Les secrets enfouis des Bois-Noirs : Voyage au cœur du thriller d’Erika Navilles

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La forêt comme personnage : le cadre inquiétant des Bois-Noirs

Les Bois-Noirs ne constituent pas un simple décor dans le roman d’Erika Navilles, ils s’affirment comme un véritable personnage à part entière. L’autrice réussit à insuffler une âme à cette forêt dense et mystérieuse qui enveloppe les protagonistes de son ombre inquiétante. Dès les premières pages, la citation d’Henri Pourrat en exergue donne le ton : « Les Bois-Noirs méritent leur nom, puisqu’ils sont tout de sapinière jusqu’à leurs cimes. »

Cette forêt d’Auvergne n’est pas seulement un lieu, mais une présence constante qui évolue au fil des heures et des saisons. Navilles déploie un talent remarquable pour décrire les métamorphoses de cet espace naturel : tantôt accueillant dans la lumière du jour, tantôt menaçant dans l’obscurité. Les odeurs de mousse humide, de champignons et de résine imprègnent les pages et plongent le lecteur dans une expérience sensorielle complète.

La géographie des Bois-Noirs, avec ses sentiers sinueux, ses tourbières et ses clairières secrètes, structure le récit et influence directement le destin des personnages. C’est un territoire où se mêlent la beauté et le danger, un espace liminal où les frontières entre le passé et le présent s’estompent. L’autrice exploite brillamment cette ambivalence pour nourrir la tension narrative.

Cette forêt séculaire apparaît comme la gardienne de secrets enfouis, que le récit dévoile progressivement. Les arbres majestueux qui s’élèvent vers le ciel semblent observer silencieusement le drame qui se joue à leurs pieds. Ils sont les témoins muets des tragédies passées et présentes, créant une continuité temporelle qui transcende les générations de personnages.

Les Bois-Noirs fonctionnent également comme un révélateur des caractères. Face à l’immensité sauvage, chaque protagoniste dévoile sa véritable nature : certains y trouvent refuge et connexion, d’autres y affrontent leurs peurs les plus profondes. La forêt devient ainsi un espace initiatique où les épreuves traversées transforment ceux qui s’y aventurent.

L’environnement sylvestre façonné par Erika Navilles s’inscrit dans une riche tradition littéraire où la forêt symbolise l’inconscient et ses zones d’ombre. Au-delà de leur dimension géographique, les Bois-Noirs représentent ce territoire mystérieux où l’on peut aussi bien se perdre que se retrouver, illustrant parfaitement le parcours intérieur des personnages dans cette intrigue captivante.

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Perdue dans les Bois-Noirs Erika Navilles
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Entre enquête policière et thriller psychologique : un genre hybride maîtrisé

« Perdue dans les Bois-Noirs » navigue avec habileté entre plusieurs genres littéraires, créant une œuvre hybride qui défie les classifications simples. Erika Navilles construit une intrigue qui emprunte aux codes classiques du roman policier – un corps découvert dans une tourbière, une enquête méthodique, des indices disséminés – tout en développant une profondeur psychologique rarement atteinte dans ce genre. Le lieutenant Christophe Roche n’est pas qu’un enquêteur, mais un homme aux prises avec ses propres démons.

L’autrice maîtrise parfaitement le rythme, alternant les moments de tension pure avec des séquences contemplatives où les personnages révèlent leurs fêlures intérieures. Cette construction narrative en parallèle offre une respiration au lecteur tout en densifiant progressivement l’intrigue. Les chapitres courts et incisifs maintiennent un suspense constant qui nous pousse à tourner frénétiquement les pages.

La dimension procédurale de l’enquête est remarquablement documentée, témoignant d’une recherche minutieuse sur les techniques d’investigation en milieu rural. Chaque détail technique, de l’autopsie aux prélèvements d’échantillons dans la tourbière, renforce la crédibilité du récit sans jamais ralentir sa progression. Cette précision scientifique s’entrelace subtilement avec la dimension émotionnelle de la quête de vérité.

Le thriller psychologique prend forme à travers l’exploration des traumatismes enfouis et des non-dits familiaux. Navilles excelle dans la description des états mentaux de ses personnages, particulièrement lors des moments de crise où la réalité objective se mêle aux perceptions subjectives. Cette ambiguïté psychologique maintient le lecteur dans un état d’incertitude qui reflète celle des protagonistes eux-mêmes.

