Amara Lakhous : un écrivain entre l’Algérie et l’Italie
Amara Lakhous, l’auteur de « La Fertilité du mal », est un écrivain singulier qui navigue entre deux cultures, deux langues et deux univers littéraires. Né en Algérie en 1970, il a grandi dans un pays marqué par les séquelles de la guerre d’indépendance et les tensions politiques qui ont suivi. Cette expérience algérienne, avec ses blessures et ses contradictions, nourrit profondément son œuvre romanesque.
Mais le parcours d’Amara Lakhous ne se limite pas à son pays natal. En effet, il a vécu de nombreuses années en Italie, où il a poursuivi des études de philosophie et d’anthropologie culturelle. Cette immersion dans la société italienne, avec sa richesse et sa complexité, a également laissé une empreinte indélébile sur son écriture. Lakhous est devenu un observateur attentif des dynamiques sociales et culturelles de son pays d’adoption.
Cette double appartenance, algérienne et italienne, confère à Amara Lakhous une sensibilité particulière et une capacité à créer des ponts entre les cultures. Dans ses romans, il explore les thèmes de l’identité, de l’exil, du déracinement, mais aussi de la rencontre et du dialogue entre les peuples. Son écriture se nourrit de cette richesse multiculturelle, mêlant les langues, les références et les imaginaires.
« La Fertilité du mal » s’inscrit pleinement dans cette démarche littéraire d’Amara Lakhous. Bien que profondément ancré dans l’histoire et la société algériennes, le roman porte en lui les traces de cette ouverture sur le monde, de cette volonté de dépasser les frontières et les clivages. L’auteur y déploie tout son talent de conteur pour nous entraîner dans une intrigue captivante, tout en nous offrant une réflexion subtile sur la condition humaine.
Traduit de l’arabe, « La Fertilité du mal » témoigne aussi du choix d’Amara Lakhous d’écrire dans sa langue maternelle, tout en s’adressant à un public international. Cette décision révèle son attachement profond à ses racines algériennes, mais aussi son désir de faire entendre une voix singulière dans le concert de la littérature mondiale. Car Lakhous est un passeur, un créateur de liens, un écrivain qui refuse les étiquettes et les enfermements.
Ainsi, l’itinéraire d’Amara Lakhous, entre l’Algérie et l’Italie, façonne son univers romanesque d’une manière unique. « La Fertilité du mal » porte la trace de cette richesse culturelle, de cette sensibilité à la complexité du monde. À travers ce roman puissant et original, Lakhous nous invite à un voyage littéraire inoubliable, à la croisée des cultures et des destins.
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La guerre d’indépendance algérienne comme toile de fond
« La Fertilité du mal » d’Amara Lakhous plonge ses racines dans un chapitre crucial de l’histoire algérienne : la guerre d’indépendance qui a opposé le peuple algérien à la puissance coloniale française de 1954 à 1962. Ce conflit sanglant et traumatique constitue la toile de fond du roman, imprégnant les destins des personnages et façonnant la société algérienne contemporaine.
Amara Lakhous n’aborde pas la guerre d’indépendance de manière frontale ou didactique. Au contraire, il choisit de l’évoquer par touches subtiles, à travers les souvenirs, les blessures et les non-dits des protagonistes. La guerre est présente en filigrane, comme une ombre qui plane sur les événements du présent. Elle hante les mémoires, façonne les identités et explique les tensions qui traversent la société algérienne.
Le roman met en lumière le rôle des combattants de l’ombre, ces hommes et ces femmes qui ont risqué leur vie pour libérer leur pays du joug colonial. À travers les figures de Miloud Sabri, Zahra Mesbah, Idris Talbi et Abbas Badi, Amara Lakhous rend hommage à ces héros ordinaires qui ont fait le choix de la résistance. Il explore leur engagement, leurs doutes, leurs sacrifices, mais aussi les dilemmes moraux auxquels ils ont été confrontés.
