‘Moneda’ de Keller : Un thriller au cœur de la tourmente chilienne

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Un thriller historique dans le Chili des années 70

« Moneda », le nouveau roman de Stéphane Keller à paraître en septembre 2024 aux Éditions du Toucan, plonge le lecteur dans le Chili tumultueux des années 70. Cette œuvre ambitieuse mêle habilement thriller policier et fresque historique, offrant une immersion captivante dans une période charnière de l’histoire chilienne.

L’intrigue se déroule en 1973, alors que le pays est au bord du chaos. Le président Salvador Allende, élu démocratiquement trois ans plus tôt, tente désespérément de maintenir son gouvernement socialiste face aux pressions internes et externes. Dans ce contexte explosif, Keller tisse une histoire complexe autour de la disparition d’une jeune serveuse nommée Pilar.

Au cœur de ce récit se trouve Paul-Henri de la Salles, alias Sébastien Desboz, propriétaire du Bar du Suisse à Santiago. Cet homme mystérieux au passé trouble se lance dans une enquête personnelle pour retrouver Pilar, son ancienne maîtresse. Parallèlement, l’inspecteur Alejandro Vega-Pirri mène l’enquête officielle, naviguant entre corruption policière et pressions politiques.

Keller ne se contente pas de narrer une simple enquête policière. Il utilise cette trame pour explorer les tensions qui déchirent la société chilienne à la veille du coup d’État. Le roman offre un panorama saisissant des différentes forces en présence : partisans d’Allende, opposants de droite, services secrets américains, et militaires chiliens conspirant dans l’ombre.

L’auteur excelle dans sa capacité à entrelacer l’intime et le politique. Les destins individuels de ses personnages se trouvent inexorablement liés aux grands bouleversements historiques en cours. Cette approche permet au lecteur de ressentir de manière viscérale l’atmosphère oppressante et l’incertitude qui régnaient au Chili à cette époque.

« Moneda » se distingue également par son traitement psychologique approfondi des personnages. Keller ne se contente pas de figures archétypales, mais crée des individus complexes et ambigus. Le cas du lieutenant Yanez-Vidal, un tueur en série infiltré dans l’armée, est particulièrement saisissant et ajoute une dimension glaçante au récit.

Avec ce roman, Stéphane Keller confirme son talent pour le thriller historique, genre qu’il avait déjà exploré dans ses précédents ouvrages. « Moneda » promet d’être une lecture captivante, alliant suspense haletant et réflexion sur les mécanismes du pouvoir et de la violence politique. Une œuvre qui devrait marquer la rentrée littéraire 2024 et passionner les amateurs d’histoire contemporaine comme les férus de romans policiers.

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Le contexte historique : Le Chili d’Allende à la veille du coup d’État

Dans « Moneda », Stéphane Keller plonge le lecteur au cœur du Chili de 1973, une période charnière et tumultueuse de l’histoire du pays. L’auteur dépeint avec précision et nuance le contexte socio-politique complexe qui a précédé le coup d’État du 11 septembre 1973, offrant ainsi un cadre historique riche et captivant à son intrigue.

Le roman s’ouvre sur un pays profondément divisé. Salvador Allende, élu président en 1970 à la tête de l’Unidad Popular, une coalition de gauche, tente de mettre en œuvre son programme de transition vers le socialisme. Keller illustre les espoirs et les craintes suscités par ces réformes audacieuses, notamment la nationalisation des mines de cuivre et la réforme agraire, qui polarisent la société chilienne.

L’auteur ne se contente pas de décrire les actions du gouvernement Allende, il met également en lumière les défis économiques auxquels le pays est confronté. Les pénuries alimentaires, l’inflation galopante et les grèves à répétition sont autant d’éléments qui nourrissent les tensions sociales et politiques. Keller parvient à transmettre l’atmosphère de plus en plus tendue qui règne dans les rues de Santiago, où les manifestations pro et anti-gouvernementales se succèdent.

Un aspect particulièrement intéressant du roman est la façon dont il dépeint l’ingérence des États-Unis dans les affaires chiliennes. Keller met en scène les manœuvres de la CIA et d’autres agences américaines visant à déstabiliser le gouvernement Allende, illustrant ainsi les enjeux géopolitiques de la Guerre froide qui se jouent sur le sol chilien.

