Entre absurde et réalisme : L’héritage littéraire de « La Promesse » de Dürrenmatt

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La Promesse de Friedrich Dürrenmatt

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Introduction : Présentation de l’œuvre et de son contexte

« La Promesse » de Friedrich Dürrenmatt, publié en France en 1959, est une œuvre marquante qui a profondément influencé le genre du roman policier. Ce livre, sous-titré « Requiem pour le roman policier », se présente comme une critique acerbe des conventions du genre tout en offrant une réflexion profonde sur la nature de la justice et les limites de la raison humaine.

L’histoire de ce roman est intimement liée à celle du cinéma. À l’origine, Dürrenmatt avait été sollicité pour écrire un scénario de film sur les crimes sexuels commis sur des enfants, un sujet d’une brûlante actualité à l’époque. Ce projet cinématographique, intitulé « Ça s’est passé en plein jour », a été réalisé par Ladislas Vajda en 1958. Insatisfait des contraintes imposées par le format cinématographique, Dürrenmatt a ensuite décidé de reprendre et d’approfondir son histoire pour en faire un roman.

Le contexte de l’écriture de « La Promesse » est celui de la Suisse des années 1950, une société en apparence ordonnée et paisible, mais qui cache des tensions et des drames sous sa surface lisse. Dürrenmatt, écrivain suisse de langue allemande, était connu pour son regard critique et souvent satirique sur la société de son époque. Avec ce roman, il s’attaque non seulement aux conventions littéraires, mais aussi à l’image de perfection que la Suisse cherchait à projeter.

L’intrigue du roman tourne autour du commissaire Matthias, qui fait la promesse à une mère éplorée de retrouver l’assassin de sa fille. Cette promesse devient une obsession qui le conduit à remettre en question les méthodes traditionnelles d’enquête et, finalement, à sombrer dans la folie. À travers ce personnage, Dürrenmatt explore les limites de la rationalité face à l’absurdité du monde.

« La Promesse » se distingue par sa structure narrative complexe. Le récit principal est encadré par une conversation entre un écrivain et un ancien commandant de police, créant ainsi une mise en abyme qui permet à Dürrenmatt de commenter et de critiquer les conventions du roman policier tout au long de l’œuvre. Cette structure novatrice pour l’époque contribue à la dimension métafictionnelle du roman.

En publiant « La Promesse », Dürrenmatt s’inscrit dans un mouvement plus large de remise en question des genres littéraires traditionnels. Le roman noir américain avait déjà commencé à ébranler les certitudes du polar classique, mais Dürrenmatt va plus loin en confrontant directement les attentes du lecteur et en refusant de fournir la résolution satisfaisante typique du genre.

L’impact de « La Promesse » sur la littérature policière a été considérable. En remettant en question les fondements mêmes du genre, Dürrenmatt a ouvert la voie à une approche plus complexe et plus philosophique du roman policier. Son influence se fait encore sentir aujourd’hui dans les œuvres qui utilisent le cadre du polar pour explorer des questions existentielles et sociales plus larges.

Ainsi, « La Promesse » se présente non seulement comme un roman policier atypique, mais aussi comme une œuvre littéraire majeure qui transcende les frontières du genre. À travers l’histoire d’une enquête vouée à l’échec, Dürrenmatt nous invite à réfléchir sur la nature de la vérité, de la justice et de la raison humaine face à un monde souvent absurde et imprévisible.

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L’intrigue principale : Un meurtre d’enfant non résolu

L’intrigue principale de « La Promesse » s’articule autour d’un crime odieux : le meurtre d’une jeune fille nommée Gretl Moser. Ce crime, brutal et inexplicable, secoue la tranquillité apparente d’une petite communauté suisse, servant de catalyseur à une enquête qui va bien au-delà d’une simple affaire policière.

Le commissaire Matthias, figure centrale du roman, est appelé sur les lieux du crime. La scène est décrite avec une précision clinique qui contraste avec l’horreur de l’acte : le corps d’une petite fille en robe rouge gît dans les bois, victime d’une violence inouïe. Cette image, d’une cruauté insoutenable, marque profondément Matthias et devient le point de départ de son obsession.

Face aux parents endeuillés, en particulier à la mère de la victime, Matthias fait une promesse solennelle : il retrouvera l’assassin, coûte que coûte. Cette promesse, faite dans un moment d’émotion intense, devient le moteur de l’intrigue et le fardeau que Matthias portera tout au long du récit. Elle représente non seulement un engagement professionnel, mais aussi un pacte moral qui lie le commissaire à la quête de justice.

L’enquête initiale semble aboutir rapidement avec l’arrestation d’un suspect : un colporteur au passé trouble. Sous la pression de l’interrogatoire, l’homme avoue le crime et se suicide dans sa cellule. Pour la plupart, l’affaire est close. Mais Matthias, mû par une intuition inexplicable, refuse d’accepter cette résolution trop simple.

Convaincu que le véritable meurtrier court toujours, Matthias s’engage dans une quête obsessionnelle pour découvrir la vérité. Il élabore une théorie complexe basée sur un dessin d’enfant et sur l’idée que l’assassin est un prédateur en série qui cible spécifiquement des petites filles aux caractéristiques similaires à celles de Gretl Moser.

Pour tenter de piéger le tueur, Matthias met en place un plan audacieux et moralement discutable. Il utilise une petite fille, Annemarie, comme appât, l’exposant potentiellement au danger dans l’espoir d’attirer le meurtrier. Cette décision controversée illustre jusqu’où Matthias est prêt à aller pour tenir sa promesse, brouillant les frontières entre justice et obsession.