L’originalité de « Perdue dans les Bois-Noirs » réside également dans sa façon d’entrelacer deux temporalités – le présent de l’enquête et le passé des secrets de famille – créant ainsi un double mystère qui se résout simultanément. Cette structure en miroir révèle progressivement comment les événements du passé continuent d’influencer les comportements actuels, brouillant les frontières entre victime et coupable.

La fusion des genres opérée par Navilles crée une œuvre singulière qui transcende les attentes du polar traditionnel. En combinant l’efficacité narrative du thriller avec la profondeur d’analyse du roman psychologique, l’autrice nous offre une réflexion saisissante sur la façon dont nos blessures passées façonnent notre présent et comment la vérité, aussi douloureuse soit-elle, peut devenir un chemin vers la guérison.

Des personnages complexes aux secrets bien gardés

La force du roman d’Erika Navilles réside indéniablement dans la profondeur psychologique de ses personnages, tous habités par des secrets qui les définissent et les hantent. Le lieutenant Christophe Roche, protagoniste principal, est bien plus qu’un simple enquêteur : c’est un homme marqué par la maladie, par un passé douloureux dans ces mêmes Bois-Noirs, et par une relation compliquée avec sa fille adolescente. Sa fragilité physique post-Covid contraste avec sa détermination professionnelle, créant un personnage nuancé que le lecteur suit avec empathie.

Lucie, sa fille, incarne une génération aux prises avec l’éco-anxiété et la quête identitaire. Son mal-être adolescent ne relève pas du simple cliché rebelle, mais s’enracine dans une sensibilité artistique héritée et des questionnements existentiels profonds. Sa passion pour le dessin et les jeux de rôle en ligne révèle un monde intérieur riche qu’elle peine à partager, particulièrement avec son père qui, paradoxalement, cherche à la protéger en maintenant la distance.

Albert Roche, le grand-père silencieux, est peut-être le personnage le plus énigmatique du roman. Fermier solitaire aux principes inflexibles, il porte le poids d’un passé familial traumatique sans jamais s’effondrer. Sa relation avec la nature, son atelier de menuiserie et son champ de pierres dressées témoignent d’une spiritualité terrienne qui contraste avec les angoisses contemporaines des autres personnages.

Les figures secondaires ne sont jamais réduites à de simples fonctions narratives. Que ce soit Charlotte Gervais, jeune éleveuse passionnée et ambitieuse, Clotilde Fréchon, médecin légiste à l’intelligence acérée, ou Frédéric Basse, personnage aux marges de la société dont la complexité défie les attentes, chacun possède une psychologie élaborée qui enrichit la trame narrative principale et multiplie les perspectives sur l’intrigue.

L’autrice excelle particulièrement dans sa façon de dévoiler les zones d’ombre de ses personnages. Les révélations ne surviennent jamais de manière artificielle, mais émergent organiquement des situations et des dialogues. Les non-dits, les regards détournés et les silences éloquents participent autant à la caractérisation que les actions concrètes, créant une galerie de personnages d’une authenticité saisissante.

Le talent narratif d’Erika Navilles brille dans sa capacité à tisser les destins individuels en une toile collective où chaque secret révélé modifie notre perception de l’ensemble. Les vérités cachées ne sont jamais gratuites, mais servent une réflexion plus large sur notre besoin de protéger ceux qu’on aime, parfois au prix de la transparence, et sur la façon dont ces silences bien intentionnés peuvent créer des fractures plus profondes que les vérités qu’ils cherchent à dissimuler.

La relation père-fille au cœur du récit

Au centre de « Perdue dans les Bois-Noirs » se trouve la relation complexe et émouvante entre Christophe et Lucie, un père et sa fille qui peinent à communiquer malgré leur amour profond. Erika Navilles dépeint avec une justesse remarquable cette dynamique familiale fragilisée par les non-dits et les malentendus. Le lieutenant Roche, habitué à maîtriser les situations les plus périlleuses dans son métier, se trouve désarmé face aux silences de son adolescente qu’il n’a vue que par intermittence depuis son divorce.

