Double vie et secrets d’État : plongée dans ‘La poulette et le boulanger’

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La poulette et le boulanger de Hervé Devred

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Un roman policier historique dans le Paris de 1888

Avec « La poulette et le boulanger », Hervé Devred nous plonge dans un Paris fascinant de la fin du XIXe siècle, plus précisément en juillet 1888. Cette période charnière de la IIIe République, marquée par l’agitation politique et sociale, sert de toile de fond à une intrigue policière captivante qui débute avec l’assassinat mystérieux de Gautier de Saint-Chauvet, un homme de la haute société parisienne.

L’auteur maîtrise remarquablement l’art de mêler enquête criminelle et reconstitution historique. Les événements politiques de l’époque, notamment la montée en puissance du général Boulanger et les tensions qui traversent la société française, ne sont pas de simples éléments de décor mais s’entremêlent subtilement avec l’investigation menée par le commissaire Lauzière, un personnage aussi méthodique qu’opiniâtre.

Le roman nous fait découvrir un Paris en pleine mutation, entre tradition et modernité. Des salons feutrés du faubourg Saint-Germain aux bouillons populaires du quartier Montorgueil, des hippodromes élégants aux ruelles sombres, l’auteur recrée avec talent l’atmosphère contrastée de la capitale. Les détails historiques précis, qu’ils concernent la mode, les transports, ou les habitudes sociales, participent à l’immersion du lecteur dans cette époque particulière.

La narration s’attache également à dépeindre les bouleversements sociaux de cette fin de siècle. Les frontières entre les classes commencent à se fissurer, les femmes aspirent à plus de liberté, et la modernité technique transforme le quotidien des Parisiens. L’enquête criminelle devient ainsi le prisme à travers lequel se révèlent les mutations profondes de la société française.

Au cœur de cette fresque historique se déploie une intrigue policière complexe, ponctuée de rebondissements et servie par une écriture précise et vivante. Les investigations du commissaire Lauzière nous entraînent dans les différentes strates de la société parisienne, révélant peu à peu les secrets et les zones d’ombre qui se cachent derrière les apparences.

Ce roman historique policier brille par sa capacité à ressusciter une époque tout en maintenant le suspense d’une enquête criminelle prenante. La richesse des descriptions et l’habileté de la construction narrative contribuent à faire de cette œuvre un témoignage saisissant sur le Paris de la Belle Époque, tout en offrant aux lecteurs les plaisirs d’une investigation policière minutieuse et captivante.

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La poulette et le boulanger de Hervé Devred
Le mystère des carnets volés Paris, 1873 Hervé Devred
Sur un air de mazurka Paris 1883 Hervé Devred

Identités secrètes et tensions sociales : les figures marquantes du roman

La force de « La poulette et le boulanger » réside notamment dans la richesse psychologique de ses personnages. Au centre du récit, Anne-Amélie de Saint-Chauvet incarne une figure féminine fascinante qui défie les conventions de son époque. Jeune veuve de la haute société, elle développe une double vie sous l’identité de Nicole, lui permettant d’explorer une liberté sociale et personnelle inaccessible dans son milieu d’origine.

Face à elle, le commissaire Lauzière, homme méthodique et perspicace, mène l’enquête sur la mort de Gautier de Saint-Chauvet avec une ténacité remarquable. Son humanité transparaît à travers ses relations avec son adjoint, le brigadier Gomard, et sa mère qu’il ne voit que trop rarement. L’auteur esquisse un portrait nuancé de ce policier qui doit composer avec les pressions politiques tout en suivant son instinct d’enquêteur.

Le personnage de Fernand, ouvrier qualifié au journal Le Temps, apporte une dimension sociale essentielle au roman. Sa relation avec « Nicole » permet d’explorer les tensions de classe qui traversent la société parisienne de l’époque. Sa fierté ouvrière et sa sensibilité politique s’accompagnent d’une véritable profondeur émotionnelle qui le rend particulièrement attachant.

Autour de ces protagonistes principaux gravite une constellation de personnages secondaires finement ciselés. Vincent Grollier, ami du défunt Saint-Chauvet, cache derrière sa piété affichée des ambitions plus troubles. Le valet Jaunay, suspect principal du meurtre, révèle peu à peu la complexité de ses motivations. Chaque personnage, même mineur, contribue à tisser la toile complexe des relations et des secrets qui sous-tendent l’intrigue.