Cependant, malgré tous ses efforts et ses sacrifices, y compris l’abandon de sa carrière et de sa vie personnelle, Matthias ne parvient pas à résoudre l’énigme. Le meurtre de Gretl Moser reste non résolu, défiant la logique et les méthodes d’investigation conventionnelles. Cette absence de résolution est au cœur du propos de Dürrenmatt : dans la réalité, contrairement aux romans policiers classiques, les crimes ne sont pas toujours élucidés, et la justice n’est pas toujours rendue.

L’intrigue se conclut sur une note profondément pessimiste. Matthias, consumé par son échec, sombre dans la folie et l’alcoolisme. La promesse qu’il a faite, loin d’apporter la justice et la paix, n’a servi qu’à le détruire. Le meurtre de Gretl Moser reste une plaie ouverte, un rappel cruel de l’impuissance humaine face à la brutalité aléatoire du monde.

Ainsi, à travers cette intrigue d’un meurtre non résolu, Dürrenmatt ne se contente pas de subvertir les conventions du roman policier. Il offre une réflexion profonde sur la nature de la justice, les limites de la raison humaine, et l’absurdité d’un monde où le mal peut triompher sans explication ni conséquence.

Le personnage central : Le commissaire Matthias et sa promesse

Le commissaire Matthias est le personnage central de « La Promesse », et c’est à travers son évolution que Dürrenmatt explore les thèmes principaux du roman. Au début de l’histoire, Matthias nous est présenté comme un policier exemplaire, respecté et admiré pour son intelligence et son dévouement. Surnommé « la Cuirasse » pour son impassibilité et son professionnalisme, il incarne l’archétype du détective rationnel et méthodique.

La rencontre de Matthias avec le meurtre de Gretl Moser marque un tournant décisif dans sa vie. Face à la douleur des parents de la victime, en particulier celle de la mère, Matthias fait une promesse solennelle : il retrouvera l’assassin, quoi qu’il en coûte. Cette promesse, faite dans un moment d’émotion intense, devient le moteur de ses actions et le définit pour le reste du roman.

Initialement, Matthias aborde l’enquête avec ses méthodes habituelles, rationnelles et systématiques. Cependant, alors que l’affaire semble résolue avec l’arrestation et le suicide d’un suspect, le commissaire est assailli par le doute. Son intuition, en contradiction avec les preuves apparentes, le pousse à remettre en question la solution facile. C’est à ce moment que commence véritablement la transformation de Matthias.

Obsédé par sa promesse et convaincu que le véritable coupable court toujours, Matthias s’engage dans une quête qui le mène bien au-delà des limites de son devoir professionnel. Il abandonne sa carrière prometteuse, refuse une promotion à l’étranger, et consacre sa vie entière à la résolution de cette unique affaire. Ce faisant, il passe d’un détective rationnel à un homme consumé par une obsession qui frôle la folie.

La détermination de Matthias le conduit à des actions de plus en plus discutables sur le plan éthique. Il met en place un piège élaboré, utilisant une jeune fille comme appât pour attirer le meurtrier présumé. Cette décision révèle à quel point sa promesse a pris le pas sur son jugement moral, illustrant la transformation profonde du personnage.

Au fil du temps, alors que son plan ne donne aucun résultat, Matthias commence à se décomposer psychologiquement. Il sombre dans l’alcoolisme, néglige son apparence, et s’isole de plus en plus. Sa quête obsessionnelle de justice se transforme en une spirale autodestructrice, reflétant l’absurdité de sa situation.

La tragédie de Matthias réside dans son incapacité à accepter que certains crimes puissent rester non résolus. Sa promesse, née d’un sentiment noble, devient une chaîne qui l’enchaîne à une quête sans fin. Il incarne la tension entre l’idéal de justice absolue et la réalité imparfaite du monde.

Finalement, Matthias devient une figure pathétique, un homme brisé par sa propre obstination. Son échec n’est pas seulement professionnel, mais existentiel. Il représente la futilité des efforts humains face à un univers indifférent et parfois cruellement aléatoire.

À travers le personnage de Matthias, Dürrenmatt offre une critique poignante non seulement des conventions du roman policier, mais aussi de la foi aveugle en la raison et la justice. Le commissaire, initialement symbole de l’ordre et de la logique, finit par incarner les limites de la rationalité humaine face à l’absurdité du monde. Sa promesse, loin d’être un acte héroïque, devient le symbole de la vanité des certitudes humaines.

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La structure narrative : Un récit dans le récit

« La Promesse » de Friedrich Dürrenmatt se distingue par sa structure narrative complexe et innovante. L’auteur emploie une technique de mise en abyme, créant un récit enchâssé qui ajoute de la profondeur et de la complexité à l’histoire principale.

Le roman s’ouvre sur un cadre narratif : un écrivain de romans policiers, qui n’est jamais nommé, voyage en Suisse pour donner une conférence sur l’art d’écrire des romans policiers. Lors de son voyage de retour, il rencontre un ancien commandant de la police cantonale de Zurich, le Dr. H. Cette rencontre fortuite devient le point de départ du véritable récit.

