Un roman social ancré dans la France contemporaine
Avec « Et puis on aura vu la mer », quatrième volet des Chroniques de la place carrée, Tristan Saule livre un roman solidement ancré dans la réalité sociale française contemporaine. L’auteur explore avec finesse les fractures et les tensions qui traversent la société, à travers le prisme d’une ville moyenne imaginaire, Monzelle, et plus particulièrement son quartier populaire de Sainte-Thérèse.
Le roman dépeint avec justesse le quotidien des classes populaires, notamment à travers le personnage de Sabrina, ATSEM (Agent Territorial Spécialisé des Écoles Maternelles) et mère célibataire de deux enfants. L’auteur détaille avec précision les difficultés financières, la précarité professionnelle et les choix contraints qui rythment la vie de ces travailleurs essentiels mais souvent invisibles.
La vie du quartier est minutieusement décrite, avec ses commerces de proximité, ses associations de solidarité comme S-Hauts-S, ses tensions entre communautés mais aussi ses élans de générosité. Le roman aborde sans fard les problématiques urbaines actuelles : la rénovation des quartiers, la destruction programmée des tours HLM, le trafic de drogue, mais aussi les initiatives citoyennes qui tentent de maintenir du lien social.
L’actualité contemporaine irrigue le récit, de la guerre en Ukraine à la période post-Covid, en passant par l’élection présidentielle de 2022. Ces événements ne sont pas de simples éléments de contexte mais participent pleinement à la trame narrative, influençant les choix et le destin des personnages.
La dimension sociale du roman se manifeste également à travers la description précise des métiers et des conditions de travail : le quotidien d’une ATSEM en maternelle, le fonctionnement d’une épicerie de quartier, ou encore la réalité du travail associatif. Cette attention aux détails témoigne d’un important travail de documentation et d’immersion de la part de l’auteur.
Cette plongée dans la France contemporaine évite les écueils du misérabilisme ou de l’angélisme. Le style de Tristan Saule, précis et empathique, dresse un portrait nuancé de la société française, où la solidarité côtoie la violence, où l’espoir persiste malgré les difficultés. Le roman social se double ainsi d’une véritable aventure humaine, portée par des personnages complexes et attachants.
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La place carrée : un microcosme urbain comme personnage central
La place carrée, au cœur du quartier Sainte-Thérèse, s’impose comme l’épicentre du roman de Tristan Saule. Plus qu’un simple décor, cet espace urbain devient un véritable personnage, avec son rythme, ses habitudes et ses métamorphoses. L’auteur en fait le théâtre privilégié des rencontres, des tensions et des solidarités qui animent la vie du quartier.
Encadrée par trois bâtiments formant un U et la maison de quartier, la place carrée constitue un microcosme où se croisent toutes les générations et communautés. Les enfants y jouent, les mères s’y retrouvent, les jeunes y traînent, les plus âgés y devisent. L’auteur excelle à décrire cette chorégraphie quotidienne, cette vie qui pulse au pied des tours promises à la destruction.
La description minutieuse des lieux – l’épicerie des Lasri, les halls d’immeubles, la dalle, le tunnel qui relie la place au reste du quartier – dessine une géographie intime et familière. Chaque recoin de cet espace possède son histoire, ses habitués, ses légendes urbaines comme celle du « bateau pirate », cette aire de jeux disparue dont les anciens parlent encore avec nostalgie.
La place carrée apparaît également comme un observatoire privilégié des mutations urbaines. Le projet de démolition des tours de Sainte-Thérèse, l’ancien collège désaffecté, les nouveaux aménagements prévus témoignent des transformations qui menacent cet écosystème fragile. L’auteur capture avec justesse l’inquiétude des habitants face à ces bouleversements annoncés.
À travers le regard d’Idriss, jeune habitant du quartier à l’œil acéré, la place carrée devient un poste d’observation des drames qui s’y jouent. Les trafics, les règlements de compte, mais aussi les solidarités spontanées et les amitiés indéfectibles s’y déploient sous son regard attentif.
Le microcosme de la place carrée reflète ainsi en miniature les enjeux de la société française contemporaine. Dans ce creuset où se mêlent les destins, Tristan Saule tisse une toile complexe de relations humaines, faisant de cet espace urbain le personnage central d’une fresque sociale captivante.
Des protagonistes féminins puissants et solidaires
Au cœur du roman de Tristan Saule, trois femmes s’imposent comme les véritables héroïnes du récit. Sabrina, Zineb et Mathilde forment un trio soudé par une amitié profonde et une solidarité à toute épreuve. Ces personnages féminins, loin des stéréotypes, sont dépeints avec une grande finesse psychologique et une attention particulière à leur quotidien.
