« Le serveur de Brick Lane » : un polar au cœur de l’identité bengalie à Londres

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Le serveur de Brick Lane de Ajay Chowdhury

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Le Serveur de Brick Lane : un polar au carrefour des cultures

Ajay Chowdhury, entrepreneur britannique d’origine indienne, livre avec « Le serveur de Brick Lane » un premier roman policier traduis en français, récompensé en 2019 par le Debut Crime Writing Award. Né à Londres et ayant grandi entre Calcutta et Bombay, l’auteur s’inspire de son expérience multiculturelle pour tisser une intrigue haletante au cœur de la communauté bengalie de l’East End londonien.

Le roman met en scène Kamil Rahman, un ancien inspecteur de police de Calcutta exilé à Londres suite à une sombre affaire. Désormais serveur au Tandoori Knights, le restaurant de ses amis Chatterjee sur Brick Lane, il se retrouve malgré lui plongé dans une enquête sur le meurtre de Rakesh Sharma, riche homme d’affaires et proche de la famille Chatterjee, survenu lors de la somptueuse fête d’anniversaire de ce dernier.

Kamil, tiraillé entre ses réflexes de policier et son statut précaire de serveur sans papiers, va devoir naviguer entre l’East End et les quartiers chics de Londres, entre la pression de la police et les secrets de la communauté indienne, pour tenter de faire éclater la vérité. Une vérité qui pourrait bien le ramener vers les fantômes de son passé à Calcutta.

Ajay Chowdhury signe un polar ambitieux et finement mené, qui explore avec justesse les thèmes de l’immigration, de l’identité et du déracinement. Portée par une écriture fluide et des personnages fouillés, cette première enquête de Kamil Rahman offre une plongée captivante dans le Londres multiculturel d’aujourd’hui, entre tradition et modernité, entre ombre et lumière.

Le serveur de Brick Lane est bien plus qu’un simple polar : c’est le portrait vibrant d’une communauté méconnue, un questionnement sur la place de l’individu entre deux cultures. Un premier roman (au moins 6 en langue anglaise) qui révèle un auteur à suivre de près, promis à un bel avenir dans la littérature policière.

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Le serveur de Brick Lane Ajay Chowdhury
The Spy Ajay Chowdhury
The Detective Ajay Chowdhury

Kamil Rahman, un héros atypique entre Calcutta et Londres

Au cœur du roman d’Ajay Chowdhury se trouve un personnage singulier et attachant : Kamil Rahman. Cet ancien inspecteur de police de Calcutta, contraint à l’exil après une enquête qui a mal tourné, se retrouve serveur sans papiers dans un restaurant indien de Brick Lane, le Tandoori Knights. Une situation précaire qui ne l’empêche pas de garder un regard acéré et un esprit vif, aiguisés par ses années passées dans la police.

Kamil est un héros atypique, tiraillé entre deux mondes et deux identités. D’un côté, ses origines bengalies et son passé à Calcutta, où il a grandi dans l’ombre de son père, un policier respecté. De l’autre, sa nouvelle vie à Londres, où il tente de se reconstruire tant bien que mal, nourrissant une relation complice avec Anjoli, la fille de ses patrons. C’est cette double culture qui fait la richesse et la complexité du personnage, lui permettant de naviguer entre les codes de la communauté indienne et ceux de la société britannique.

Mais Kamil est aussi un homme blessé, hanté par les fantômes de son passé. L’enquête qui a mal tourné à Calcutta et l’a poussé à l’exil le ronge de l’intérieur, tout comme sa rupture avec Maliha, son grand amour resté au pays. Ces fêlures font de lui un enquêteur d’autant plus acharné, déterminé à aller jusqu’au bout pour trouver la vérité et, d’une certaine manière, se racheter.