Le Dr. H., mécontent de la vision idéalisée du travail policier présentée par l’écrivain lors de sa conférence, décide de lui raconter une histoire vraie. Cette histoire, celle du commissaire Matthias et de sa promesse non tenue, constitue le cœur du roman. Ainsi, le lecteur est invité à suivre non seulement l’enquête de Matthias, mais aussi la conversation entre l’écrivain et le Dr. H.

Cette structure de récit dans le récit permet à Dürrenmatt de jouer sur plusieurs niveaux narratifs. Le Dr. H. n’est pas un simple narrateur ; il commente l’histoire qu’il raconte, offrant ses propres réflexions sur les événements et les personnages. Ces commentaires servent souvent à critiquer les conventions du roman policier traditionnel, soulignant l’écart entre la fiction et la réalité du travail policier.

De plus, cette structure permet à l’auteur d’introduire des éléments de suspense et de doute. Le lecteur est constamment ramené au présent de la narration, rappelant que l’histoire est racontée rétrospectivement par quelqu’un qui en connaît déjà l’issue. Cela crée une tension entre ce que le lecteur sait (ou croit savoir) et ce qui va effectivement se passer.

L’utilisation de ce cadre narratif permet également à Dürrenmatt d’explorer la nature même de la narration et de la vérité. Le Dr. H. raconte l’histoire de Matthias, mais jusqu’à quel point est-il un narrateur fiable ? Ses propres préjugés et opinions influencent-ils son récit ? Ces questions ajoutent une couche supplémentaire de complexité à l’histoire.

La structure en récit enchâssé sert aussi à mettre en lumière le thème central du roman : l’écart entre la fiction policière et la réalité du crime. L’écrivain, représentant de la fiction policière traditionnelle, est confronté à une histoire qui défie toutes les conventions du genre. Cette confrontation devient elle-même un élément de l’intrigue.

Vers la fin du roman, la structure narrative prend une nouvelle dimension. Le Dr. H. révèle des informations qui changent complètement la perception de l’histoire. Ce twist narratif remet en question tout ce que le lecteur pensait savoir, illustrant de manière frappante l’impossibilité d’une vérité absolue dans les affaires criminelles.

En conclusion, la structure narrative de « La Promesse » est bien plus qu’un simple artifice littéraire. Elle est intrinsèquement liée au message du roman, renforçant la critique de Dürrenmatt envers les conventions du genre policier et sa réflexion sur la nature de la vérité et de la justice. Cette structure complexe fait de « La Promesse » non seulement un excellent roman policier, mais aussi une œuvre métafictionnelle sophistiquée qui interroge les fondements mêmes du genre.

La critique du roman policier traditionnel

« La Promesse » de Friedrich Dürrenmatt se présente comme une critique acerbe et sans concession du roman policier traditionnel. Dès le sous-titre de l’œuvre, « Requiem pour le roman policier », l’auteur annonce clairement son intention de remettre en question les conventions du genre.

Au cœur de cette critique se trouve le rejet de la logique implacable et de la résolution systématique qui caractérisent généralement les romans policiers classiques. Dürrenmatt confronte ses lecteurs à une réalité bien plus complexe et chaotique, où les enquêtes ne se déroulent pas toujours selon un schéma prévisible et où les crimes ne sont pas toujours résolus.

L’auteur s’attaque particulièrement à l’idée que le détective, par sa seule intelligence et sa méthode, peut invariablement résoudre l’énigme qui lui est présentée. Dans « La Promesse », le commissaire Matthias, malgré toute sa compétence et sa détermination, se trouve impuissant face à un crime qui défie la logique. Cette impuissance du protagoniste remet en question l’archétype du détective omniscient et infaillible.

Dürrenmatt critique également la structure narrative habituelle du roman policier, où tous les éléments s’emboîtent parfaitement pour aboutir à une résolution satisfaisante. Dans son œuvre, il introduit le hasard et l’absurde comme facteurs déterminants, soulignant ainsi l’impossibilité de tout contrôler ou de tout prévoir dans une enquête réelle.

La notion de justice, centrale dans le roman policier traditionnel, est elle aussi remise en question. Alors que le genre promet généralement une résolution où le bien triomphe du mal, « La Promesse » présente un monde où la justice peut être frustrée par des circonstances aléatoires, où le coupable peut échapper à la punition non par ruse, mais par simple coup du sort.

L’auteur s’en prend aussi à la simplification excessive des motivations psychologiques des personnages dans les romans policiers classiques. Il présente des personnages complexes, avec des motivations ambiguës, remettant en question l’idée que le crime puisse toujours s’expliquer par une logique simple et compréhensible.

La structure même du livre, avec son récit enchâssé, permet à Dürrenmatt de commenter directement les conventions du genre. À travers les discussions entre le Dr. H. et l’écrivain de romans policiers, il expose et critique ouvertement les artifices utilisés dans la fiction policière.
Dürrenmatt va jusqu’à remettre en question la valeur morale du roman policier traditionnel. Il suggère que ces récits, en présentant un monde où la justice triomphe toujours, peuvent donner une fausse image de la réalité et créer des attentes irréalistes quant à l’efficacité de la justice et de la police.

Enfin, « La Promesse » critique l’aspect divertissant et parfois superficiel du roman policier classique. En présentant une histoire sombre, sans résolution satisfaisante, Dürrenmatt refuse de faire de la criminalité un simple jeu intellectuel ou un divertissement léger. Il force le lecteur à confronter la réalité brutale et souvent inexplicable du crime.