Sabrina, ATSEM et mère célibataire de deux garçons, incarne une forme de résilience face aux difficultés de la vie. Sa force de caractère ne l’empêche pas de douter, de s’interroger sur son rôle de mère, sur ses choix de vie. L’auteur parvient à rendre touchante cette femme du quotidien, qui jongle entre ses responsabilités professionnelles et familiales tout en gardant une capacité d’indignation et d’action intacte.
Zineb, gérante de l’épicerie familiale et figure centrale de l’association S-Hauts-S, représente une nouvelle génération de femmes issues de l’immigration, qui doivent composer entre traditions familiales et aspirations personnelles. Son engagement social et sa relation avec Raphaël illustrent les tensions qui traversent la société française contemporaine.
Mathilde, plus discrète mais non moins essentielle, apporte une dimension complémentaire au trio. Son passé dans les services sociaux et sa connaissance des rouages administratifs en font une ressource précieuse pour leurs actions communes. Sa personnalité laconique mais efficace contraste avec l’expressivité de ses deux amies.
Ces trois femmes sont unies par leur engagement dans l’association S-Hauts-S, qu’elles ont créée pendant la période du Covid pour venir en aide aux habitants du quartier. Leur solidarité dépasse le cadre associatif : elles se soutiennent mutuellement face aux épreuves de la vie, partagent leurs doutes et leurs espoirs.
La puissance de ces protagonistes féminins émerge particulièrement dans leur capacité à agir collectivement face à l’adversité. Le lien qui unit ces trois femmes transcende les différences sociales et culturelles, offrant un modèle de sororité moderne et engagée qui donne au roman sa dimension profondément humaniste.

L’Ukraine et l’exil : une toile de fond d’actualité
En choisissant d’intégrer la guerre en Ukraine comme toile de fond de son roman, Tristan Saule ancre résolument son récit dans l’actualité la plus brûlante. À travers le personnage d’Iryna, réfugiée ukrainienne, l’auteur livre un témoignage poignant sur l’exode forcé de millions de civils depuis le début du conflit en février 2022.
Le récit du voyage d’Iryna, de Kyïv jusqu’en France, constitue l’un des moments les plus marquants du roman. L’auteur décrit avec une précision documentaire le parcours des réfugiés : les trains bondés, les contrôles aux frontières, la solidarité des pays d’accueil, mais aussi l’épuisement physique et moral de ces femmes contraintes de tout quitter. Cette description s’appuie sur des témoignages réels, donnant au récit une authenticité bouleversante.
Le roman aborde également la question de l’accueil des réfugiés en France, notamment à travers le personnage d’Oksana, une Ukrainienne installée depuis longtemps dans le pays et mariée à un conseiller départemental. L’auteur montre comment la guerre a réactivé les liens de la diaspora ukrainienne et suscité un élan de solidarité spontané dans la population française.
La guerre en Ukraine sert aussi de révélateur des disparités dans le traitement des différents flux migratoires. Le roman pointe, sans didactisme, les différences d’accueil entre les réfugiés ukrainiens et ceux venus d’autres zones de conflit, illustrant ainsi les contradictions de la politique migratoire européenne.
Ce contexte historique s’entremêle habilement avec l’intrigue principale, créant des échos entre les destins individuels et les bouleversements géopolitiques. L’auteur parvient à montrer comment un conflit lointain peut avoir des répercussions concrètes sur la vie d’une ville moyenne française.
La dimension contemporaine du récit se manifeste à travers une écriture documentée et sensible. Sans jamais verser dans le pathos ou le sensationnalisme, Tristan Saule tisse des liens entre histoire personnelle et collective, faisant de l’exil et du déracinement des thèmes universels qui résonnent avec l’actualité immédiate.
Le rythme haletant du polar social
Dans « Et puis on aura vu la mer », Tristan Saule maîtrise parfaitement les codes du polar social, créant une tension narrative qui ne faiblit jamais. L’intrigue se déploie à travers différents points de vue qui s’entremêlent habilement, donnant au récit un rythme soutenu qui maintient le lecteur en haleine.
La construction du roman, alternant entre les perspectives des différents protagonistes, permet de suivre simultanément plusieurs fils narratifs. Cette technique crée un effet de suspense particulièrement efficace, chaque chapitre apportant de nouveaux éléments qui enrichissent l’intrigue tout en soulevant de nouvelles questions.
L’auteur excelle dans l’art de la tension dramatique, dosant avec précision les moments d’action et les séquences plus contemplatives. Les scènes d’action sont décrites avec un réalisme saisissant, tandis que les moments de pause permettent d’approfondir la psychologie des personnages sans jamais ralentir le rythme général du récit.