Car c’est bien malgré lui que Kamil se retrouve plongé au cœur d’une nouvelle affaire, quand Rakesh Sharma, un riche homme d’affaires proche de la famille Chatterjee, est assassiné lors de sa somptueuse fête d’anniversaire. Ses réflexes de policier refont surface, le poussant à mener l’enquête en parallèle de la police officielle. Une enquête semée d’embûches, qui va le confronter aux secrets et aux non-dits de la communauté indienne de Londres.

Ajay Chowdhury dresse le portrait tout en nuances d’un homme en quête de rédemption, qui doit composer avec son passé et son présent, ses origines et son nouveau pays. Kamil Rahman incarne avec justesse et humanité la figure de l’immigré, pris entre deux feux, cherchant sa place dans un monde qui n’est pas toujours tendre avec les déracinés. Un héros imparfait et d’autant plus touchant, qui apporte une profondeur et une originalité bienvenues au genre du polar.

La communauté bengalie de Brick Lane comme microcosme

Dans « Le serveur de Brick Lane », Ajay Chowdhury fait de la communauté bengalie de l’East End londonien bien plus qu’un simple décor : c’est un véritable microcosme, avec ses codes, ses traditions, ses secrets. Une communauté soudée et fière de ses origines, qui tente de préserver son identité dans une ville en constante évolution.

Brick Lane, avec ses restaurants indiens, ses épiceries exotiques et ses saris colorés, apparaît comme un petit bout de Bengale au cœur de Londres. C’est là que se concentre une grande partie de l’intrigue du roman, là que se nouent et se dénouent les destins des personnages. Le Tandoori Knights, le restaurant où travaille Kamil, devient le point névralgique de cette communauté, un lieu où se croisent toutes les générations, des anciens encore attachés à leurs racines aux jeunes tentant de se frayer un chemin entre tradition et modernité.

À travers le regard de Kamil, Ajay Chowdhury nous plonge dans les méandres de cette communauté, nous en révèle les rites et les hiérarchies. On y découvre les figures emblématiques, comme Rakesh Sharma, le riche homme d’affaires qui a réussi à force de travail et d’ambition, ou encore la famille Chatterjee, gardienne des traditions culinaires bengalies. Mais on y perçoit aussi les failles et les non-dits, les rivalités et les jalousies qui couvent sous la surface.

Car cette communauté en apparence si unie n’est pas exempte de conflits et de contradictions. Entre ceux qui ont réussi et ceux qui peinent à joindre les deux bouts, entre les partisans d’une intégration à la société britannique et ceux qui craignent de perdre leur identité, les lignes de fracture sont nombreuses. Des fractures que le meurtre de Rakesh Sharma, figure respectée et crainte, va faire remonter à la surface, obligeant chacun à confronter ses secrets et ses loyautés.

En faisant de Brick Lane le cœur battant de son intrigue, Ajay Chowdhury dresse le portrait sans concessions d’une communauté en proie aux doutes et aux déchirements. Une communauté qui, à l’image de son héros Kamil Rahman, cherche sa place dans un monde en mouvement, tiraillée entre le désir de préserver ses racines et la nécessité de s’adapter à son pays d’adoption. Un microcosme fascinant qui donne au roman une résonance universelle, bien au-delà de l’enquête policière.

L’enquête policière, fil rouge du récit

Si « Le serveur de Brick Lane » explore avec finesse les thèmes de l’identité et de l’immigration, il n’en reste pas moins un polar haletant, porté par une enquête policière qui tient le lecteur en haleine de la première à la dernière page. Le meurtre de Rakesh Sharma, riche homme d’affaires assassiné lors de sa somptueuse fête d’anniversaire, est le point de départ d’une investigation complexe qui va entraîner Kamil Rahman, ancien inspecteur de Calcutta devenu serveur, dans les méandres de la communauté bengalie de Londres.

L’enquête, menée de front par la police officielle et par Kamil, va peu à peu lever le voile sur les secrets et les non-dits qui rongent cette communauté en apparence si soudée. Chaque nouveau rebondissement, chaque indice dévoilé vient ébranler un peu plus l’ordre établi, révélant les failles des uns et des autres. Ajay Chowdhury manie avec brio les codes du polar, distillant les révélations au compte-gouttes, semant le doute dans l’esprit du lecteur qui, comme Kamil, ne sait plus à qui se fier.

