Un polar politique ancré dans l’actualité suisse
Dès les premières pages, « Samira au pouvoir » plonge le lecteur dans une Suisse contemporaine traversée par des tensions politiques qui résonnent avec une actualité brûlante. Daniela Cattin, pseudonyme de l’ex-diplomate Jean-Daniel Ruch, tisse un récit où le meurtre mystérieux découvert sur la prairie du Grütli – lieu mythique de la fondation de la Confédération – devient le catalyseur d’une intrigue qui interroge les fondements mêmes de la démocratie helvétique. Le roman s’ouvre le 1er août, jour de la fête nationale suisse, transformant cette célébration patriotique en théâtre d’événements qui ébranlent les certitudes. Cette coïncidence temporelle n’a rien d’anodin : elle inscrit d’emblée le récit dans une dimension symbolique forte, où chaque élément narratif dialogue avec l’imaginaire collectif suisse.
L’auteur déploie une architecture narrative qui emprunte aux codes du thriller tout en s’affranchissant de leurs conventions les plus attendues. Les chapitres alternent entre différents protagonistes et lieux – Jérusalem, Berne, Delémont, Lucerne – créant un rythme saccadé qui épouse la frénésie médiatique et politique contemporaine. Cette construction polyphonique permet d’explorer simultanément plusieurs strates de la société suisse, des sommets du pouvoir fédéral aux réseaux d’influence internationaux, en passant par les tensions régionales qui animent le pays. Le choix d’intégrer des éléments de géopolitique internationale, notamment à travers les scènes situées en Israël, élargit considérablement la portée du roman au-delà d’un simple polar local.
Ce qui frappe particulièrement dans cette œuvre, c’est sa capacité à capturer l’air du temps sans céder à la tentation du pamphlet. Les références à la pandémie, aux réseaux sociaux, aux fake news et à la montée des populismes s’intègrent organiquement au récit, conférant au texte une dimension quasi documentaire. Cattin manie l’art de la transposition avec habileté : si les personnages demeurent fictifs, leurs mécanismes d’action et leurs stratégies évoquent des phénomènes politiques bien réels que tout lecteur averti saura reconnaître. Le roman devient ainsi un miroir tendu à notre époque, une invitation à déchiffrer les rouages du pouvoir et de la manipulation dans un monde où la frontière entre information et désinformation s’estompe dangereusement.
Le Livre de Daniela Cattin à découvrir
Samira Pedrazzini : portrait d’une femme de pouvoir
Au cœur du dispositif romanesque se dresse Samira Pedrazzini, présidente de la Confédération issue du parti écologiste, figure à la fois emblématique et complexe que Cattin refuse de réduire à une simple héroïne immaculée. L’auteur compose un personnage aux multiples facettes, oscillant entre conviction politique profonde et vulnérabilités humaines, entre autorité naturelle et fragilités intimes. Cette femme qui incarne le renouveau politique face aux forces conservatrices porte en elle les contradictions de son époque : elle défend des valeurs progressistes tout en étant confrontée aux réalités du pouvoir et à ses compromis inévitables. Son parcours, évoqué par touches successives, révèle une personnalité forgée dans l’engagement universitaire genevois avant de conquérir les sommets de la scène politique fédérale.
La construction du personnage révèle une attention particulière portée à la dimension psychologique. Cattin explore notamment la relation tumultueuse que Samira a entretenue avec Miroljub, ce médecin monténégrin qui resurgit à un moment critique de l’intrigue. Ces éclats du passé amoureux ne constituent pas de simples digressions romanesques : ils humanisent la présidente, montrent ses cicatrices invisibles et permettent au lecteur de saisir comment les blessures personnelles peuvent coexister avec l’exercice du pouvoir. L’épisode dramatique du KOS, cette boîte de nuit bernoise devenue théâtre d’une rupture violente, hante encore Samira quinze ans plus tard, témoignant de ces traumatismes que même les plus hautes fonctions ne parviennent pas à effacer. Cette strate intime du récit enrichit considérablement la texture narrative et confère à Samira une épaisseur romanesque qui dépasse largement le simple archétype de la femme politique vertueuse.
