« Shutter Island » : thriller psychologique sur fond de complot
« Shutter Island », publié en 2003 par Dennis Lehane, est un brillant thriller psychologique qui plonge le lecteur dans une atmosphère oppressante et paranoïaque. L’intrigue se déroule en 1954 sur Shutter Island, une île isolée au large de Boston abritant l’hôpital psychiatrique d’Ashecliffe, réservé aux criminels aliénés.
Le roman suit l’enquête des marshals américains Teddy Daniels et Chuck Aule, envoyés sur l’île pour élucider la mystérieuse disparition de Rachel Solando, une patiente de l’asile. Mais leur investigation se heurte rapidement à l’hostilité et au mutisme du personnel, dirigé par l’énigmatique Dr Cawley.
Au fil des pages, Lehane distille un sentiment de menace croissante et de suspicion généralisée. Les deux marshals se retrouvent pris au piège sur cette île coupée du monde, confrontés à des événements de plus en plus étranges et inquiétants. Ils découvrent que l’hôpital semble mener de troubles expériences psychiatriques sur les patients.
L’auteur entretient savamment le doute : l’asile dissimule-t-il un vaste complot ? Ou est-ce la paranoïa de Teddy Daniels, hanté par son passé traumatique de vétéran et de mari endeuillé, qui lui fait voir le mal partout ? La frontière entre réalité et délire se brouille peu à peu.
Maître du suspense, Dennis Lehane tient le lecteur en haleine jusqu’aux ultimes révélations, qui remettent en question toute la perception des événements. « Shutter Island » est une œuvre ambiguë et dérangeante qui joue avec les nerfs et l’esprit du lecteur, l’entraînant dans une vertigineuse exploration des méandres de la folie et de l’identité troubles.
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Teddy Daniels, un marshal hanté par son passé
Le personnage principal de « Shutter Island », Teddy Daniels, est un marshal américain complexe et torturé. Vétéran de la Seconde Guerre mondiale, il est hanté par les atrocités qu’il a vues et commises durant le conflit, notamment lors de la libération du camp de Dachau. Ces expériences traumatisantes le hantent sous forme de cauchemars et de flashbacks récurrents.
Mais le passé de Teddy est également marqué par un drame personnel dévastateur : la mort de sa femme, Dolores, dans un incendie criminel. Cette disparition tragique a laissé une plaie béante dans la vie de Teddy, qui se sent coupable de ne pas avoir su la protéger. La traque de l’incendiaire, un certain Andrew Laeddis, est devenue une obsession pour lui.
C’est avec ce lourd passé que Teddy débarque sur Shutter Island pour enquêter sur la disparition de Rachel Solando. Mais au fil de son investigation, il apparaît de plus en plus instable et paranoïaque, consumé par ses démons intérieurs. Ses migraines fréquentes et ses hallucinations (où il voit sa femme décédée) jettent le doute sur sa perception de la réalité.
Le lecteur en vient à se demander si la quête de vérité de Teddy sur l’île n’est pas en fait une quête identitaire, une tentative désespérée de faire face à ses propres traumatismes refoulés. La frontière entre sa mission professionnelle et sa détresse psychologique devient de plus en plus floue.
À travers le personnage de Teddy Daniels, Lehane explore avec une grande finesse les thèmes de la culpabilité du survivant, du deuil pathologique et de la dérive de la raison. Teddy apparaît comme un homme brisé cherchant désespérément une forme de rédemption, mais se perdant dans les dédales de sa propre psyché tourmentée.
L’asile d’Ashecliffe, un lieu énigmatique au cœur de l’intrigue
L’asile d’Ashecliffe, situé sur la sinistre Shutter Island, est bien plus qu’un simple décor dans le roman de Dennis Lehane. C’est un personnage à part entière, un lieu énigmatique et oppressant qui semble receler de lourds secrets. Dès leur arrivée sur l’île, les marshals Teddy Daniels et Chuck Aule sont frappés par l’atmosphère étrange qui y règne.
Cet hôpital psychiatrique pour criminels aliénés est un labyrinthe de couloirs sombres, de cellules austères et de salles d’interrogatoire inquiétantes. Les patients, tous auteurs d’actes violents, errent dans un état de délire permanent, ajoutant à l’ambiance de chaos latent. Le personnel, dirigé par l’ambigu Dr Cawley, semble cacher bien des choses sur les activités réelles de l’établissement.
