L’univers sylvestre de « Proies » : entre quiétude apparente et tension latente
Dès les premières pages de « Proies », Andrée A. Michaud nous plonge dans un cadre bucolique qui semble tout droit sorti d’une carte postale estivale. La Brûlée, rivière paisible bordant le village de Rivière-Brûlée, apparaît d’abord comme un havre de paix où trois adolescents partent camper avec l’insouciance propre à leur âge. L’auteure dépeint ce lieu avec une précision quasi photographique, nous faisant sentir la chaleur du soleil d’août et entendre le murmure de l’eau sur les rochers.
Cette beauté sylvestre, magnifiée par une prose poétique et sensorielle, constitue pourtant le terreau idéal pour y faire germer une menace sourde. Michaud excelle dans l’art de transformer graduellement ce décor idyllique en espace angoissant, jouant sur le contraste saisissant entre l’apparente sérénité des lieux et l’inquiétude grandissante. La forêt, d’abord protectrice et enveloppante, devient progressivement un labyrinthe où les repères s’effacent, où les ombres s’allongent de façon menaçante.
L’écrivaine québécoise démontre sa maîtrise parfaite de la nature comme matériau narratif, l’érigeant au rang de véritable personnage du roman. Les éléments naturels – la rivière, les arbres, la météo changeante – participent activement à la construction de l’atmosphère oppressante qui s’installe peu à peu. La lumière filtrée à travers les branches, les bruits indistincts du sous-bois deviennent autant de signaux d’alarme pour le lecteur attentif.
Ce qui frappe particulièrement, c’est la façon dont Michaud transforme chaque élément naturel en potentiel vecteur d’angoisse. Un simple bruissement de feuilles, le craquement d’une branche, l’ombre projetée d’un arbre suffisent à créer un sentiment de vulnérabilité chez les personnages et, par extension, chez le lecteur. La nature devient simultanément refuge et piège, dans une ambivalence constante qui maintient la tension narrative.
La Brûlée elle-même, avec son nom évocateur, porte l’empreinte d’un passé violent que l’auteure ne révèle que par touches subtiles. Cette rivière aux eaux claires cache une histoire de feux et de destruction qui semble prête à ressurgir, comme si le paysage lui-même était porteur d’une mémoire traumatique. L’espace naturel devient ainsi le miroir parfait des événements qui vont s’y dérouler.
À travers cette mise en scène minutieuse de l’environnement sylvestre, Andrée A. Michaud parvient à créer un cadre où l’angoisse peut s’épanouir organiquement. Cette construction de l’univers de « Proies » témoigne d’une sensibilité aiguë aux liens complexes unissant l’homme à la nature – tantôt source de beauté et d’émerveillement, tantôt rappel brutal de notre fragilité face aux forces qui nous dépassent.
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Les adolescents face à la nature sauvage : une exploration des fragilités humaines
Au cœur de « Proies » se trouvent trois adolescents – Judith, Abigail et Alexandre – dont les personnalités distinctement dessinées par Andrée A. Michaud offrent un prisme fascinant pour explorer la condition humaine. Par le biais de ces jeunes êtres à la frontière de l’enfance et de l’âge adulte, l’auteure parvient à mettre en lumière des fragilités universelles que la confrontation avec la nature sauvage ne fait qu’amplifier. Leur départ en camping, empreint d’excitation et d’insouciance, symbolise ce moment charnière où l’on se croit invulnérable.
L’écriture de Michaud capture avec une justesse saisissante la psychologie adolescente, cette période de contrastes où cohabitent la bravade et l’angoisse, le besoin d’indépendance et la peur de l’inconnu. Les dialogues entre les trois amis résonnent d’authenticité, révélant leurs inquiétudes inavouées derrière le masque de l’assurance affichée. Cette ambivalence devient particulièrement manifeste lorsque les premiers signes de menace commencent à transformer leur escapade en épreuve.
Face à l’adversité grandissante, chaque personnage dévoile sa véritable nature, mettant à nu les mécanismes de défense propres à chacun. Jude, Abe et Alex réagissent différemment aux défis qui se présentent, illustrant la diversité des réponses humaines face au danger. L’auteure décrit avec une finesse psychologique remarquable comment la peur peut simultanément révéler des forces insoupçonnées et exacerber des vulnérabilités enfouies.
