystérieuse lance l’enquête sur des pistes inattendues et révèle progressivement l’ampleur des secrets cachés.

Les références musicales parsemées dans le texte – des nocturnes de Chopin aux symphonies de Mahler – ne relèvent jamais de l’étalage culturel gratuit. Faguer les intègre organiquement à son récit, chaque œuvre citée trouvant un écho dans l’état psychologique des personnages ou l’atmosphère du moment. Ces clins d’œil mélodiques enrichissent la lecture sans jamais l’alourdir, créant une bande sonore invisible qui accompagne l’intrigue et renforce l’immersion du lecteur dans cet univers où l’art côtoie constamment la tragédie.

La musique fonctionne également comme un révélateur de classe sociale et de sensibilité. Elle distingue Marcus de son entourage, crée des ponts inattendus entre les personnages – comme lors de la première rencontre entre le pianiste et Diane dans la boutique d’instruments – et souligne les fossés culturels qui séparent les protagonistes. Cette dimension sociologique de la pratique musicale permet à l’auteure d’enrichir sa peinture des milieux sociaux sans tomber dans la caricature, montrant avec finesse comment l’art peut autant rassembler que diviser.

L’art du portrait psychologique

Emmanuelle Faguer démontre une remarquable acuité dans la construction psychologique de ses personnages, fouillant avec précision les méandres de leurs âmes tourmentées. Marcus Solar, loin d’être un simple génie musical aux mains d’or, se révèle être un être profondément blessé dont les cicatrices physiques racontent une histoire de violence et d’abandon. L’auteure évite soigneusement l’écueil du pathos en donnant à ce personnage une complexité qui dépasse largement son statut de victime : sa relation ambiguë avec Diane, sa fuite dans l’art, ses mensonges par omission dessinent le portrait d’un homme aux prises avec des démons intérieurs qu’il ne parvient jamais totalement à dompter.

Le traitement de l’épilepsie de Gabrielle Jansen illustre parfaitement cette approche nuancée de la psychologie humaine. Faguer refuse de réduire son personnage à sa maladie tout en montrant avec justesse comment celle-ci façonne sa perception du monde et ses relations aux autres. Les séances avec Inès Adler révèlent progressivement les mécanismes de déni et de protection que Gabrielle a développés, créant un personnage d’une authenticité saisissante. Cette exploration de la vulnérabilité féminine évite les clichés pour offrir une vision complexe des rapports entre image sociale et fragilité intime.

L’évolution des trois amies d’enfance témoigne également de cette finesse psychologique. Diane, Esther et Virginie ne sont jamais figées dans des archétypes : elles grandissent, se transforment, se trahissent et se retrouvent selon des logiques émotionnelles crédibles. Faguer montre avec subtilité comment les traumatismes de l’adolescence peuvent modeler durablement la personnalité adulte, comment les rêves de jeunesse se fracassent contre la réalité, comment l’amitié peut se muer en rivalité puis en culpabilité dévorante.

Cette capacité à sonder les tréfonds de l’âme humaine trouve son apogée dans le personnage de Rose Ravensberg. Derrière la façade glaciale de l’héritière américaine se cache une femme blessée par des choix qu’elle n’assume plus. Faguer parvient à rendre attachante cette figure initialement antipathique en révélant progressivement les failles de sa cuirasse. Cette transformation progressive du regard porté sur le personnage témoigne d’une maîtrise narrative certaine et d’une compréhension profonde des contradictions qui habitent chaque être humain.

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Une écriture qui joue avec les codes du thriller

Emmanuelle Faguer emprunte au thriller ses mécanismes les plus efficaces tout en s’en détachant pour créer une œuvre hybride d’une remarquable originalité. Dès l’ouverture du roman, la découverte des deux corps dans le manoir plante un décor digne des meilleurs polars, mais l’auteure refuse de s’enfermer dans les conventions du genre. Plutôt que de privilégier l’action et les rebondissements spectaculaires, elle fait le choix d’une tension sourde qui naît de l’exploration progressive des non-dits et des secrets familiaux. Cette approche confère au récit une densité particulière où chaque révélation porte en elle le poids de décennies de silence.

La structure narrative en miroir entre l’enquête contemporaine et les événements du passé relève d’une technique maîtrisée qui maintient le suspense sans artifice. Faguer distille les indices avec parcimonie, chaque flashback apportant autant de réponses que de nouvelles interrogations. Cette économie de moyens évite l’écueil de la surenchère tout en créant un rythme particulièrement addictif. L’alternance entre les voix narratives – de Leïla à Gabrielle, de Ronan aux souvenirs de Diane – enrichit la polyphonie du récit sans jamais nuire à sa cohérence d’ensemble.