Au fil de leur enquête, Teddy et Chuck découvrent qu’Ashecliffe n’est pas qu’un simple asile. Des rumeurs de mystérieux « traitements » et d' »expériences » psychiatric sur les patients commencent à émerger. La découverte de zones interdites au sein de l’hôpital, comme le sinistre phare ou le pavillon C, ne fait qu’ajouter au climat de paranoïa ambiante.
L’asile devient un véritable dédale où réalité et illusion se confondent. Les marshals se retrouvent prisonniers de cet univers dément, coupés du monde extérieur par une terrible tempête. Ashecliffe semble détenir la clé des mystères de l’île, mais se révèle être un endroit où la vérité est constamment remise en question.
À travers sa description méticuleuse de l’asile, Lehane en fait un miroir des tourments psychologiques des personnages. Ashecliffe est la projection physique de la folie, un lieu où les frontières de la raison se dissolvent. C’est une prison mentale dont il semble impossible de s’échapper, un endroit où les certitudes vacillent et où les pires cauchemars semblent prendre vie.

La disparition de Rachel Solando, point de départ d’une quête de vérité
Le roman « Shutter Island » s’ouvre sur un événement perturbant : la disparition inexpliquée de Rachel Solando, une patiente de l’asile d’Ashecliffe. Cette femme, incarcérée pour avoir noyé ses trois enfants, s’est volatilisée de sa cellule verrouillée sans laisser de traces. C’est pour élucider ce mystère que les marshals Teddy Daniels et Chuck Aule sont envoyés sur l’île.
Mais très vite, leur enquête se heurte à l’hostilité et au mutisme du personnel de l’établissement. Le Dr Cawley et ses collègues semblent déterminés à entraver leur investigation, leur dissimulant des informations cruciales. Plus Teddy et Chuck creusent, plus ils se heurtent à un mur de silence et de secrets.
Cependant, la disparition de Rachel Solando n’est que la partie émergée de l’iceberg. Au fil de leurs découvertes, les deux marshals réalisent que cette affaire cache quelque chose de bien plus vaste et sinistre. Des rumeurs d’expériences psychiatriques illégales et de manipulations des patients commencent à émerger.
Pour Teddy Daniels, cette enquête prend une tournure personnelle. Hanté par son passé traumatique et la mort tragique de sa femme, il voit dans la disparition de Rachel Solando un écho de ses propres tourments. Résoudre ce mystère devient pour lui un moyen d’affronter ses démons intérieurs et de trouver une forme de rédemption.
Mais plus l’investigation progresse, plus la frontière entre réalité et illusion semble s’estomper. Les certitudes de Teddy vacillent, et il en vient à douter de sa propre santé mentale. La quête de vérité se transforme en une plongée vertigineuse dans les méandres de la folie et de l’identité trouble.
À travers la disparition de Rachel Solando, Dennis Lehane tisse une intrigue complexe où chaque découverte soulève de nouvelles questions. Ce mystère initial est le point de départ d’une exploration des thèmes de la culpabilité, du trauma et de la nature même de la réalité. C’est une quête de vérité aux enjeux bien plus profonds qu’il n’y paraît, une odyssée psychologique où les certitudes s’effondrent et où la vérité se révèle être un miroir aux multiples facettes.
Une atmosphère oppressante, entre mystère et paranoïa
Dès les premières pages de « Shutter Island », Dennis Lehane plonge le lecteur dans une atmosphère oppressante et inquiétante. L’île sur laquelle se déroule l’intrigue semble coupée du monde, perdue dans les brumes de l’océan. Cette isolation géographique renforce le sentiment de claustrophobie et de danger qui imprègne tout le roman.
L’asile d’Ashecliffe, avec ses murs gris et froids, ses couloirs sombres et ses patients délirants, est un lieu où la folie semble s’être incarnée. Les descriptions méticuleuses de Lehane donnent vie à cet univers cauchemardesque, où chaque ombre semble receler une menace. Le lecteur, à l’instar des personnages, se sent pris au piège dans ce décor angoissant.
Mais plus encore que l’environnement physique, c’est l’atmosphère de paranoïa qui rend le récit si oppressant. Au fil des pages, le doute s’insinue dans l’esprit du lecteur. Les marshals Teddy Daniels et Chuck Aule sont confrontés à un mur de silence de la part du personnel de l’asile, à des témoignages contradictoires et à des révélations troublantes sur de mystérieuses expériences menées sur les patients.
