Entre ciel et abîmes : plongée dans le thriller psychologique de Randi Fuglehaug

La fille de l'air de Randi Fughlaug

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Un polar nordique aux sommets vertigineux

Avec « La fille de l’air », Randi Fuglehaug nous offre un thriller qui s’inscrit parfaitement dans la tradition du polar nordique tout en renouvelant le genre. Dès les premières pages, le lecteur est happé par une scène saisissante : une parachutiste qui s’élance dans le vide pour une chute libre qui se terminera tragiquement.

L’intrigue se déploie dans la petite ville norvégienne de Voss, connue pour son festival de sports extrêmes, cadre idéal pour explorer les frontières entre passion et danger. L’auteure tisse habilement une toile où se mêlent enquête criminelle, exploration psychologique des personnages et critique subtile d’une société où l’adrénaline devient parfois un refuge.

La force du roman réside dans cette double verticale : celle, littérale, des parachutistes qui défient la pesanteur, et celle, métaphorique, d’une enquête qui creuse dans les profondeurs du passé. Fuglehaug maîtrise ce jeu de perspectives avec une écriture précise qui alterne entre moments de suspension et chutes brutales dans l’intrigue.

Le crime au cœur du récit – un parachute saboté – offre une originalité bienvenue dans l’univers souvent codifié du polar scandinave. Plutôt que les habituels paysages glacés, l’auteure choisit les hauteurs vertigineuses et le ciel comme terrains de jeu et de mort, insufflant une dimension aérienne à son thriller.

La structure narrative, à la fois fluide et complexe, nous fait naviguer entre les temps et les points de vue, créant un effet de suspens constant. Chaque révélation nous rapproche de la vérité tout en ouvrant de nouvelles zones d’ombre, maintenant le lecteur dans cet état d’apesanteur propre aux bons polars.

L’œuvre de Fuglehaug s’élève au-dessus du simple divertissement pour explorer des thématiques universelles : l’amitié face aux épreuves, la quête d’identité et cette fascination humaine pour le risque. « La fille de l’air » se distingue ainsi comme un roman noir qui, tel son sujet, prend de la hauteur sans jamais perdre de vue l’humanité de ses personnages.

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La fille de l’air Randi Fuglehaug
La fille de l’air Randi Fuglehaug
La fille de l’air Randi Fuglehaug

Portrait de Veslemøy Liland : la parachutiste qui tombe du ciel

Veslemøy Liland incarne un personnage fascinant dont la vie, puis la mort spectaculaire, forment l’épicentre du roman. Jeune mère de jumeaux, parachutiste passionnée et femme au passé complexe, elle se présente comme une héroïne paradoxale. Disparue tragiquement lors d’un saut d’ouverture du festival des sports extrêmes, sa chute fatale devient le pivot autour duquel gravitent tous les personnages.

Randi Fuglehaug excelle dans l’art de construire un personnage en creux, que nous découvrons à travers les témoignages de ses proches et les souvenirs fragmentés qu’ils partagent avec la narratrice principale. Cette femme blonde qui ne souriait pas sur les photos de jeunesse se révèle être à la fois forte et fragile, audacieuse dans les airs mais vulnérable au sol.

Le roman dévoile progressivement les multiples facettes de Veslemøy : son enfance marquée par un père violent et alcoolique, son adolescence rebelle, sa passion pour le parachutisme comme échappatoire, ses années d’exil en Nouvelle-Zélande, puis son retour aux sources. L’auteure tisse un portrait nuancé d’une femme moderne tiraillée entre ses aspirations personnelles et ses responsabilités familiales.

La relation de Veslemøy avec ses trois amies de toujours – Gro, Kathrine et Joni – constitue l’une des lignes de force du récit. Ce quatuor soudé par la passion des « sports extrêmes » révèle l’importance des liens féminins comme contrepoids aux drames personnels. L’auteure explore avec finesse ces amitiés à l’épreuve du temps et des secrets.

L’épilepsie de Veslemøy, révélation tardive dans le récit, ajoute une dimension tragique à ce personnage qui défie quotidiennement la mort en pratiquant le parachutisme malgré sa condition. Ce détail crucial illustre parfaitement l’art de Fuglehaug pour distiller les informations essentielles et transformer notre perception des protagonistes au fil des pages.