Mais l’enquête est aussi pour Kamil un moyen de se racheter, de prouver à ses propres yeux qu’il est encore digne d’être policier malgré l’échec cuisant qui l’a conduit à l’exil. C’est une quête personnelle autant qu’une investigation criminelle, une façon pour lui de renouer avec son passé et ses valeurs. Chaque interrogatoire, chaque piste explorée le ramène un peu plus vers lui-même, vers les fantômes de Calcutta qu’il croyait avoir laissés derrière lui.

À travers cette enquête, Ajay Chowdhury nous entraîne dans une réflexion sur la justice, sur la frontière parfois ténue entre le bien et le mal. Kamil, en marge de la police officielle, doit sans cesse naviguer entre la loi et son sens moral, entre les procédures et son instinct. Une position inconfortable qui fait écho à sa situation d’immigré, pris entre deux mondes, deux systèmes de valeurs.

L’enquête policière est ainsi bien plus qu’un simple ressort narratif : c’est le fil rouge qui permet à Ajay Chowdhury de tisser une intrigue à la fois prenante et profonde, de lier les thèmes de l’identité, de l’immigration et de la rédemption. Un tour de force qui fait de « Le serveur de Brick Lane » un polar d’une richesse et d’une humanité rares, bien au-delà des clichés du genre.

Corruption et jeux de pouvoir, de Calcutta à Londres

Au fil de l’enquête menée par Kamil Rahman sur le meurtre de Rakesh Sharma, « Le serveur de Brick Lane » dévoile un monde où la corruption et les jeux de pouvoir règnent en maîtres, de Calcutta à Londres. Ajay Chowdhury lève le voile sur les dessous peu reluisants de la réussite, sur les compromissions et les trahisons qui se cachent derrière les success stories.

À Calcutta d’abord, où Kamil a dû fuir après avoir été mêlé à une sombre affaire qui a brisé sa carrière de policier. Une ville où les notions de justice et d’intégrité semblent bien fragiles face à l’appât du gain et aux pressions politiques. Une corruption endémique qui a laissé des traces profondes chez Kamil, déterminé à ne plus jamais se compromettre.

Mais Londres n’est pas en reste, comme le découvre Kamil en plongeant dans les secrets de la communauté bengalie. Derrière les fastes et les paillettes des fêtes de Rakesh Sharma se dessinent des enjeux de pouvoir et d’argent qui n’ont rien à envier à ceux de Calcutta. Des rivalités féroces, des alliances secrètes qui influent sur le cours de l’enquête, obligeant Kamil à naviguer en eaux troubles.

Car Rakesh Sharma lui-même, figure respectée et crainte de tous, n’est pas exempt de soupçons. Son ascension fulgurante, de petit immigré à richissime homme d’affaires, interroge. Quels deals, quels compromis a-t-il dû faire pour arriver au sommet ? Et si sa mort était liée à ces zones d’ombre, à ces secrets si bien gardés ?

Au-delà du cas Sharma, c’est toute la communauté bengalie de Londres qui semble gangrénée par ces jeux de pouvoir. Les influences, les pressions, les menaces qui pèsent sur Kamil tout au long de son enquête révèlent un monde où l’argent et le statut priment sur la vérité et la justice. Un constat amer pour cet homme intègre, qui croyait avoir laissé la corruption derrière lui en quittant Calcutta.

En mettant en lumière ces mécanismes de corruption et de domination, Ajay Chowdhury signe bien plus qu’un simple polar : c’est une critique acerbe des dérives du pouvoir, où qu’il se trouve. De Calcutta à Londres, « Le serveur de Brick Lane » nous rappelle que la justice et l’intégrité sont des combats de tous les instants, des valeurs à défendre envers et contre tout. Un message puissant porté par un héros qui, malgré ses doutes et ses blessures, refuse de renoncer.