La relation entre les trois adolescents constitue également un terrain d’exploration privilégié des dynamiques humaines sous pression. Les liens d’amitié, solides en apparence, sont mis à rude épreuve par les événements, révélant leur complexité. Michaud excelle à montrer comment la solidarité peut coexister avec des instincts plus individualistes lorsque la survie est en jeu, sans jamais tomber dans le manichéisme ou les clichés.
Particulièrement touchante est la façon dont l’auteure dépeint la perte d’innocence de ces jeunes confrontés brutalement aux aspects les plus sombres de l’existence. Le contraste entre leurs préoccupations adolescentes initiales et les défis existentiels qu’ils affrontent crée une tension narrative poignante. Cette transition forcée vers une maturité douloureuse constitue l’un des fils rouges les plus puissants du roman.
La richesse de « Proies » tient en grande partie à cette capacité qu’a Andrée A. Michaud de transformer une histoire de survie en une méditation profonde sur la condition humaine. À travers le parcours de ses protagonistes adolescents, elle nous rappelle notre propre vulnérabilité face aux forces qui nous dépassent, qu’elles soient naturelles ou humaines. Cette exploration sensible des fragilités, des peurs et des espoirs constitue le véritable cœur battant de ce roman captivant.
La construction du suspense : une mécanique narrative maîtrisée
L’un des talents les plus remarquables d’Andrée A. Michaud dans « Proies » réside dans sa capacité à orchestrer une montée graduelle mais implacable du suspense. L’auteure québécoise déploie une architecture narrative sophistiquée qui maintient le lecteur dans un état constant d’alerte. Dès les premières pages, elle sème subtilement des indices annonciateurs du drame à venir, créant une atmosphère où le danger, d’abord diffus, se précise progressivement. Cette stratégie narrative repose sur un équilibre délicat entre ce qui est révélé et ce qui reste dans l’ombre.
La tension se construit par paliers successifs, chaque événement apparemment anodin prenant rétrospectivement une signification inquiétante. Michaud excelle dans l’art de transformer des détails ordinaires – une branche cassée, un sentiment d’être observé, un objet déplacé – en signes précurseurs de menace. Ce procédé crée chez le lecteur un sentiment croissant d’appréhension, le poussant à anticiper le pire tout en espérant se tromper. Cette progression minutieuse évite l’écueil du sensationnalisme pour privilégier une anxiété sourde, bien plus efficace.
La structure temporelle du récit participe pleinement à cette mécanique du suspense. L’auteure manie avec virtuosité les annonces proleptiques, ces allusions au futur tragique qui planent comme des ombres sur le présent de la narration. Ces projections créent un décalage entre le savoir du narrateur et celui des personnages, intensifiant le sentiment d’inéluctabilité. Le lecteur devient alors le témoin impuissant d’un drame dont les contours se dessinent inexorablement.
Le choix d’une narration qui alterne entre différentes perspectives constitue également un levier puissant du suspense. Michaud nous fait naviguer entre le point de vue des adolescents, celui des adultes qui les recherchent, et parfois celui de la menace elle-même. Ces changements de focalisation permettent de multiplier les tensions narratives tout en dosant stratégiquement les informations délivrées au lecteur. Ils créent aussi des effets de dramatisation particulièrement efficaces lorsque le lecteur en sait plus que les personnages.
L’auteure démontre une maîtrise exceptionnelle du rythme narratif, alternant passages contemplatifs et séquences d’action intense. Cette respiration calculée permet de ménager des moments de répit apparent, rendant les accélérations d’autant plus saisissantes. La prose de Michaud, précise et évocatrice, contribue pleinement à cette gestion du tempo, s’attardant sur certains détails ou accélérant soudainement, mimant ainsi les fluctuations de l’angoisse.
La force de cette construction du suspense tient finalement à sa dimension psychologique profonde. Au-delà des mécanismes narratifs, c’est dans l’exploration des peurs fondamentales – la perte de repères, l’impuissance face à l’inconnu, la vulnérabilité – que Michaud ancre véritablement la tension de son récit. Cette résonance avec nos angoisses les plus intimes fait de « Proies » bien plus qu’un simple thriller : une expérience de lecture immersive qui nous confronte à nos propres fragilités.

Le traitement de la peur : un moteur narratif essentiel
La peur constitue l’épine dorsale de « Proies », irrigant chaque page du roman avec une intensité croissante. Andrée A. Michaud explore cette émotion primitive dans toutes ses nuances, depuis l’inquiétude diffuse jusqu’à la terreur paralysante. Ce qui distingue son approche, c’est sa capacité à ancrer cette peur dans le quotidien, à la faire surgir des situations les plus banales. Un bruissement de feuilles, une ombre aperçue furtivement, une sensation d’être observé : l’auteure transforme l’ordinaire en source d’angoisse avec une subtilité remarquable.