La dimension sociale du roman ne nuit jamais à son efficacité de polar. Au contraire, l’ancrage dans la réalité contemporaine renforce la crédibilité de l’intrigue. Les enjeux sociaux – précarité, trafics, tensions communautaires – s’intègrent naturellement dans la trame narrative, servant de moteur à l’action plutôt que de simple toile de fond.
Le roman joue également avec les codes du road movie, notamment dans sa dernière partie, ajoutant une dimension supplémentaire au suspense. La course contre la montre qui s’engage alors donne lieu à des scènes nocturnes particulièrement réussies, où l’urgence de l’action se mêle à des moments de complicité entre les personnages.
L’auteur parvient à maintenir un équilibre remarquable entre l’efficacité du polar et la profondeur de l’analyse sociale. Les rebondissements s’enchaînent de manière organique, chaque événement découlant logiquement des caractères et des situations, créant ainsi un thriller social d’une rare intensité.
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Les thématiques de la fuite et de la quête d’identité
Au cœur du roman de Tristan Saule, la thématique de la fuite s’impose comme un fil conducteur qui relie les différents personnages. Qu’il s’agisse d’Iryna fuyant la guerre en Ukraine, de Romane cherchant à échapper à sa famille, ou des habitants du quartier confrontés à la destruction programmée de leurs tours, chacun se trouve confronté à une forme de déracinement.
Cette notion de fuite s’accompagne invariablement d’une quête d’identité. Les personnages, arrachés à leurs repères, doivent se réinventer et redéfinir leur place dans le monde. Le roman explore avec finesse ces moments de transition où les certitudes vacillent, où les identités se recomposent face à l’adversité.
La question de l’appartenance traverse également le récit. L’auteur montre comment les personnages tentent de se construire ou de se reconstruire au sein d’une communauté. Le quartier de Sainte-Thérèse, avec sa place carrée, devient ainsi un refuge pour certains, un carcan pour d’autres, mais toujours un lieu où se négocient les identités individuelles et collectives.
Les relations familiales occupent une place centrale dans cette exploration identitaire. À travers le personnage de Sabrina et ses rapports avec ses fils, mais aussi dans l’histoire de Romane ou d’Iryna, le roman interroge les liens familiaux, leur force et leur fragilité, leur capacité à nous définir ou à nous entraver.
La fuite et la quête d’identité s’incarnent également dans la dimension géographique du roman. De Kyïv à Nice en passant par Monzelle, les déplacements des personnages dessinent une cartographie de l’exil et de la recherche de soi. Chaque lieu devient une étape dans ce parcours identitaire, chaque voyage une opportunité de transformation.
La narration de Tristan Saule entrelace subtilement ces différentes dimensions de la fuite et de la quête de soi. En mettant en scène des personnages en transition, confrontés à la nécessité de se réinventer, l’écrivain livre une réflexion profonde sur ce qui nous constitue et nous transforme.
Une écriture cinématographique au service du suspense
Le style d’écriture de Tristan Saule se distingue par sa dimension éminemment visuelle. Ses descriptions précises, ses dialogues ciselés et son art du cadrage créent une véritable mise en scène littéraire qui donne au lecteur l’impression d’assister à un film. Cette approche cinématographique renforce considérablement l’efficacité du suspense.
L’auteur excelle particulièrement dans l’art du montage narratif. Les changements de points de vue s’opèrent avec la fluidité d’un travelling, les scènes s’enchaînent selon un rythme qui évoque celui d’une réalisation cinématographique. Cette technique permet de maintenir une tension constante tout en offrant différentes perspectives sur l’action.
Les scènes nocturnes, nombreuses dans le roman, sont traitées avec un soin particulier. L’auteur joue avec la lumière et l’obscurité comme pourrait le faire un directeur de la photographie, créant des ambiances oppressantes ou intimistes selon les besoins de l’intrigue. Les descriptions des aires d’autoroute, des rues désertes ou des chambres d’hôtel bon marché participent pleinement à la construction du suspense.
Le traitement des personnages emprunte également aux codes du cinéma. Les gestes, les regards, les silences sont décrits avec une précision qui rappelle le travail d’un réalisateur avec ses acteurs. Cette attention aux détails physiques et aux micro-expressions donne une grande crédibilité aux personnages tout en renforçant la tension dramatique.
La bande sonore n’est pas en reste. L’auteur intègre habilement les sons du quotidien – le bruit des voitures sur l’autoroute, les conversations dans le quartier, la musique qui s’échappe des appartements – créant une véritable atmosphère sonore qui enrichit l’expérience de lecture.
Cette écriture visuelle sert admirablement l’intrigue en créant une immersion totale dans l’univers du roman. Les techniques narratives empruntées au cinéma permettent à Tristan Saule de construire un suspense efficace qui maintient le lecteur en haleine jusqu’à la dernière page.