Mais « La Fertilité du mal » ne se contente pas de célébrer les combattants de l’indépendance. Le roman interroge aussi l’héritage complexe et ambigu de cette guerre. Il montre comment les espoirs et les idéaux de la révolution ont pu être trahis, comment les luttes de pouvoir et les règlements de comptes ont pu prendre le pas sur l’intérêt collectif. Amara Lakhous porte un regard lucide et sans concession sur les dérives et les compromissions qui ont suivi l’indépendance.
Ce faisant, le roman invite à une réflexion sur la mémoire et la transmission. Comment raconter cette histoire douloureuse ? Comment honorer les sacrifices des anciens sans occulter les zones d’ombre ? Comment construire une société apaisée sur les ruines de la guerre ? Autant de questions qui traversent « La Fertilité du mal » et qui donnent à ce polar une profondeur et une résonance particulières.
Tel un fil rouge qui relie les époques et les générations, la guerre d’indépendance algérienne imprègne chaque page de « La Fertilité du mal ». Amara Lakhous, avec son regard d’écrivain et d’anthropologue, nous offre une plongée saisissante dans cette histoire tourmentée. Loin des discours manichéens ou des simplifications, il nous invite à embrasser la complexité de cet héritage, à en sonder les blessures et les espoirs, pour mieux comprendre l’Algérie d’aujourd’hui.
Des personnages façonnés par l’Histoire et ses blessures
Dans « La Fertilité du mal », Amara Lakhous donne vie à des personnages profondément marqués par l’histoire tumultueuse de l’Algérie. Loin d’être de simples figures romanesques, ils incarnent les blessures, les espoirs et les contradictions d’un peuple qui a lutté pour sa liberté et qui peine à construire son avenir.
Au cœur de cette galerie de portraits se trouve Miloud Sabri, figure emblématique et ambiguë de la guerre d’indépendance. Ancien combattant devenu homme d’affaires influent, il porte en lui les stigmates d’un passé héroïque mais aussi les compromissions d’un présent trouble. À travers son parcours sinueux, Amara Lakhous interroge les idéaux de la révolution et leur devenir dans l’Algérie post-coloniale.
Autour de Miloud Sabri gravitent d’autres personnages tout aussi fascinants et complexes. Zahra Mesbah, sa femme, incarne la résilience et la dignité d’une génération de femmes algériennes qui ont pris part à la lutte pour l’indépendance. Idris Talbi, avocat et défenseur des droits de l’homme, représente quant à lui la voix de la justice et de la vérité, même lorsqu’elle dérange. Et puis il y a Abbas Badi, figure mystérieuse et tragique, dont le destin brisé symbolise les blessures indicibles de la guerre.
Mais Amara Lakhous ne se contente pas de brosser des portraits individuels. Il met en scène les relations complexes qui unissent ces personnages, leurs secrets, leurs non-dits, leurs trahisons aussi. À travers leurs interactions, leurs conflits et leurs alliances, c’est toute une société qui se dessine, avec ses failles et ses espoirs.
Par touches subtiles, l’auteur dévoile les cicatrices intimes et collectives laissées par l’Histoire. Il montre comment le poids du passé pèse sur le présent, comment les traumatismes se transmettent d’une génération à l’autre. Mais il suggère aussi que chacun a le pouvoir de briser ce cercle infernal, de se réinventer et de construire un avenir meilleur.
Véritable mosaïque humaine, « La Fertilité du mal » rend un hommage vibrant au peuple algérien dans toute sa diversité et sa complexité. Les personnages qui peuplent ce roman ne sont pas seulement les acteurs d’une intrigue policière haletante. Ils sont les témoins vivants d’une Histoire douloureuse et inachevée, les héritiers d’une mémoire à la fois glorieuse et tourmentée. À travers eux, Amara Lakhous nous invite à une réflexion profonde sur l’identité, la loyauté, le pardon et la rédemption.

Miloud Sabri, figure emblématique et ambiguë
Au cœur de « La Fertilité du mal » se dresse la figure énigmatique et fascinante de Miloud Sabri, personnage clé qui cristallise à lui seul toutes les ambiguïtés et les contradictions de l’Algérie post-coloniale. Ancien combattant de la guerre d’indépendance, surnommé « la Huppe », il incarne à la fois l’héroïsme de la lutte anticoloniale et les compromissions du pouvoir.