La distance émotionnelle qui sépare Christophe et Lucie est symbolisée par leur mode de communication : des SMS sans réponse, des appels manqués, des conversations avortées. L’inquiétude chronique du père contraste avec le besoin d’indépendance de la fille, créant une tension palpable qui s’intensifie au fil des pages. L’autrice réussit à nous faire ressentir la frustration et l’impuissance des deux personnages, prisonniers de schémas relationnels qu’ils ne parviennent pas à briser.

L’art joue un rôle crucial dans cette relation, devenant à la fois un point de rupture et un possible chemin vers la réconciliation. La passion de Lucie pour le dessin, que son père n’arrive pas à comprendre ni à valoriser, révèle les échos d’un passé familial douloureux que Christophe a tenté d’enfouir. Cette dimension artistique, transmise inconsciemment à travers les générations, devient le fil invisible qui relie père et fille au-delà de leurs incompréhensions.

Le personnage d’Albert, le grand-père, agit comme un médiateur silencieux dans cette relation père-fille. Sa présence bienveillante et sa capacité à accepter Lucie telle qu’elle est, sans chercher à la façonner selon ses attentes, offre un contrepoint saisissant à l’anxiété protectrice de Christophe. À travers ce trio familial, Navilles explore avec finesse les différentes conceptions de l’amour parental et les héritages émotionnels qui se transmettent d’une génération à l’autre.

La disparition de Lucie dans les Bois-Noirs devient paradoxalement le catalyseur qui pourrait permettre à cette relation père-fille de se reconstruire. L’angoisse de la perte potentielle pousse Christophe à confronter ses propres démons et à reconsidérer ses priorités. La quête physique de sa fille dans la forêt se double d’une recherche intérieure, d’une tentative de comprendre qui est réellement cette jeune femme qu’il a cherché à protéger sans vraiment la connaître.

Dans les moments de crise, l’évolution de ce lien familial atteint une profondeur émouvante rarement égalée dans la littérature contemporaine. À travers cette relation père-fille, Erika Navilles nous offre une réflexion universelle sur la difficulté d’aimer sans étouffer, de protéger sans enfermer, et sur la nécessité vitale d’apprendre à voir l’autre tel qu’il est, plutôt que tel qu’on voudrait qu’il soit.

Le poids du passé et des non-dits familiaux

« Perdue dans les Bois-Noirs » explore avec une remarquable finesse la façon dont les secrets de famille façonnent le présent et déterminent les comportements des personnages. Au cœur du récit se trouve un événement tragique survenu trente ans auparavant : la noyade d’Isabelle, la sœur de Christophe, dans la même tourbière où est découvert le corps d’Elena Giraud. Ce parallèle troublant n’est pas une simple coïncidence narrative, mais le nœud émotionnel autour duquel s’articule toute l’intrigue.

Le silence qui entoure la mort d’Isabelle est devenu au fil des années une présence presque tangible dans la famille Roche. Personne n’en parle, mais cette absence imprègne chaque interaction, chaque décision, chaque émotion. Erika Navilles démontre avec subtilité comment ce non-dit a creusé un fossé entre Albert et son fils Christophe, tout en se transmettant inconsciemment à Lucie, qui ressent des échos d’un passé qu’elle ignore mais qui détermine pourtant sa propre sensibilité artistique.

L’autrice tisse habilement les liens entre cette tragédie ancienne et l’enquête contemporaine, suggérant que les crimes du présent s’enracinent souvent dans les blessures non cicatrisées du passé. Christophe, en tant que lieutenant de gendarmerie, se retrouve à enquêter sur un événement qui fait écho à son propre traumatisme d’enfance, brouillant les frontières entre la mission professionnelle et la quête personnelle de vérité.

Les objets et les lieux fonctionnent comme des réceptacles de mémoire, des ponts entre le passé et le présent. Les dessins au fusain retrouvés dans le grenier, le « château » du docteur Boyer, la tourbière elle-même deviennent des jalons mémoriels qui permettent progressivement aux personnages de reconstituer la vérité enfouie. Navilles excelle dans l’art de faire parler ces témoins silencieux, de leur faire révéler les fragments d’une histoire trop longtemps tue.