Le rôle de l’armée chilienne est également au cœur du récit. L’auteur montre comment les forces armées, traditionnellement neutres en politique, sont progressivement travaillées par des éléments conservateurs qui voient d’un mauvais œil les réformes d’Allende. La tension croissante entre le gouvernement civil et les militaires est palpable tout au long du roman.

Keller ne néglige pas non plus le rôle des médias dans cette période trouble. Il montre comment la presse, en grande partie hostile à Allende, contribue à attiser les tensions et à façonner l’opinion publique. Le quotidien El Mercurio, en particulier, est présenté comme un acteur clé de l’opposition au gouvernement socialiste.

À travers les yeux de ses personnages, l’auteur parvient à capturer l’ambiance d’une société au bord de l’implosion. Les conversations dans les cafés, les rumeurs qui circulent, les craintes et les espoirs exprimés par les différents protagonistes donnent vie à cette période historique et permettent au lecteur de ressentir l’incertitude et l’anxiété qui régnaient alors.

En somme, « Moneda » offre une plongée fascinante dans le Chili d’Allende à la veille du coup d’État. Stéphane Keller réussit le tour de force de transformer cette page d’histoire complexe en un récit vivant et palpitant, fournissant ainsi au lecteur les clés pour comprendre les événements dramatiques qui allaient bientôt secouer le pays.

Les personnages principaux : Paul-Henri de la Salles et l’inspecteur Pirri

Au cœur de « Moneda », Stéphane Keller place deux personnages principaux fascinants et complexes : Paul-Henri de la Salles, alias Sébastien Desboz, et l’inspecteur Alejandro Vega-Pirri. Ces deux hommes, aux parcours et aux motivations radicalement différents, se retrouvent liés par l’enquête sur la disparition de Pilar, une jeune serveuse du Bar du Suisse.

Paul-Henri de la Salles est un personnage énigmatique dont le passé trouble ne cesse de resurgir au fil du récit. Propriétaire du Bar du Suisse à Santiago, il se fait passer pour un citoyen suisse nommé Sébastien Desboz. Keller dévoile progressivement les secrets de cet homme, ancien militaire français ayant combattu sous l’uniforme allemand durant la Seconde Guerre mondiale. De la Salles est un être tourmenté, hanté par son passé et ses actes, qui tente de se reconstruire une vie dans le Chili des années 70. Sa relation avec Pilar, son ancienne maîtresse, et sa détermination à découvrir ce qui lui est arrivé, révèlent une facette plus humaine et vulnérable de ce personnage complexe.

À l’opposé se trouve l’inspecteur Alejandro Vega-Pirri, un policier intègre dans un système corrompu. Keller dépeint Pirri comme un homme obstiné, déterminé à résoudre l’affaire malgré les pressions de sa hiérarchie et l’hostilité de ses collègues. L’auteur explore la psychologie de ce personnage, montrant comment son sens de la justice et son professionnalisme le mettent en porte-à-faux avec son environnement. Pirri devient ainsi le symbole d’une certaine résistance morale dans un contexte de déliquescence des institutions.

La relation entre ces deux hommes est au cœur du roman. Initialement méfiants l’un envers l’autre, de la Salles et Pirri se trouvent progressivement liés par leur quête commune de vérité. Keller excelle dans la description de cette alliance improbable, montrant comment ces deux personnages aux parcours si différents en viennent à collaborer, chacun apportant ses compétences et ses connaissances à l’enquête.

L’auteur utilise ces deux protagonistes pour explorer différentes facettes de la société chilienne de l’époque. À travers de la Salles, il aborde les thèmes de l’exil, de la reconstruction personnelle et de la difficulté à échapper à son passé. Pirri, quant à lui, incarne les défis auxquels font face ceux qui tentent de maintenir une forme d’intégrité dans un système en déliquescence.

La complexité psychologique de ces personnages est l’un des points forts du roman. Keller ne se contente pas de créer des figures archétypales, mais dessine des individus nuancés, avec leurs forces et leurs faiblesses. Les dilemmes moraux auxquels ils sont confrontés, leurs doutes et leurs contradictions les rendent profondément humains et attachants.

En fin de compte, Paul-Henri de la Salles et l’inspecteur Pirri sont bien plus que de simples vecteurs de l’intrigue. Ils sont le cœur battant de « Moneda », des personnages richement développés qui permettent au lecteur de vivre de l’intérieur les tensions et les bouleversements du Chili d’Allende. À travers eux, Stéphane Keller offre une exploration fascinante de la nature humaine face à l’adversité et au chaos politique.