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Les personnages féminins forts : Anjoli, Neha, Maliha

Dans « Le serveur de Brick Lane », Ajay Chowdhury ne se contente pas de mettre en scène un héros masculin. Il donne aussi une place de choix à des personnages féminins forts, qui apportent une profondeur et une complexité bienvenues à l’intrigue. Anjoli, Neha et Maliha, chacune à leur manière, incarnent des femmes résolues, indépendantes, prêtes à se battre pour leurs convictions.

Anjoli, la fille des patrons de Kamil au restaurant Tandoori Knights, est sans doute le personnage féminin le plus marquant du roman. Jeune femme pétillante et déterminée, tiraillée entre ses racines bengalies et son désir d’émancipation, elle devient rapidement l’alliée et la confidente de Kamil dans son enquête. Mais Anjoli est bien plus qu’un faire-valoir : elle a ses propres combats, ses propres désirs, et n’hésite pas à tenir tête à sa famille et aux traditions lorsqu’il le faut.

Neha, la jeune épouse de Rakesh Sharma, est un autre personnage féminin fort du roman. Malgré sa situation précaire – elle est soupçonnée du meurtre de son mari – elle fait preuve d’une résilience et d’un courage admirables. Refusant le rôle de victime, elle se bat pour prouver son innocence et préserver sa dignité, même lorsque tout semble jouer contre elle.

Enfin, Maliha, l’ex-fiancée de Kamil restée à Calcutta, est une présence en filigrane tout au long du récit. Avocate engagée, féministe convaincue, elle incarne une forme d’intégrité et de détermination qui a profondément marqué Kamil. Malgré la distance et les non-dits, elle reste pour lui un repère, un modèle de droiture dans un monde souvent corrompu.

À travers ces trois femmes, Ajay Chowdhury offre un contrepoint bienvenu aux personnages masculins du roman. Anjoli, Neha et Maliha ne sont pas de simples faire-valoir ou des objets de désir : elles ont leur propre agency, leur propre complexité. Elles se battent, chacune à leur niveau, contre les préjugés, les traditions étouffantes, les injustices. Elles apportent au récit une dimension féministe subtile mais essentielle.

Ces personnages féminins forts contribuent grandement à la richesse et à l’humanité du roman. Elles rappellent que, au-delà de l’enquête policière, « Le serveur de Brick Lane » est aussi un récit sur l’émancipation, sur la lutte des individus pour trouver leur place dans un monde souvent hostile. Un combat que mènent, avec autant de courage que Kamil, ces femmes déterminées à tracer leur propre voie.

Les thèmes de l’immigration et de l’identité

Au-delà de l’intrigue policière, « Le serveur de Brick Lane » explore avec finesse et humanité les thèmes de l’immigration et de l’identité. À travers le personnage de Kamil Rahman et la communauté bengalie de l’East End londonien, Ajay Chowdhury interroge la complexité de l’expérience immigrée, le déchirement entre deux cultures, deux mondes.

Kamil incarne parfaitement ce tiraillement : ancien policier à Calcutta, exilé à Londres après une enquête qui a mal tourné, il peine à trouver sa place dans cette ville qui n’est pas vraiment la sienne. Serveur dans un restaurant indien, il vit dans une sorte d’entre-deux, ni tout à fait bengali, ni tout à fait britannique. Une identité hybride, mouvante, qu’il questionne sans cesse au fil de l’intrigue.

Autour de lui, la communauté bengalie de Brick Lane fait face aux mêmes défis. Comment préserver ses racines, sa culture, dans un pays qui n’est pas celui de ses ancêtres ? Comment s’intégrer sans se renier ? Ces questions résonnent chez tous les personnages, des plus âgés, attachés aux traditions, aux plus jeunes, tentés par une occidentalisation parfois mal vécue par leurs aînés.