Chaque découverte ne fait qu’épaissir le mystère et soulever de nouvelles questions. Le lecteur, comme les protagonistes, en vient à se méfier de tout et de tout le monde. La frontière entre réalité et illusion devient de plus en plus floue, et la paranoïa s’installe insidieusement.
Lehane joue habilement avec les nerfs du lecteur, alternant moments de tension et de calme trompeur. L’intrigue se déroule dans une atmosphère de suspicion généralisée, où chaque personnage semble avoir quelque chose à cacher. Les dialogues sont souvent cryptiques, ajoutant encore à la confusion et à l’incertitude ambiantes.
Cette atmosphère oppressante culmine dans les scènes où Teddy Daniels, en proie à des migraines et à des hallucinations, voit sa propre santé mentale se dégrader. Sa perception de la réalité devient de plus en plus trouble, entraînant le lecteur dans un véritable labyrinthe psychologique où les repères s’effacent.
À travers cette ambiance étouffante de mystère et de paranoïa, Lehane explore avec une grande finesse les thèmes de la folie, de la manipulation et de la fragilité de l’esprit humain. « Shutter Island » est un roman qui se vit autant qu’il se lit, une expérience immersive qui plonge le lecteur dans les tréfonds de la psyché perturbée et qui le laisse, à la dernière page, profondément marqué et désorienté.
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Les expériences psychiatriques au cœur des secrets d’Ashecliffe
Au cœur de l’intrigue de « Shutter Island » se trouvent les mystérieuses expériences psychiatriques menées à l’asile d’Ashecliffe. Au fil de leur enquête, les marshals Teddy Daniels et Chuck Aule découvrent des indices troublants suggérant que l’établissement est le théâtre d’activités bien plus sinistres que le simple traitement de patients aliénés.
Des rumeurs persistent sur l’utilisation de techniques de contrôle mental, de drogues expérimentales et de procédures chirurgicales douteuses, comme la lobotomie. Les patients semblent être les cobayes d’un vaste programme de recherche visant à explorer les recoins les plus sombres de l’esprit humain.
Le Dr Cawley, directeur de l’établissement, apparaît comme une figure ambiguë, à la fois charismatique et inquiétante. Ses discours sur les avancées de la psychiatrie moderne cachent mal une réalité plus dérangeante : Ashecliffe semble être un lieu où les limites éthiques ont été franchies au nom de la science.
Au cœur de ces expériences se trouve le mystérieux pavillon C, une zone interdite de l’asile où sont gardés les patients les plus dangereux. C’est là que Rachel Solando était internée avant sa disparition. Les marshals soupçonnent que ce bâtiment abrite les secrets les plus noirs d’Ashecliffe.
Leurs découvertes soulèvent des questions dérangeantes sur la nature même de la folie. Les patients sont-ils véritablement aliénés, ou sont-ils les victimes d’une manipulation psychiatrique à grande échelle ? Les traitements administrés visent-ils réellement à guérir, ou servent-ils des desseins plus sombres ?
Au fil des révélations, Teddy Daniels en vient à douter de la frontière entre folie et raison. Lui-même victime de traumatismes psychologiques, il se demande s’il n’est pas en train de sombrer dans la paranoïa. Les expériences menées à Ashecliffe deviennent le miroir de sa propre descente dans les méandres de l’esprit.
À travers cette exploration des expériences psychiatriques, Dennis Lehane interroge la nature de l’identité et les limites de la raison humaine. Il met en lumière les dérives possibles d’une science qui, poussée à l’extrême, peut devenir un instrument de contrôle et de destruction de l’individu. « Shutter Island » est une plongée dérangeante dans les zones d’ombre de la psychiatrie, un récit qui ébranle nos certitudes sur la frontière entre le sain et le pathologique.
Andrew Laeddis, un patient au centre de l’obsession de Teddy
Andrew Laeddis est un nom qui hante Teddy Daniels tout au long de « Shutter Island ». Ce patient de l’asile d’Ashecliffe est au cœur de l’obsession du marshal, une obsession qui dépasse le cadre de son enquête sur la disparition de Rachel Solando. Pour Teddy, retrouver Laeddis est une question personnelle, presque vitale.
On apprend que Laeddis est l’homme qui a allumé l’incendie criminel ayant coûté la vie à Dolores, la femme bien-aimée de Teddy. Depuis ce drame, le marshal voue une haine inextinguible à Laeddis et s’est juré de le traquer sans relâche. La présence du pyromane sur Shutter Island est l’une des raisons qui ont poussé Teddy à accepter cette mission.