En somme, à travers « La Promesse », Dürrenmatt ne se contente pas de subvertir les codes du roman policier, il les déconstruit entièrement. Il propose une vision plus réaliste, plus complexe et ultimement plus dérangeante du crime et de l’enquête policière, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle approche du genre, plus en phase avec les incertitudes et les ambiguïtés du monde moderne.

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Les thèmes principaux

« La Promesse » de Friedrich Dürrenmatt explore plusieurs thèmes fondamentaux qui s’entrelacent tout au long du récit, offrant une réflexion profonde sur la condition humaine et la nature de la société.

L’obsession est un thème central du roman, incarné principalement par le commissaire Matthias. Sa promesse de retrouver l’assassin devient une quête obsessionnelle qui consume sa vie entière. Cette obsession illustre la façon dont un engagement, même né de bonnes intentions, peut devenir destructeur lorsqu’il est poussé à l’extrême. Dürrenmatt explore les conséquences psychologiques et sociales d’une telle fixation, montrant comment elle peut mener à l’isolement et, finalement, à la perte de soi.

La justice, ou plutôt l’impossibilité d’une justice parfaite, est un autre thème majeur de l’œuvre. Le roman remet en question l’idée que la justice peut toujours être rendue, que chaque crime peut être résolu. À travers l’échec de Matthias, Dürrenmatt suggère que la quête de justice absolue peut être vaine face à la complexité et à l’imprévisibilité du monde réel. Il invite le lecteur à réfléchir sur la nature même de la justice et sur les limites des systèmes mis en place pour la faire respecter.

Le hasard et la fatalité jouent un rôle crucial dans « La Promesse ». Dürrenmatt introduit des événements aléatoires qui viennent perturber le cours de l’enquête et remettre en question l’idée d’un monde ordonné et prévisible. Cette exploration du rôle du hasard dans nos vies souligne l’impuissance de l’homme face à certaines forces qui le dépassent, remettant en question la notion de contrôle que nous pensons avoir sur nos destins.

La raison et ses limites constituent également un thème important. Matthias, initialement présenté comme l’incarnation de la logique et de la méthode, se trouve confronté à une situation qui défie toute rationalité. Cette confrontation entre la raison humaine et l’irrationalité du monde est au cœur de la réflexion philosophique proposée par Dürrenmatt.

Le roman aborde aussi le thème de la responsabilité, tant personnelle que sociétale. La promesse de Matthias soulève des questions sur la nature de nos engagements et sur les conséquences de nos actions. De plus, la manière dont la société réagit au crime et traite ses victimes est scrutée à travers le prisme de cette enquête impossible.

La vérité et l’illusion sont des thèmes récurrents. Dürrenmatt joue constamment avec la perception du lecteur, brouillant les frontières entre ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. Il remet en question notre capacité à appréhender la vérité, suggérant que celle-ci peut être insaisissable, voire inexistante dans certains cas.

Enfin, le roman explore le thème de la folie et de la santé mentale. La descente de Matthias dans l’obsession et éventuellement dans la folie pose des questions sur la frontière ténue entre détermination et délire, entre engagement professionnel et perte de soi.

À travers ces thèmes interconnectés, « La Promesse » offre une méditation complexe sur la condition humaine. Dürrenmatt nous invite à remettre en question nos certitudes, à reconnaître les limites de notre compréhension du monde et à accepter l’existence de l’inexplicable et de l’imprévisible dans nos vies. Ce faisant, il transforme ce qui aurait pu n’être qu’un simple roman policier en une œuvre philosophique profonde et troublante.

Le style de Dürrenmatt : Entre réalisme et absurde

Le style de Friedrich Dürrenmatt dans « La Promesse » se caractérise par un équilibre subtil entre le réalisme cru et l’absurde, créant une tension narrative unique qui maintient le lecteur en constant déséquilibre. Cette approche stylistique sert parfaitement le propos de l’auteur, qui cherche à remettre en question les conventions du roman policier tout en offrant une réflexion profonde sur la nature de la réalité et de la justice.

Dürrenmatt ancre son récit dans un cadre réaliste, décrivant avec précision les paysages suisses, les procédures policières et les interactions sociales. Ses descriptions sont souvent détaillées et objectives, donnant au lecteur l’impression d’observer les événements à travers un regard clinique. Cette approche réaliste confère une crédibilité à l’histoire et permet au lecteur de s’identifier aux personnages et à leurs dilemmes.

Cependant, l’auteur introduit progressivement des éléments absurdes qui viennent perturber ce réalisme initial. Ces éléments peuvent prendre la forme d’événements improbables, de coïncidences étranges ou de comportements irrationnels des personnages. Par exemple, l’obstination du commissaire Matthias à poursuivre son enquête bien au-delà du raisonnable frôle l’absurde, tout en restant ancrée dans une réalité psychologique crédible.

Le langage de Dürrenmatt oscille entre la précision factuelle et une certaine poésie de l’absurde. Il peut passer d’une description minutieuse d’une scène de crime à des réflexions philosophiques presque surréalistes sur la nature du mal ou le rôle du hasard dans nos vies. Cette juxtaposition crée un effet de décalage qui maintient le lecteur en alerte, l’empêchant de se complaire dans une lecture passive.

L’ironie est un autre outil stylistique important dans l’arsenal de Dürrenmatt. Il l’utilise pour souligner les contradictions entre les attentes des personnages (et du lecteur) et la réalité de la situation. Cette ironie se manifeste souvent dans les dialogues, où les personnages peuvent exprimer des vérités profondes de manière apparemment désinvolte ou naïve.