Les antagonistes eux-mêmes échappent aux clichés du genre policier. Jean-Anthelme Labrosse, figure inquiétante aux motivations obscures, s’avère plus complexe qu’il n’y paraît initialement. Même les personnages les plus troubles conservent une part d’humanité qui les rend crédibles et fascinants.

La densité psychologique des protagonistes constitue l’une des réussites majeures du roman. Par la finesse de leur caractérisation et la complexité de leurs motivations, ils transcendent leur époque pour nous parler de préoccupations étonnamment modernes : la quête d’identité, les relations de classe, la tension entre devoir social et désirs personnels. Une telle profondeur confère au récit une dimension universelle qui dépasse largement le cadre du roman historique et policier.

Double vie et mascarade : le thème de la dualité

Le thème de la dualité traverse « La poulette et le boulanger » comme un fil rouge, s’incarnant principalement dans le personnage d’Anne-Amélie de Saint-Chauvet. Cette jeune femme de la haute société parisienne se réinvente sous les traits de Nicole, épouse d’un modeste commerçant en tissus, pour vivre une existence parallèle dans les quartiers populaires. Cette double identité lui permet d’explorer des aspects de sa personnalité que son milieu social réprime, tout en questionnant les normes et les conventions de son époque.

Cette dualité ne se limite pas à un simple jeu de masques. Anne-Amélie/Nicole doit apprendre à naviguer entre deux mondes sociaux radicalement différents, chacun avec ses codes et ses exigences. Les scènes où elle découvre les gestes quotidiens d’une femme de condition modeste – faire la vaisselle, tenir un intérieur simple – révèlent avec subtilité la complexité de cette double vie et ses implications tant pratiques qu’émotionnelles.

Le roman explore également la dualité à travers d’autres personnages et situations. Les apparences sociales masquent souvent des réalités plus troubles : derrière les façades respectables se cachent des secrets, des compromissions, des désirs inavoués. Le Paris de la fin du XIXe siècle lui-même apparaît comme une ville double, partagée entre ses quartiers huppés et populaires, entre une respectabilité de façade et des réalités plus sombres.

La thématique du masque social imprègne l’ensemble de l’intrigue. Les personnages jouent des rôles, portent des masques adaptés à leurs différents cercles sociaux. Cette exploration de l’identité et de ses multiples facettes fait écho aux questionnements d’une société en pleine mutation, où les frontières traditionnelles entre les classes commencent à se brouiller.

L’art de la mascarade sociale constitue l’un des ressorts majeurs du récit. Il nourrit le suspense de l’enquête policière tout en servant de révélateur des tensions et des contradictions de l’époque. À travers ce jeu des apparences et des identités multiples, l’auteur dresse le portrait d’une société où chacun, à sa manière, mène une forme de double vie.

La profondeur de l’exploration du thème de la dualité enrichit considérablement la trame policière du roman. Le ballet des masques et des identités secrètes se révèle être bien plus qu’un simple artifice narratif : il devient le miroir des complexités de l’âme humaine et des paradoxes d’une époque en pleine transformation sociale.

Une immersion dans le contexte social et politique de la IIIe République

L’intrigue de « La poulette et le boulanger » se déroule dans un contexte historique particulièrement riche : la France de 1888, en pleine IIIe République. L’auteur restitue avec précision les tensions politiques de l’époque, notamment à travers l’ascension du général Boulanger, figure charismatique qui cristallise les espoirs des mécontents du régime. Les scènes de rassemblements politiques, notamment à l’hippodrome du pont de l’Alma, illustrent parfaitement l’effervescence politique qui règne alors dans la capitale.

Le roman dépeint également les bouleversements sociaux de cette fin de siècle. Les ouvriers s’organisent, les idées socialistes et anarchistes se propagent, tandis que la bourgeoisie s’accroche à ses privilèges. À travers le personnage de Fernand, ouvrier qualifié au journal Le Temps, et ses discussions politiques avec ses camarades, le lecteur perçoit les aspirations et les revendications du monde ouvrier, ainsi que les différents courants de pensée qui l’animent.