L’écriture de Michaud se fait sensorielle pour transmettre au lecteur les manifestations physiques de la peur. Elle décrit avec une précision clinique les réactions corporelles des personnages – battements de cœur accélérés, souffle court, sueurs froides – créant ainsi une expérience de lecture immersive. Cette attention portée aux sensations physiques établit un pont empathique entre le lecteur et les protagonistes, rendant tangible leur détresse. On ne lit plus seulement la peur, on la ressent jusqu’à l’épiderme.
Particulièrement fascinante est la façon dont l’auteure met en scène l’évolution de la peur chez ses personnages. De l’insouciance initiale à la terreur, en passant par le déni et l’incrédulité, chaque étape est méticuleusement explorée. Cette progression psychologique confère une crédibilité profonde aux réactions des adolescents, tout en offrant une réflexion implicite sur les mécanismes de défense humains face au danger. Michaud évite ainsi l’écueil des comportements stéréotypés si fréquents dans les récits d’horreur.
La peur dans « Proies » n’est jamais gratuite – elle s’inscrit dans une exploration plus large des dynamiques sociales et familiales. L’auteure tisse des liens subtils entre les angoisses des adolescents et celles des adultes qui les recherchent, créant un réseau de peurs qui se font écho. Cette mise en résonance élargit la portée du roman au-delà du simple thriller, en faisant une méditation sur la transmission des angoisses et sur la vulnérabilité partagée des êtres humains face à l’inconnu.
Dans sa dimension métaphorique, la peur chez Michaud devient également le révélateur des fragilités individuelles et collectives. Chaque personnage porte ses failles propres que l’expérience traumatique vient exacerber ou révéler au grand jour. L’auteure utilise ainsi la peur comme un outil d’exploration psychologique, un moyen de sonder les recoins les plus sombres de la psyché humaine. Cette approche confère au roman une profondeur qui transcende largement les codes du genre.
La maestria de « Proies » transparaît dans cette capacité à transformer la peur en véritable matière narrative, en énergie qui propulse le récit tout en lui donnant sa texture émotionnelle unique. Andrée A. Michaud réussit le tour de force de créer une œuvre où l’angoisse, plutôt que simple effet de style, devient le prisme à travers lequel se révèlent les vérités essentielles sur nos vulnérabilités les plus intimes.
L’esprit des lieux : le rôle central de la nature dans « Proies »
Dans « Proies », l’environnement naturel transcende largement sa fonction de simple décor pour s’ériger en véritable protagoniste de l’intrigue. La forêt dense qui entoure Rivière-Brûlée et le cours d’eau éponyme sont décrits avec une telle force évocatrice qu’ils semblent dotés d’une conscience propre, d’une volonté tantôt bienveillante, tantôt hostile. Andrée A. Michaud insuffle à ces espaces une présence presque tangible, leur conférant des intentions, des humeurs et une histoire qui influencent directement le destin des personnages humains.
La rivière Brûlée, dont le nom même évoque un passé marqué par la violence des flammes, porte en elle une mémoire que l’auteure distille subtilement au fil des pages. Ce cours d’eau aux reflets changeants selon la lumière semble garder les traces des drames qui s’y sont joués, comme si les traumatismes du passé imprégnaient ses eaux jusqu’à contaminer le présent. Sa double nature – source de vie et de fraîcheur mais aussi voie potentielle vers le danger – en fait un symbole ambigu qui accompagne la progression dramatique du récit.
Quant à la forêt, Michaud la dépeint comme un organisme vivant qui respire, observe et réagit. Les arbres denses forment tantôt un refuge protecteur, tantôt un labyrinthe inquiétant où les repères disparaissent. L’auteure excelle particulièrement dans la description des transformations subtiles de cet espace selon les heures du jour, la météo ou l’état psychologique des personnages. La forêt s’obscurcit, s’épaissit ou s’éclaircit au gré de la narration, reflétant et amplifiant les tensions qui se nouent.
Cette personnification de l’environnement s’exprime à travers une prose sensorielle d’une grande richesse. Les odeurs d’humus et de résine, le bruit des feuilles agitées par le vent, la texture spongieuse du sol après la pluie : tous ces détails sensoriels confèrent une présence presque charnelle à l’espace naturel. La forêt et la rivière deviennent ainsi des entités avec lesquelles les personnages entrent en dialogue, parfois en communion, souvent en confrontation.