À travers ces parcours multiples, Ajay Chowdhury nous offre une réflexion nuancée sur l’immigration, loin des clichés et des stéréotypes. Il montre la richesse et la complexité de ces identités plurielles, les joies et les peines de ces vies partagées entre deux horizons. Il révèle aussi les tensions, les incompréhensions qui peuvent naître de cette situation, les préjugés qui persistent de part et d’autre.

Mais « Le serveur de Brick Lane » est aussi un beau message d’espoir. Par sa ténacité, son humanité, Kamil prouve qu’il est possible de concilier les différentes facettes de son identité, d’être à la fois fier de ses racines et ouvert sur le monde. Un message résumé avec poésie par son père, qui le compare au Victoria Memorial de Calcutta : un garçon qui a reçu une éducation anglaise, bengalie et musulmane. Une richesse plutôt qu’un handicap, pour peu qu’on sache en faire une force.

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L’humour et l’ironie, contrepoints à un récit sombre

Malgré la noirceur de son intrigue – un meurtre sordide sur fond de corruption et de jeux de pouvoir – « Le serveur de Brick Lane » est aussi un roman plein d’humour et d’ironie. Ajay Chowdhury réussit le tour de force d’introduire des notes de légèreté dans un récit par ailleurs très sombre, offrant ainsi au lecteur des respirations bienvenues.

Cet humour est porté en grande partie par le personnage de Kamil Rahman. Malgré les épreuves qu’il traverse, l’ancien policier devenu serveur garde un regard amusé et parfois cinglant sur le monde qui l’entoure. Ses commentaires intérieurs, souvent pleins d’autodérision, apportent une touche de fraîcheur au récit. Qu’il s’agisse de ses déboires avec son uniforme de serveur, de ses tentatives maladroites pour séduire ou de ses réflexions sur la communauté bengalie, Kamil fait preuve d’un humour constant, comme une armure face à l’adversité.

L’ironie est une autre arme majeure d’Ajay Chowdhury. Tout au long du roman, il s’amuse à déconstruire les clichés et les stéréotypes, qu’ils concernent la communauté indienne, le monde des affaires ou celui de la police. Les personnages secondaires, souvent hauts en couleur, sont autant de miroirs déformants qui renvoient une image volontairement exagérée, presque caricaturale, de la réalité. Une manière pour l’auteur de souligner, non sans malice, les travers et les absurdités de notre société.

Cette ironie mordante s’exprime aussi à travers les situations dans lesquelles se retrouve Kamil. Lui qui était un brillant policier à Calcutta se retrouve à servir des « amuse-gueules » à des millionnaires capricieux, à gérer les egos surdimensionnés de ses clients tout en essayant de résoudre un meurtre. Un décalage constant entre ses aspirations et sa réalité, source de nombreux quiproquos et situations cocasses.

Mais cet humour n’est jamais gratuit. Il est aussi une façon pour les personnages, et en particulier pour Kamil, de garder une forme de dignité et de recul face à des situations souvent douloureuses ou injustes. Rire pour ne pas sombrer, ironiser pour mieux dénoncer : c’est la stratégie choisie par Ajay Chowdhury pour aborder des sujets graves sans pour autant se complaire dans le pathos ou le misérabilisme. Une preuve supplémentaire de la grande humanité qui traverse ce roman, jusque dans ses pages les plus sombres.

Le style fluide et les descriptions riches d’Ajay Chowdhury

Au-delà de ses qualités en termes d’intrigue et de personnages, « Le serveur de Brick Lane » séduit aussi par la plume élégante et maîtrisée d’Ajay Chowdhury. Tout au long du roman, l’auteur fait preuve d’un style fluide et enlevé, qui entraîne le lecteur sans effort au cœur de l’histoire. Les phrases s’enchaînent avec naturel, le rythme est soutenu sans être haletant, les dialogues sonnent juste : on sent que l’auteur a un véritable sens de la narration, un « flow » qui rend la lecture particulièrement agréable.