L’intrigue policière : À la recherche de l’assassin de Pilar

Au cœur de « Moneda », Stéphane Keller tisse une intrigue policière captivante qui sert de fil conducteur à son exploration du Chili pré-coup d’État. La disparition et le meurtre brutal de Pilar, une jeune serveuse du Bar du Suisse, déclenchent une enquête qui va bien au-delà d’une simple affaire criminelle.

L’auteur nous plonge immédiatement dans l’atmosphère tendue de Santiago en 1973, où la découverte du corps mutilé de Pilar dans le Rio Maipo secoue la communauté locale. Keller excelle dans la description des scènes de crime, mêlant détails réalistes et ambiance oppressante, reflétant ainsi le climat d’insécurité grandissante dans le pays.

L’enquête se déroule sur deux fronts parallèles. D’un côté, l’inspecteur Alejandro Vega-Pirri mène l’investigation officielle, naviguant entre les obstacles bureaucratiques et la corruption de ses collègues. De l’autre, Paul-Henri de la Salles, ancien amant de Pilar et propriétaire du bar où elle travaillait, entreprend sa propre quête de vérité. Cette dualité permet à Keller d’explorer différentes facettes de la société chilienne et de multiplier les pistes et les suspects potentiels.

Au fil de l’enquête, l’auteur dévoile progressivement les secrets et le passé trouble de Pilar. Chaque nouvel élément révélé ajoute une couche de complexité à l’intrigue, mêlant habilement histoires personnelles et contexte politique. Les lecteurs sont tenus en haleine par les révélations successives, qui remettent constamment en question leurs hypothèses.

Keller ne se contente pas d’une simple enquête linéaire. Il entrecroise habilement plusieurs pistes, introduisant des personnages secondaires intrigants et des sous-intrigues qui enrichissent le récit principal. L’assassinat de Ruben, l’ancien petit ami de Pilar, ajoute une nouvelle dimension à l’affaire, suggérant des implications plus larges et peut-être politiques.

L’auteur utilise l’enquête comme un prisme pour explorer les tensions sociales et politiques de l’époque. Les investigations de Pirri et de la Salles les mènent dans différents milieux de la société chilienne, des quartiers populaires aux cercles du pouvoir, offrant ainsi un panorama saisissant du pays à la veille du coup d’État.

La recherche de l’assassin de Pilar devient également une quête existentielle pour les protagonistes. Pour de la Salles, c’est une forme de rédemption, tandis que pour Pirri, c’est un test de son intégrité face à un système corrompu. Keller explore avec finesse les motivations profondes de ses personnages, ajoutant une dimension psychologique captivante à l’intrigue policière.

Au fur et à mesure que l’enquête progresse, la tension monte inexorablement. Keller maîtrise parfaitement le rythme de son récit, alternant entre moments de calme relatif et scènes d’action intense. Les fausses pistes, les retournements de situation et les révélations inattendues maintiennent le lecteur en haleine jusqu’aux dernières pages.

En fin de compte, l’intrigue policière de « Moneda » est bien plus qu’une simple enquête sur un meurtre. C’est un voyage fascinant dans les méandres d’une société au bord du gouffre, où chaque découverte sur l’assassin de Pilar révèle un peu plus des fractures profondes qui traversent le Chili d’Allende. Keller réussit le tour de force de créer un thriller haletant qui est aussi une réflexion profonde sur le pouvoir, la violence et les destins individuels pris dans la tourmente de l’Histoire.

Les services secrets américains : Préparation du renversement d’Allende

Dans « Moneda », Stéphane Keller offre un regard saisissant sur les machinations des services secrets américains visant à renverser le gouvernement de Salvador Allende. L’auteur plonge le lecteur dans les coulisses de cette opération clandestine, révélant l’ampleur et la complexité de l’ingérence américaine dans les affaires chiliennes.

Keller introduit le personnage du général Lee Preston Beaulieu, un officier des renseignements militaires américains, comme figure centrale de cette intrigue parallèle. À travers ses actions et ses interactions, l’auteur dévoile le réseau complexe d’agents, d’informateurs et de collaborateurs mis en place par les États-Unis pour déstabiliser le régime d’Allende.