L’utilisation narrative de cet espace s’avère particulièrement efficace dans la construction du suspense. La forêt qui s’assombrit progressivement symbolise l’entrée graduelle dans l’horreur, tandis que les sentiers qui se brouillent matérialisent la perte de repères moraux. Michaud joue habilement sur le contraste entre la beauté majestueuse de ces lieux et leur potentiel menaçant, créant une tension constante qui maintient le lecteur en alerte.
La maîtrise avec laquelle l’écrivaine québécoise transforme le cadre naturel en acteur à part entière du drame constitue l’une des plus grandes forces de « Proies ». À travers cette approche, elle renoue avec une tradition littéraire qui reconnaît la puissance du genius loci, l’esprit des lieux, tout en l’inscrivant dans une modernité narrative qui explore les frontières poreuses entre l’humain et son environnement.
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Les voix multiples : une architecture narrative au service de l’angoisse
« Proies » déploie une mosaïque de perspectives narratives qui enrichit considérablement l’expérience de lecture. Andrée A. Michaud orchestre avec brio les points de vue des trois adolescents protagonistes, ceux des adultes qui partent à leur recherche, et même parfois des aperçus plus troubles qui nous rapprochent de la menace elle-même. Cette polyphonie narrative n’est jamais gratuite ou décorative : elle constitue un puissant mécanisme d’amplification de la tension. La multiplicité des voix permet de créer des contrastes saisissants entre ce que certains personnages savent et ce que d’autres ignorent encore.
Les transitions entre ces différentes focalisations sont maîtrisées avec une fluidité remarquable. L’auteure passe d’une conscience à l’autre sans rupture apparente, tissant un réseau serré de perceptions et de sensations qui nous immerge totalement dans l’univers du roman. Cet entrelacement des points de vue, plutôt que de disperser l’attention, concentre l’effet dramatique en créant des échos et des résonances entre les expériences parallèles des différents protagonistes.
Particulièrement efficace est la manière dont Michaud utilise cette structure pour jouer sur le décalage entre les informations dont dispose le lecteur et celles accessibles aux personnages. Cette asymétrie de connaissance génère une forme d’angoisse spécifique où le lecteur, rendu témoin impuissant, anticipe les dangers que les protagonistes ne perçoivent pas encore. Un simple changement de focalisation suffit alors à créer un pic de tension, transformant l’acte de lecture en une expérience émotionnellement intense.
La polyphonie narrative permet également à l’auteure d’explorer la manière dont un même événement peut être perçu, vécu et interprété différemment selon les individus. Les distorsions, les angles morts et les interprétations contradictoires qui en résultent ajoutent une couche supplémentaire de complexité au récit. Cette diversité de perceptions souligne à quel point notre compréhension du monde est subjective, fragmentée, sujette aux filtres de nos propres peurs et désirs.
La variété des voix se reflète également dans le style, Michaud adaptant subtilement son écriture aux différentes consciences qu’elle habite. Le flux de pensées saccadé des adolescents terrorisés contraste avec la prose plus mesurée qui caractérise les passages focalisés sur les adultes à leur recherche. Ces modulations stylistiques confèrent au texte une texture riche qui amplifie l’immersion du lecteur dans l’univers mental de chaque personnage.
Cette construction chorale se révèle être l’un des atouts majeurs de « Proies », transformant ce qui aurait pu n’être qu’un simple thriller en une œuvre aux résonances bien plus profondes. La pluralité des perspectives narratives que déploie Andrée A. Michaud dépasse la simple technique littéraire pour devenir une véritable exploration des limites de l’empathie et de la communication entre les êtres, en particulier lorsqu’ils se trouvent confrontés à l’innommable.
La temporalité du drame : l’écoulement du temps comme amplificateur de tension
La gestion magistrale du temps constitue l’un des ressorts narratifs les plus puissants de « Proies ». Andrée A. Michaud structure son récit selon une chronologie méticuleuse où chaque chapitre est daté avec précision, créant d’emblée un sentiment d’urgence. Cette organisation temporelle rigoureuse n’est pas qu’un simple cadre : elle devient un véritable instrument de tension narrative. L’écoulement des minutes, des heures et des jours acquiert une dimension presque physique, palpable, qui fait du temps un adversaire impitoyable.