Mais la grande force d’Ajay Chowdhury, c’est aussi son sens du détail, sa capacité à rendre palpable l’univers qu’il décrit. Ses descriptions de Londres, et en particulier de Brick Lane, sont d’une richesse et d’une précision remarquables. En quelques phrases, il parvient à restituer l’atmosphère unique de ce quartier, mélange de traditions bengalies et de bouillonnement londonien. Les couleurs, les odeurs, les saveurs : tout est convoqué pour plonger le lecteur dans cet environnement si particulier.

Il en va de même pour les personnages. Chowdhury a le don de les croquer en quelques mots, de leur donner vie et consistance par petites touches. Un geste, une expression, un tic de langage : chaque détail compte, chaque détail dit quelque chose de la psychologie, de l’histoire, des émotions des protagonistes. C’est particulièrement vrai pour Kamil Rahman, le héros du roman : au fil des pages, on a vraiment l’impression de le connaître, de comprendre ses doutes, ses colères, ses espoirs.

Cette richesse descriptive ne se fait jamais au détriment du rythme ou de l’intrigue. C’est là toute la force de l’écriture d’Ajay Chowdhury : sa capacité à mêler avec fluidité narration et description, action et introspection. Chaque scène, chaque dialogue semble couler de source, comme une évidence. Une écriture limpide qui sait se faire oublier pour mieux servir l’histoire et les personnages.

On sent, derrière cette maîtrise stylistique, le parcours atypique de l’auteur. Son expérience de la scène, son regard aiguisé par ses origines multiples : tout cela nourrit son écriture, lui donne une couleur et une saveur uniques. Ajay Chowdhury n’est pas un écrivain comme les autres, et cela se ressent à chaque page. Il y a dans sa plume une forme de générosité, un plaisir de raconter et de faire vivre qui fait de « Le serveur de Brick Lane » un roman aussi plaisant à lire qu’il est riche et profond.

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Le mot de la fin : un polar multiculturel brillant et prometteur

Avec « Le serveur de Brick Lane », Ajay Chowdhury signe un premier roman (en français) d’une grande richesse, qui s’impose d’emblée comme une référence dans le genre du polar multiculturel. Par son intrigue finement ficelée, ses personnages nuancés et attachants, son écriture fluide et généreuse, ce livre s’affirme comme bien plus qu’un simple thriller : c’est une véritable plongée dans le Londres d’aujourd’hui, avec ses communautés bigarrées, ses conflits identitaires, ses richesses et ses zones d’ombre.

En créant le personnage de Kamil Rahman, ancien policier de Calcutta devenu serveur à Londres, Ajay Chowdhury apporte un regard neuf et original sur la question de l’immigration et de l’intégration. À travers les yeux de ce héros atypique, tiraillé entre deux cultures, deux systèmes de valeurs, c’est toute la complexité de l’expérience immigrée qui se dévoile, avec ses joies et ses peines, ses espoirs et ses désillusions. Une expérience incarnée avec justesse et humanité, loin des clichés et des stéréotypes.

Mais « Le serveur de Brick Lane » est aussi un polar de haute volée, qui tient en haleine le lecteur de la première à la dernière page. Meurtres, secrets de famille, corruption : tous les ingrédients du genre sont là, maniés avec brio par un auteur qui maîtrise parfaitement ses effets. Ajay Chowdhury réussit le tour de force de nous entraîner dans une enquête haletante sans jamais perdre de vue la dimension humaine et sociale de son récit. C’est tout l’art d’un grand conteur, capable de mêler avec fluidité le divertissement et la réflexion.

Avec ce premier roman, Ajay Chowdhury s’impose donc comme une voix singulière et prometteuse, un auteur à suivre de très près. On sent, derrière chaque page, une vraie générosité, un plaisir de raconter et de partager qui fait la richesse de ce livre. Une générosité qui se reflète aussi dans la galerie de personnages secondaires hauts en couleur, dans ces portraits de femmes fortes et indépendantes, dans cet humour subtil qui vient contrebalancer la noirceur de l’intrigue.