Le roman détaille avec précision les différentes stratégies employées par les services secrets américains. On y découvre le financement de l’opposition, la manipulation des médias, notamment à travers le journal El Mercurio, et les efforts pour semer le chaos économique. Keller montre comment ces actions s’intensifient à mesure que la date des élections de mars 1973 approche, créant une atmosphère de tension croissante.

L’auteur ne se contente pas de décrire les actions des Américains, il explore également les motivations géopolitiques qui les sous-tendent. Les conversations entre Beaulieu et ses supérieurs, y compris le président Nixon et Henry Kissinger, offrent un aperçu fascinant de la mentalité de la Guerre froide et de la détermination des États-Unis à empêcher l’établissement d’un « deuxième Cuba » en Amérique du Sud.

Un aspect particulièrement intéressant du récit de Keller est la façon dont il montre la collaboration entre les services secrets américains et certains éléments de l’armée chilienne. L’auteur dépeint les efforts de Beaulieu pour identifier et cultiver des alliés au sein des forces armées, préparant ainsi le terrain pour un éventuel coup d’État.

Le roman met également en lumière les tensions et les rivalités au sein même des services américains. Keller illustre les conflits entre la CIA et les renseignements militaires, chacun cherchant à prendre le contrôle de l’opération. Cette dimension ajoute une couche de complexité à l’intrigue et souligne les enjeux de pouvoir qui se jouent en coulisses.

L’un des points forts de « Moneda » est la façon dont Keller parvient à entrelacer cette intrigue d’espionnage avec l’enquête sur le meurtre de Pilar. L’auteur suggère subtilement des liens potentiels entre les deux histoires, maintenant le lecteur en haleine et l’incitant à s’interroger sur l’ampleur réelle de l’implication américaine dans les événements qui se déroulent au Chili.

En fin de compte, la description que fait Keller des activités des services secrets américains dans « Moneda » offre un éclairage saisissant sur les mécanismes de l’intervention étrangère et du changement de régime. C’est un rappel puissant de la façon dont les destins des nations peuvent être façonnés par des forces occultes opérant dans l’ombre.

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La dimension psychologique : Le lieutenant Yanez-Vidal, un tueur en série dans l’armée

Le personnage du lieutenant Yanez-Vidal est un élément central et fascinant du roman « Moneda » de Stéphane Keller. À travers ce militaire en apparence irréprochable se cache en réalité un tueur en série impitoyable, offrant une exploration glaçante de la psychologie d’un prédateur.

L’auteur dépeint avec maestria la dualité de Yanez-Vidal, capable de jongler entre son rôle d’officier modèle et ses pulsions meurtrières. Son apparente normalité et son intégration parfaite dans l’armée contrastent violemment avec la sauvagerie dont il fait preuve lors de ses crimes. Cette dichotomie souligne la capacité effrayante de certains psychopathes à se fondre dans la société tout en cachant leur véritable nature.

La dimension psychologique du personnage est particulièrement fouillée. Keller plonge le lecteur dans les méandres de l’esprit torturé de Yanez-Vidal, révélant les traumatismes et événements qui l’ont façonné. Son abandon par sa mère durant l’enfance semble avoir joué un rôle déterminant dans le développement de sa personnalité meurtrière.

À travers les pensées et réflexions du lieutenant, on découvre un individu dénué d’empathie, incapable de culpabilité, et pour qui le meurtre est devenu une forme d’art. Sa vision déshumanisée des femmes, qu’il considère comme de simples proies, est particulièrement glaçante. L’auteur parvient à créer un personnage à la fois fascinant et profondément dérangeant.

La présence d’un tel prédateur au sein même de l’armée soulève également des questions sur les failles potentielles du système et la façon dont certains individus dangereux peuvent passer entre les mailles du filet. Yanez-Vidal utilise sa position et son uniforme comme couverture parfaite pour assouvir ses pulsions, ajoutant une dimension supplémentaire à l’horreur de ses actes.

L’évolution psychologique du personnage au fil du roman est également remarquable. On assiste à une forme d’escalade dans sa folie meurtrière, ses crimes devenant de plus en plus audacieux et sadiques. Cette progression maintient le lecteur en haleine tout en soulignant la descente aux enfers psychologique du lieutenant.