La structure narrative elle-même participe à ce mélange de réalisme et d’absurde. Le récit enchâssé, avec ses multiples niveaux de narration, crée une distance qui permet à l’auteur de commenter l’action de manière méta-narrative, ajoutant une couche supplémentaire de complexité et d’ambiguïté au récit.

Dürrenmatt utilise également des répétitions et des motifs récurrents qui donnent au texte une qualité presque onirique. La récurrence de certains éléments (comme la robe rouge de la victime ou les truffes en chocolat) crée un sentiment de déjà-vu qui contribue à l’atmosphère étrange et légèrement dérangeante du roman.

Le traitement du temps dans le roman est un autre aspect du style de Dürrenmatt qui mérite d’être souligné. Il alterne entre des descriptions très précises, presque minute par minute, et des ellipses temporelles importantes, créant un rythme irrégulier qui reflète la perception altérée du temps par le protagoniste obsédé.

Enfin, le style de Dürrenmatt se caractérise par sa capacité à maintenir une tension constante entre le tragique et le comique. Même dans les moments les plus sombres du récit, il parvient à introduire des touches d’humour noir qui soulignent l’absurdité de la situation sans pour autant diminuer son impact émotionnel.

En combinant ces différents éléments stylistiques, Dürrenmatt crée une œuvre qui défie les catégorisations simples. « La Promesse » n’est ni un simple roman policier réaliste, ni une pure fiction absurde, mais plutôt une exploration des zones grises entre ces deux extrêmes, reflétant ainsi la complexité et l’ambiguïté du monde réel que l’auteur cherche à dépeindre.

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La dimension philosophique de l’œuvre

« La Promesse » de Friedrich Dürrenmatt transcende le simple cadre du roman policier pour s’élever au rang d’œuvre philosophique profonde. À travers son intrigue et ses personnages, l’auteur soulève des questions fondamentales sur la nature de la réalité, la quête de la vérité et les limites de la raison humaine.

Au cœur de la réflexion philosophique de Dürrenmatt se trouve la question de la connaissance et de la vérité. Le commissaire Matthias, dans sa quête obstinée pour résoudre le crime, incarne la croyance en une vérité objective et accessible. Cependant, au fur et à mesure que l’enquête progresse, cette certitude s’effrite. L’auteur nous invite à réfléchir sur la nature même de la vérité : est-elle absolue et atteignable, ou toujours relative et insaisissable ? La structure narrative complexe du roman, avec ses multiples niveaux de récit, renforce cette interrogation en brouillant les frontières entre réalité et fiction.

La notion de justice, pilier central de la philosophie morale, est également scrutée sous un jour nouveau. Dürrenmatt remet en question l’idée d’une justice immanente ou d’un ordre moral inhérent à l’univers. À travers l’échec de Matthias à résoudre le crime et à tenir sa promesse, l’auteur suggère que la justice, telle que nous la concevons, pourrait n’être qu’une construction humaine fragile face à l’indifférence d’un univers chaotique.

Le roman soulève également des questions profondes sur le libre arbitre et le déterminisme. Les actions de Matthias, bien que motivées par un choix personnel – sa promesse -, semblent le conduire inexorablement vers une fin tragique. Cette tension entre la volonté individuelle et les forces qui nous dépassent est au cœur de la réflexion existentialiste que propose Dürrenmatt.

La rationalité, si chère à la tradition philosophique occidentale, est mise à rude épreuve dans « La Promesse ». Matthias, incarnation de la logique et de la méthode, se trouve confronté à une réalité qui défie toute explication rationnelle. Ce conflit entre la raison humaine et l’absurdité du monde fait écho aux réflexions d’Albert Camus sur l’absurde, invitant le lecteur à s’interroger sur les limites de notre compréhension du monde.

Le thème de la responsabilité morale est également central dans l’œuvre. La promesse de Matthias soulève des questions éthiques complexes : jusqu’où doit-on aller pour tenir un engagement ? Quelles sont les limites morales de notre devoir envers les autres ? L’obsession de Matthias, initialement née d’un sentiment noble, finit par avoir des conséquences désastreuses, illustrant les dangers d’une morale rigide et absolue.

Dürrenmatt explore aussi la nature du mal à travers son récit. Le meurtrier, jamais vraiment identifié, devient une figure presque abstraite du mal, insaisissable et inexplicable. Cette représentation du mal comme une force mystérieuse et irrationnelle fait écho à des réflexions philosophiques sur l’origine et la nature de la malveillance humaine.

La question du sens de l’existence face à l’absurdité du monde est un autre thème philosophique majeur de l’œuvre. L’échec final de Matthias et sa descente dans la folie peuvent être interprétés comme une méditation sur la futilité des efforts humains face à un univers indifférent, rappelant le mythe de Sisyphe.

Enfin, « La Promesse » invite à une réflexion sur la nature même de la réalité et de notre perception. En jouant avec les conventions du roman policier et en introduisant des éléments d’absurde dans un cadre réaliste, Dürrenmatt nous pousse à remettre en question nos certitudes sur ce qui est réel et ce qui ne l’est pas.

En conclusion, la dimension philosophique de « La Promesse » est multifacette et profonde. Dürrenmatt utilise le cadre du roman policier comme un prétexte pour explorer des questions existentielles fondamentales. Il nous invite à réfléchir sur la nature de la vérité, de la justice, du bien et du mal, et sur notre place dans un univers qui semble souvent dépourvu de sens. Ce faisant, il transforme un simple récit policier en une œuvre philosophique riche et complexe, qui continue de susciter la réflexion bien au-delà de sa dernière page.

