L’entrée dans l’univers du thriller gothique
Dès les premières pages de « Transylvania », Nicolas Beuglet orchestre une plongée saisissante dans un univers où le polar contemporain épouse les codes de l’esthétique gothique. Le roman s’ouvre sur une scène qui installe d’emblée son territoire narratif : un commissariat roumain baigné dans une pénombre crépusculaire, une inspectrice fraîchement promue face à un meurtre énigmatique dans le légendaire château de Bran. L’auteur ne se contente pas d’emprunter les décors emblématiques du genre – il les investit avec une précision documentaire qui ancre le fantastique dans le réel. Le château transylvanien n’est pas qu’un simple faire-valoir, mais devient un élément central du récit, avec ses tours fortifiées surgissant de la neige, ses couloirs où résonnent les pas, ses chambres capitonnées qui ont vu défiler des générations de voyageurs en quête de frissons.
L’architecture narrative de Beuglet révèle une maîtrise des équilibres délicats. Là où le thriller moderne privilégie souvent la vitesse et l’action, l’écrivain français ose ralentir le rythme pour laisser l’inquiétude s’installer. Les descriptions ne sont jamais gratuites : chaque détail du paysage hivernal, chaque craquement de parquet, chaque reflet de lanterne participe à construire une tension progressive. Le brouillard qui engloutit les villages, les forêts du Spessart aux arbres décharnés, les chemins enneigés où l’on distingue à peine les traces – tous ces éléments tissent un réseau sensoriel qui enveloppe le lecteur. On retrouve cette atmosphère oppressante propre aux grands textes gothiques, cette sensation d’être cerné par des forces qui dépassent l’entendement humain.
Ce qui frappe particulièrement dans cette entrée en matière, c’est la manière dont Beuglet parvient à conjuguer exigence policière et ambiance fantastique sans que l’une nuise à l’autre. Le tatouage mystérieux sur la main de la victime, les indices soigneusement disposés, les protocoles d’investigation respectés – tout cela coexiste avec les références au comte Dracula, aux miroirs parlants et aux contes ancestraux. L’auteur ne bascule jamais dans le registre parodique ni dans l’hommage appuyé. Il construit plutôt un espace romanesque hybride où le rationnel et l’irrationnel se côtoient dans une constante négociation, forçant son héroïne – et par extension le lecteur – à reconsidérer les frontières entre mythe et réalité.
Le choix de la Transylvanie comme décor initial s’avère stratégique bien au-delà de son évident capital symbolique. Cette région chargée d’imaginaire collectif permet à Beuglet d’interroger notre rapport aux légendes et à leur persistance dans nos sociétés ultraconnectées. En situant un crime moderne dans ces terres mythiques, il pose implicitement une question vertigineuse : et si les contes contenaient une part de vérité historique ? Cette interrogation traverse tout le roman et confère à l’intrigue policière une profondeur inattendue, transformant une enquête criminelle en exploration des soubassements légendaires de notre culture européenne.
livres de Nicolas Beuglet à découvrir
Une héroïne entre fragilité et détermination
Mina Dragan incarne une figure de protagoniste qui échappe aux archétypes convenus du polar contemporain. Beuglet construit son personnage principal avec une attention particulière aux contradictions qui en font un être crédible plutôt qu’une héroïne lissée. Jeune inspectrice promue dans des circonstances inhabituelles, elle traîne derrière elle un parcours atypique : mécanicienne sur un bateau de pêche, ouvrière dans un garage, puis policière après avoir faussé son diplôme du baccalauréat. Ces strates biographiques ne servent pas uniquement à étoffer une fiche personnage – elles irriguent constamment ses réactions, sa manière d’appréhender les obstacles, son rapport à la hiérarchie. L’auteur évite le piège du personnage féminin qui devrait constamment prouver sa légitimité dans un milieu masculin, tout en montrant lucidement les résistances auxquelles Mina se heurte, notamment face au médecin légiste méprisant ou à ses collègues sceptiques.
La force du personnage réside dans cette capacité à douter d’elle-même tout en continuant d’avancer. Beuglet ne fait pas de Mina une super-enquêtrice infaillible dotée d’intuitions miraculeuses. Elle tâtonne, suit des pistes qui s’avèrent être des impasses, s’interroge sur ses propres compétences face à la complexité grandissante de l’affaire. Ses cauchemars, ses moments de panique face à l’immensité du château isolé, sa blessure lors de l’attaque du loup – tous ces éléments humanisent une protagoniste qui aurait pu verser dans la caricature de la femme d’action invincible. L’écrivain accorde une place significative à sa vie intérieure, à ses zones d’ombre volontairement gardées secrètes, créant ainsi une épaisseur psychologique qui rend son évolution au fil du récit d’autant plus prenante.