En conclusion, le personnage de Yanez-Vidal constitue une plongée saisissante dans la psyché d’un tueur en série. À travers lui, Stéphane Keller offre une réflexion glaçante sur la nature du mal et la façon dont il peut se dissimuler derrière les apparences les plus respectables. Un élément clé qui contribue à faire de « Moneda » un thriller psychologique captivant.

Les tensions politiques : Polarisation de la société chilienne

« Moneda » de Stéphane Keller offre une plongée saisissante dans la société chilienne profondément divisée des années 1970. L’auteur dresse un portrait vivant et nuancé d’un pays au bord de la rupture, où les tensions politiques atteignent leur paroxysme à la veille du coup d’État de 1973.

Au cœur du récit, Keller dépeint avec finesse la polarisation croissante entre les partisans d’Allende et ses opposants. Les rues de Santiago deviennent le théâtre de manifestations et de contre-manifestations, reflétant la fracture idéologique qui traverse la société. L’auteur capture habilement l’atmosphère électrique qui règne dans la capitale, où chaque interaction, chaque conversation semble chargée de signification politique.

Le roman explore les différentes strates de la société chilienne, montrant comment le clivage politique affecte tous les aspects de la vie quotidienne. Des discussions animées dans le Bar du Suisse aux tensions au sein des familles, Keller illustre comment les divergences politiques s’immiscent dans les relations personnelles, déchirant parfois des amitiés de longue date ou créant des fossés au sein même des familles.

L’auteur ne se contente pas de présenter une vision manichéenne du conflit. Il s’attache à montrer la complexité des positions de chacun, des ouvriers enthousiasmés par les promesses de réformes d’Allende aux propriétaires terriens craignant pour leurs biens. Keller donne voix à une multitude de personnages, offrant ainsi un panorama riche et nuancé des différentes perspectives qui s’affrontent.

La montée des extrêmes est également un thème central du roman. Keller dépeint l’émergence de groupes radicaux des deux côtés du spectre politique, comme le Movimiento de Izquierda Revolucionaria (MIR) à gauche et Patria y Libertad à droite. Ces mouvements, par leurs actions et leur rhétorique, contribuent à exacerber les tensions et à polariser davantage la société.

Le rôle des médias dans cette polarisation est scruté de près. Keller montre comment des journaux comme El Mercurio deviennent des acteurs à part entière du conflit politique, façonnant l’opinion publique et attisant les flammes de la discorde. L’auteur souligne également l’influence croissante des médias étrangers, notamment américains, dans la perception des événements au Chili.

Au fil du récit, la tension monte inexorablement. Keller décrit avec acuité le sentiment de plus en plus répandu que le pays se dirige vers un point de non-retour. Les grèves, les pénuries, les rumeurs de coup d’État créent un climat d’anxiété et d’incertitude qui imprègne chaque page du roman.

L’un des aspects les plus fascinants de « Moneda » est la façon dont Keller lie cette polarisation politique à l’intrigue policière centrale. L’enquête sur le meurtre de Pilar devient un miroir des divisions de la société chilienne, chaque suspect, chaque piste reflétant les tensions sous-jacentes qui traversent le pays.

En fin de compte, « Moneda » offre une exploration poignante des effets dévastateurs de la polarisation politique sur une société. À travers le prisme du Chili de 1973, Keller nous livre une réflexion universelle sur les dangers de l’extrémisme et de la division, et sur la fragilité des démocraties face aux forces qui cherchent à les déstabiliser.

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Le style d’écriture : Entre roman noir et fresque historique

Dans « Moneda », Stéphane Keller déploie un style d’écriture singulier qui oscille habilement entre les codes du roman noir et ceux de la fresque historique. Cette fusion des genres confère à l’œuvre une richesse narrative et une profondeur peu communes, captivant le lecteur tout en l’instruisant sur une période trouble de l’histoire chilienne.

Le côté roman noir se manifeste dans la construction de l’intrigue policière. Keller maîtrise parfaitement l’art du suspense, distillant les indices au compte-gouttes et multipliant les fausses pistes. Son écriture est nerveuse, rythmée, parfois saccadée, reflétant l’urgence de l’enquête et la tension ambiante. Les descriptions des scènes de crime sont précises, cliniques, sans tomber dans le sensationnalisme gratuit. L’auteur parvient à créer une atmosphère oppressante, typique du genre, qui imprègne l’ensemble du récit.