Le roman interroge avec acuité les motivations derrière ces silences familiaux. Est-ce vraiment par protection que Christophe cache à sa fille l’existence de sa tante Isabelle ? Est-ce par pudeur qu’Albert refuse d’évoquer la mort de sa fille ? Les intentions bienveillantes qui président à ces secrets se révèlent souvent plus destructrices que la vérité elle-même, créant des zones d’ombre où prospèrent l’incompréhension et la souffrance.

La force du récit d’Erika Navilles réside dans sa capacité à montrer que la confrontation avec le passé, aussi douloureuse soit-elle, constitue parfois le seul chemin vers la guérison. À travers le parcours de ses personnages, elle illustre comment les fantômes familiaux ne peuvent être apaisés que lorsqu’ils sont enfin nommés et reconnus, ouvrant ainsi la possibilité d’une réconciliation avec soi-même et avec les autres, au-delà des silences et des malentendus qui ont façonné des générations entières.

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L’art comme mode d’expression et de révélation

Dans « Perdue dans les Bois-Noirs », l’art occupe une place centrale, dépassant largement la simple fonction esthétique pour devenir un véritable langage alternatif lorsque les mots font défaut. Erika Navilles tisse à travers son récit un réseau subtil de créations artistiques qui révèlent ce que les personnages ne peuvent ou ne veulent exprimer verbalement. Les dessins au fusain d’Isabelle, soigneusement conservés par Albert, les croquis de Lucie dans ses carnets jamais ouverts par son père, ou encore les sculptures à la tronçonneuse de Frédéric Basse constituent autant de témoignages silencieux des émotions enfouies.

La passion de Lucie pour le dessin s’inscrit dans une filiation inconsciente avec sa tante qu’elle n’a jamais connue. Cette transmission mystérieuse du talent artistique à travers les générations suggère une continuité au-delà des ruptures familiales et des non-dits. L’autrice explore avec finesse comment l’expression artistique peut constituer un héritage plus puissant que les mots, créant des ponts invisibles entre les êtres séparés par le temps ou les secrets.

La scène où Lucie et Frédéric Basse dessinent ensemble dans la cabane représente un moment particulièrement saisissant du roman. Cet échange muet, où deux êtres communiquent uniquement par le trait et la couleur, transcende les barrières sociales et les préjugés. Navilles nous montre comment l’art peut créer une connexion profonde là où le dialogue verbal semble impossible, offrant un refuge aux âmes blessées qui peuplent son récit.

Le roman d’Ernest Boyer, « La Noyée », fonctionne comme une mise en abyme de cette thématique artistique. Cette œuvre fictive au sein de la fiction devient un élément clé de l’enquête, illustrant comment la création littéraire peut à la fois révéler et dissimuler la vérité. L’ambiguïté entourant ce livre – s’agit-il d’une confession déguisée, d’une catharsie, ou d’une simple fiction ? – interroge les frontières poreuses entre imagination créatrice et réalité vécue.

Les créations artistiques jalonnant le récit fonctionnent comme des indices que le lecteur déchiffre en même temps que les personnages. Le tatouage de nénuphar rouge d’Elena, les dessins macabres dans la cabane de Frédéric, les sculptures d’animaux figés dans leur mouvement constituent un langage codé que le lieutenant Roche doit apprendre à lire pour résoudre l’enquête. Cette dimension sémiotique de l’art enrichit considérablement la trame policière traditionnelle.

À travers cette exploration de la création artistique, Erika Navilles nous invite à considérer l’art non comme une simple évasion du réel, mais comme un moyen privilégié d’accéder à des vérités autrement inaccessibles. Chaque esquisse, chaque sculpture, chaque fiction au sein du roman ouvre une fenêtre sur l’intériorité des personnages, révélant leurs obsessions, leurs traumatismes et parfois même leurs secrets les plus inavouables, avec une authenticité que les mots seuls ne pourraient atteindre.

Symbolisme de l’eau et de la noyade dans le roman

L’eau, sous toutes ses formes, imprègne « Perdue dans les Bois-Noirs » d’une présence à la fois littérale et symbolique qui structure profondément le récit. Au centre du roman se trouve la tourbière, étendue d’eau trouble et mystérieuse qui a englouti le corps d’Elena Giraud, faisant écho à la noyade d’Isabelle survenue trente ans plus tôt au même endroit. Cette eau stagnante, à mi-chemin entre le liquide et le solide, entre la vie et la décomposition, incarne parfaitement l’ambiguïté morale et émotionnelle qui caractérise l’œuvre d’Erika Navilles.