Ce qui singularise également Mina, c’est son rapport intime à la lecture et aux livres, hérité de sa mère bibliothécaire. Cette passion littéraire n’est pas un simple détail de caractérisation : elle devient un moteur narratif essentiel lorsque l’enquête bascule dans l’univers des contes de Grimm. Là où d’autres personnages pourraient se trouver désemparés face aux références culturelles qui jalonnent le parcours imposé par l’assassin, Mina possède ce bagage qui lui permet de décrypter les indices. Beuglet établit ainsi un lien organique entre l’identité profonde de son héroïne et les mécanismes de l’intrigue, évitant l’écueil des compétences miraculeusement acquises selon les besoins du scénario. La lectrice qu’est Mina se retrouve confrontée à une affaire qui fait de la littérature son cœur battant – une mise en abyme qui enrichit le propos du roman sans jamais l’alourdir.
La mise en scène du suspense et du mystère
Nicolas Beuglet déploie dans « Transylvania » une mécanique du suspense qui joue sur plusieurs registres simultanés. L’intrigue avance par strates successives de révélations, chacune soulevant de nouvelles interrogations plutôt que d’apporter des réponses définitives. Le tatouage « HAUS » sur la main de la victime ouvre la première énigme, bientôt rejointe par la découverte des dossiers sur les cinq disparus, puis par le déchiffrage des lettres dissimulées sur les objets trouvés sur chaque scène de kidnapping. Cette construction en poupées russes maintient une tension constante, car le lecteur comprend rapidement qu’il assiste moins à une enquête classique qu’à un jeu orchestré par un esprit calculateur. L’auteur parvient à gérer cette accumulation d’indices sans que le récit ne s’enlise dans une complexité gratuite – chaque élément trouve sa place dans un dispositif d’ensemble qui se révèle progressivement.
Le traitement du mystère repose également sur un savant dosage entre l’investigation rationnelle et l’intrusion croissante du fantastique. Beuglet ne verse jamais dans le surnaturel pur, préférant maintenir une ambiguïté fertile. Le portrait de Maria Sophia ressemble troublant à la description de Blanche-Neige, le miroir « parle » effectivement grâce à sa courbure, la belladone explique scientifiquement la mort apparente – autant d’éléments qui ancrent le merveilleux dans des explications tangibles tout en préservant une part d’étrangeté. Cette oscillation constante entre deux régimes de croyance nourrit le suspense d’une tension particulière : le lecteur ne sait jamais tout à fait sur quel terrain il évolue, ce qui démultiplie les possibilités narratives et maintient l’attention en éveil.
L’écrivain exploite également les codes du thriller en multipliant les scènes d’action qui ponctuent l’enquête intellectuelle. La poursuite du journaliste dans les ruelles de Steinau, l’affrontement avec le loup dans la forêt, la neutralisation de la policière allemande – ces séquences dynamiques brisent le rythme contemplatif de certains passages et injectent une dimension physique à l’investigation. Beuglet évite toutefois l’écueil de l’action pour l’action : chaque confrontation révèle quelque chose du caractère de Mina, de sa capacité à dépasser ses limites, ou fait progresser l’intrigue en dévoilant un nouveau pan du plan de l’assassin. Le suspense ne repose donc pas uniquement sur la question « qui a tué ? », mais se déplace vers des interrogations plus vertigineuses sur les intentions réelles du meurtrier et la nature même de son entreprise.
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Quand les contes rencontrent le polar moderne
L’un des paris les plus audacieux de « Transylvania » réside dans cette collision entre deux univers narratifs que tout semblait opposer. Beuglet prend le risque de faire dialoguer les codes rigoureux du roman policier avec la dimension onirique et symbolique des contes de Grimm. Cette hybridation aurait pu tourner au artifice, à l’exercice de style gratuit. L’auteur évite cet écueil en construisant un pont cohérent entre ces deux traditions littéraires : l’assassin lui-même conçoit son crime comme une mise en scène référentielle, transformant la réalité en tableau vivant inspiré des récits ancestraux. Le polar devient alors le récit-cadre qui permet d’explorer la matière des contes, tandis que ces derniers irriguent l’enquête de leur logique symbolique. Cette architecture narrative crée une tension féconde où chaque registre enrichit l’autre sans le dissoudre.