Parallèlement, Keller déploie les outils de la fresque historique avec une grande habileté. Son style se fait alors plus ample, plus descriptif, pour brosser un tableau vivant et détaillé du Chili des années 70. Les longues phrases, riches en détails et en observations, permettent au lecteur de s’immerger pleinement dans l’époque. L’auteur excelle dans l’art de mêler faits historiques et fiction, créant un récit qui sonne juste sans jamais perdre de vue sa dimension romanesque.

L’une des grandes forces de Keller réside dans sa capacité à passer d’un registre à l’autre avec fluidité. Les scènes d’action, tendues et efficaces, alternent avec des moments de réflexion plus posés, où l’auteur analyse les enjeux politiques et sociaux de l’époque. Cette alternance de rythme maintient l’intérêt du lecteur tout au long du roman.

Le travail sur les dialogues mérite également d’être souligné. Keller dote chacun de ses personnages d’une voix distincte, reflétant leur origine sociale, leur éducation et leurs convictions politiques. Ces échanges, souvent vifs et chargés de sous-entendus, contribuent grandement à la vivacité du récit et à la crédibilité des personnages.

L’auteur fait preuve d’une grande maîtrise dans l’art de l’ellipse et du non-dit. Certains événements cruciaux sont suggérés plutôt que décrits, laissant au lecteur le soin de combler les blancs. Cette technique renforce le mystère qui entoure certains personnages, notamment Paul-Henri de la Salles, et maintient le suspense jusqu’aux dernières pages.

La prose de Keller est également remarquable par sa sensualité. Les descriptions de Santiago, de ses rues, de ses odeurs, de son atmosphère, font appel à tous les sens du lecteur. Cette approche sensorielle renforce l’immersion dans l’univers du roman et donne vie à la ville, qui devient presque un personnage à part entière.

Enfin, l’auteur n’hésite pas à jouer avec la structure narrative, alternant les points de vue et les temporalités. Cette technique permet d’explorer les différentes facettes de l’intrigue et de donner de la profondeur aux personnages, tout en maintenant le mystère sur certains aspects de l’histoire.

En somme, le style d’écriture de Stéphane Keller dans « Moneda » est un savant mélange qui emprunte au meilleur du roman noir et de la fresque historique. Cette fusion des genres crée une œuvre originale et captivante, qui parvient à divertir tout en offrant une réflexion profonde sur une période cruciale de l’histoire chilienne.

Les thèmes abordés : Pouvoir, violence et manipulation

« Moneda » de Stéphane Keller est une œuvre riche qui, au-delà de son intrigue captivante, explore en profondeur plusieurs thèmes complexes et interconnectés. Au cœur du roman se trouvent les notions de pouvoir, de violence et de manipulation, tissées habilement dans la trame narrative et offrant une réflexion nuancée sur la nature humaine et les mécanismes sociopolitiques.

Le pouvoir, sous toutes ses formes, est omniprésent dans le récit. Keller examine minutieusement les rouages du pouvoir politique, incarné par le gouvernement Allende et ses opposants. Il met en lumière les luttes intestines, les jeux d’influence et les compromis moraux qu’implique l’exercice du pouvoir. À travers des personnages comme le général Beaulieu ou les officiers chiliens, l’auteur montre comment le pouvoir peut corrompre et aveugler, poussant les individus à des actions qu’ils n’auraient jamais envisagées auparavant.

La violence, qu’elle soit physique ou psychologique, imprègne chaque page du roman. Keller ne se contente pas de décrire les actes violents, il en explore les origines et les conséquences. La violence politique, incarnée par les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre, côtoie la violence plus intime des crimes de Yanez-Vidal. L’auteur questionne la légitimité de la violence comme outil politique et examine comment elle peut devenir un moyen de contrôle social.

La manipulation est un autre thème central de « Moneda ». Keller dépeint avec finesse les différentes formes de manipulation à l’œuvre dans la société chilienne de l’époque. Des opérations clandestines des services secrets américains à la propagande médiatique, en passant par les manipulations interpersonnelles, l’auteur montre comment la vérité devient une notion malléable dans un contexte de crise politique. Il explore également la manipulation psychologique à travers le personnage de Yanez-Vidal et ses victimes.