Au fil de l’intrigue, la traque de Laeddis prend une dimension presque mythologique. Le patient semble insaisissable, presque fantomatique. Teddy est persuadé que Laeddis détient la clé des mystères de l’île et des expériences psychiatriques qui y sont menées. Il en vient à voir en lui la source de tous ses tourments.
Mais la quête de Teddy est aussi une quête identitaire. À travers sa traque obstinée de Laeddis, il cherche à donner un sens à la mort tragique de sa femme, à trouver une forme de rédemption. Son obsession pour le patient devient le reflet de sa propre descente dans les abysses de la culpabilité et du deuil pathologique.
Plus Teddy s’approche de Laeddis, plus la frontière entre réalité et illusion semble s’estomper. Les indices qu’il récolte deviennent de plus en plus contradictoires, et sa propre santé mentale commence à vaciller. Le lecteur en vient à se demander si Laeddis existe réellement ou s’il n’est qu’une projection des tourments intérieurs de Teddy.
La figure d’Andrew Laeddis devient le centre d’un jeu de miroirs troublant, où la folie et la raison s’entremêlent inextricablement. À travers ce personnage énigmatique, Dennis Lehane explore les thèmes de la culpabilité, de l’obsession et de la fragmentation de l’identité. La traque de Laeddis est autant une plongée dans les méandres de l’asile d’Ashecliffe que dans les tréfonds de la psyché tourmentée de Teddy Daniels.
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Le rôle ambigu du Dr Cawley et du personnel de l’hôpital
Dans « Shutter Island », le Dr John Cawley, directeur de l’asile d’Ashecliffe, est un personnage central dont le rôle est pour le moins ambigu. Psychiatre renommé, il se présente comme un homme charismatique et affable, soucieux du bien-être de ses patients. Cependant, au fil de l’intrigue, son comportement et ses motivations deviennent de plus en plus troubles.
Dès l’arrivée des marshals Teddy Daniels et Chuck Aule sur l’île, le Dr Cawley semble déterminé à entraver leur enquête. Il leur refuse l’accès aux dossiers des patients et du personnel, invoquant le secret médical. Ses réponses à leurs questions sont souvent évasives, voire contradictoires. Cette attitude soulève rapidement les soupçons de Teddy, qui voit en Cawley un homme cherchant à dissimuler les sombres secrets de l’asile.
Au fil des découvertes des marshals, le rôle du Dr Cawley devient de plus en plus central. Il est le maître d’œuvre des mystérieuses expériences psychiatriques menées à Ashecliffe, des expériences qui semblent repousser les limites de l’éthique médicale. Son discours sur les avancées de la psychiatrie moderne peine à masquer une réalité plus dérangeante : celle d’un médecin prêt à tout pour explorer les recoins les plus sombres de l’esprit humain.
Mais Cawley n’est pas le seul membre du personnel de l’hôpital dont le rôle est ambigu. Les infirmières, les gardiens et les autres psychiatres semblent tous, à des degrés divers, complices d’un vaste système de manipulation et de dissimulation. Leur loyauté aveugle envers Cawley et leur réticence à parler aux marshals suggèrent qu’ils ont quelque chose à cacher.
Cependant, la véritable nature du Dr Cawley et de son personnel reste longtemps insaisissable. Sont-ils les instigateurs d’un complot machiavélique visant à utiliser les patients comme cobayes ? Ou sont-ils eux-mêmes prisonniers d’un système qui les dépasse, contraints de maintenir une façade de normalité pour dissimuler une vérité trop dérangeante ?
À travers ces personnages ambigus, Dennis Lehane interroge la nature même de la folie et de ceux qui prétendent la soigner. Il met en lumière les dérives possibles d’une psychiatrie qui, sous couvert de science, peut devenir un instrument de pouvoir et de contrôle. Le Dr Cawley et son personnel deviennent le miroir d’une société où la frontière entre le sain et le pathologique est plus ténue que jamais, où la raison elle-même peut être manipulée et détournée.
Les révélations finales : réalité, manipulation ou folie ?
*** Attention, ce chapitre contient des révélations sur la fin du roman.
Les derniers chapitres de « Shutter Island » apportent une série de révélations qui viennent bouleverser toute la compréhension que le lecteur avait de l’histoire. Tout ce que Teddy Daniels croyait savoir sur l’asile d’Ashecliffe, sur les patients et sur sa propre identité est remis en question, laissant place à un vertigineux jeu de pistes où réalité, manipulation et folie s’entremêlent inextricablement.