L’ombre de Veslemøy plane sur l’ensemble du roman, rendant sa présence paradoxalement plus forte encore dans l’absence. Sa mort devient le prisme à travers lequel les autres personnages se révèlent, s’accusent ou se défendent. La manière dont l’auteure fait persister l’empreinte de cette femme disparue démontre une intelligence narrative rare, transformant un cadavre en pierre angulaire d’une intrigue aux multiples rebondissements.

Le mystère d’une amitié à quatre : les « Filles de l’air »

Au cœur du roman de Randi Fuglehaug se trouve une amitié féminine puissante, celle qui unit Veslemøy, Kathrine (surnommée Cat), Gro et Joni. Ces quatre femmes, liées depuis l’adolescence par une passion commune pour le parachutisme, forment un groupe soudé que la ville surnomme les « Filles de l’air ». Leur complicité, construite au fil des années et des sauts en formation, constitue l’une des dynamiques les plus riches du récit.

L’auteure dessine avec subtilité les différents tempéraments qui composent ce quatuor : Gro la raisonnable, Cat l’impulsive au tempérament explosif, Joni la rousse intellectuelle et Veslemøy l’enthousiaste fragile. Ces personnalités complémentaires s’équilibrent dans les airs comme au sol, créant une microsociété féminine aux codes bien établis, que la mort de l’une d’entre elles vient brutalement bouleverser.

Les liens qui unissent ces femmes traversent le temps et l’espace – malgré les carrières qui les ont parfois éloignées géographiquement. Le festival annuel des sports extrêmes de Voss devient leur point de ralliement, l’occasion de reformer ce cercle presque sacré. Fuglehaug excelle à montrer comment ces amitiés de jeunesse peuvent constituer un ancrage essentiel dans des vies d’adultes parfois chaotiques.

Mais derrière cette façade d’amitié parfaite, l’auteure laisse entrevoir des fissures et des non-dits. Les révélations progressives sur leurs relations passées, notamment une possible trahison impliquant Veslemøy et le petit ami de Kathrine durant leur jeunesse, ajoutent une dimension de mystère. Ces zones d’ombre transforment progressivement ce qui semblait être un accident en une affaire bien plus complexe.

La réaction des trois amies survivantes face à la mort de Veslemøy devient un formidable révélateur de leur personnalité. Alors que Joni choisit de soutenir Steven et ses enfants, Gro et Cat semblent garder leurs distances, laissant planer le doute sur leurs véritables sentiments. Ces comportements divergents créent une tension palpable qui parcourt tout le roman.

L’équilibre fragilisé de ce groupe d’amies devient ainsi un microcosme où se jouent les dynamiques de pouvoir, de loyauté et de trahison. Fuglehaug transforme ces relations en un puzzle psychologique fascinant où chaque membre du quatuor détient une pièce de la vérité sur ce qui est réellement arrivé à Veslemøy. Cette exploration des liens féminins, tantôt refuge tantôt piège, constitue l’une des plus grandes réussites du roman.

Agnes Tveit : une journaliste revenue aux sources

Agnes Tveit, protagoniste et narratrice principale du roman, est une journaliste de trente-neuf ans qui, après une carrière prestigieuse au journal national VG d’Oslo, se retrouve contrainte de revenir travailler dans sa ville natale de Voss. Ce retour aux sources, initialement perçu comme un échec professionnel, devient le catalyseur d’une enquête qui va bien au-delà du simple reportage journalistique. Randi Fuglehaug façonne un personnage remarquablement complexe, partagé entre son désir d’excellence professionnelle et ses désillusions personnelles.

La force du personnage d’Agnes réside dans sa position d’insider-outsider dans cette communauté qu’elle a quittée puis retrouvée. Native de Voss mais ayant vécu des années à Oslo, elle porte un regard à la fois intime et distancié sur sa ville d’origine et ses habitants. Cette double perspective lui confère un avantage considérable pour naviguer entre les secrets et les non-dits qui entourent la mort de Veslemøy Liland.