La corruption politique et financière de l’époque constitue un autre aspect central du récit. L’affaire du canal de Panama, qui occupe une place importante dans l’intrigue, révèle les compromissions entre le monde politique et financier. Les « valises » remplies de billets qui circulent entre les mains des parlementaires et des journalistes illustrent les pratiques douteuses qui gangrènent les institutions républicaines.

Le roman explore aussi les mutations de la société parisienne à travers ses lieux emblématiques. Des salons aristocratiques aux réunions ouvrières, des hippodromes aux bouillons populaires, chaque espace social possède ses codes et ses enjeux propres. Cette géographie sociale de Paris devient un élément crucial de l’intrigue, reflétant les divisions et les tensions qui traversent la société française.

Les forces de l’ordre, incarnées par le commissaire Lauzière, se trouvent au carrefour de ces différentes tensions. Elles doivent composer avec les pressions politiques tout en maintenant l’ordre dans une ville en pleine transformation. L’enquête policière devient ainsi le prisme à travers lequel se révèlent les contradictions et les conflits de cette période charnière.

Le talent d’Hervé Devred réside dans sa capacité à intégrer naturellement ces éléments historiques et sociaux à son intrigue policière. L’immersion dans le Paris de la IIIe République n’est jamais artificielle ou didactique, mais participe pleinement à la construction du suspense et à la compréhension des motivations des personnages.

L’art du suspense et la construction de l’intrigue policière

L’architecture narrative de « La poulette et le boulanger » révèle une maîtrise affirmée des codes du roman policier. L’enquête sur la mort de Gautier de Saint-Chauvet se déploie avec une précision d’horloger, distillant indices et fausses pistes au fil des chapitres. La construction en parallèle de plusieurs lignes narratives – l’enquête officielle du commissaire Lauzière, la double vie d’Anne-Amélie, les manœuvres politiques en arrière-plan – crée un entrelacement complexe qui maintient le lecteur en haleine.

Le rythme du récit alterne habilement entre moments de tension et phases de développement plus contemplatives. Les scènes d’action – comme le cambriolage de l’hôtel particulier des Saint-Chauvet ou les événements à l’hippodrome – ponctuent l’histoire sans jamais rompre la cohérence de l’intrigue. Cette construction permet de maintenir un équilibre subtil entre progression de l’enquête et exploration des aspects sociaux et psychologiques.

L’auteur excelle particulièrement dans l’art de la dissimulation et de la révélation progressive des informations. Chaque personnage détient une partie de la vérité, mais aucun n’a une vision complète de l’affaire. Les interrogatoires menés par le commissaire Lauzière, les conversations dans les salons, les confidences échangées dans les bouillons populaires constituent autant de pièces d’un puzzle qui se reconstitue peu à peu.

La dimension politique de l’intrigue ajoute une couche supplémentaire de complexité au mystère. Les enjeux dépassent largement le cadre d’un simple meurtre pour s’étendre aux plus hautes sphères du pouvoir. Cette imbrication entre crime privé et affaires publiques rappelle les meilleurs romans noirs, tout en s’ancrant solidement dans le contexte historique de la IIIe République.

Le traitement des personnages secondaires participe pleinement à la construction du suspense. Chacun d’entre eux, du valet Jaunay au mystérieux Labrosse, apparaît suffisamment ambigu pour être potentiellement impliqué dans le crime. Leurs motivations restent longtemps obscures, alimentant les hypothèses du lecteur tout au long du récit.

La résolution de l’énigme démontre la maîtrise narrative d’Hervé Devred. Les différents fils de l’intrigue se nouent avec élégance, offrant un dénouement à la fois surprenant et cohérent avec l’ensemble des éléments disséminés au fil des pages. Cette conclusion satisfaisante couronne une construction policière qui ne sacrifie jamais la vraisemblance psychologique et historique au profit des seuls effets de surprise.