La vérité qui émerge est aussi inattendue que dérangeante : Teddy Daniels n’est pas un marshal venu enquêter sur la disparition de Rachel Solando. Il est en réalité Andrew Laeddis, un patient de l’asile souffrant de schizophrénie paranoïde. Toute son histoire, son identité de marshal, sa quête obstinée, ne sont que le fruit de son délire, une construction mentale élaborée pour échapper à une réalité trop douloureuse.
Car la vérité que Laeddis refuse d’affronter est terrible : c’est lui qui, dans un accès de folie, a assassiné sa propre femme, Dolores, après que celle-ci a noyé leurs trois enfants. Incapable de supporter cette culpabilité, il s’est réfugié dans un monde illusoire où il est un héros en quête de justice, traquant le fantôme d’Andrew Laeddis.
Mais ces révélations soulèvent autant de questions qu’elles apportent de réponses. Toute l’enquête de Teddy/Andrew était-elle une pure fabrication de son esprit malade ? Ou était-elle une mise en scène savamment orchestrée par le Dr Cawley et son équipe dans le cadre d’une thérapie expérimentale visant à forcer Andrew à affronter la réalité ?
Les frontières entre vérité et mensonge, entre soin et manipulation, deviennent plus floues que jamais. Le lecteur, comme le protagoniste, est pris dans un vertigineux jeu de miroirs où chaque certitude s’effondre. La réalité elle-même semble se dérober, laissant place à un doute permanent.
À travers ces révélations, Dennis Lehane offre une réflexion d’une grande profondeur sur la nature de la folie et de l’identité. Il interroge la façon dont l’esprit humain peut se protéger de vérités insoutenables en se réfugiant dans l’illusion, et comment cette illusion peut être plus puissante que la réalité elle-même. Il questionne aussi les limites éthiques de la psychiatrie, et la façon dont la manipulation thérapeutique peut brouiller les frontières entre soin et contrôle.
La fin de « Shutter Island » laisse le lecteur avec plus de questions que de réponses, dans un état de trouble et d’incertitude qui reflète celui du protagoniste. C’est un tour de force narratif qui fait de ce roman bien plus qu’un simple thriller psychologique : une exploration profonde et dérangeante des méandres de l’esprit humain, où la vérité n’est jamais qu’une question de perspective.
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L’adaptation cinématographique de Scorsese, une relecture fidèle et stylisée
En 2010, le célèbre réalisateur Martin Scorsese a porté à l’écran le roman de Dennis Lehane, offrant une relecture à la fois fidèle et stylistiquement audacieuse de « Shutter Island ». Le film, mettant en vedette Leonardo DiCaprio dans le rôle de Teddy Daniels/Andrew Laeddis, a rencontré un large succès critique et public, confirmant la puissance de l’histoire originale.
Scorsese, connu pour son goût pour les personnages tourmentés et les atmosphères oppressantes, s’est emparé avec brio de l’univers de Lehane. Sa direction artistique met en valeur la dimension cauchemardesque de l’asile d’Ashecliffe, avec ses couloirs labyrinthiques, ses cellules austères et ses patients inquiétants. La photographie, signée Robert Richardson, joue sur les contrastes ombres/lumières pour créer une ambiance d’une tension palpable, où chaque recoin semble receler une menace.
Le cinéaste parvient à retranscrire avec une grande précision les thèmes centraux du roman : la culpabilité, le trauma, la fragmentation de l’identité. Le personnage de Teddy Daniels, magistralement interprété par DiCaprio, devient sous sa caméra un homme hanté, déchiré entre sa quête obsessionnelle de vérité et sa propre descente dans la folie. Les flashbacks de la guerre et de la mort tragique de sa femme, savamment distillés, viennent peu à peu ébranler la réalité, plongeant le spectateur dans une confusion des plus déstabilisantes.
Mais Scorsese ne se contente pas d’une adaptation littérale. Il apporte sa propre touche, son style inimitable, à l’histoire de Lehane. Sa mise en scène virtuose, faite de mouvements de caméra sinueux et de montage staccato, traduit visuellement le chaos mental du protagoniste. La bande-son, avec ses nappes inquiétantes et ses dissonances, renforce le sentiment de paranoïa qui imprègne chaque scène.
