Un thriller à l’ère numérique : présentation de « Tu sais qui »
Dans le paysage foisonnant du polar contemporain, « Tu sais qui » de Jakub Szamalek émerge comme une œuvre singulière qui conjugue avec brio les codes du thriller traditionnel et les angoisses modernes liées à notre vie numérique. Premier volet d’une trilogie baptisée « Trilogie du Dark Net », ce roman nous plonge dans une Varsovie ultraconnectée où les frontières entre vie privée et exposition publique s’effacent dangereusement.
L’intrigue s’articule autour de Julita Wójcicka, jeune journaliste pour un site web de potins qui assiste, par hasard, à un accident spectaculaire : une voiture franchit le parapet d’un pont et s’écrase plusieurs mètres plus bas. Ce fait divers, en apparence banal, va déclencher une enquête vertigineuse qui entraînera l’héroïne dans les profondeurs inquiétantes du web.
Ce qui frappe d’emblée dans ce roman, c’est sa terrifiante actualité. Szamalek dissèque notre relation ambivalente aux technologies numériques, pointant notre insouciance collective face aux dangers que représentent les traces que nous semons quotidiennement sur Internet. L’auteur déploie une intrigue haletante qui interroge notre vulnérabilité dans un monde où nos données personnelles sont devenues une monnaie d’échange.
Loin des clichés du genre, « Tu sais qui » brille par la finesse de son analyse sociologique. À travers le microcosme des médias en ligne, l’auteur brosse le portrait d’une société obsédée par l’audience, les clics et la viralité, sacrifiant souvent l’éthique journalistique sur l’autel du sensationnalisme. Le style incisif de Szamalek capture parfaitement cette frénésie contemporaine et son impact sur les individus.
L’originalité du roman réside également dans son approche pédagogique de la cybersécurité. Sans jamais tomber dans le didactisme pesant, l’auteur distille au fil des pages une véritable éducation aux dangers du numérique. Le lecteur découvre, en même temps que l’héroïne, les multiples façons dont notre intimité peut être violée par des individus malintentionnés maîtrisant les arcanes de l’informatique.
Le récit captive par son rythme effréné autant que par sa dimension prophétique. Publié initialement en 2019, « Tu sais qui » anticipait déjà certaines dérives numériques devenues depuis monnaie courante. Cette perspicacité confère au roman une dimension presque visionnaire qui transcende le simple divertissement pour nous offrir un miroir inquiétant de nos comportements numériques. Rarement un thriller n’aura été aussi pertinent dans son analyse des zones d’ombre de notre modernité connectée.
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Jakub Szamalek : du jeu vidéo à la littérature policière
Le parcours de Jakub Szamalek détonne dans le paysage littéraire contemporain. Né à Varsovie en 1986, cet archéologue de formation, diplômé de l’université de Cambridge, a d’abord forgé son talent narratif dans un univers inattendu : celui du jeu vidéo. En tant que scénariste principal de la célèbre saga « The Witcher », il a contribué à créer l’une des franchises vidéoludiques les plus acclamées de ces dernières années.
Cette expérience dans l’industrie du jeu vidéo transparaît dans son écriture romanesque, notamment dans sa maîtrise du worldbuilding et sa capacité à construire des univers cohérents aux ramifications complexes. Le rythme soutenu de ses récits, la richesse psychologique de ses personnages et l’attention portée aux détails témoignent d’une plume rompue à l’exigence narrative des productions vidéoludiques contemporaines.
Avant même de se lancer dans « Tu sais qui », Szamalek s’était déjà fait un nom dans le polar polonais avec sa série mettant en scène le procureur Teodor Szacki. Ces romans historiques se déroulant dans l’Antiquité révélaient déjà son goût pour l’enquête minutieuse et sa fascination pour les zones d’ombre de l’histoire humaine. Avec sa trilogie du Dark Net, il transpose cette obsession dans notre présent technologique.
L’originalité de Szamalek réside dans sa capacité à marier ses multiples influences. Son bagage académique d’archéologue lui confère une méthode d’analyse presque scientifique des comportements humains, tandis que son expérience de scénariste pour CD Projekt Red l’a sensibilisé aux questions éthiques soulevées par les technologies numériques. Cette double expertise irrigue « Tu sais qui » d’une authentique crédibilité.
Le grand Zygmunt Miloszewski, figure tutélaire du polar polonais, n’a pas hésité à désigner Szamalek comme son digne héritier, reconnaissant en lui un talent capable de renouveler le genre en l’ancrant fermement dans les préoccupations contemporaines. Cette filiation littéraire s’accompagne pourtant d’une voix singulière qui impose Szamalek comme un auteur à part entière, dont l’univers dépasse largement les frontières du simple polar.