Fuglehaug dépeint avec finesse les tourments intérieurs d’Agnes, notamment sa relation compliquée avec Fredrik, son compagnon médecin, et leurs tentatives infructueuses d’avoir un enfant. Ces aspects de sa vie personnelle s’entremêlent subtilement avec l’enquête, créant des résonances entre sa quête de vérité professionnelle et sa recherche d’équilibre personnel dans cette ville qu’elle a longtemps fuie.

Les retrouvailles d’Agnes avec son vieil ami Viktor, devenu commissaire adjoint, illustrent parfaitement l’ambivalence de son retour à Voss. Leur complicité d’antan se heurte désormais aux exigences professionnelles et aux loyautés divergentes, dans un équilibre fragile entre confiance et confidentialité qui enrichit considérablement la dynamique de l’enquête.

La nostalgie teintée d’amertume qui caractérise Agnes lorsqu’elle arpente les rues de sa ville natale traduit un malaise existentiel plus profond. Sa frustration face au traitement superficiel que son rédacteur en chef réserve à l’affaire du « meurtre au parachute » révèle ses aspirations journalistiques contrariées et sa quête inassouvie de reconnaissance professionnelle.

Le cheminement d’Agnes tout au long du roman se déploie comme une double investigation – celle du crime, bien sûr, mais aussi celle de sa propre identité. Sa rencontre inattendue avec Alexander Kosanovic, son amour de jeunesse, vient cristalliser ce questionnement sur les choix de vie et les chemins non empruntés. Cette construction narrative astucieuse fait d’Agnes Tveit bien plus qu’une simple enquêtrice : elle devient le miroir troublé dans lequel se reflètent les tensions et les secrets de toute une communauté.

L’enquête journalistique comme immersion dans les secrets d’une communauté

Dans « La fille de l’air », Randi Fuglehaug utilise le métier de journaliste de son héroïne comme un formidable outil narratif pour explorer les strates cachées d’une communauté en apparence tranquille. L’enquête d’Agnes Tveit sur la mort de Veslemøy Liland devient un voyage au cœur des non-dits et des secrets enfouis de la petite ville de Voss. Chaque interview, chaque conversation apparemment anodine dévoile progressivement les fissures sous le vernis social.

La démarche journalistique d’Agnes, à la fois méthodique et intuitive, permet au lecteur de découvrir les multiples facettes de l’affaire à travers des rencontres successives avec les protagonistes. Cette approche fragmentée crée un effet kaléidoscopique où chaque témoignage apporte sa part de vérité tout en soulignant les contradictions et les zones d’ombre. L’auteure transforme ainsi l’enquête en un puzzle complexe qui se reconstitue pièce par pièce.

Le contraste entre les ambitions journalistiques d’Agnes et les limites imposées par son rédacteur en chef, qui préfère s’en tenir aux « éléments officiels de source policière », illustre parfaitement les tensions entre vérité et conformisme social. Cette résistance institutionnelle à creuser sous la surface des apparences devient emblématique des mécanismes de protection que la communauté a mis en place pour préserver ses secrets.

Les recherches d’Agnes l’amènent à revisiter son propre passé, notamment lorsqu’elle feuillette de vieux albums photos avec son amie Ingeborg. Cette superposition entre enquête professionnelle et réminiscences personnelles brouille les frontières entre objectivité journalistique et implication émotionnelle, créant une profondeur narrative peu commune dans le genre policier.

L’exploration des archives du journal local permet à Agnes de découvrir d’anciennes interviews des « Filles de l’air », révélant ainsi la complexité des relations entre ces quatre amies. Fuglehaug utilise brillamment ces échos du passé pour montrer comment les vérités d’hier peuvent éclairer les mystères du présent, transformant l’enquête journalistique en une véritable archéologie sociale.

La progression de l’investigation d’Agnes révèle graduellement une communauté où chacun protège ses intérêts et où la vérité demeure insaisissable. Alors que son enquête se heurte aux réticences des uns et aux mensonges des autres, la journaliste découvre que la mort de Veslemøy Liland n’est que la partie émergée d’un iceberg de relations complexes et de secrets enfouis. Cette plongée dans les profondeurs d’une communauté en apparence soudée constitue l’une des plus grandes réussites du roman de Fuglehaug.