Le roman aborde également le thème de l’identité et de ses multiples facettes. Paul-Henri de la Salles, avec son passé trouble et sa nouvelle identité, incarne cette thématique. Keller examine comment les expériences passées façonnent l’identité et comment les individus peuvent se réinventer face à l’adversité. Ce thème résonne particulièrement dans le contexte d’une société en pleine mutation.

La loyauté et la trahison sont des motifs récurrents dans « Moneda ». L’auteur explore les dilemmes moraux auxquels sont confrontés ses personnages, tiraillés entre leurs convictions personnelles, leurs devoirs professionnels et leurs loyautés politiques. La trahison, qu’elle soit personnelle ou politique, est présentée comme une conséquence presque inévitable des tensions extrêmes qui traversent la société.

Keller aborde également la question de la justice et de son application dans un contexte de chaos politique. À travers l’enquête de l’inspecteur Pirri, il interroge la possibilité de maintenir l’intégrité et la recherche de la vérité dans un système corrompu. Le roman soulève des questions profondes sur la nature de la justice et sur qui a le droit de la rendre.

Enfin, « Moneda » explore le thème de la mémoire collective et individuelle. Keller montre comment les événements historiques sont vécus et interprétés différemment selon les perspectives individuelles. Il questionne la façon dont l’histoire s’écrit et se transmet, et comment les traumatismes du passé continuent d’influencer le présent.

En tissant ces thèmes complexes dans une narration captivante, Stéphane Keller offre bien plus qu’un simple thriller historique. « Moneda » devient une réflexion profonde sur la nature du pouvoir, les mécanismes de la violence et l’impact de la manipulation à grande échelle, offrant au lecteur matière à réflexion bien au-delà de la dernière page.

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Le mot de la fin : Une plongée fascinante dans une période trouble de l’histoire chilienne

« Moneda » de Stéphane Keller s’impose comme une œuvre marquante, offrant une plongée fascinante et profondément immersive dans l’une des périodes les plus troublées de l’histoire chilienne. À travers son récit captivant, l’auteur parvient à ressusciter avec une acuité remarquable l’atmosphère tendue et électrique qui régnait au Chili à la veille du coup d’État de 1973.

La force de Keller réside dans sa capacité à entrelacer habilement l’intrigue policière avec la fresque historique. Ce faisant, il offre au lecteur une perspective unique sur les événements, permettant une compréhension intime des enjeux politiques et sociaux de l’époque. Le meurtre de Pilar devient ainsi le prisme à travers lequel nous observons une société au bord de l’implosion, où chaque acte, chaque parole est chargé de significations politiques.

L’auteur excelle dans sa peinture des différents protagonistes de cette période tumultueuse. Des partisans d’Allende aux opposants de droite, en passant par les agents américains et les militaires chiliens, chaque camp est représenté avec nuance et profondeur. Keller évite les caricatures faciles, préférant montrer la complexité des motivations et des dilemmes moraux auxquels font face ses personnages.

La dimension psychologique du roman est particulièrement remarquable. À travers des personnages comme Paul-Henri de la Salles ou le lieutenant Yanez-Vidal, Keller explore les zones d’ombre de l’âme humaine, montrant comment les traumatismes du passé et les pressions du présent peuvent façonner les actions des individus. Cette exploration psychologique ajoute une profondeur supplémentaire au récit, le transformant en une réflexion poignante sur la nature humaine face à l’adversité.

« Moneda » se distingue également par sa capacité à susciter la réflexion sur des thèmes universels. Les questions de pouvoir, de violence et de manipulation que soulève le roman résonnent bien au-delà du contexte chilien. Elles invitent le lecteur à s’interroger sur la fragilité des démocraties, sur les mécanismes de la radicalisation politique et sur les conséquences à long terme des interventions étrangères dans les affaires intérieures d’un pays.

Le style d’écriture de Keller, alliant la tension du thriller à la richesse descriptive de la fresque historique, contribue grandement à l’impact du roman. Son écriture vivante et évocatrice permet au lecteur de s’immerger pleinement dans le Santiago de 1973, ressentant presque physiquement la tension qui monte dans les rues de la capitale.

En conclusion, « Moneda » s’affirme comme bien plus qu’un simple roman historique ou policier. C’est une œuvre ambitieuse qui parvient à captiver tout en instruisant, à divertir tout en faisant réfléchir. Stéphane Keller nous offre un voyage saisissant au cœur d’une période charnière de l’histoire chilienne, dont les échos continuent de résonner jusqu’à aujourd’hui. Ce faisant, il nous rappelle avec force l’importance de comprendre notre passé pour mieux appréhender notre présent.