Miloud Sabri est un être complexe, insaisissable, qui navigue entre les eaux troubles de la politique et les arcanes du monde des affaires. Héros de la révolution devenu homme d’influence, il semble avoir sacrifié les idéaux de sa jeunesse sur l’autel de la réussite personnelle. Son parcours sinueux, fait de lumières et d’ombres, interroge le devenir des espoirs de la guerre d’indépendance.
Mais Amara Lakhous ne se contente pas de faire de Miloud Sabri un simple symbole. Il lui donne chair et consistance, explore les recoins de sa psyché, dévoile ses fêlures et ses secrets. À travers ce personnage ambigu, l’auteur questionne la nature du pouvoir, les rouages de la corruption, les dilemmes moraux auxquels sont confrontés ceux qui ont fait la guerre et qui doivent ensuite construire la paix.
La mort de Miloud Sabri, brutale et mystérieuse, constitue le point de départ de l’intrigue policière qui structure le roman. Mais au-delà de l’enquête sur les circonstances de son assassinat, c’est une véritable plongée dans les méandres de l’histoire algérienne que nous propose Amara Lakhous. Car la vie et la mort de « la Huppe » sont intimement liées aux tourments et aux espoirs du pays.
Personnage insondable, tour à tour fascinant et repoussant, Miloud Sabri hante les pages du roman comme il hante la mémoire collective algérienne. Sa trajectoire individuelle se fait le miroir des errements et des aspirations d’une nation en quête d’elle-même.
Véritable fil conducteur du récit, la figure de Miloud Sabri donne à « La Fertilité du mal » sa profondeur et sa puissance évocatrice. À travers ce personnage emblématique et ambigu, Amara Lakhous nous offre une méditation poignante sur le poids de l’histoire, les blessures de la mémoire et la difficulté à construire un avenir commun. Une réflexion nécessaire et salutaire pour comprendre l’Algérie d’hier et d’aujourd’hui.
Le poids des secrets du passé
« La Fertilité du mal » est un roman hanté par les secrets du passé, ces non-dits qui pèsent sur le présent et façonnent le destin des personnages. Amara Lakhous explore avec une grande finesse la manière dont les blessures de l’histoire algérienne continuent de gangrener les relations familiales, amicales et politiques, créant un climat de méfiance et de suspicion.
Au fil des pages, le lecteur découvre que chaque protagoniste porte en lui un lourd fardeau, une part d’ombre qui le ronge et l’empêche d’avancer. Miloud Sabri, Zahra Mesbah, Idris Talbi et Abbas Badi sont tous prisonniers de secrets qui remontent à la guerre d’indépendance, voire à la période coloniale. Des secrets qui ont trait à des trahisons, des compromissions, des actes indicibles qui ne peuvent être révélés sous peine de faire voler en éclats les fragiles équilibres du présent.
Amara Lakhous montre comment ces secrets empoisonnent les relations, créent des malentendus et des rancœurs qui se transmettent de génération en génération. Les enfants héritent des silences et des mensonges de leurs parents, sans comprendre les raisons de cette chape de plomb qui pèse sur les mémoires. Les amitiés sont minées par les soupçons, les alliances politiques sont fragilisées par les zones d’ombre du passé.
Mais l’auteur suggère aussi que la vérité, même douloureuse, est un passage obligé pour construire un avenir apaisé. Au fil de l’intrigue, les masques tombent, les langues se délient, les secrets les plus enfouis sont révélés au grand jour. Cette libération de la parole est cathartique, elle permet aux personnages de se confronter à leur propre histoire, de démêler les fils du passé pour mieux se projeter dans le futur.
Car « La Fertilité du mal » est aussi un roman sur la résilience, sur la capacité de l’être humain à surmonter les traumatismes et à se réinventer. En affrontant les fantômes qui les hantent, les protagonistes se donnent une chance de rompre le cycle infernal de la violence et du ressentiment. Ils ouvrent la voie à une possible réconciliation, avec eux-mêmes et avec leur pays.