La représentation de la société suisse des années 1950

« La Promesse » de Friedrich Dürrenmatt offre un portrait saisissant de la société suisse des années 1950, à la fois précis dans ses détails et critique dans son approche. À travers son récit, l’auteur dépeint une Suisse en apparence ordonnée et paisible, mais qui cache des tensions et des contradictions profondes.

Le roman s’ouvre sur une image de la Suisse comme un pays prospère et bien organisé. Les descriptions des paysages, des villes et des infrastructures évoquent une nation moderne et efficace. Cette représentation reflète l’image que la Suisse cherchait à projeter à l’époque : un havre de paix et de stabilité au cœur d’une Europe encore marquée par les séquelles de la Seconde Guerre mondiale.

Cependant, Dürrenmatt ne tarde pas à gratter cette surface lisse pour révéler les fissures qui se cachent en dessous. La tranquillité apparente de la petite communauté où se déroule le crime est brutalement perturbée, mettant en lumière les tensions latentes qui couvent sous le vernis de la respectabilité. L’auteur suggère ainsi que la réputation de calme et d’ordre de la Suisse pourrait n’être qu’une façade fragile.

La structure sociale de la Suisse des années 1950 est également scrutée à travers le prisme de l’enquête policière. Dürrenmatt met en scène une société hiérarchisée, où les rôles sont clairement définis. Les interactions entre les différents personnages – policiers, villageois, autorités locales – révèlent un système social rigide, parfois étouffant, qui contribue à maintenir l’ordre mais aussi à perpétuer certaines injustices.

Le roman offre également un aperçu des relations entre les différentes régions de la Suisse. Les tensions entre la ville et la campagne, entre les cantons, sont subtilement évoquées, reflétant la complexité de la structure fédérale du pays. Cette dimension géographique et culturelle ajoute une profondeur supplémentaire à la représentation de la société suisse.

La place des femmes dans la société suisse des années 1950 est un autre aspect que Dürrenmatt aborde, bien que de manière indirecte. Les personnages féminins du roman, bien que peu nombreux, offrent un aperçu des rôles limités et souvent stéréotypés attribués aux femmes à cette époque. Cette représentation souligne les inégalités de genre qui persistaient dans la société suisse d’après-guerre.

L’attitude de la société face au crime et à la déviance est un thème central du roman. La réaction de la communauté au meurtre de la petite fille révèle une société peu habituée à faire face à de tels événements traumatiques. La peur, le déni, la recherche de boucs émissaires sont autant de réactions qui mettent en lumière les mécanismes de défense d’une société confrontée à l’impensable.

Dürrenmatt porte également un regard critique sur les institutions suisses, notamment la police et le système judiciaire. À travers le personnage du commissaire Matthias et son obsession, l’auteur questionne l’efficacité et l’intégrité de ces institutions, suggérant qu’elles peuvent être tout aussi faillibles que les individus qui les composent.

La prospérité économique de la Suisse d’après-guerre est évoquée en filigrane tout au long du roman. Les descriptions des infrastructures, des voitures, des commerces témoignent d’une société en pleine croissance économique. Cependant, Dürrenmatt suggère que cette prospérité matérielle pourrait se faire au détriment de valeurs plus profondes.

Enfin, le roman aborde la question de l’identité nationale suisse. À travers les différents personnages et leurs interactions, Dürrenmatt explore les tensions entre l’image que la Suisse projette d’elle-même – neutre, ordonnée, prospère – et les réalités plus complexes et parfois troublantes qui se cachent derrière cette image.

En somme, « La Promesse » offre une représentation nuancée et critique de la société suisse des années 1950. Tout en reconnaissant les réussites et les qualités de cette société, Dürrenmatt n’hésite pas à en exposer les contradictions et les zones d’ombre. Ce faisant, il invite ses lecteurs à porter un regard plus lucide et plus critique sur leur propre société, au-delà des apparences et des idées reçues.

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L’adaptation cinématographique et ses différences avec le roman

« La Promesse » de Friedrich Dürrenmatt a connu plusieurs adaptations cinématographiques, mais la plus notable est sans doute celle réalisée en 1958 par Ladislas Vajda, intitulée « Es geschah am hellichten Tag » (Ça s’est passé en plein jour). Cette adaptation, qui a précédé la publication du roman, présente des différences significatives avec l’œuvre littéraire, illustrant les défis inhérents à la transposition d’un texte aussi complexe à l’écran.

L’origine de l’adaptation cinématographique est particulière, car Dürrenmatt a d’abord écrit un scénario pour le film avant de développer son roman. Cela explique certaines divergences entre les deux œuvres, le roman étant une expansion et une réinterprétation du scénario original. Le film, contraint par les conventions cinématographiques de l’époque et les attentes du public, adopte une approche plus linéaire et moins ambiguë que le roman.

Une différence majeure réside dans la structure narrative. Alors que le roman utilise un récit enchâssé complexe, avec un narrateur qui raconte l’histoire à un écrivain, le film adopte une narration plus directe et chronologique. Cette simplification permet une meilleure adaptation au format cinématographique, mais perd en partie la dimension métafictionnelle et critique du roman.