« Le serveur de Brick Lane » est de ces livres qui vous marquent longtemps après les avoir refermés. Par la justesse de son regard sur notre société, par la finesse de son écriture, par l’humanité qui s’en dégage à chaque page, il s’impose comme bien plus qu’un simple polar : c’est une vraie réussite littéraire, un roman aussi intelligent que captivant. Un coup de maître pour ce jeune auteur qui, on l’espère, continuera longtemps à nous surprendre et à nous émouvoir. La naissance d’un grand nom du polar, assurément.

Mots-clés : Polar, Immigration, Identité, Communauté bengalie, Londres


Extrait Première Page du livre

 » Dans l’obscurité de la voiture, la voix de Neha rompt le silence.

– Revenez, j’ai besoin d’aide ! Il est mort !

– Qui est mort ? s’écrie Saibal. Qu’est-ce que…

Mais elle a raccroché.

Saibal me jette un regard consterné, opère un virage à cent quatre-vingts degrés et fend la pluie battante jusqu’à Hampstead où nous arrivons en un temps record. Il pile et se retourne : sa fille somnole, ivre, sur la banquette arrière. Il fourre les clefs de la Volvo dans les mains de Maya.

– Ramène Anjoli à la maison, lui dit-il. Kamil, tu restes avec moi.

Sourd aux protestations de sa femme, Saibal la fait monter derrière le volant et regarde la voiture s’éloigner. Il s’empresse de me rejoindre sous le porche et appuie sur la sonnette, clignant des yeux pour chasser la pluie.

Arjun nous ouvre la porte, le visage figé.

– C’est vous. Je pensais que ce serait la police.

Sa veste dégouline, mais il ne semble pas s’en soucier. Est-il resté longtemps dehors pour être trempé à ce point ?

Sans attendre, Saibal s’introduit dans le hall.

– Que s’est-il passé ? demande-t-il.

– Neha a trouvé Papa dans la piscine. Il est… mort. Elle a voulu absolument vous appeler. J’ai prévenu la police ; ils devraient arriver d’une minute à l’autre.

Dans le salon, Neha est en pleurs, le visage enfoui dans les mains. En entendant la voix de Saibal, elle se précipite dans ses bras et se cramponne à lui comme si elle était au bord de la noyade.

– Ça va aller, Neha, ça va aller, fait-il d’une voix émue. Dis-moi juste ce qui s’est passé.

– Rakesh… un terrible accident…, articule-t-elle entre deux sanglots.

– Allez, montre-moi, dit Saibal d’un ton décidé. Tara tari !

– Je… je ne me sens pas capable d’y retourner. Arjun, s’il te plaît… implore-t-elle.

Son beau-fils a un brusque hochement de tête et nous le suivons dans l’escalier carrelé menant au sous-sol. Nous sommes bientôt enveloppés d’une humidité chaude et chlorée. Par terre, au bord de la piscine, gît le corps inerte de Rakesh Sharma, cheveux et vêtements trempés.

On pourrait le croire endormi s’il n’avait pas cette vilaine blessure à la tête. Son sang forme des entrelacs pourpres sur les dalles blanches. Les traits de son visage sont paisibles ; la fureur qui les déformait la dernière fois que nos regards se sont croisés a disparu.

Une image me revient brusquement en mémoire. Le cadavre nu de l’hôtel. Son crâne, lui aussi fracassé. Mais avec plus de sang. Beaucoup plus. Un frisson me traverse. Non, il ne faut plus y penser. C’était une autre époque, un autre monde. Je ne suis plus la même personne. Je ne suis plus officier de police. Je dois faire face au présent, à ce cadavre-ci. Le passé devra attendre. « 


  • Titre : Le serveur de Brick Lane
  • Titre original : The Waiter
  • Auteur : Ajay Chowdhury
  • Éditeur : Éditions Liana Levi
  • Nationalité : Inde
  • Date de sortie : 2021

Page Officielle : ajaychowdhury.com


Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis une soixantaine d’années, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.


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