Plongée vertigineuse dans les méandres de la mémoire algérienne, « La Fertilité du mal » explore avec une acuité remarquable le poids des secrets du passé. Par la grâce de son écriture ciselée, Amara Lakhous nous invite à une réflexion profonde sur les blessures de l’histoire, la transmission des traumatismes et la nécessité du pardon. Un message d’une brûlante actualité, qui résonne bien au-delà des frontières de l’Algérie.
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La question de la trahison et de la vengeance
Au cœur de « La Fertilité du mal » se loge une interrogation lancinante sur la trahison et la vengeance, deux thèmes qui s’entrelacent tout au long du roman. Amara Lakhous explore avec une grande acuité les mécanismes complexes qui poussent les individus à rompre les liens de loyauté, à sacrifier leurs idéaux sur l’autel de l’ambition personnelle ou de la survie.
La trahison est omniprésente dans le récit, elle empoisonne les relations entre les personnages, sème le doute et la suspicion. Qu’il s’agisse des compromissions de Miloud Sabri, des non-dits d’Abbas Badi ou des secrets de Zahra Mesbah, chacun semble porter en lui une part d’ombre, une fêlure qui le rend vulnérable au soupçon. Dans ce climat délétère, la confiance devient une denrée rare, un luxe que peu peuvent se permettre.
Mais Amara Lakhous ne se contente pas de dépeindre les ravages de la trahison. Il en explore les ressorts intimes, les motivations profondes. Il montre comment les blessures du passé, les frustrations accumulées, le sentiment d’injustice peuvent pousser les individus à franchir la ligne rouge, à sacrifier leur intégrité sur l’autel de la réussite ou de la vengeance. Car la trahison est souvent le fruit d’une longue histoire, d’un cheminement tortueux où se mêlent les rêves brisés et les espoirs déçus.
Face à la trahison se dresse le spectre de la vengeance, comme une réponse presque inévitable, un moyen de restaurer un semblant de justice dans un monde chaotique. Les personnages de « La Fertilité du mal » sont habités par cette soif de revanche, ce besoin viscéral de régler les comptes, de faire payer les traîtres et les félons. Mais cette quête obsessionnelle de vengeance est aussi un piège, un engrenage fatal qui risque de perpétuer le cycle de la violence et de la haine.
Avec une grande finesse psychologique, Amara Lakhous sonde les âmes tourmentées de ses protagonistes, leurs dilemmes moraux, leurs contradictions. Il suggère que la frontière entre le bien et le mal, entre la loyauté et la trahison, est souvent plus ténue qu’il n’y paraît. Chacun peut basculer d’un côté ou de l’autre, selon les circonstances, les pressions extérieures, les faiblesses intimes.
À travers cette exploration subtile de la trahison et de la vengeance, « La Fertilité du mal » nous offre une réflexion puissante sur la condition humaine, les choix qui façonnent nos destinées, la difficulté à rester fidèle à ses valeurs dans un monde en proie au chaos. Amara Lakhous signe un roman d’une rare densité, qui sonde les abîmes de l’âme humaine avec une lucidité troublante et une empathie profonde.
La place des femmes dans la société algérienne
« La Fertilité du mal » offre un éclairage saisissant sur la condition féminine dans l’Algérie post-coloniale. À travers les portraits nuancés et subtils de Zahra Mesbah, de sa sœur Farida ou encore de ses filles Samia et Souad, Amara Lakhous rend hommage à la résilience et au courage des femmes algériennes, tout en pointant du doigt les injustices et les discriminations dont elles sont victimes.
Le roman met en lumière le rôle crucial joué par les femmes durant la guerre d’indépendance. Engagées dans la lutte aux côtés des hommes, elles ont payé un lourd tribut, subissant la torture, la prison, voire la mort. Mais une fois la liberté conquise, elles ont souvent été reléguées au second plan, leurs sacrifices oubliés ou minorés. Zahra incarne cette génération de combattantes qui ont dû se battre sur tous les fronts, contre l’occupant mais aussi contre les préjugés de leur propre société.