Le roman opère également une relecture des contes qui en révèle les soubassements historiques et sociologiques. En suivant la piste de la « vraie » Blanche-Neige, Mina découvre que les récits merveilleux des Grimm puisent leur source dans des réalités bien tangibles : les enfants exploités dans les mines du Spessart deviennent les « nains », la belladone explique la mort apparente, les miroirs déformants « parlent » effectivement. Beuglet ne cherche pas à démystifier les contes pour les vider de leur puissance – il montre plutôt comment l’imaginaire collectif s’empare du réel pour le transmuer en récit universel. Cette approche documentaire des origines des contes apporte une épaisseur inattendue au thriller, qui se transforme par moments en enquête ethnographique et historique. L’insertion de ces éléments culturels s’effectue de manière organique, portée par la progression de l’investigation plutôt qu’imposée par des digressions didactiques.
L’articulation entre polar et conte trouve son point d’orgue dans la figure de l’assassin lui-même, descendant des frères Grimm obsédé par l’héritage littéraire de ses ancêtres. Alphonse Grimm ne tue pas par folie meurtrière ordinaire mais pour servir un dessein qui dépasse le cadre du crime individuel. Sa stratégie consistant à orchestrer une enquête-spectacle mondiale, jalonnée de références aux récits traditionnels, transforme l’investigation policière en performance artistique et en manifeste culturel. Cette dimension métafictionnelle – où le criminel se fait metteur en scène et l’enquêtrice actrice involontaire d’un scénario préétabli – confère au roman une profondeur réflexive. Beuglet interroge ainsi la nature même du récit, sa capacité à façonner nos perceptions et à mobiliser l’attention collective, thématique qui résonne particulièrement à l’ère de la viralité médiatique.
L’architecture narrative et ses révélations progressives
Beuglet construit son récit selon une logique de l’emboîtement qui rappelle la structure même des contes traditionnels. Le roman s’organise comme une succession de seuils franchis, de portes ouvertes qui en révèlent d’autres plus loin. Du château de Bran à la maison des Grimm à Steinau, du château de Lohr à la chaumière perdue dans le Spessart, jusqu’au château lacustre final – chaque étape constitue à la fois une révélation et un nouveau départ. Cette progression géographique double une progression dans les strates du mystère, où chaque découverte requalifie rétrospectivement ce qui précédait. Le tatouage « HAUS » ne prend son sens véritable qu’une fois confronté au mot « GRIMM » reconstitué, et ces deux éléments ne livrent leur signification profonde que lors de la confrontation finale avec Alphonse Grimm.
L’auteur gère le dévoilement des informations avec une économie qui maintient la tension sans frustrer le lecteur. Les lettres dissimulées sur les objets des scènes de disparition auraient pu être découvertes d’un coup, mais Beuglet choisit de faire progresser Mina méthodiquement, document après document, photo après photo. Cette patience narrative permet d’accompagner le cheminement intellectuel de l’héroïne plutôt que d’imposer des révélations artificiellement retardées. Le romancier évite également le piège de la fausse piste gratuite : chaque indice porte une part de vérité, même s’il faut attendre pour en saisir la portée complète. Cette honnêteté envers le lecteur crée un contrat de confiance qui rend les retournements d’autant plus efficaces qu’ils découlent logiquement de ce qui a été établi.
La temporalité du récit elle-même participe de cette architecture. Beuglet alterne phases d’accélération intense – les poursuites, les courses contre la montre – et moments de contemplation où Mina observe, réfléchit, assemble les pièces du puzzle. Ces respirations ne ralentissent pas l’action mais permettent au contraire de densifier la matière narrative. Lorsque l’inspectrice examine longuement le portrait de Maria Sophia ou déchiffre les contes originaux des Grimm, le roman gagne en profondeur ce qu’il perd temporairement en vitesse. Cette modulation rythmique évite l’essoufflement d’un thriller en ligne droite et offre au lecteur des paliers de réflexion qui enrichissent sa compréhension globale de l’intrigue.
La révélation finale orchestrée par Alphonse Grimm constitue le point de convergence de tous ces fils narratifs dispersés. La mise en scène théâtrale dans le château lacustre, avec ses plateformes mécaniques et son décorum gothique, transforme le dénouement policier en spectacle métafictionnel. Beuglet assume pleinement la dimension artificielle de cette scène, en faisant du criminel lui-même un metteur en scène conscient des codes narratifs qu’il manipule. Cette lucidité autoréflexive du roman sur ses propres mécanismes aurait pu créer une distance ironique – elle produit au contraire un effet de vertige où la fiction semble déborder de son cadre pour interroger notre rapport contemporain au récit et à la captation de l’attention collective.