La description minutieuse que l’autrice fait de la tourbière révèle sa double nature : « La tourbière était une masse organique en perpétuel mouvement, qui se décomposait par la base et se régénérait par le dessus. » Cette image puissante évoque les couches successives de secrets familiaux qui se superposent sans jamais vraiment disparaître, créant un palimpseste de vérités enfouies que l’enquête va progressivement mettre au jour, comme une main plongée dans la vase.

Les personnages entretiennent des relations contrastées avec l’eau. Pour Christophe, ancien plongeur de la gendarmerie nationale devenu lieutenant, l’élément liquide représente à la fois une passion professionnelle et une source d’angoisse existentielle. Sa maladie pulmonaire post-Covid, qui l’empêche désormais de plonger, symbolise son incapacité à s’immerger complètement dans son passé familial trouble, à affronter les profondeurs de sa propre histoire.

Le motif de la noyade traverse le roman comme une obsession récurrente, dépassant le simple mode de décès pour atteindre une dimension métaphorique. Lucie elle-même évoque ses cauchemars où elle se voit « emportée par un tsunami. Submergée par la vague, elle vivait l’envahissement de l’eau, la sensation de ne plus pouvoir respirer ». Cette angoisse reflète la peur de l’éco-anxiété qui submerge sa génération, mais aussi l’héritage inconscient d’un trauma familial qu’elle ignore.

Le nénuphar rouge tatoué sur l’épaule d’Elena Giraud constitue un symbole particulièrement évocateur, fleur aquatique qui s’épanouit à la surface de l’eau tout en étant enracinée dans les profondeurs vaseuses. Cette image, reprise dans les dessins découverts au fil de l’enquête, incarne la dualité entre la beauté apparente et les zones d’ombre sous-jacentes, entre ce qui est montré et ce qui est caché, thématique centrale du roman.

L’élément aquatique, dans toute sa complexité symbolique, irrigue l’œuvre jusque dans son écriture même, où les émotions des personnages semblent souvent « déborder », « submerger » ou au contraire « s’assécher ». Par cette omniprésence de l’eau sous toutes ses formes, Navilles élabore une poétique singulière où l’inconscient collectif et individuel se manifeste à travers cet élément primordial, révélateur des profondeurs troubles de l’âme humaine et de ses secrets les mieux gardés.

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« Perdue dans les Bois-Noirs » : une quête d’identité et de résilience

Au-delà de son intrigue policière captivante, le roman d’Erika Navilles se révèle être une profonde méditation sur la quête identitaire et le processus de résilience. Le titre lui-même, « Perdue dans les Bois-Noirs », revêt une dimension symbolique qui dépasse la simple situation géographique de Lucie égarée dans la forêt. Cette « perdition » évoque également l’égarement intérieur des personnages, en particulier de Lucie et Christophe, qui doivent retrouver leur chemin à travers le labyrinthe des non-dits familiaux et des identités fragmentées.

Le parcours de Lucie dans la forêt constitue une véritable initiation qui transforme profondément l’adolescente. Confrontée aux éléments, à la faim, à la peur et à la solitude, elle découvre en elle des ressources insoupçonnées et une force qu’elle-même ignorait posséder. Sa traversée physique des Bois-Noirs devient le miroir de son cheminement intérieur, lui permettant de se reconnecter à une part d’elle-même qu’elle ne connaissait pas : celle qui la relie à sa tante Isabelle et à un héritage artistique dont elle est l’héritière inconsciente.

Pour Christophe, l’enquête sur la noyade d’Elena Giraud devient le catalyseur d’une confrontation nécessaire avec son propre passé. Sa quête professionnelle se double d’une recherche personnelle où la résolution du crime présent ne peut s’accomplir sans affronter les fantômes d’autrefois. Sa maladie physique, séquelle du Covid, symbolise parfaitement ses blessures émotionnelles : comme ses poumons endommagés qui l’empêchent de respirer pleinement, les traumatismes non résolus l’empêchent de vivre authentiquement.