L’intelligence narrative de l’auteur brille particulièrement dans sa capacité à vulgariser des concepts techniques complexes sans jamais ralentir le rythme de son intrigue. Son expérience dans le domaine du jeu vidéo lui a appris l’art délicat de distiller l’information au moment opportun, créant ainsi une tension constante qui captive le lecteur tout en l’éduquant subtilement aux enjeux de la cybersécurité. Voilà sans doute ce qui fait de « Tu sais qui » une œuvre aussi accessible qu’intellectuellement stimulante.
Une journaliste dans les abysses du web : l’héroïne Julita Wójcicka
Au cœur de « Tu sais qui » se dresse la figure attachante et complexe de Julita Wójcicka, protagoniste dont la trajectoire transcende le simple archétype de la journaliste obstinée. Originaire de la petite ville de Żukowo et fraîchement débarquée dans la jungle varsovienne, Julita incarne cette génération de jeunes professionnels pris entre leurs idéaux et la précarité d’un marché du travail impitoyable. Szamalek dessine avec finesse le portrait d’une jeune femme brillante contrainte de brader son talent au service d’un site web de potins.
La force du personnage réside dans sa dualité saisissante. D’un côté, Julita excelle dans l’art des titres racoleurs et du sensationnalisme qui font le succès de Meganews.pl. De l’autre, elle nourrit une ambition intacte de pratiquer un journalisme d’investigation rigoureux, digne des modèles qui ont forgé sa vocation. Cette tension constante entre compromission et idéalisme confère au personnage une profondeur psychologique rare.
L’évolution de cette héroïne constitue la véritable colonne vertébrale du roman. Initialement simple rouage dans une machine médiatique cynique, Julita se métamorphose progressivement en enquêtrice acharnée lorsqu’elle décide de creuser l’affaire de la mort mystérieuse du présentateur télé Ryszard Buczek. Cette transformation s’accompagne d’une prise de conscience brutale des dangers qui se tapissent dans les recoins obscurs du web.
La vulnérabilité de Julita, loin d’affaiblir le personnage, lui confère une humanité palpable qui facilite l’identification du lecteur. À travers son regard novice sur les questions de cybersécurité, le lecteur découvre progressivement les mécanismes complexes qui régissent notre environnement numérique. Szamalek utilise habilement cette naïveté initiale pour déployer une véritable pédagogie des risques du web sans jamais tomber dans le piège d’un didactisme pesant.
Ce qui distingue particulièrement Julita des héroïnes conventionnelles du polar est son ancrage sociologique précis. Le roman explore avec acuité les conditions de travail précaires des jeunes journalistes du web, la tyrannie des métriques et de l’instantanéité, ainsi que la pression constante du rendement. À travers ce prisme, Szamalek livre une critique acerbe de l’industrie médiatique contemporaine sans pour autant céder au manichéisme réducteur.
L’intelligence de la construction de ce personnage éclate dans sa capacité à susciter l’empathie malgré ses contradictions. Ni superhéroïne invulnérable ni victime passive, Julita Wójcicka s’impose comme une figure résolument contemporaine qui navigue tant bien que mal dans un monde où l’intime et le public s’entremêlent dangereusement. Son parcours initiatique dans les dédales du web profond devient ainsi le miroir troublant de nos propres errances numériques.

La mort mystérieuse de M. Pistache : enquête et révélations
L’intrigue de « Tu sais qui » s’articule autour d’un événement catalyseur aussi spectaculaire qu’énigmatique : l’accident mortel de Ryszard Buczek, célèbre présentateur télé polonais connu sous le nom de M. Pistache. Cette figure emblématique, animateur de l’émission pour enfants « Les Pistaches bleues », trouve la mort dans des circonstances troublantes lorsque sa voiture franchit le parapet d’un pont à vive allure. Ce qui aurait pu n’être qu’un simple fait divers devient le point de départ d’une enquête vertigineuse.
La force narrative de Szamalek réside dans sa capacité à transformer ce décès médiatisé en une toile complexe où se mêlent nostalgie collective et zones d’ombre. M. Pistache incarne pour toute une génération de Polonais cette figure rassurante de l’enfance, celle qui réalisait les rêves des plus jeunes dans son émission culte. Cette dimension affective amplifie la portée dramatique de sa disparition et confère à l’enquête une résonance émotionnelle puissante.