Le contraste entre l’accélération et le ralentissement du temps vécu participe pleinement à l’intensité dramatique du roman. L’auteure alterne habilement les séquences où le temps semble s’étirer, notamment dans les moments d’attente angoissée, et celles où il s’emballe brusquement quand l’action se précipite. Cette élasticité temporelle mime le fonctionnement de la conscience sous l’effet du stress, où la perception des durées se déforme en fonction de l’intensité émotionnelle.
Particulièrement saisissante est la façon dont Michaud parvient à créer une tension persistante en jouant sur les décalages temporels entre les différentes lignes narratives. En nous faisant naviguer entre les diverses perspectives, elle tisse un réseau complexe de temporalités qui se chevauchent, s’entrechoquent ou se répondent. Le lecteur, placé au carrefour de ces temporalités multiples, ressent avec acuité la course contre la montre qui se joue pour les personnages.
L’auteure exploite également le pouvoir dramatique de l’attente et de l’anticipation. Les moments de suspension, où le temps semble se figer dans l’expectative d’un danger imminent, génèrent une angoisse particulièrement intense. Ces pauses apparentes dans le flux temporel permettent à la tension de s’accumuler, avant de se libérer brutalement lorsque l’action reprend. Cette alternance rythmique maintient le lecteur dans un état permanent de vigilance anxieuse.
La nuit constitue un marqueur temporel essentiel dans l’économie narrative de « Proies ». L’obscurité transforme la perception de l’environnement et amplifie les terreurs latentes des personnages. Michaud utilise ce basculement quotidien du jour à la nuit comme un levier dramatique, chaque crépuscule marquant une intensification de la menace. Les cycles nocturnes scandent ainsi la progression inexorable vers le dénouement, créant une horloge narrative implacable.
L’habileté avec laquelle l’écrivaine québécoise manie cette dimension temporelle révèle sa profonde compréhension des mécanismes de l’angoisse. La conscience aiguë du temps qui passe, des occasions manquées, des délais qui s’amenuisent confère au récit une force inexorable qui emporte le lecteur. Cette temporalité travaillée avec minutie transforme « Proies » en une expérience de lecture où l’on ressent viscéralement l’urgence vitale qui anime les personnages face à l’adversité.
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« Proies » dans l’œuvre d’Andrée A. Michaud : l’aboutissement d’une écriture du territoire et de l’effroi
« Proies » s’inscrit avec force dans la continuité d’une œuvre littéraire cohérente, tout en marquant une forme d’aboutissement dans le parcours créatif d’Andrée A. Michaud. Ce roman prolonge les thématiques explorées dans ses précédents ouvrages, notamment « Bondrée », autre thriller remarqué qui se déroulait également dans un cadre naturel isolé. L’auteure québécoise approfondit ici sa cartographie littéraire des territoires sauvages, poursuivant son exploration fascinante des liens complexes entre l’humain et son environnement naturel.
La forêt, omniprésente dans l’œuvre de Michaud, devient dans « Proies » un espace encore plus finement ciselé, marqué par une ambivalence fondamentale. À la fois refuge et piège, source de beauté et d’effroi, elle incarne cette dualité que l’écrivaine n’a cessé d’explorer au fil de ses romans. Cette vision nuancée de la nature, jamais idéalisée ni simplement hostile, témoigne d’une maturité narrative qui s’est affinée livre après livre, atteignant ici un équilibre remarquable entre description poétique et tension dramatique.
Sur le plan stylistique, « Proies » représente également une forme de culmination dans l’écriture de Michaud. Sa prose, toujours précise et évocatrice, atteint ici une densité sensorielle particulièrement aboutie. Les descriptions, jamais gratuites, servent constamment la progression dramatique tout en maintenant cette attention méticuleuse aux détails qui caractérise l’ensemble de son œuvre. Le lecteur familier de ses précédents romans reconnaîtra cette signature stylistique, portée ici à un niveau de maîtrise impressionnant.
La dimension psychologique, déjà présente dans ses œuvres antérieures, gagne dans « Proies » en profondeur et en subtilité. L’auteure démontre une compréhension encore plus aiguë des mécanismes de la peur, de la culpabilité et de la résilience qui traversent l’esprit humain confronté à l’adversité. Cette exploration des ténèbres intérieures, mise en miroir avec l’obscurité physique de la forêt, révèle la cohérence thématique d’une œuvre qui n’a cessé d’interroger les zones d’ombre de la psyché humaine.