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La petite ville de Voss : microcosme des passions humaines

Voss, cette petite ville norvégienne nichée entre montagnes et lac, n’est pas un simple décor dans le roman de Randi Fuglehaug, mais un personnage à part entière. Connue pour son festival annuel de sports extrêmes, cette bourgade offre un contraste saisissant entre la tranquillité de la vie quotidienne et l’effervescence occasionnelle qui s’empare d’elle. L’auteure dépeint avec finesse ce lieu où chacun se connaît, où les réputations se forgent dès l’enfance et où les secrets ne restent jamais complètement enfouis.

Le retour d’Agnes dans sa ville natale révèle la dynamique particulière des petites communautés, où l’on est à la fois anonyme et perpétuellement observé. Les rencontres fortuites au supermarché, les regards échangés au café, les conversations interrompues à l’arrivée d’un tiers – tous ces moments capturés par Fuglehaug illustrent l’inévitable proximité qui caractérise la vie à Voss et qui contraste avec l’anonymat d’Oslo qu’Agnes a laissé derrière elle.

Ce microcosme devient le théâtre idéal pour explorer les passions humaines dans toute leur complexité : l’amour, la jalousie, l’ambition, la loyauté, mais aussi la trahison et la vengeance. Les personnages se croisent et se recroisent dans un ballet social où chaque rencontre peut raviver d’anciennes blessures ou créer de nouvelles alliances. Fuglehaug excelle à montrer comment, dans cet espace confiné, les émotions s’intensifient jusqu’à parfois atteindre leur point de rupture.

La dichotomie entre les habitants « de souche » et ceux qui sont partis puis revenus crée une tension palpable tout au long du récit. Cette distinction subtile entre « insiders » et « outsiders » reflète les dynamiques réelles des petites villes, où l’on n’est jamais tout à fait accepté après avoir cherché fortune ailleurs. Agnes, revenue malgré elle, incarne parfaitement cette position ambivalente, à la fois familière avec les codes locaux et étrangère aux évolutions récentes.

Le contraste entre la beauté naturelle de Voss – ses montagnes majestueuses, son lac paisible – et la noirceur des secrets qu’elle abrite confère au roman une dimension presque gothique. Fuglehaug joue habilement de cette opposition, utilisant les paysages comme miroirs des états d’âme, faisant de la météo changeante de l’Ouest norvégien une métaphore des révélations qui s’abattent sur la communauté après la mort de Veslemøy.

L’atmosphère unique de cette petite ville durant le festival des sports extrêmes constitue l’une des trouvailles narratives les plus originales du roman. Voss se transforme alors en scène internationale où convergent adrénaline et danger, où l’ordinaire côtoie l’exceptionnel. Cette effervescence temporaire devient le creuset idéal pour catalyser les tensions latentes et révéler ce qui se cache derrière les façades polies des maisons traditionnelles norvégiennes. Randi Fuglehaug transforme ainsi un lieu réel en un laboratoire littéraire fascinant des émotions et relations humaines.

Sports extrêmes et quête d’identité : métaphores du vol et de la chute

Au-delà de l’intrigue policière, « La fille de l’air » propose une réflexion profonde sur la symbolique des sports extrêmes et leur rôle dans la construction identitaire des personnages. Le parachutisme, omniprésent dans le récit, devient une puissante métaphore existentielle : s’élancer dans le vide représente à la fois une quête de liberté ultime et un flirt permanent avec la mort. Pour Veslemøy et ses amies, voler dans les airs n’est pas qu’un loisir, c’est un mode de vie, une façon d’échapper aux contraintes terrestres et aux traumatismes du passé.

Randi Fuglehaug explore avec finesse le paradoxe de ces pratiques à risque : pourquoi certains êtres humains ressentent-ils le besoin de défier la mort pour se sentir pleinement vivants ? Le contraste entre Veslemøy, qui continue à sauter en parachute malgré son épilepsie et ses responsabilités de mère, et Agnes, qui n’a jamais cédé à l’appel de l’adrénaline si caractéristique des habitants de Voss, illustre deux approches diamétralement opposées face au risque et à l’existence.

L’opposition entre ciel et terre structure tout le roman, créant une tension permanente entre élévation et ancrage. Les scènes de chute libre décrites avec précision technique et intensité sensorielle contrastent avec les moments de pesanteur terrestre, les conversations dans des cuisines ou des cafés. Cette dualité spatiale reflète les tensions intérieures des personnages, tiraillés entre leurs aspirations à la liberté et leurs attachements, entre l’ivresse des hauteurs et les responsabilités quotidiennes.