Le génie de l’auteur éclate dans sa manière d’entrelacer la figure publique et l’homme privé. Derrière le personnage jovial au nœud papillon à pois dorés se dissimule un individu aux multiples facettes que Julita va progressivement découvrir. Chaque révélation sur la vie de Buczek fonctionne comme une poupée russe, dévoilant de nouvelles couches de mystère et complexifiant l’énigme initiale de sa mort brutale.
L’investigation menée par Julita bouleverse les apparences trompeuses d’un simple accident. Le témoignage crucial de Leon Nowiński, qui a vu Buczek en larmes juste avant l’impact fatal, constitue le premier indice d’une affaire bien plus sinistre. À mesure que l’enquête progresse, Szamalek déploie avec maestria une mécanique implacable où chaque découverte entraîne la protagoniste plus profondément dans un dédale de secrets et de menaces.
L’affaire Buczek devient rapidement le miroir des dérives médiatiques contemporaines. L’auteur décortique avec une précision chirurgicale la machine à sensations qui transforme la mort tragique d’un homme en opportunité commerciale. Les articles aux titres racoleurs, la quête effrénée de détails croustillants, l’exploitation sans vergogne de l’émotion collective – tout l’arsenal des médias numériques est disséqué dans une critique aussi lucide qu’acerbe.
La richesse de cette trame criminelle réside dans sa dimension métaphorique subtile. À travers cette enquête sur une mort suspecte, Szamalek explore en filigrane notre propre vulnérabilité dans l’ère numérique. Les indices disséminés dans l’agenda de Buczek, les messages codés, les signaux d’alarme ignorés deviennent les symboles d’une société qui avance à l’aveugle dans les méandres d’un monde connecté dont elle ignore les dangers réels. Cette approche allégorique élève l’intrigue bien au-delà du simple whodunit.
Varsovie comme toile de fond : l’ancrage urbain du récit
Loin d’être un simple décor, Varsovie s’impose dans « Tu sais qui » comme un personnage à part entière, vibrant et complexe. Jakub Szamalek dépeint la capitale polonaise dans toute sa dualité : mégalopole résolument tournée vers l’avenir avec ses gratte-ciels étincelants qui entourent « telle une couronne » le Palais de la culture, mais aussi ville aux cicatrices encore visibles, aux quartiers contrastés où l’histoire affleure sous le vernis de la modernité. Cette topographie urbaine minutieusement reconstituée ancre le récit dans une réalité tangible qui renforce sa crédibilité.
Le roman arpente Varsovie dans ses multiples dimensions sociales, des immeubles ultra-modernes de la rue Cybernetyki abritant les rédactions numériques aux quartiers plus populaires comme Praga-Nord où Julita doit se rendre pour rencontrer des informateurs. Ce maillage urbain tissé avec précision reflète les fractures sociales et générationnelles d’une société polonaise en pleine mutation, où cohabitent les gagnants et les laissés-pour-compte de la transition post-communiste.
Le pont Grot-Rowecki, théâtre de l’accident fatal qui ouvre le récit, devient un symbole puissant de la fragilité des existences contemporaines. Szamalek transforme cette infrastructure urbaine banale en un lieu chargé de significations, point de rupture entre la vie et la mort, entre le visible et l’invisible. Les passages décrivant ce lieu sont empreints d’une poésie âpre qui contraste avec la froideur clinique des descriptions techniques de l’accident.
L’auteur excelle particulièrement dans sa représentation des espaces de transition : cafés impersonnels, halls d’immeubles aseptisés, transports en commun bondés où les personnages se croisent sans jamais véritablement se rencontrer. Ces non-lieux caractéristiques de la ville contemporaine deviennent sous sa plume les métaphores d’une société où le lien social se distend tandis que la connectivité numérique crée l’illusion de proximité.
La météorologie varsovienne, avec son smog envahissant et ses pluies persistantes, confère au récit une atmosphère oppressante qui fait écho aux menaces invisibles qui pèsent sur Julita. Szamalek utilise magistralement ces éléments climatiques comme amplificateurs émotionnels, transformant l’environnement urbain en caisse de résonance des tourments intérieurs de son héroïne. Le ciel varsovien, « où on ne voyait nulle étoile mais tout au plus des avions qui passaient », devient le miroir d’un horizon bouché.