On retrouve également dans ce roman l’intérêt marqué de Michaud pour les communautés isolées et leurs dynamiques sociales particulières. Le village de Rivière-Brûlée, avec ses habitants, ses rumeurs et ses secrets, s’inscrit dans la lignée des microcosmes sociaux que l’auteure a su dépeindre avec finesse dans ses précédents ouvrages. Cette dimension sociologique enrichit considérablement la trame narrative, ancrant l’horreur dans un contexte crédible qui en démultiplie l’impact.
Ce qui fait de « Proies » une œuvre particulièrement significative dans la bibliographie de Michaud réside dans cette fusion harmonieuse de tous les éléments qui ont fait la force de ses précédents romans. L’auteure y démontre sa capacité à mobiliser simultanément ses talents de paysagiste littéraire, de psychologue et de créatrice de suspense pour produire une œuvre d’une intense puissance émotionnelle. Ce roman confirme, s’il en était besoin, qu’Andrée A. Michaud occupe une place singulière et essentielle dans le paysage littéraire contemporain.
Mots-clés : Thriller psychologique, Forêt hostile, Adolescence, Survie, Québec, Suspense, Prédation
Extrait Première Page du livre
» Mardi 18 août
Le mardi 18 août d’une année dont on se souviendrait plus tard comme d’une année de deuil et de stupéfaction, trois adolescents de Rivière-Brûlée, un village perdu parmi les collines, avaient quitté la maison familiale sitôt après le déjeuner, aussi excités que s’ils partaient escalader l’Everest, pour aller camper près de la rivière qui avait donné son nom à leur localité, un cours d’eau ayant depuis longtemps oublié les feux qui avaient ravagé ses rives à l’époque où la région ne comptait que quelques âmes.
Jusqu’à ce mardi resplendissant, la Brûlée était un lieu qui inspirait la confiance et où on ne s’imaginait pas que le mal puisse s’inviter. Un débit paisible, des rochers qui émergeaient et vous permettaient, au plus fort de l’été, de sauter d’une rive à l’autre sans trop vous mouiller, des bandes de sable gris et des arbres, issus de la cendre de leurs ancêtres, des feuillus par dizaines, qui se courbaient sur ses eaux et offraient leur ombre à qui voulait observer le scintillement des truites entre les pierres.
Un coin de pays que les gens des environs avaient fait leur, ainsi qu’on fait sienne une maison, une montagne, une prairie dans laquelle on peut se reconnaître et avoir l’impression de toucher la matière qui nous constitue. Les seuls incidents recensés près de la Brûlée au fil des décennies concernaient des promeneurs téméraires qui avaient voulu braver ses crues, des gamins qui s’étaient entaillé les pieds sur ses caps, des pêcheurs plus ivres qu’alertes y ayant piqué du nez avant de se réveiller brusquement en battant des jambes et des bras. Des histoires qui suscitaient la moquerie, mais aucune mort tragique, aucune noyade, aucun de ces drames qui font naître les légendes et transforment les nuits en repaires d’ombres habités par les figures d’une nouvelle hantise, esprits malins ou monstres à visage humain qu’on redoute ensuite de voir apparaître à sa fenêtre.
Les abords de la Brûlée, du plus loin qu’on se souvienne, constituaient une retraite idéale pour qui voulait s’éloigner de son quotidien et goûter la fraîcheur que promettent les rivières. On y installait son camp, on y observait les lucioles et les étoiles filantes, on y cueillait des groseilles et des bleuets dans la descente à Picard, là où la déclivité du terrain créait des cascades bouillonnantes au printemps, et on retournait chez soi avec le sentiment de s’être lavé, de s’être délesté d’un fardeau qu’on ignorait peser sur ses épaules. «
- Titre : Proies
- Auteur : Andrée A. Michaud
- Éditeur : Éditions Payot & Rivages
- Nationalité : Canada
- Date de sortie en France : 2023
- Date de sortie au Canada : 2022
Résumé
Non loin du village de Rivière-Brûlée, trois adolescents, Judith, Abigail et Alexandre, partent camper dans la forêt. C’est l’été, ils se réjouissent de passer ces trois jours au grand air loin de leur famille. Le premier jour est idyllique. Le soir, à la veillée, ils se racontent des histoires de fantômes et jouent à se faire peur.
Mais le lendemain, au retour d’une baignade dans la rivière, ils ont la nette impression que leurs affaires ont été déplacées. Ils sentent comme une présence autour d’eux sans pouvoir vraiment en identifier l’origine. Peu à peu, leurs peurs se concrétisent de la manière la plus effrayante. Et la nature exubérante se fait hostile quand leur vie est en jeu…

Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis une soixantaine d’années, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.