Le personnage principal, le commissaire Matthias (nommé Matthäi dans le film), subit également des modifications. Dans le film, il est présenté de manière plus sympathique et héroïque, son obsession étant moins ambiguë et plus justifiée aux yeux du spectateur. Cette approche offre un protagoniste plus conventionnel pour un film policier, mais perd en partie la complexité psychologique et morale du personnage de Dürrenmatt.

Le traitement de la fin de l’histoire constitue peut-être la différence la plus frappante. Alors que le roman se termine sur une note profondément pessimiste, avec Matthias sombrant dans la folie et l’alcoolisme sans avoir résolu l’affaire, le film opte pour une conclusion plus conventionnelle et satisfaisante. Dans l’adaptation, le criminel est identifié et arrêté, offrant une résolution qui va à l’encontre de la critique du genre policier formulée par Dürrenmatt dans son roman.

L’atmosphère générale des deux œuvres diffère également. Le film, influencé par les conventions du film noir, met l’accent sur le suspense et l’action, créant une tension visuelle constante. Le roman, en revanche, privilégie une atmosphère plus introspective et philosophique, s’attardant sur les réflexions des personnages et les implications morales de leurs actions.

Le contexte social et culturel de la Suisse des années 1950, si finement dépeint dans le roman, est moins développé dans le film. L’adaptation cinématographique se concentre davantage sur l’intrigue policière, laissant de côté une partie de la critique sociale subtile présente dans l’œuvre de Dürrenmatt.

Il est intéressant de noter que Dürrenmatt lui-même était conscient des compromis nécessaires à l’adaptation cinématographique. Dans sa postface au roman, il reconnaît les différences entre les deux versions et explique comment le roman lui a permis d’approfondir ses idées au-delà des contraintes du format cinématographique.

Malgré ces différences, l’adaptation de Vajda a connu un certain succès et a contribué à faire connaître l’histoire de Dürrenmatt à un public plus large. Elle a également inspiré d’autres adaptations ultérieures, notamment « The Pledge » de Sean Penn en 2001, qui tente de se rapprocher davantage de l’esprit du roman original.

En fin de compte, les différences entre le roman « La Promesse » et son adaptation cinématographique illustrent les défis inhérents à la transposition d’une œuvre littéraire complexe à l’écran. Elles mettent en lumière les spécificités de chaque médium et la façon dont le même récit peut être interprété et présenté de manières radicalement différentes selon le format choisi.

Le mot de la fin : Une œuvre qui défie les conventions du genre

« La Promesse » de Friedrich Dürrenmatt se distingue comme une œuvre qui transcende les limites traditionnelles du roman policier, défiant les conventions du genre et ouvrant de nouvelles perspectives dans la littérature. En se présentant comme un « requiem pour le roman policier », le livre ne se contente pas de subvertir les attentes du lecteur, il remet en question les fondements mêmes du genre.

L’innovation de Dürrenmatt réside dans sa capacité à utiliser la structure familière du roman policier comme un véhicule pour explorer des thèmes philosophiques profonds. En refusant de fournir la résolution satisfaisante typique du genre, l’auteur nous confronte à l’imprévisibilité et à l’absurdité du monde réel. Cette approche audacieuse transforme ce qui aurait pu être un simple divertissement en une réflexion poignante sur la nature de la justice, de la vérité et de la condition humaine.

La complexité narrative de « La Promesse », avec son récit enchâssé et ses multiples niveaux de narration, défie également les conventions du roman policier traditionnel. Cette structure sophistiquée permet à Dürrenmatt de jouer avec les notions de réalité et de fiction, brouillant les frontières entre les deux et invitant le lecteur à questionner la nature même de la narration et de la vérité.

En présentant un détective qui échoue malgré (ou à cause de) son obstination, Dürrenmatt remet en question l’archétype du héros infaillible si courant dans le genre policier. Le commissaire Matthias, avec ses failles et son obsession autodestructrice, offre un portrait bien plus nuancé et réaliste de la nature humaine que les détectives omniscients traditionnels.

L’introduction du hasard et de l’absurde comme éléments clés de l’intrigue est une autre manière dont Dürrenmatt défie les conventions. Dans un genre habituellement dominé par la logique et la déduction, l’auteur nous rappelle que la réalité est souvent chaotique et imprévisible, échappant à notre compréhension et à notre contrôle.

La critique sociale sous-jacente de « La Promesse » ajoute une dimension supplémentaire au roman, le distinguant des œuvres policières plus légères. En utilisant le cadre d’une enquête criminelle pour examiner les failles de la société suisse des années 1950, Dürrenmatt élève le genre policier au rang de littérature socialement engagée.

L’influence de « La Promesse » sur la littérature policière subséquente est indéniable. En ouvrant la voie à des récits plus complexes, ambigus et philosophiquement riches, Dürrenmatt a contribué à l’évolution du genre. De nombreux auteurs contemporains de romans noirs ou de thrillers psychologiques sont redevables à l’approche novatrice de Dürrenmatt.

Au-delà du genre policier, « La Promesse » s’inscrit dans une tradition littéraire plus large qui explore l’absurdité de la condition humaine. En ce sens, l’œuvre de Dürrenmatt peut être vue comme un pont entre le roman policier et la littérature existentialiste, démontrant que les genres populaires peuvent être des véhicules pour des réflexions philosophiques profondes.