Le génie de cette cartographie urbaine réside dans sa double dimension, matérielle et virtuelle. En parallèle de la Varsovie physique se déploie une Varsovie numérique, tout aussi réelle et dangereuse, faite de réseaux, de connexions invisibles et de surveillance omniprésente. Cette superposition d’une géographie tangible et d’une topographie virtuelle constitue l’un des tours de force du roman, transformant la capitale polonaise en parfaite incarnation de nos métropoles contemporaines, à la fois hyperconnectées et profondément atomisées.
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Les menaces invisibles : cybersécurité et vie privée dans le roman
La véritable prouesse de « Tu sais qui » réside dans sa capacité à matérialiser l’invisible, à donner corps aux menaces numériques qui peuplent notre quotidien sans que nous en prenions pleinement conscience. Jakub Szamalek dévoile, à travers le parcours initiatique de Julita, l’architecture cachée du web et ses dangers potentiels avec une précision technique impressionnante. Les explications fournies par le personnage de Jan Tran sur les failles de sécurité, les RAT (Remote Access Trojans) ou les attaques DDOS sont d’une telle justesse qu’elles confèrent au roman une dimension pédagogique sans jamais ralentir son rythme effréné.
Le roman explore avec acuité la vulnérabilité fondamentale de nos systèmes informatiques. « L’Internet est foireux », assène Jan Tran à Julita dans une formule lapidaire qui résume l’inquiétante réalité de notre infrastructure numérique mondiale. Szamalek décrit une architecture conçue initialement pour un usage restreint et confiant, inadaptée aux milliards d’utilisateurs actuels et aux myriades de menaces contemporaines. Cette vulnérabilité systémique devient la métaphore parfaite de notre propre fragilité dans l’écosystème numérique.
L’intrusion dans l’intimité numérique de Julita constitue l’un des moments les plus glaçants du récit. En exposant publiquement des photos privées de son héroïne, Szamalek illustre avec une cruauté clinique les conséquences dévastatrices d’une violation de données personnelles. Cette séquence dramatique transcende la simple péripétie narrative pour devenir une puissante allégorie de notre exposition permanente aux regards malveillants dans l’ère du tout-connecté.
La force du propos tient à son caractère universel et immédiatement reconnaissable. Qui n’a jamais accepté distraitement des conditions d’utilisation sans les lire? Qui n’a jamais réutilisé le même mot de passe pour plusieurs comptes? À travers les erreurs de Julita et les explications didactiques de ses mentors, le lecteur reconnaît ses propres comportements à risque et prend progressivement conscience de sa propre négligence face aux questions de cybersécurité.
Le concept de « dark net », abordé avec une remarquable clarté dans le roman, vient complexifier cette cartographie des dangers numériques. Szamalek dévoile l’existence de cette face cachée d’Internet, cet iceberg invisible sous la surface familière du web. La métaphore de l’oignon utilisée pour expliquer le fonctionnement du réseau TOR illustre parfaitement ces couches successives de cryptage qui protègent tant les dissidents politiques que les criminels, révélant l’ambivalence fondamentale des technologies de protection de la vie privée.
L’analyse proposée par l’auteur dépasse la simple fiction pour atteindre une dimension prophétique troublante. Sans tomber dans le catastrophisme, Szamalek projette une lumière crue sur nos angles morts numériques, sur cette insouciante confiance avec laquelle nous confions nos données les plus intimes à des systèmes intrinsèquement vulnérables. Cette dimension visionnaire confirme la pertinence de « Tu sais qui » comme œuvre d’anticipation sociale, révélant les mécanismes invisibles qui façonnent déjà notre quotidien connecté et dessinent les contours inquiétants de notre avenir immédiat.
Entre réalisme et dystopie : une critique de notre rapport à la technologie
L’œuvre de Szamalek occupe cette zone frontalière fascinante entre le roman réaliste et la dystopie techno-critique. « Tu sais qui » dépeint un monde qui nous est parfaitement familier tout en révélant sa face cachée, son potentiel dystopique déjà en germe dans nos pratiques quotidiennes. « Nous vivons déjà dans un cyber-futur dystopique. Mais l’interface est agréable à l’œil, alors personne ne s’en est rendu compte », affirme le personnage de Jan Tran dans une formule saisissante qui constitue peut-être la clé de lecture du roman tout entier.
L’une des forces majeures du récit réside dans son analyse implacable de notre dépendance technologique. À travers le personnage de Julita, journaliste constamment connectée mais technologiquement naïve, Szamalek met en lumière le paradoxe contemporain d’utilisateurs hyper-dépendants de systèmes qu’ils ne comprennent pas. Cette dissonance cognitive collective, cette délégation aveugle de notre intimité à des infrastructures opaques, constitue le terreau fertile des menaces que le roman explore avec tant d’acuité.