La chute fatale de Veslemøy devient alors le point culminant de cette métaphore filée. Son parachute sabotée, qui la précipite vers une mort certaine, représente de façon saisissante la vulnérabilité fondamentale de l’être humain : même les plus téméraires peuvent être rattrapés par la gravité – qu’elle soit physique ou symbolique. L’auteure transforme ainsi un accident spectaculaire en une puissante allégorie de la condition humaine.

Pour les « Filles de l’air », le parachutisme représente bien plus qu’un sport : c’est le ciment de leur amitié, le rituel qui les réunit périodiquement malgré leurs vies divergentes. La formation en étoile qu’elles réalisent juste avant l’ouverture des parachutes symbolise parfaitement cette connexion unique qui transcende les contraintes du quotidien. Fuglehaug montre comment ces moments suspendus entre ciel et terre définissent leur identité collective et individuelle.

La dimension psychologique des sports extrêmes traverse l’ensemble du récit comme un fil invisible. Chaque saut devient le reflet d’une psyché, chaque figure dans les airs exprime une personnalité. L’enquête sur la mort de Veslemøy dépasse ainsi le cadre technique d’un simple sabotage pour explorer les zones d’ombre de l’âme humaine. Cette utilisation des pratiques extrêmes comme miroir des passions intérieures constitue l’une des plus grandes réussites littéraires de ce thriller qui ne cesse de prendre de la hauteur.

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Un thriller psychologique qui prend de la hauteur : le souffle singulier de Randi Fuglehaug

« La fille de l’air » se distingue dans le paysage foisonnant du polar nordique par la singularité de son approche narrative et la profondeur de son exploration psychologique. Randi Fuglehaug démontre une maîtrise remarquable des codes du thriller tout en les transcendant pour livrer une œuvre d’une rare densité. L’enquête sur la mort de Veslemøy Liland devient le prétexte à une plongée vertigineuse dans les méandres de l’âme humaine, où chaque personnage cache ses failles et ses secrets.

L’originalité du roman tient en grande partie à son traitement du temps et du rythme narratif. Alternant moments de suspense haletant et plages de contemplation presque méditatives, l’auteure crée une cadence qui évoque celle de la chute libre – des instants de flottement suivis d’accélérations brutales. Cette structure narrative mimétique renforce l’immersion du lecteur dans l’univers des parachutistes et traduit avec justesse les états émotionnels fluctuants d’Agnes Tveit.

La force de Fuglehaug réside également dans sa capacité à transformer des détails apparemment anodins en indices cruciaux. Un bijou retrouvé dans l’herbe, une vieille photo d’album, une robe aux motifs floraux – ces éléments quotidiens deviennent les pièces d’un puzzle complexe où rien n’est insignifiant. Cette attention portée aux petites choses confère au récit une authenticité et une profondeur qui dépassent largement le cadre habituel du genre policier.

Les dialogues ciselés constituent un autre point fort du roman. Économes et percutants, ils révèlent par petites touches les personnalités et les tensions sous-jacentes. L’auteure excelle particulièrement dans l’art de faire dire aux personnages exactement ce qu’il faut pour susciter le doute ou l’interrogation, créant ainsi une atmosphère où la vérité semble toujours se dérober au moment où l’on croit l’atteindre.

Le portrait finement nuancé des relations féminines constitue peut-être la réussite la plus éclatante du roman. Loin des stéréotypes, Fuglehaug explore la complexité des amitiés entre femmes – leur force, leurs failles, leurs non-dits et leurs rivalités parfois. Les quatre « Filles de l’air » incarnent différentes facettes de la féminité contemporaine, prises entre traditions et émancipation, entre solidarité et compétition.

La prose de Randi Fuglehaug s’élève au-dessus des conventions du genre pour atteindre une dimension véritablement littéraire. Son écriture, à la fois précise et évocatrice, nous transporte dans les airs comme dans les profondeurs de l’âme humaine avec une égale aisance. « La fille de l’air » s’affirme ainsi comme une œuvre qui dépasse les frontières du simple divertissement pour proposer une réflexion profonde sur notre rapport au risque, à la vérité et aux autres, signant l’émergence d’une voix singulière dans le paysage du thriller contemporain.