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Les thématiques contemporaines au cœur de l’intrigue
Au-delà de son intrigue policière, « Transylvania » porte un discours appuyé sur le déclin de la lecture dans nos sociétés occidentales. Beuglet confie à son antagoniste, Alphonse Grimm, un long réquisitoire étayé de statistiques sur l’effondrement de la pratique de lecture chez les jeunes générations. Cette dimension quasi-essayistique irrigue le roman d’une préoccupation culturelle qui dépasse le simple cadre du thriller. L’assassin ne tue pas par vengeance personnelle ou cupidité, mais au nom d’une cause qu’il juge civilisationnelle : redonner à la littérature sa place centrale dans la construction de l’esprit humain. Cette ambition démesurée soulève des questions troublantes sur les moyens qu’une société accepterait pour préserver son patrimoine culturel, sur la frontière entre passion et fanatisme intellectuel.
Le roman interroge également notre rapport contemporain à la médiatisation et à la viralité de l’information. L’assassin orchestre son crime comme un événement spectaculaire destiné à capter l’attention mondiale, utilisant les réseaux sociaux et la presse comme amplificateurs de son message. Beuglet met en scène cette mécanique de l’emballement médiatique à travers le personnage du journaliste Ioan Petru, qui accompagne et documente chaque étape de l’enquête pour nourrir la fascination collective. Cette mise en abyme de notre société du spectacle permanent résonne avec les pratiques actuelles de diffusion instantanée, où l’événement n’existe pleinement que s’il génère du flux et des commentaires. L’auteur ne porte pas de jugement moralisateur explicite sur ce phénomène, mais en expose les mécanismes avec une lucidité qui invite à la réflexion.
La question de la manipulation et du consentement traverse également le récit. Les cinq disparus, prisonniers pendant trois ans, développent une relation complexe à leur captivité et au projet littéraire auquel ils ont été contraints de participer. L’ambivalence de Camelia Rossellini, qui pleure de devoir retrouver sa vie antérieure après avoir vécu « les trois plus belles années de son existence », soulève des interrogations dérangeantes sur la nature de la créativité, sur ce qu’un artiste accepterait de sacrifier pour accomplir une œuvre majeure. Beuglet ne résout pas cette tension – il la maintient ouverte, laissant au lecteur le soin d’évaluer jusqu’où peut aller la légitimité d’un projet culturel qui s’impose par la violence.
L’atmosphère entre réalisme et fantastique
Beuglet cultive tout au long du roman un climat d’incertitude qui maintient le lecteur dans un entre-deux troublant. Les descriptions topographiques manifestent une précision documentaire – le château de Bran existe, celui de Lohr également, la forêt du Spessart s’étend bien au cœur de l’Allemagne – mais l’écrivain les charge d’une dimension inquiétante qui excède leur simple matérialité. Le brouillard qui engloutit les villages, les ombres qui semblent bouger dans les coins des pièces, les craquements inexpliqués dans les couloirs déserts : ces éléments pourraient relever d’une perception angoissée de Mina ou signaler une présence surnaturelle. L’auteur refuse de trancher, préservant cette zone d’incertitude qui nourrit l’étrangeté du récit sans basculer dans le fantastique pur.
Cette poétique de l’hésitation trouve son expression la plus aboutie dans le traitement des contes de Grimm. Le roman accumule les coïncidences troublantes – le portrait de Maria Sophia qui ressemble trait pour trait à Blanche-Neige, le miroir qui « parle » effectivement, la mine des enfants-nains, le chemin des sept collines – au point que la frontière entre mythe et réalité semble s’estomper. Beuglet joue de cette confusion en fournissant systématiquement des explications rationnelles : le miroir parle à cause de sa courbure, la belladone explique scientifiquement la mort apparente, les nains sont des enfants exploités. Ces clarifications n’épuisent pourtant pas le mystère – elles le déplacent vers une interrogation plus vertigineuse sur la façon dont les contes captent et cristallisent des vérités anthropologiques profondes.