Le traitement médiatique de la mort de Buczek offre un miroir déformant mais terriblement lucide des dérives de notre écosystème informationnel. La tyrannie des compteurs de clics, la dictature de la heatmap qui mesure l’engagement des lecteurs, la course effrénée au sensationnalisme – Szamalek dissèque sans concession les mécanismes qui ont transformé le journalisme en une industrie de l’attention. Cette critique sociale s’ancre dans un réalisme minutieux qui confère au propos une force de conviction redoutable.
Particulièrement saisissante est la description de la surveillance permanente qui imprègne notre quotidien. L’auteur dévoile comment caméras, micros et capteurs de nos appareils constituent potentiellement autant d’yeux et d’oreilles indiscrets, transformant notre environnement domestique en panoptique invisible. La scène où Julita découvre que son ordinateur de bureau a été transformé en poste d’observation à son insu cristallise cette angoisse contemporaine d’être perpétuellement sous surveillance sans même s’en apercevoir.
Le roman pose avec une acuité troublante la question de notre consentement dans l’ère numérique. À quel moment avons-nous collectivement accepté de troquer notre intimité contre des services gratuits? Quand avons-nous normalisé l’idée que nos vies privées puissent devenir des marchandises? Sans jamais verser dans le moralisme simpliste, Szamalek interroge notre responsabilité collective dans l’avènement de cette société de surveillance consentie qui caractérise notre époque.
La puissance prophétique de « Tu sais qui » émerge de sa capacité à identifier les angles morts de notre modernité technologique. Par-delà la simple critique des usages numériques, le roman ausculte les mécanismes psychologiques et sociaux qui nous rendent si vulnérables face aux technologies invasives. La négligence, le désir de reconnaissance sociale, la commodité des solutions toutes faites – Szamalek cartographie avec une précision clinique les failles humaines qui fragilisent nos défenses et compromettent notre autonomie dans l’écosystème numérique contemporain.
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« Tu sais qui » : un polar pertinent et précurseur sur les dangers du numérique
Au terme de cette plongée dans l’univers de « Tu sais qui », force est de constater la singulière pertinence de ce premier volet de la Trilogie du Dark Net. Jakub Szamalek a réussi le tour de force de créer un thriller contemporain qui transcende les frontières du genre pour devenir un véritable miroir de notre société hyperconnectée. L’œuvre frappe par sa capacité à maintenir un équilibre parfait entre divertissement haletant et réflexion profonde sur les enjeux de notre époque numérique.
Le roman se distingue par son approche résolument moderne du suspense psychologique. Là où nombre de thrillers contemporains perpétuent des schémas narratifs éculés, Szamalek renouvelle le genre en l’ancrant fermement dans les préoccupations du XXIe siècle. La menace n’est plus le tueur en série sanguinaire ni le terroriste fanatique, mais cette présence invisible et diffuse qui peut, à tout moment, faire irruption dans notre vie depuis les profondeurs du web.
La dimension pédagogique de l’œuvre mérite d’être saluée tant elle s’intègre naturellement à la trame narrative. À travers le parcours initiatique de Julita, le lecteur acquiert progressivement les clés de compréhension des enjeux de cybersécurité sans jamais avoir l’impression de lire un manuel technique. Cette vulgarisation élégante des concepts numériques complexes constitue l’une des grandes réussites de l’auteur, rendant accessibles des problématiques souvent reléguées aux spécialistes.
Publié initialement en polonais en 2019 sous le titre « Cokolwiek wybierzesz » (littéralement « Quoi que tu choisisses »), le roman démontre une perspicacité troublante dans son analyse des vulnérabilités numériques. Plusieurs scandales majeurs liés à la protection des données personnelles, survenus après sa publication, semblent directement inspirés des scénarios imaginés par Szamalek, confirmant la justesse de sa vision et sa compréhension approfondie des mécanismes qui régissent notre écosystème numérique.
La traduction française, sous la plume experte de Kamil Barbarski, préserve admirablement le style incisif et le rythme soutenu de l’original. Elle restitue fidèlement cette tension permanente entre technicité et accessibilité, entre précision factuelle et souffle romanesque qui caractérise l’écriture de Szamalek. Cette qualité de traduction contribue indéniablement à l’immersion du lecteur francophone dans les méandres de cette enquête varsovienne aux ramifications universelles.