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Un roman noir humaniste qui dépasse les codes du genre
Si « Et puis on aura vu la mer » s’inscrit dans la tradition du roman noir, il se distingue par sa profonde dimension humaniste. En plaçant au cœur de son récit des personnages ordinaires confrontés à des situations extraordinaires, Tristan Saule renouvelle les codes du genre pour proposer une réflexion sensible sur la solidarité et la résilience.
Le roman dépasse les conventions habituelles du polar en évitant les figures traditionnelles du genre. Pas de détective solitaire ni de criminel machiavélique ici, mais des êtres humains complexes, avec leurs failles et leurs contradictions. L’auteur s’attache à montrer comment des personnes ordinaires peuvent faire preuve d’un courage extraordinaire quand les circonstances l’exigent.
La dimension sociale du roman noir est sublimée par une approche résolument humaniste. Les enjeux sociaux ne sont pas traités comme de simples ressorts dramatiques, mais comme des réalités qui affectent profondément la vie des personnages. L’auteur porte un regard empathique sur ses protagonistes, mettant en lumière leur dignité face aux difficultés quotidiennes.
La solidarité, thème central du roman, s’exprime à travers des gestes concrets et des engagements quotidiens. L’association S-Hauts-S, l’entraide entre voisins, le soutien aux réfugiés témoignent d’une vision de la société où les liens humains résistent aux forces de division et d’individualisme.
Le traitement des violences sociales et des tensions communautaires évite les écueils du misérabilisme et du manichéisme. L’auteur montre comment la violence peut surgir des situations les plus banales, mais aussi comment la compassion et l’entraide peuvent émerger dans les moments les plus sombres.
À travers ce quatrième volet des Chroniques de la place carrée, Tristan Saule affirme sa singularité dans le paysage du roman noir français. Son écriture engagée mais jamais démonstrative, son regard lucide mais toujours bienveillant, font de ce roman une œuvre qui transcende les frontières du genre pour offrir un témoignage puissant sur notre époque.
Mots-clés : Roman Noir, Polar Social, Solidarité, Ukraine, Quartier Populaire, Féminisme, Humanisme
Extrait Première Page du livre
» 1
Il y a une agrafeuse sur le bureau. C’est bien, une agrafeuse. Ça peut faire mal. Pas les agrafes, bien sûr. On s’en fout, des agrafes. Non, c’est l’agrafeuse elle-même qui est intéressante. Un bel objet en métal, petit et lourd, si on le jetait assez fort, au milieu de son front, ça ferait une bonne entrée en matière.
Sur le bureau, il y a aussi des stylos, des feuilles, un ordinateur. Clavier, souris, écran, qu’est-ce qui ferait le plus de dégâts si on le fracassait sur sa tronche? Les stylos, c’est parfait. Plus maniables, naturellement pointus. Il suffit de bien viser, de ne pas hésiter, et ça ferait très mal. Le mieux, ce serait de s’en prendre aux yeux. L’un après l’autre, ou les deux en même temps. Pourquoi pas? Il y a plusieurs stylos sur le bureau. Un dans chaque poing. Un dans chaque œil.
C’est à ça que pense Iryna pendant que Viktor la pousse à l’intérieur de la pièce et l’assied sans ménagement sur la chaise en bois qui fait face au bureau. Elle se laisse tomber sans résistance, la tête penchée sur l’épaule, les bras ballants, les yeux mi-clos. On dirait qu’elle somnole. Elle est la seule à savoir que ce n’est pas le cas, que c’est tout le contraire.
— Quel gâchis, dit Olga en ukrainien depuis l’autre côté du bureau.
Elle secoue la tête avec mépris en toisant le corps avachi d’Iryna. Olga est d’un blond surnaturel, presque blanc. Ses lèvres sont épaisses, gonflées par la chimie, peintes de vieux rose. Sa peau tirée et bronzée fait l’effet d’un cuir mal tendu, lâche par endroits. Malgré les agressions de la chirurgie, elle est belle, d’une beauté qu’on devine derrière les tentatives de la préserver. Olga est assise dans un fauteuil dont les roulettes font craquer les gravillons sur le parquet rayé.
— Je n’ai jamais compris pourquoi vous étiez aussi stupides, continue-t-elle, toi et toutes celles de ton espèce. Qu’est-ce que je vous demande que vous n’avez pas déjà fait et que vous ferez encore?
Du coin de l’œil, Iryna inspecte la pièce. C’est la première fois qu’on l’emmène ici. Elle sait déjà où est la sortie. Maintenant, elle cherche des armes, le moindre objet qui puisse en devenir une. «
- Titre : Et puis on aura vu la mer
- Auteur Tristan Saule
- Éditeur : Le Quartanier
- Nationalité : France
- Date de sortie : 2024

Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis une soixantaine d’années, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.