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La peinture des mœurs et de la société parisienne fin de siècle

La force documentaire de « La poulette et le boulanger » réside dans sa capacité à dépeindre avec minutie la société parisienne de la fin du XIXe siècle. L’auteur excelle particulièrement dans la description des codes sociaux qui régissent les différentes classes : l’étiquette rigide de l’aristocratie du faubourg Saint-Germain contraste avec la convivialité simple des quartiers populaires. Ces différences s’expriment à travers les vêtements, le langage, les manières de table et les divertissements propres à chaque milieu.

Les loisirs et les pratiques culturelles de l’époque sont admirablement restitués. Les scènes aux hippodromes de Longchamp et du pont de l’Alma, les soirées dans les salons aristocratiques, les bals populaires où l’on danse la polka et la mazurka constituent autant de tableaux vivants d’une société en pleine mutation. L’auteur accorde une attention particulière aux détails vestimentaires, aux accessoires, aux modes de transport, créant une immersion totale dans le Paris de 1888.

La condition féminine occupe une place centrale dans cette fresque sociale. À travers le personnage d’Anne-Amélie/Nicole, le roman explore les contraintes qui pèsent sur les femmes de différentes classes sociales, mais aussi leurs aspirations à plus de liberté. Les conventions du mariage, les relations extra-conjugales, la gestion du patrimoine par les veuves sont autant d’aspects de la vie féminine que le roman aborde avec finesse.

Le monde du travail est également dépeint avec précision, notamment à travers les descriptions du journal Le Temps et de ses rotatives. Les conditions de travail des ouvriers qualifiés, leur fierté professionnelle, leurs revendications politiques témoignent des transformations sociales en cours. Les bouillons et les brasseries, lieux de sociabilité populaire, deviennent des espaces où se côtoient différentes classes sociales.

Les rapports entre domestiques et maîtres, finement observés, révèlent la complexité des relations sociales de l’époque. Le personnel de maison apparaît comme le témoin privilégié des secrets de famille, jouant un rôle crucial dans la circulation des informations et le maintien des apparences sociales. Leurs conversations et leurs observations offrent un contrepoint éclairant aux événements qui se déroulent dans les étages nobles.

L’évocation de cette société fin de siècle se déploie naturellement au fil des pages, évitant l’écueil du cours d’histoire déguisé. La richesse des descriptions et la justesse des observations sociologiques s’intègrent parfaitement à la narration, faisant de ce roman policier une véritable chronique des mœurs parisiennes de la Belle Époque.

Les lieux et l’atmosphère : un Paris entre ombre et lumière

Le Paris de « La poulette et le boulanger » se dévoile comme une ville aux multiples visages, où chaque quartier possède son identité propre. Les hôtels particuliers du faubourg Saint-Germain, avec leurs salons feutrés et leurs cours intérieures, contrastent avec l’animation des rues commerçantes autour de la rue Montorgueil. L’auteur excelle dans l’art de recréer l’atmosphère unique de chaque lieu, des conversations feutrées des salons aristocratiques aux éclats de voix des bouillons populaires.

Les lieux de divertissement occupent une place privilégiée dans le roman. L’hippodrome de Longchamp, théâtre des courses mondaines, et celui du pont de l’Alma, transformé en arène politique, incarnent deux facettes de la vie sociale parisienne. Les descriptions minutieuses des tribunes, des tenues, des comportements contribuent à ressusciter l’ambiance particulière de ces espaces de sociabilité où se côtoient différentes classes sociales.

Les rues et les passages de Paris deviennent des personnages à part entière. L’auteur restitue avec talent l’atmosphère changeante de la capitale selon les heures et les quartiers : l’agitation des boulevards, la quiétude des squares, l’obscurité inquiétante des ruelles. Les descriptions des moyens de transport – fiacres, omnibus, calèches – participent à cette plongée dans le Paris de la fin du XIXe siècle.

Les lieux de travail sont dépeints avec un souci remarquable du détail. Les bureaux du journal Le Temps, avec ses rotatives rugissantes et son ballet incessant de journalistes et d’ouvriers, offrent une vision saisissante de la presse moderne en plein essor. Les ateliers, les boutiques, les cafés constituent autant de décors vivants où se joue la transformation sociale de la capitale.