L’originalité fondamentale du livre tient à sa capacité à transformer notre quotidien banal en terrain fertile pour l’angoisse contemporaine. En révélant la face cachée des technologies que nous utilisons chaque jour sans y penser, Szamalek accomplit ce que la meilleure littérature a toujours su faire : rendre visible l’invisible, donner forme à nos inquiétudes diffuses et nous inviter à porter un regard neuf sur notre réalité familière. « Tu sais qui » s’impose ainsi comme une œuvre phare de la littérature numérique, un polar visionnaire dont la lecture devrait s’avérer aussi incontournable que troublante pour quiconque possède un smartphone.
Mots-clés : Cybersécurité, Dark Web, Journalisme, Vie privée, Thriller, Varsovie, Technologies
Extrait Première Page du livre
» 1
Quelle époque, se dit Czesław Komar, en jetant un coup d’œil au rétroviseur de sa bonne vieille Mercedes. Dans le temps, on pouvait discuter avec les passagers. Parfois de choses sérieuses, parfois de broutilles, il fallait bien l’admettre, mais au moins il y avait un contact humain, un lien. Et maintenant rien, ils fixaient leurs satanés téléphones comme s’il n’était pas là, comme si le taxi se conduisait tout seul. Ce client-ci ne dérogeait pas à la règle et ne lui avait pas adressé un mot, pour quoi faire ? Il restait là et cajolait son portable comme s’il voulait percer un trou dans l’écran. Pourtant, il avait l’air de ne pas avoir fermé l’œil de la semaine.
Non mais sérieux, je vais craquer, pensa le chauffeur.
– Et qu’est-ce que vous faites de si intéressant, avec ce téléphone, monsieur ?
Le passager ne broncha pas. Il était sourd, ou quoi ? À moins qu’il fût étranger ? Czesław n’avait pas songé à ça. Or, effectivement, le type n’avait pas l’air d’être du coin.
– On pourrait dire que je mets de la musique, répliqua le client en fin de compte, sans détacher son regard de l’écran pour autant. Pourriez-vous ralentir un peu, s’il vous plaît ?
De la musique, s’étonna Komar en appuyant légèrement sur la pédale de frein, alors dans ce cas pourquoi on n’entendait rien ? De plus, le passager n’avait pas d’écouteurs. Et donc quoi, la mélodie passait dans sa tête ? Il s’était greffé un câble ? Mais le chauffeur renonça à poser davantage de questions. Il y avait quelque chose dans la voix du passager qui coupait l’envie de poursuivre la conversation.
Leon Nowiński sentait que le fond du sac qui enveloppait le hot-dog s’imprégnait de sauce. Encore un peu et elle allait couler à travers le papier et salir la manche de sa chemise soigneusement repassée. Leon s’enfonça le reste du sandwich dans la bouche, la referma à grand-peine, puis jeta l’emballage gluant de moutarde au sol, avant de s’essuyer la main sur le fauteuil passager. C’est la dernière fois, se jura-t-il intérieurement en avalant la bouillie insipide, c’est la dernière fois que je repousse le réveil pour un petit rab de sommeil.
– Allô, allô Varsovie ! héla une voix à la radio. Comment ça va ? Vous êtes déjà au boulot ? J’espère que oui, parce que le trafic sur les axes d’accès est de plus en plus dense ! Ça bouchonne déjà sur les rues Marsa et Puławska, vous allez y perdre au moins un quart d’heure. Il faut aussi lever le pied sur les allées Prymasa Tysiąclecia… «
- Titre : Tu sais qui
- Titre original : Cokolwiek wybierzesz
- Auteur : Jakub Szamalek
- Éditeur : Métailié noir
- Traduction : Kamil Barbarski
- Nationalité : France
- Date de sortie en France : 2022
- Date de sortie en Royaume-uni : 2019
Page Officielle : jakubszamalek.pl
Résumé
Une jeune journaliste débutante chargée de la rubrique people dans un média sur le Net se lance dans une enquête qui la dépasse très vite.
Elle réalise que la vie des stars de la télévision est beaucoup plus effrayante que tout ce qu’elle a pu imaginer. Elle devient une cible sur les réseaux sociaux, trouve une aide inattendue, et son enquête nous apprend aussi à nous protéger des dangers du hacking et du dark web.
Des personnages brillants et mystérieux mènent la danse et soulignent la perversité des transformations du système judiciaire polonais. Un auteur star des scénarios de jeux vidéo (il est un des scénaristes de The Witcher) qui met son habileté et sa logique de créateur de suspense au service de la littérature.

Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis une soixantaine d’années, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.