En conclusion, « La Promesse » reste une œuvre remarquable qui continue de défier et d’inspirer les lecteurs et les écrivains. En remettant en question les conventions du roman policier, Dürrenmatt a non seulement créé un chef-d’œuvre littéraire, mais il a également ouvert de nouvelles possibilités pour le genre. Son héritage perdure dans la littérature contemporaine, rappelant que les meilleurs livres sont ceux qui nous poussent à remettre en question nos certitudes et à voir le monde sous un nouvel angle.


Extrait Première Page du livre

 » 1
EN mars dernier, je devais donner au cercle André Cambrouse de Coire une conférence sur l’art d’écrire des romans policiers. La nuit tombait déjà quand mon train est entré en gare, les nuages bas crachaient de sinistres rafales de neige, et pour ne rien arranger, le verglas recouvrait tout. La soirée avait lieu dans la salle de l’Association des employés de commerce, face à un public clairsemé, car Emil Staiger palabrait au même moment sur le vieux Goethe dans l’auditorium du lycée local. J’étais d’humeur morose, mes auditeurs aussi ; la sauce ne prenait pas, et plusieurs autochtones ont quitté la salle avant la fin de mon exposé. Après avoir échangé quelques mots avec des membres du comité et deux ou trois professeurs du lycée, qui regrettaient eux aussi d’avoir raté le vieux Goethe, ainsi qu’une dame au grand cœur s’occupant à titre bénévole de l’Union des employés de maison de Suisse orientale, j’ai encaissé mon cachet, mes frais de voyage, et j’ai enfin pris mes quartiers au Chamois, l’hôtel près de la gare où on m’avait casé. Ce n’était pas beaucoup plus réjouissant. Rien à lire à part une gazette économique allemande et un vieil hebdomadaire de centre droit, le silence dans l’hôtel était inhumain, et pas moyen de fermer l’œil, j’avais trop peur de ne jamais le rouvrir. Nuit lugubre et sans fin. Dehors, la neige avait cessé, tout était immobile, les lampadaires ne tanguaient plus, pas un souffle, pas un Coirien, pas un chien, le vide total, sauf pour un coup de corne qui tonna depuis la gare, résonnant jusqu’à l’horizon. Je suis descendu au bar prendre un dernier whisky. Un seul client tenait compagnie à la vieille serveuse, un monsieur qui s’est présenté à moi au moment même où je me suis assis. C’était un certain H., docteur en droit de son état, ex-commandant de la police cantonale de Zurich, homme grand et massif, vieille école, avec une chaîne de montre en or tendue sur son veston, comme on n’en voit quasiment plus. Il avait les cheveux en brosse, encore noirs malgré l’âge, la moustache fournie. Assis sur le haut tabouret du comptoir, il buvait du rouge, fumait un Bahianos et appelait la serveuse par son prénom. Il parlait fort, avec des gestes tranchés, ce n’était pas un tendre, j’étais partagé entre la curiosité et le dégoût. Sur le coup des trois heures, alors que le premier Johnnie Walker avait été suivi par quatre autres, il a proposé de me ramener à Zurich le lendemain matin dans son Opel Kapitan. Comme je ne connaissais que superficiellement les environs de Coire, et à vrai dire cette partie de la Suisse, j’ai accepté l’invitation. H. était venu dans les Grisons comme membre d’une commission fédérale, et les intempéries l’ayant empêché de rentrer, il avait assisté à ma conférence, mais il n’en dit rien, lâcha seulement cette phrase :

— J’ai connu peu d’orateurs aussi maladroits.

Le lendemain matin, nous nous sommes mis en route. J’avais pris deux Médomine à l’aube, histoire de pouvoir dormir encore un peu, et j’étais passablement ralenti. Il faisait jour depuis longtemps, mais la lumière peinait à émerger. Un bout de ciel métallique brillait de loin en loin, vite obstrué par les nuages qui se traînaient, lourds et las, charriant encore leur neige ; on aurait dit que l’hiver refusait de quitter cette partie du pays. La ville était encaissée entre des montagnes, mais qui n’avaient rien de majestueux, elles ressemblaient plutôt à des amas de terre, comme si on venait de creuser une gigantesque tombe. Coire elle-même semblait de pierre, un damier gris semé de grands bâtiments administratifs. J’avais du mal à imaginer qu’ils arrivent à faire du vin. Nous avons tenté de pénétrer jusqu’au vieux centre, mais notre tank s’est perdu, a échoué dans des culs-de-sac, il a fallu des manœuvres compliquées pour le dépêtrer de ce labyrinthe d’immeubles. Pour couronner le tout, le pavé était verglacé, et nous étions soulagés de laisser enfin la ville derrière nous, même si je regrettais de n’avoir finalement rien vu de ce vieil évêché. On aurait dit une fuite. Je piquais du nez, plombé de fatigue ; la vallée enneigée coulissait lentement à travers le bas plafond des nuages, fantomatique, pétrifiée par le froid. Cela dura un temps infini. Puis un grand village est apparu, peut-être une petite ville, nous l’avons abordé prudemment, et soudain le soleil a tout inondé ; la lumière était si puissante, si aveuglante que les couches de neige commençaient déjà à fondre. Un brouillard blanc est monté du sol, se déployant tel un voile inquiétant sur les champs immaculés, dérobant encore la vallée à mon regard. « 


  • Titre : La Promesse
  • Titre original : Das Versprechen
  • Auteur : Friedrich Dürrenmatt
  • Éditeur : Albin Michel
  • Pays : Suisse
  • Parution : 1959

Autoportrait de l'auteur du blog

Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis plus de 60 ans, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.


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