L’atmosphère du récit bénéficie également d’un travail sensoriel qui immerge le lecteur dans les environnements traversés. Le froid transylvanien qui mord le visage, l’humidité poisseuse des brouillards allemands, l’odeur de terre du cercueil de Dracula, le crépitement des torches dans le château lacustre – autant de notations qui ancrent la narration dans une expérience physique. Ces détails sensoriels évitent que le roman ne devienne une simple course aux indices, en rappelant constamment la dimension corporelle de l’épreuve que traverse Mina. La blessure infligée par le loup, la fatigue accumulée lors de la marche dans le Spessart, le froid qui paralyse les membres : ces éléments incarnent l’enquête dans une chair souffrante qui refuse l’abstraction du pur puzzle intellectuel.
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Un thriller qui interroge notre rapport à la lecture
« Transylvania » se révèle être, au-delà de ses apparences de thriller gothique, une méditation inquiète sur le devenir de la lecture dans nos sociétés contemporaines. Le roman pose frontalement une question que peu d’œuvres de fiction osent formuler avec cette radicalité : que perdons-nous collectivement en abandonnant progressivement les livres au profit des écrans ? Beuglet n’adopte pas la posture du contempteur nostalgique – il met en scène un antagoniste qui incarne cette nostalgie jusqu’à la folie meurtrière, ce qui permet justement d’interroger les limites du discours de défense de la lecture. Le professeur Grimm n’a pas tort dans son diagnostic sur l’effondrement de la pratique littéraire, mais ses moyens – l’enlèvement, le meurtre, la manipulation – disqualifient immédiatement son entreprise. Cette ambivalence force le lecteur à démêler le constat légitime de la méthode criminelle, refusant toute simplification manichéenne.
Le roman développe également une réflexion sur ce que la lecture apporte spécifiquement à l’être humain. À travers le discours d’Alphonse Grimm, Beuglet énumère les vertus cognitives et sociales de la lecture – amélioration de la mémoire, enrichissement du vocabulaire, développement de l’empathie, stimulation de la créativité. Ces arguments ne sont pas présentés comme des vérités révélées mais comme des éléments d’un plaidoyer, appuyés sur des statistiques qui ancrent la démonstration dans une réalité mesurable. L’auteur prend le risque d’insérer dans son thriller une dimension quasi-essayistique qui aurait pu briser le rythme narratif. Cette greffe fonctionne parce qu’elle émane directement de la psychologie du personnage et parce qu’elle éclaire rétrospectivement toute la logique de son projet criminel : créer un livre si parfait qu’il ramènera les masses vers la littérature.
Le concept même du livre « Il était une fois », œuvre collective rédigée par cinq génies captifs, soulève des questions vertigineuses sur la nature de la création littéraire. Peut-on fabriquer méthodiquement le chef-d’œuvre absolu en combinant les expertises de spécialistes en psychologie, narration, spiritualité et captation d’audience ? Cette hypothèse d’un « livre parfait » conçu scientifiquement pour maximiser son impact questionne notre foi romantique en l’inspiration individuelle et spontanée. Beuglet laisse volontairement cette interrogation en suspens – le lecteur ne découvrira jamais le contenu du livre révolutionnaire, seulement la promesse de son existence. Ce choix narratif transforme l’ouvrage fantôme en pure potentialité, en idée-limite qui interroge nos attentes envers la littérature sans pouvoir être démentie par une réalisation décevante.
La dimension métafictionnelle du roman atteint son point culminant lorsqu’on réalise que « Transylvania » lui-même participe d’une tentative de renouvellement du thriller pour capter l’attention des lecteurs contemporains. En hybridant polar, conte, réflexion culturelle et critique sociale, Beuglet cherche à créer une expérience de lecture suffisamment riche et variée pour rivaliser avec les sollicitations multiples de notre époque. Le roman devient ainsi performatif : il ne se contente pas de déplorer le déclin de la lecture, il tente d’y remédier en proposant une fiction qui justifie le temps qu’on lui consacre. Cette ambition, formulée sans fausse modestie à travers le projet d’Alphonse Grimm, confère au livre une dimension programmatique qui dépasse le simple divertissement pour interroger la fonction même de la littérature populaire dans le paysage culturel actuel.
Mots-clés : Thriller gothique, Contes de Grimm, Enquête policière, Château de Bran, Blanche-Neige, Déclin de la lecture, Transylvanie
Extrait Première Page du livre
» 1.