L’enquête menée par les deux policiers s’affranchit intelligemment des clichés du duo d’investigation. Ni Leïla ni Ronan ne correspondent aux archétypes usuels du flic désabusé ou de l’enquêtrice intuitive : ils évoluent selon leurs propres questionnements, leurs doutes personnels et leurs méthodes parfois peu orthodoxes. Cette humanisation des protagonistes de l’enquête permet à l’auteure de créer une complicité naturelle avec le lecteur, qui suit leur progression avec d’autant plus d’intérêt qu’il partage leurs tâtonnements et leurs découvertes.

L’originalité de l’approche réside également dans la manière dont Faguer transforme les lieux communs du genre en véritables enjeux narratifs. Le manoir isolé devient l’écrin de tous les secrets, le piano disparu se mue en énigme centrale, les témoignages contradictoires révèlent les failles de la mémoire humaine. Cette alchimie entre respect des codes et renouvellement créatif donne naissance à un thriller atypique qui privilégie la profondeur psychologique à l’effet de surprise, sans pour autant sacrifier l’efficacité narrative qui fait le sel du genre.

Belleville et Aix-en-Provence : des décors qui parlent

Emmanuelle Faguer transforme ses décors en véritables personnages du récit, chaque lieu portant en lui une charge émotionnelle et symbolique qui dépasse sa simple fonction narrative. Belleville, petite ville picarde aux allures endormies, incarne parfaitement cette France profonde où les secrets se transmettent de génération en génération sans jamais vraiment éclater au grand jour. Le manoir de Marcus Solar, avec ses tours octogonales et son parc à l’abandon, devient le réceptacle de toutes les mélancolies, un écrin gothique où le temps semble suspendu entre grandeur passée et décrépitude présente.

L’opposition entre le Nord et le Sud structure subtilement l’ensemble du roman. Aix-en-Provence des années 1980, avec ses plages dorées et ses rues pavées, évoque l’insouciance de la jeunesse et la chaleur des amitiés naissantes. Faguer sait rendre palpable cette nostalgie méditerranéenne sans tomber dans la carte postale, montrant comment ces lieux idylliques peuvent aussi devenir le théâtre de drames intimes. La boutique d’instruments de musique du père de Diane, transformée progressivement en local délabré, symbolise avec force la désillusion qui accompagne le passage à l’âge adulte.

Les intérieurs révèlent autant que les paysages la psychologie des personnages qui les habitent. L’appartement parisien de Marcus et Diane, avec ses baies vitrées donnant sur le parc Monceau, traduit une réussite sociale teintée d’artifice, tandis que le commissariat de Belleville, dans sa modestie fonctionnelle, ancre l’enquête dans une réalité prosaïque qui contraste avec le faste des milieux artistiques. Cette géographie des émotions permet à l’auteure de créer des atmosphères distinctes qui accompagnent naturellement l’évolution narrative.

L’errance de Ronan dans les rues d’Aix-en-Provence contemporaine illustre parfaitement cette capacité des lieux à porter la mémoire collective. Les cafés, les places, les ruelles gardent l’empreinte des événements passés, comme si la pierre elle-même conservait la trace des joies et des peines qui s’y sont déroulées. Cette dimension mémorielle des espaces enrichit considérablement la lecture en créant des échos entre les époques, montrant comment certains lieux résistent au temps et continuent de résonner des échos du passé.

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Un roman sur la mémoire et la rédemption

Au terme de cette plongée dans les méandres du passé, « Les Désobéissantes » révèle sa véritable nature : celle d’une méditation profonde sur les mécanismes de la mémoire et les possibilités de rachat qu’offre parfois la vérité. Emmanuelle Faguer explore avec finesse la manière dont les traumatismes non résolus continuent de hanter les existences, créant des chaînes invisibles qui enchaînent les vivants aux morts. Marcus Solar, dans sa quête obsessionnelle pour comprendre la disparition de Diane, incarne cette impossibilité du deuil quand les zones d’ombre persistent. Sa mort même, survenant à la veille de son retour sur scène, semble porter en elle une dimension sacrificielle, comme si seule la vérité pouvait enfin libérer son âme tourmentée.

La notion de rédemption traverse l’ensemble du récit sans jamais verser dans le sentimentalisme. Chaque personnage porte sa part de culpabilité et cherche, consciemment ou non, une forme d’absolution. Virginie, écrasée par des décennies de silence, trouve dans ses révélations à Ronan une possibilité de soulagement tardif. Gabrielle, confrontée à ses propres démons à travers sa relation thérapeutique avec Inès, entame un chemin vers l’acceptation de soi. Même Rose Ravensberg, dans sa froideur apparente, semble chercher une forme de paix avec un passé qu’elle n’assume plus totalement.

L’enquête de Leïla et Ronan transcende le simple cadre policier pour devenir une véritable archéologie des âmes blessées. Leur obstination à creuser une affaire officiellement close traduit une intuition profonde : celle que certaines vérités méritent d’être exhumées, même trente ans après les faits, même si elles ne changeront plus rien aux destins déjà scellés. Cette dimension quasi mystique de la recherche de vérité confère au roman une portée philosophique qui dépasse largement les enjeux du thriller traditionnel.