Car malgré les espoirs suscités par l’indépendance, la condition féminine ne s’est guère améliorée dans l’Algérie post-coloniale. Les femmes restent soumises à un système patriarcal qui les maintient dans un statut d’infériorité, limitant leur accès à l’éducation, au travail, à l’espace public. Le Code de la famille, adopté en 1984, consacre cette inégalité en faisant de la femme une éternelle mineure, sous la tutelle de son père, de son frère ou de son mari.
Mais Amara Lakhous ne se contente pas de dénoncer cette oppression. Il met en scène des personnages féminins d’une grande complexité, qui luttent chacune à leur manière pour s’affirmer et se libérer des carcans qui les entravent. Zahra, en transmettant à ses filles son amour de la liberté et son esprit de résistance. Samia, en s’engageant dans des études scientifiques malgré les réticences de son entourage. Souad, en vivant pleinement sa passion amoureuse envers et contre tous.
Ces trajectoires individuelles dessinent en filigrane les contours d’une révolution silencieuse, portée par une nouvelle génération de femmes déterminées à faire entendre leur voix et à prendre leur destin en main. Une révolution qui se heurte à de nombreux obstacles, mais qui témoigne de la vitalité et de la créativité de la société civile algérienne.
Véritable plaidoyer pour l’émancipation féminine, « La Fertilité du mal » rend un vibrant hommage aux combats des femmes algériennes. Par la justesse de son regard et la puissance de son écriture, Amara Lakhous nous invite à repenser la place des femmes dans la société, à imaginer un avenir où elles seraient enfin reconnues comme des citoyennes à part entière, libres et égales en droits. Un message d’une brûlante actualité, qui résonne bien au-delà des frontières de l’Algérie.
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Un regard sans concession sur le pouvoir et la corruption
« La Fertilité du mal » offre une plongée saisissante dans les arcanes du pouvoir algérien, dévoilant sans fard les rouages d’un système gangrené par la corruption et le népotisme. Avec une lucidité implacable, Amara Lakhous ausculte les dérives d’une élite qui a trahi les idéaux de la révolution, sacrifiant l’intérêt général sur l’autel de l’enrichissement personnel et de la préservation de ses privilèges.
Le personnage de Miloud Sabri, ancien combattant devenu homme d’affaires influent, incarne à lui seul toutes les ambiguïtés et les compromissions du régime. Sa trajectoire sinueuse, des maquis de la guerre d’indépendance aux coulisses du pouvoir, symbolise le naufrage des espoirs portés par la lutte anticoloniale. En se livrant à des trafics en tous genres, en usant de son influence pour servir ses intérêts, Miloud Sabri trahit les valeurs pour lesquelles il a combattu, devenant l’archétype d’une classe dirigeante corrompue et cynique.
Mais la critique d’Amara Lakhous ne se limite pas à cette figure emblématique. À travers une galerie de personnages tout en nuances, il met en lumière les rouages d’un système clientéliste, où les relations personnelles et les allégeances tribales priment sur la compétence et le mérite. Un système qui étouffe toute velléité de changement, marginalisant les voix dissidentes et les aspirations de la jeunesse.
Car « La Fertilité du mal » est aussi un roman sur la désillusion et la colère d’une génération sacrifiée, qui se heurte à un mur d’indifférence et de mépris. Face à un pouvoir sclérosé, sourd aux revendications populaires, la tentation de la radicalité et de la violence se fait de plus en plus forte. Amara Lakhous capte avec une grande justesse cette atmosphère de fin de règne, où la légitimité des gouvernants s’effrite chaque jour davantage.
Mais le romancier ne se contente pas de dresser un constat accablant. Au fil des pages se dessine en filigrane une réflexion sur les conditions d’une véritable renaissance algérienne. Une renaissance qui passe par une refondation éthique, une rupture avec les pratiques du passé, une réappropriation de l’idéal démocratique confisqué.
Véritable radiographie d’un pays au bord de l’implosion, « La Fertilité du mal » offre un regard d’une rare acuité sur les maux qui rongent l’Algérie contemporaine. Corruption, abus de pouvoir, violence politique… Amara Lakhous ausculte sans complaisance les plaies d’une nation en quête d’un nouveau souffle. Un constat lucide et sans appel, qui sonne comme un appel à un sursaut collectif, seul à même de briser le cercle infernal de la « fertilité du mal ».