Mina pila, tira le frein à main et coupa le contact. Après avoir pris une profonde inspiration, elle tourna la tête vers son coéquipier assis sur le siège passager. Coiffé de sa casquette d’agent de police, il regardait droit devant lui, l’air rageur. Du sang coulait de sa joue gauche et sa peau commençait à se teinter du bleuté de l’hématome.
— Ça fait mal ? demanda Mina en approchant sa main.
— Ne me touche pas !
— Zoltan, j’ai fait ça pour…
Son partenaire quitta le véhicule avant qu’elle puisse terminer sa phrase. Elle sortit à son tour en relevant le col de sa parka. Ses deux pieds s’enfoncèrent dans une flaque d’eau où flottaient des grumeaux glacés. Une pénombre crépusculaire plongeait le paysage dans une torpeur hivernale. La neige accumulée sur les trottoirs prenait des teintes azuréennes et les rares passants exhalaient des volutes de buée, la tête rentrée, le buste penché en avant, pressés de gagner un endroit où se réchauffer. Mina avisa le panneau éclairé affichant « Commissariat central de Bucarest » dont le néon répandait sa lueur fantomatique jusqu’aux abords du parking.
— Sors de là ! ordonna Zoltan.
Il venait de s’adresser à quelqu’un à l’arrière du véhicule. En émergea un individu hirsute à la barbe folle qui avait les mains menottées dans le dos. L’agent de police lui empoigna le bras et l’engagea à avancer. Mina le laissa faire et leur emboîta le pas.
— Crois-moi, je vais déposer plainte ! Espèce de folle ! cracha Zoltan.
Mina ne répliqua pas. Elle n’avait aucune envie de se donner en spectacle devant l’homme qu’ils venaient d’arrêter. Elle assura ses pas pour ne pas déraper sur les plaques de verglas qui tapissaient les marches menant au poste de police. Zoltan y pénétra accompagné du prévenu sans prendre la peine de retenir la porte vitrée. Le battant se referma juste devant Mina, lui renvoyant son reflet en gros plan. Ses cheveux brun foncé noués à l’arrière retombaient en mèches folles de chaque côté de son visage. On lui disait souvent qu’elle avait un joli minois, délicat, doux et un peu enfantin. Aux coins de sa bouche, des fossettes soulignaient un air jovial dont elle savait jouer. Quand elle souriait, ses dents du haut qu’elle avait légèrement en avant se dévoilaient. Seuls ses yeux verts tranchaient avec son air avenant. Elle avait le regard d’une femme qui en a vu bien davantage que ce que son apparence juvénile laissait croire.
Elle rouvrit la porte d’un coup de pied rapide et fit irruption dans le commissariat pour voir Zoltan confier le délinquant à un collègue et foncer droit vers le bureau du commissaire. Sous les regards interrogatifs de ses confrères, Mina se dirigea vers son espace de travail sans se presser. Elle ignora les murmures et s’assit devant son ordinateur. Dans le silence de l’open space, on entendait les éclats de voix de Zoltan qui s’agitait dans l’aquarium de leur supérieur. «
- Titre : Transylvania
- Auteur : Nicolas Beuglet
- Éditeur : XO Éditions
- Nationalité : France
- Date de sortie : 2025
Page officielle : www.nicolasbeuglet.com
Résumé
Il était une fois…
Encore aujourd’hui, on prétend que le château de Bran, en Transylvanie, était la propriété du comte Dracula. Rares sont ceux qui s’arrêtent dans cet hôtel reculé, cerné par la neige et la glace. L’endroit paraît habité par des fantômes depuis la nuit des temps.
C’est là que la jeune inspectrice Mina Dragan est envoyée pour enquêter sur un meurtre étrange. Un cadavre gît dans une chambre. Celui de l’unique client de l’établissement. À ses côtés traîne une vieille malle verrouillée. Avant de disparaître, l’assassin a inscrit un tatouage énigmatique sur la main de sa victime.
Mina Dragan ne le sait pas mais c’est pour elle le début d’un jeu de piste terrifiant qui lui fera découvrir la face cachée et peut-être pas si imaginaire des contes de fées de notre enfance.
Et si la clé de tous ces mystères se trouvait dans un seul livre ?
Un livre fondateur. Il était une fois Transylvania…
Dans ce thriller qui plonge dans les profondeurs de notre subconscient, Nicolas Beuglet explore, une fois de plus, les ombres du passé pour éclairer l’avenir. Haletant. Vertigineux. Passionnant.
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Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis une soixantaine d’années, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.







