Mots-clés : Polar nordique, Parachutisme, Thriller psychologique, Secrets enfouis, Amitiés féminines, Petite ville, Quête identité


Extrait Première Page du livre

 » Elle n’était pas allée aux toilettes. Plus le temps.

Le moteur tournait quand elles étaient montées à bord, les autres n’auraient pas apprécié qu’elle s’avise de ressortir. La cérémonie d’ouverture avait commencé, le planning était serré. Quand l’avion, quittant la zone d’embarquement, commença à rouler lentement sur la piste vers l’est, Veslemøy Liland croisa les jambes et s’efforça d’oublier qu’elle n’avait pas pris ses précautions, comme aurait dit sa grand-mère. Elle attacha le mousqueton de sécurité à son harnais. L’épais tissu de laine de son costume folklorique lui grattait les cuisses. Il lui avait fallu un temps fou pour glisser les replis de la jupe à l’intérieur de son legging synthétique bien ajusté, et maintenant, elle crevait de chaud. Elle jeta un œil par-dessus son épaule : aucune de ses trois amies ne semblait souffrir de démangeaisons ou d’une envie pressante. Joni leva les yeux et lui adressa un regard interrogateur. Celle-ci avait gardé ses lunettes et son casque sur les genoux, par cette chaleur, elle ne supportait rien sur sa tignasse de boucles rousses.

Alors que l’appareil faisait demi-tour en bout de piste, Veslemøy aperçut le type chargé de filmer le saut, il était à peine visible derrière la crinière de Joni. Elle ne l’avait jamais vu, un nouveau, sans doute. Pas facile de suivre les allées et venues au club, maintenant qu’elle n’avait plus le temps de sauter en parachute aussi souvent et qu’elle n’allait plus aux soirées.

L’avion prit son élan et repartit pleins gaz en direction de l’ouest. Elle attendit le décollage pour regarder le bâtiment du club par le minuscule hublot. Le terrain grouillait de monde à l’entrée de la cafétéria, des enfants et des adultes, des participants et des spectateurs, des gens qu’elle connaissait et…

Elle se figea soudain.

Cet homme qui se tenait à l’écart, bras croisés, fixant l’avion.

Était-ce lui ?

Elle regarda encore. Ce qu’elle venait de voir, ou croyait avoir vu, là, en bas, ne cessait de rapetisser. Tout disparut bientôt de son champ de vision, la baraque et ce visage qu’elle n’avait plus croisé depuis des années, qu’elle espérait ne plus jamais avoir à affronter.

Une sensation douloureuse lui noua l’estomac.

Elle avait mal vu.

Quelqu’un qui lui ressemblait, voilà tout. « 


  • Titre : La fille de l’air
  • Titre original : Fallesjuke
  • Auteur : Randi Fuglehaug
  • Éditeur : Albin Michel
  • Nationalité : Norvège
  • Traduction : Françoise et Marina Heide
  • Date de sortie en France : 2022
  • Date de sortie en Norvège : 2020

Résumé

Agnes Tveit, journaliste énergique de 39 ans, s’ennuie ferme dans sa nouvelle vie rurale à Voss, village de son enfance situé dans l’ouest de la Norvège, la région des fjords. Elle ne parvient pas à tomber enceinte et sa vie de couple est au plus bas. Sa routine va brusquement chavirer alors qu’elle assiste à un festival des sports extrêmes : l’une des parachutistes du vol d’inauguration s’écrase violemment sous les yeux de centaines de témoins. Comment un tel accident a-t-il pu se produire ?
La police, dirigée notamment par Viktor, le meilleur ami d’Agnes, ne tarde pas à découvrir qu’il ne s’agit pas d’un accident : le parachute a été saboté. Alors que l’équipe féminine de parachutisme est soupçonnée, Agnes réalise que ce sont ses anciennes camarades d’école. Elle découvre aussi que la victime cachait un dangereux secret, et se rend vite compte que les réponses qu’elle cherche pourraient bien se trouver dans son propre passé.


Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis une soixantaine d’années, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.


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