Le réalisateur se permet aussi quelques libertés par rapport au matériau original, notamment dans la représentation des expériences psychiatriques menées à Ashecliffe. Là où le roman reste plus allusif, le film donne à voir de manière plus explicite les techniques de manipulation mentale et les drogues utilisées sur les patients. Ces scènes, d’une intensité parfois difficile à soutenir, renforcent le questionnement éthique au cœur de l’histoire.
Mais c’est surtout dans sa gestion des révélations finales que la maestria de Scorsese s’exprime pleinement. Le basculement de l’histoire, lorsque la véritable identité de Teddy Daniels se révèle, est orchestré avec une précision d’orfèvre. Le réalisateur parvient à maintenir le suspense jusqu’au bout, puis à faire accepter au spectateur ce renversement total de perspective, cette remise en question de tout ce qui précède.
Ainsi, loin d’être une simple illustration du roman de Lehane, l’adaptation cinématographique de Scorsese offre une véritable relecture de « Shutter Island ». Tout en restant fidèle à l’esprit et aux thèmes de l’œuvre originale, le cinéaste s’approprie l’histoire, la fait sienne par sa mise en scène inventive et son style unique. Le résultat est un film d’une grande densité, une plongée viscérale dans les méandres de la folie et de la culpabilité, qui laisse le spectateur, à l’instar du lecteur, profondément ébranlé.
Extrait Première Page du livre
» JOURNAL DU DR LESTER SHEEHAN (Extrait)
3 mai 1993
Il y a des années que je n’ai pas revu l’île. La dernière fois, c’était du bateau d’un ami qui s’était aventuré dans l’avant-port ; je l’ai aperçue au loin, par-delà le port intérieur, enveloppée d’une brume estivale, pareille à une tache de peinture laissée par une main insouciante sur la toile du ciel.
Je n’y ai pas remis les pieds depuis plus de vingt ans, et pourtant, Emily affirme (parfois pour rire, parfois le plus sérieusement du monde) que c’est comme si je n’en étais jamais parti. Elle m’a dit un jour que le temps n’était pour moi qu’une série de marque-pages dont je me sers pour parcourir le texte de ma vie, revenant inlassablement aux événements qui ont fait de moi, aux yeux de mes collègues les plus perspicaces, un homme manifestant tous les symptômes du parfait mélancolique.
Peut-être qu’Emily a raison. Elle a presque toujours raison.
Bientôt, je la perdrai elle aussi. Ce n’est plus qu’une question de mois, nous a annoncé jeudi le Dr Axelrod. Faites-le, ce voyage, nous a-t-il conseillé. Celui dont vous parlez tout le temps. Florence et Rome, Venise au printemps. Vous savez, Lester, a-t-il ajouté, vous n’avez pas l’air trop en forme non plus.
Je ne dois pas l’être, c’est vrai. En ce moment, il m’arrive de plus en plus souvent d’égarer certaines choses, surtout mes lunettes. Ou mes clés de voiture. J’entre dans des magasins pour oublier aussitôt ce qui m’y a amené, je sors du théâtre sans le moindre souvenir du spectacle auquel j’ai assisté. Si le temps n’est réellement pour moi qu’une série de marque-pages, alors quelqu’un a dû secouer le livre pour en faire tomber tous les morceaux de papier jaunis, rabats de pochettes d’allumettes, touillettes aplaties, avant de lisser avec soin les feuillets cornés. «
- Titre : Shutter Island
- Auteur : Dennis Lehane
- Éditeur : Payot & Rivages
- Nationalité : États-Unis
- Date de sortie : 2003
Page Officielle : dennislehane.com

Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis plus de 60 ans, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.
Bravo pour cette belle chronique, Manuel.
Toujours aussi au top, je vois !
De plus, parler du film de Scorsese est un bonus d’excellence pour le lecteur de cette chronique. Pas évident de mélanger les genres, même si le film suit le livre…
J’ai bien aimé.
Les détails, le ton, tout est respecté. La frontière fine entre réalité et folie bien abordé.
Merci, Manuel !
Amicalement
Francis
Merci beaucoup, Francis, pour ce retour chaleureux ! C’est toujours un plaisir de voir des lecteurs aussi passionnés que toi apprécier une chronique. En effet, le roman de Dennis Lehane et le film de Scorsese forment une œuvre doublement fascinante, où chaque version explore à sa manière cette fameuse frontière entre réalité et folie. Et je ne pouvais pas ne pas en parler puisque j’ai d’abord vu le film avant de lire le livre.
Merci encore pour tes encouragements et ta fidélité, cela me motive à approfondir encore plus mes futures chroniques.
Amicalement,
Manuel