Faguer parvient ainsi à tisser un récit qui interroge notre rapport collectif au passé et aux non-dits qui structurent nos sociétés. « Les Désobéissantes » ne se contente pas de résoudre une énigme : il questionne notre capacité à faire face aux vérités dérangeantes, à assumer les parts d’ombre de notre histoire personnelle et collective. Dans cette perspective, la littérature apparaît comme un outil de révélation et de catharsis, capable de donner sens aux souffrances et de transformer les blessures en compréhension. Un roman qui, au-delà de ses qualités narratives indéniables, offre une réflexion profonde sur la condition humaine et les chemins tortueux qui mènent parfois à la paix intérieure.

Mots-clés : Thriller psychologique, Temporalités multiples, Musique classique, Personnages féminins, Secrets familiaux, Mémoire collective, Rédemption


Extrait Première Page du livre

 » PARTIE I
Diane

1
Belleville, octobre 2020
Gabrielle Jansen avait voulu partir tôt, avant le rush matinal et les embouteillages sur l’autoroute. Un seul arrêt pour un café express à la machine de la station-service. Des hommes d’affaires pressés côtoyaient des routiers qui roulaient leur cigarette entre leurs doigts épais. Une faune du petit jour qui ne se recroisait qu’à la tombée de la nuit. Gabrielle aimait quand la quiétude du matin s’installait pour chasser l’obscurité. Elle dépassait la vitesse moyenne. La nature s’évanouissait sur son passage, les arbres défilaient en accéléré. Elle n’entendait ni les klaxons ni les insultes. Les autres cessaient d’exister. Un état de grâce éphémère qui précédait l’effervescence de la journée à venir.

Il faisait encore nuit quand elle s’engagea dans une allée peuplée de cèdres. Un mur de plusieurs mètres longeait la route. Elle coupa le moteur et descendit de sa voiture. Le vent automnal sifflait entre les branches. Quelques oiseaux s’éveillaient dans des cris. La vie était suspendue à un fil imaginaire, entre le silence de la nuit et les premières heures du jour.

Au loin, les contours d’une toiture mansardée se fondaient dans la brume. Gabrielle s’arrêta devant un portail en fer rouillé. Derrière, une construction pittoresque se dessinait. Un manoir imposant entouré d’un vaste parc mal entretenu. Elle poussa la grille dans un désagréable crissement de gravier et leva les yeux. Aucune lumière n’était allumée.

Gabrielle jeta un regard autour d’elle. Le parc était dans l’état d’abandon habituel. Les fleurs mouraient dans leurs pots ; les feuilles s’amoncelaient sur l’herbe sèche. Les jardiniers n’étaient pas venus.

Elle sortit son double de clés et ouvrit la porte d’entrée. Le manoir était plongé dans l’obscurité. Seul son pas sur le parquet brisait la quiétude du lieu.

C’est là qu’elle l’aperçut. Là, face à elle, au pied de l’escalier en bois menant au premier étage. Elle sentit le souffle lui manquer à mesure que son regard se concentrait sur cette masse noire, étalée sous ses yeux.

Une femme gisait sur le sol. Son sang formait une auréole mortuaire autour de sa tête. Gabrielle courut vers elle et prit son pouls. Elle recula de quelques mètres en comprenant qu’elle était morte. Son champ de vision se rétrécit. Tout devint flou autour d’elle. Le corps inerte semblait se fondre dans l’ombre pour s’y engouffrer. « 


  • Titre : Désobéissantes
  • Auteur : Emmanuelle Faguer
  • Éditeur : HarperCollins France
  • Nationalité : France
  • Date de sortie : 2023

Page Officielle : www.agencelisearif.fr/talent/emmanuelle-faguer

Résumé

On dit de lui qu’il a eu mille vies. Une enfance passée à l’orphelinat, une jeunesse marquée par le succès et, au faîte de sa gloire, des fiançailles avec une riche Américaine. Il était discret, virtuose, solitaire. La dernière femme de sa vie aurait pu parler. Mais en ce matin d’octobre elle gît au pied de l’escalier. Entre les murs d’un manoir en Picardie, l’étrange duo formé par la domestique Elizabeth Storm et le pianiste Marcus Solar n’est plus. Et c’est un drôle de moment qu’a choisi l’artiste pour tirer sa révérence puisque, après vingt-six ans passés à l’abri des regards, il s’apprêtait à donner une série de concerts exceptionnels. Qui était Marcus Solar, star déchue morte d’une overdose de morphine à soixante-dix ans et sur le point d’entrer dans la légende ? Quels mystères renfermait-il pour disparaître à la veille du grand soir, emportant avec lui une vieille femme sans passé ? Et qui sont ces femmes qui ouvrent et ferment la ronde tragique d’une enquête à laquelle semblent vouloir s’inviter l’amitié, la honte et les regrets ?


Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis une soixantaine d’années, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.


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