Bonjour, Je suis Stéphane Keller,
Johanna m’a communiqué ce matin votre article. Je vous remercie infiniment pour ces éloges et votre lecture plus qu’attentive de mon roman.
J’ai été très touché. Il est rare que toutes mes intentions soient perçues. J’attache effectivement à la psychologie de mes personnages une grande importance.
Bien à vous
Stéphane Keller

Je tiens à exprimer toute ma gratitude à Johanna de Beaumont, des Éditions Artilleur/Toucan, pour l’intérêt qu’elle a porté à mon blog ainsi que pour la confiance qu’elle m’a accordée en me proposant de rédiger cet article sur l’ouvrage de Stéphane Keller.


Extrait Première Page du livre

 » 1re PARTIE

(1er février – 1er mars 1973)

1

Le Bar du Suisse

Santiago du Chili, jeudi 1er février 1973

Il y avait au cœur de la ville une artère étroite, discrète, qui menait tout droit vers la lumière de la grand-place, celle-là même où se dressait le Palacio de la Moneda, ce palais de la Monnaie qui, depuis le milieu du dix-neuvième siècle, servait de résidence aux présidents de la République.

Au mitant des années cinquante, muni d’un passeport suisse dont l’authenticité ne faisait aucun doute, un homme, trop silencieux pour ne pas avoir de secrets, avait racheté un bar situé dans cette petite artère centrale. Le Bar du Suisse était devenu un café élégant où fils et filles de la bonne société de Santiago, qu’ils soient étudiants ou oisifs, côtoyaient les fonctionnaires du palais présidentiel venus avaler, en voisins, un café ou un plat à l’heure du déjeuner.

Sébastien Desboz, le propriétaire du bar, avait beau avoir désormais la cinquantaine, il avait gardé une abondante chevelure brune, tout juste parsemée de quelques rares mèches grisonnantes. Surtout, il conservait cette ligne irréprochable, ce corps de sportif qui attirait les regards de quelques clientes dépitées d’avoir été mariées trop jeunes. L’une de ses maîtresses, qui passait ses journées dans les cinémas de la capitale, lui avait même dit, en le contemplant, qu’il avait un physique d’acteur. Il aurait pu faire bien autre chose que patron de bar. Il avait selon elle des faux airs de Stewart Granger, le héros des Contrebandiers de Moonfleet. Quel dommage que

« Sebastian » soit né à Genève, dans ce petit pays si triste et tellement raisonnable, coincé entre les montagnes. S’il était né ailleurs, ne serait-ce qu’en France, il aurait pu espérer faire carrière à Hollywood comme Charles Boyer ou Louis Jourdan. Sébastien se gardait bien de dire qu’il était né à Paris et qu’il avait renoncé depuis fort longtemps à sa véritable identité, Paul-Henri de la Salles. Il ne parlait jamais de ses vies antérieures, de ses engagements de jeunesse, de son ultime combat à Berlin, sous l’uniforme allemand, encore moins de cet assassinat auquel il avait participé un matin de mai 1945, bouleversant d’un seul coup de feu l’histoire d’un pays et peut-être même d’un continent1. Il ne parlait pas davantage de cette famille qu’il avait abandonnée sur un coup de tête, parce qu’il étouffait, parce que la France était encore trop proche de l’Andalousie où il s’était réfugié. Il avait débarqué en Argentine, y était resté fort peu de temps et avait choisi de s’installer dans un autre pays, par-delà la cordillère des Andes, sur la côte pacifique. Au Chili, il avait le sentiment de tourner le dos à son passé et cela lui avait plutôt réussi. Il avait renoncé à tout examen de conscience car il n’avait ni remords, ni regrets véritables. Il s’était enfui, puisqu’il n’éprouvait plus aucune passion pour celle qu’il avait épousée par défaut, et hélas aucune tendresse véritable pour les deux enfants, sans grande personnalité, nés de ce mariage. « 


  • Titre : Moneda
  • Auteur : Stéphane Keller
  • Éditeur : Éditions du Toucan
  • Nationalité : France
  • Date de sortie : 2024

Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis plus de 60 ans, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.


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