Le roman explore avec finesse comment la transmission générationnelle s’opère malgré les ruptures et les silences. Lucie découvre qu’elle est porteuse d’un héritage artistique dont personne ne lui a parlé, mais qui coule dans ses veines comme une évidence. Cette révélation progressive de son identité profonde illustre comment nous sommes façonnés par des influences dont nous n’avons pas toujours conscience, et comment la résilience passe parfois par la reconnaissance de ces liens invisibles qui nous constituent.

Erika Navilles ne propose pas une vision simpliste de la résilience comme simple « dépassement » du traumatisme. À travers ses personnages, elle montre qu’il s’agit plutôt d’un processus complexe d’intégration des blessures dans une identité reconstruite. La réunion finale de Lucie et Christophe près de la tourbière symbolise cette possibilité de réconciliation – avec soi-même, avec son histoire, avec l’autre – sans nier pour autant la douleur des épreuves traversées.

L’œuvre d’Erika Navilles nous invite à considérer que nos égarements peuvent devenir des occasions de redécouverte de soi. À l’image de cette forêt qui paraît d’abord hostile mais qui révèle finalement ses beautés cachées, les épreuves traversées par les personnages, bien que douloureuses, leur permettent d’accéder à une compréhension plus profonde d’eux-mêmes et des autres. « Perdue dans les Bois-Noirs » devient ainsi bien plus qu’un thriller : une méditation sensible sur notre capacité à nous reconstruire à partir de nos fragmentations et à transformer nos pertes en nouvelles possibilités d’être.

Mots-clés : Thriller psychologique, Forêt, Secrets familiaux, Résilience, Art, Noyade, Relation père fille


Extrait Première Page du livre

 » 1. La Tourbière

Mercredi 21 octobre 2020, 9 h 30

— Vous en pensez quoi ? Un suicide ?

L’adjudant Jérémy Gervais se pencha en direction de son collègue. Le lieutenant Christophe Roche s’était accroupi au bord de la tourbière pour observer de plus près le corps de la jeune fille.

Il était intact. Seules quelques zones en début de putréfaction. La mort datait au plus de deux ou trois jours. Le froid de l’eau avait pu retarder la décomposition.

Des ajoncs avaient bloqué le cadavre au bord du rivage. Ses cheveux blonds et sa chemise de nuit flottaient, emmêlés à la sphaigne qui colonisait le plan d’eau.

Aucune trace visible sur son visage et ses membres nus. Juste un tatouage coloré sur la face postérieure de l’épaule droite. Un nénuphar rouge sur un disque de feuille verte.

L’eau de la tourbière avait commencé à effacer le maquillage charbonneux de ses yeux grand ouverts sur le ciel. Ses mains sorties de l’eau au niveau des poignets oscillaient au gré de l’onde. On aurait presque dit qu’elle nageait si la température gelée de l’air ne rappelait pas qu’on était en octobre.

Christophe Roche ne put s’empêcher d’admirer la beauté du cadre malgré l’horreur du tableau. Il pensa à la peinture Ophélia de John Everett Millais.

Une jeune fille noyée dans la narce de son enfance. Au même endroit qu’il y avait trente ans ! Quelle ironie ! Il sentit une lourdeur sourde dans la nuque en se relevant. Les muscles de son dos se contractèrent au moment où il reprit le chemin de la berge. Jamais il n’aurait dû revenir dans ces bois.

— A-t-on signalé une disparition récemment ?

Le lieutenant Roche entendit l’écho de sa voix résonner jusqu’au fond de la forêt. Une voix sûre malgré le trouble qui l’envahissait et le masque de protection qui entravait son visage. Toujours une attitude imperturbable. Même dans les affaires les plus glauques. Sa grande taille et son corps efflanqué ne passaient pas inaperçus. Les gens devaient lever la tête pour le regarder droit dans les yeux. Sa pupille noire vous perçait. Il impressionnait. « 


  • Titre : Perdue dans les Bois-Noirs
  • Auteur : Erika Navilles
  • Éditeur : Editions du Mot Passant
  • Nationalité : France
  • Date de sortie : 2023

Page Officielle : erika-navilles.com


Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis une soixantaine d’années, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.


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