Oran, ville plurielle au cœur du récit
Dans « La Fertilité du mal », Oran n’est pas un simple décor, mais un personnage à part entière, qui imprègne chaque page du roman de sa présence vibrante et contrastée. Cité méditerranéenne au carrefour des cultures, marquée par des siècles de brassage et d’influences diverses, Oran incarne toute la complexité et la richesse de l’identité algérienne.
Amara Lakhous nous entraîne dans une déambulation passionnée à travers les rues et les quartiers de cette ville fascinante, de la place d’Armes au front de mer, en passant par le quartier de Sidi-el-Houari ou celui de Mdina-Jdida. Chaque lieu est porteur d’une histoire, d’une mémoire, d’un enchevêtrement de destins individuels et collectifs. L’auteur restitue avec une grande sensibilité l’atmosphère si particulière d’Oran, faite de lumière, de bruits, d’odeurs, de saveurs.
Mais au-delà de cette dimension sensorielle, c’est surtout la mosaïque humaine oranaise qu’Amara Lakhous s’attache à mettre en lumière. Oran apparaît comme un creuset où se côtoient et se mélangent des communautés diverses, héritières d’une longue tradition de coexistence et de métissage. Musulmans, juifs, chrétiens, Européens, autochtones… Tous ont contribué à façonner l’identité plurielle de la cité, lui donnant son visage unique et attachant.
Pourtant, cette harmonie fragile est sans cesse menacée par les soubresauts de l’Histoire, les déchirures de la colonisation, les violences de la guerre et les fractures de l’indépendance. « La Fertilité du mal » explore avec une grande finesse la manière dont ces blessures ont marqué la ville et ses habitants, créant des lignes de faille, des rancœurs et des malentendus qui continuent de peser sur le présent.
Car Oran est aussi le théâtre des drames et des espoirs de l’Algérie contemporaine, un miroir grossissant des enjeux qui traversent le pays tout entier. À travers le destin de ses personnages, Amara Lakhous nous invite à une réflexion sur l’identité, la mémoire, le vivre-ensemble, autant de questions qui résonnent bien au-delà des frontières de la cité.
Véritable actrice du récit, tour à tour enjôleuse et cruelle, lumineuse et sombre, Oran irradie de sa présence envoûtante chaque page de « La Fertilité du mal ». Par la grâce de son écriture ciselée, Amara Lakhous nous offre un portrait vibrant de cette cité plurielle, qui condense en elle toutes les contradictions et les promesses de l’Algérie. Une invitation à se plonger dans l’âme d’une ville-monde, à la découvrir dans toute sa complexité et sa beauté.

Une écriture entre polar et fresque historique
« La Fertilité du mal » se distingue par une écriture singulière, qui mêle avec brio les codes du roman policier et ceux de la fresque historique. Amara Lakhous joue avec les genres littéraires, brouillant les frontières, créant une œuvre hybride et inclassable qui captive le lecteur de la première à la dernière page.
L’intrigue s’ouvre sur un meurtre, celui de Miloud Sabri, ancien combattant de la guerre d’indépendance devenu un homme d’affaires influent. Ce crime sordide, avec son lot de secrets et de non-dits, sert de point de départ à une enquête haletante, menée tambour battant par le colonel Soltani. Rebondissements, fausses pistes, révélations… Tous les ingrédients du polar sont réunis pour tenir le lecteur en haleine.
Mais « La Fertilité du mal » ne se résume pas à une simple enquête criminelle. Au fil des pages, le récit s’étoffe, se ramifie, prend une ampleur inattendue. Car à travers la mort de Miloud Sabri, c’est toute l’histoire de l’Algérie qui se déploie, avec ses zones d’ombre et ses blessures enfouies. Le roman devient une véritable fresque historique, qui remonte aux origines du drame algérien, explorant les racines de la violence et les mécanismes de la tragédie.