Le contraste entre lumière et obscurité structure la géographie du roman. Les espaces lumineux des réceptions mondaines et des hippodromes s’opposent aux zones d’ombre où se trament complots et crimes. Cette dualité reflète les contradictions d’une ville en pleine mutation, où le progrès côtoie la misère, où la respectabilité masque souvent des réalités plus troubles.

La métamorphose du paysage urbain parisien transparaît au fil des pages du roman. Les références à la construction de la tour Eiffel et aux préparatifs de l’Exposition universelle de 1889 témoignent des bouleversements architecturaux et sociaux qui façonnent la capitale. Cette toile de fond urbaine en perpétuelle évolution enrichit la dimension historique du récit tout en servant admirablement la progression de l’intrigue policière.

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Une œuvre originale entre roman policier et fresque historique

« La poulette et le boulanger » réussit le pari audacieux de marier avec brio les codes du roman policier et ceux du roman historique. L’enquête sur la mort de Gautier de Saint-Chauvet sert de fil conducteur à une exploration approfondie de la société parisienne de la fin du XIXe siècle. Cette double dimension permet au récit d’opérer à plusieurs niveaux de lecture, satisfaisant aussi bien les amateurs d’intrigues policières que les passionnés d’histoire sociale.

L’originalité de l’œuvre réside également dans son traitement des personnages féminins, en particulier à travers la figure d’Anne-Amélie de Saint-Chauvet. Son parcours entre deux identités sociales offre un regard unique sur les contraintes et les aspirations des femmes de l’époque. Cette exploration de la condition féminine apporte une modernité surprenante à ce roman historique.

La richesse documentaire du roman ne nuit jamais à la fluidité du récit. Les détails historiques, qu’ils concernent la politique, la mode ou les pratiques sociales, s’intègrent naturellement à la narration. L’auteur parvient à reconstituer l’atmosphère de l’époque sans jamais tomber dans le piège de la reconstitution artificielle ou de la démonstration historique.

Le roman brille particulièrement dans sa capacité à entrelacer les différents niveaux de l’intrigue. L’enquête criminelle, les manœuvres politiques, les relations amoureuses et les tensions sociales se répondent et s’enrichissent mutuellement. Cette construction complexe maintient l’intérêt du lecteur tout en offrant une vision kaléidoscopique de la période.

La qualité de l’écriture contribue largement à la réussite de l’œuvre. Le style précis et vivant d’Hervé Devred alterne habilement entre descriptions atmosphériques, dialogues enlevés et scènes d’action. Cette maîtrise stylistique permet de maintenir un équilibre constant entre les différentes composantes du roman.

Cette fusion réussie entre polar et roman historique place « La poulette et le boulanger » dans une catégorie à part. En transcendant les frontières habituelles des genres, l’œuvre propose une expérience de lecture riche et stimulante qui renouvelle notre regard sur cette période charnière de l’histoire française tout en offrant les plaisirs d’une intrigue policière finement ciselée.

Mots-clés : Paris-1888, Polar-historique, Double-identité, Belle-Époque, Politique, Enquête-criminelle, Société-parisienne


Extrait Première Page du livre

 » I
« Alphonse, vous êtes assommant, avec vos vers ! » Alphonse Lebrun eut un haut-le-corps – façon de parler, puisqu’il était allongé – et se détourna, outré. Voilà qu’il boude, maintenant !