Amara Lakhous alterne avec une grande maîtrise les temporalités et les points de vue, entrecroisant les destins individuels et la grande Histoire. Des maquis de la guerre d’indépendance aux coulisses du pouvoir contemporain, des années de plomb à l’aube incertaine du présent, il tisse une toile romanesque d’une rare densité, où chaque fil narratif apporte un éclairage nouveau sur le destin tourmenté de l’Algérie.
Cette construction ambitieuse est servie par une écriture ciselée, qui allie la tension du polar à la profondeur de l’analyse historique. La plume d’Amara Lakhous, tour à tour incisive et poétique, sait capter l’essence des êtres et des lieux, restituer la complexité des enjeux politiques et sociaux. Chaque phrase semble travaillée au scalpel, chaque mot choisi avec soin pour faire mouche, pour toucher au plus juste.
Au confluent du roman noir et de la saga historique, « La Fertilité du mal » impose par la force de son écriture une œuvre puissante et originale, qui renouvelle en profondeur notre regard sur l’Algérie et son histoire. Amara Lakhous signe un texte exigeant et envoûtant, qui happe le lecteur dans les méandres d’une intrigue à la mécanique parfaitement huilée, tout en l’entraînant dans une réflexion vertigineuse sur les tourments de son pays. Un ovni littéraire, qui bouscule les codes et repousse les frontières du genre, pour mieux toucher à l’universel.
Mots-clés : Algérie, Guerre d’indépendance, Mémoire, Polar, Pouvoir, Trahison, Résilience
Extrait Première Page du livre
» PROLOGUE
Jeudi 5 juillet 2018
3 h 35
Miloud Sabri sent le parfum du jasmin de nuit qui monte du jardin. Il est nu, étendu sur le lit. Il se lève, vif comme un chat, et ferme la porte-fenêtre du balcon, il fait un peu frais. Malgré une journée bien chargée, il ne ressent aucune fatigue, n’a pas sommeil. Les douleurs, qui lui tenaillent souvent le genou droit, sans prévenir, semblent l’avoir oublié. Il a une théorie à ce propos, elle lui revient : les douleurs articulaires ont un seul remède, être tranquille dans sa tête. Il en a essayé, des médicaments ! La seule explication qui tient la route à son sens, c’est que ces douleurs l’épargnent quand il est serein et lui pourrissent la vie quand il se fait du souci. Il maudit intérieurement les médecins qui lui conseillent de se faire opérer malgré le risque d’échec que cela comporte, ils ne sont pas directement concernés, eux, ce n’est pas leur genou qui est en jeu. Lui, ce pari il le refuse, il ne veut pas passer le restant de ses jours à boiter ou appuyé sur une canne. Il ne veut ni de la pitié des amis, ni des moqueries des ennemis. Un regret le titille : sans ce problème articulaire, sa santé serait parfaite, à donner en exemple. Il n’est pas comme la plupart des hommes de son âge, qui ont capitulé devant la vieillesse et la mort, ils attendent le repos éternel comme des moutons se laissent conduire à l’abattoir. Lui, par contre, se porte comme un charme, grâce à Dieu, et continue à profiter des fruits de la vie. C’est un affamé. Qui croirait qu’il a fêté, à peine un mois plus tôt, son quatre-vingtième anniversaire ?
Sacré bout de chemin ! Pourvu que Dieu nous garde du mauvais œil pour la suite.
Il glisse la pilule bleue au fond de sa bouche et la fait passer avec une gorgée d’eau. Il jette un regard accompagné d’un sourire coquin à son sexe, la belle bête se tient couchée entre ses cuisses. Il fixe le grand miroir plaqué au plafond et y contemple son corps nu au milieu du vaste lit. Il ne prête pas attention au ventre proéminent, aux muscles flasques ou aux cheveux blancs qui ont complètement envahi sa tête. «
- Titre : La Fertilité du mal
- Titre original : Tair al-lail
- Auteur : Amara Lakhous
- Éditeur : Actes Sud Actes Noirs
- Nationalité : Algérie
- Date de sortie : 2024

Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis une soixantaine d’années, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.