« Voyons, Alphonse… Ne le prenez pas mal ! Je me suis emportée et je vous demande pardon… Mais vous devriez comprendre qu’il y a un temps pour tout. Un temps pour la poésie, et un temps pour l’amour. » L’amouuur, en arrondissant les lèvres en cul de poule. Anne-Amélie de Saint-Chauvet s’était dressée sur un coude pour darder ses yeux d’un bleu profond sur son amant. Ce faisant, le drap avait glissé et sa poitrine était dénudée. Or, Alphonse, allez savoir pourquoi, était beaucoup plus attiré par les seins d’Anne-Amélie que par ses yeux, des yeux dont elle était pourtant convaincue qu’ils la rendaient irrésistible, alors qu’elle jugeait peu seyants ses seins en poire, de taille moyenne, avec des aréoles brunes, au point qu’elle avait demandé au peintre, qui avait réalisé un tableau d’elle mollement allongée sur une ottomane, de les lui faire plus gros, et en forme de melons. Un tableau qui décorait le mur de sa chambre, au-dessus de la commode Empire en acajou, avec ornementations de bronze ciselé et doré, dessus de marbre noir à inclusions, pieds de lion et décor de griffons ailés sur les côtés. Pourquoi dans sa chambre ? Pour deux raisons : d’abord, parce qu’il était au format horizontal et ne trouvait pas sa place dans le salon ; ensuite, parce qu’elle avait posé vêtue d’un voile transparent et qu’il n’eût pas été convenable de l’exposer à la vue de tous. Pour en revenir à Alphonse, la vue des seins de sa belle lui fit oublier l’insulte faite à Érato. Le troubadour devint Minotaure, le corps d’Anne-Amélie, le réceptacle de sa virilité. Eh oui, c’était toujours comme ça avec les hommes qu’elle rencontrait. Toujours pressés d’aller à la conclusion.

À vingt-huit ans, Anne-Amélie de Saint-Chauvet avait jugé qu’il était temps pour elle de prendre un amant. Entendez par là un amant attitré. Elle avait choisi celui-là parce que ça faisait chic d’avoir un homme de lettres dans son salon, même si la réputation d’Alphonse Lebrun n’avait guère dépassé les limites du VIe arrondissement. Et un peu par défaut, aussi. Pour la bagatelle, il ne valait pas Saint-Chauvet, mais Saint-Chauvet était occupé ailleurs. « 


  • Titre : La poulette et le boulanger
  • Auteur : Hervé Devred
  • Éditeur : Le lys bleu éditions
  • Nationalité : France
  • Date de sortie : 2024

Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis une soixantaine d’années, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.


4 réflexions au sujet de “Double vie et secrets d’État : plongée dans ‘La poulette et le boulanger’”

  1. Merci Manuel pour cette critique très fouillée de La poulette et le boulanger. J’y retrouve tout ce que j’ai voulu mettre dans ce livre. Un polar historique n’est pas un livre d’histoire, je le vois plutôt comme un polar d’ambiance. Les polars scandinaves nous plongent dans l’ambiance sépulcrale et glacée de contrées où le soleil se couche à trois heures, un polar historique doit nous plonger dans l’ambiance d’une autre époque. Là ou « l’Histoire » avec un grand H intervient, c’est qu’on ne peut pas se permettre de dire n’importe quoi et qu’il faut bien connaître la période pour éviter les anachronismes. Manuel l’a bien vu et j’apprécie beaucoup cette critique car il a poussé l’analyse bien au-delà de la simple recension de l’énigme. Chapeau, c’est du travail de très bon niveau ! J’espère que Manuel et Le Monde du Polar vont continuer longtemps de nous faire découvrir de nouvelles œuvres.
    Hervé Devred

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    • Merci beaucoup, Hervé, pour ce retour enthousiaste et détaillé ! Votre commentaire met en lumière tout l’enjeu du polar historique : plonger le lecteur dans une époque, lui faire ressentir son atmosphère, tout en restant fidèle aux faits et à la cohérence du contexte. Et c’est précisément ce que réussit La poulette et le boulanger : une immersion vivante et prenante, qui ne se contente pas d’un simple décor historique mais en fait un véritable élément du récit.
      Je suis ravi que mon analyse ait su refléter votre démarche et l’attention que vous portez aux ambiances et aux détails historiques. C’est un plaisir de chroniquer des œuvres aussi abouties, et Le Monde du Polar continuera bien sûr à mettre en lumière des romans qui méritent d’être découverts.
      Encore bravo pour ce livre, et au plaisir de vous lire à nouveau 🙂
      Manuel

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  2. J’oubliais : Manuel m’a aussi fait prendre conscience d’un thème qui me paraît maintenant évident et qui est, d’une certaine manière, involontaire, ou, plutôt, qui s’est imposé à moi sans que je l’ai programmé. Celui de la dualité, celle, assumée, d’Anne-Amélie/Nicole, mais aussi, celle induite par les conventions dans une société très hypocrites. Mais la nôtre l’est-elle moins ?
    Encore une preuve d’une analyse fouillée !
    Hervé

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