L’originalité du traitement réside également dans la manière dont l’auteur saisit les paradoxes inhérents à cette figure de pouvoir. Samira prône l’écologie tout en appréciant le côté « mâle alpha » de son ancien amant, elle refuse le mariage comme institution patriarcale tout en ayant vécu une passion intense, elle cultive une image de proximité avec le peuple tout en exerçant l’autorité suprême. Ces contradictions ne fragilisent pas le personnage : elles le rendent crédible, vivant, éloigné des représentations caricaturales qui auraient pu émerger d’un sujet aussi politiquement chargé. Cattin parvient ainsi à créer une protagoniste qui échappe aux simplifications, naviguant entre force publique et fragilité privée avec une justesse qui ancre solidement le roman dans une forme de réalisme psychologique.
La montée des populismes au cœur de l’intrigue
Le roman déploie une fresque ambitieuse des mouvements nationalistes contemporains en les inscrivant dans un réseau international d’influences croisées. Fred Staub, secrétaire général du PPS (Parti Populaire des Suisses), évolue dans un univers où les stratégies politiques se pensent désormais à l’échelle globale, comme en témoigne cette scène saisissante à Jérusalem où convergent les représentants de la droite identitaire européenne et américaine. Cattin décortique avec précision les mécanismes de cette « internationale populiste », montrant comment les recettes éprouvées outre-Atlantique s’exportent et se déclinent selon les contextes nationaux. La rencontre avec Steve, ce stratège américain spécialiste des réseaux sociaux, et Arthur Atkin, le milliardaire philanthrope de la cause nationaliste, dessine les contours d’une architecture du pouvoir qui dépasse largement les frontières helvétiques.
L’intérêt majeur de cette exploration tient à la finesse avec laquelle l’auteur démonte les rouages de la manipulation politique moderne. Le concept de « terrorisme écologique » lancé dans le récit illustre parfaitement comment une formule percutante peut se propager à une vitesse foudroyante sur les réseaux sociaux, générant un engagement émotionnel massif en quelques heures. Les 46 000 likes et le taux de 83% de commentaires positifs mentionnés dans le texte ne relèvent pas du simple détail quantitatif : ils révèlent une compréhension aiguë des dynamiques virales qui façonnent aujourd’hui l’opinion publique. Cattin saisit comment la peur devient le carburant privilégié de ces mouvements, comment la vérité « s’invente au jour le jour » pour servir un objectif unique : la conquête du pouvoir par la mobilisation des frustrations collectives.
La figure de l’Übervater, ce patriarche vieillissant du PPS qui a consacré sa fortune et son existence à transformer un parti marginal en première force politique du pays, incarne une génération de militants dont les méthodes – posters provocateurs, déclarations médiatiques fracassantes – semblent désormais dépassées. La tension générationnelle entre ce fondateur et son protégé Fred Staub structure subtilement le récit : elle symbolise le basculement vers des formes d’action plus radicales, où l’agitation numérique supplante les campagnes traditionnelles. Cette passation conflictuelle du pouvoir, évoquée à travers la métaphore du disciple qui « tue son maître », confère au roman une dimension presque tragique qui transcende le simple cadre du thriller politique pour toucher à des questions universelles sur la transmission, l’héritage et la rupture.
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Géographie et identités : la Suisse plurielle comme terrain de jeu
L’espace romanesque se déploie comme une véritable cartographie des tensions identitaires helvétiques, transformant chaque lieu en porteur de significations historiques et politiques. Le Grütli, berceau mythique de la Confédération, devient l’épicentre d’un crime qui ébranle les fondations symboliques du pays. Delémont et le Jura émergent comme territoires de friction, où l’histoire récente de la séparation cantonale en 1978 continue d’alimenter un « esprit frondeur » que l’auteur capte avec justesse. Cette attention portée aux particularismes régionaux dépasse la simple couleur locale : elle révèle combien la Suisse demeure un assemblage complexe d’identités parfois antagonistes, unies par une structure fédérale fragile que les événements du roman mettent à l’épreuve.
Cattin joue habilement sur les clivages linguistiques et culturels qui traversent le pays. La distinction entre Romands et Alémaniques structure les interactions entre personnages, comme l’illustre la rencontre savoureuse entre la policière bernoise et Boillat, ce Jurassien en perfecto rouge qui incarne une virilité locale assumée. Les dialogues intègrent naturellement des expressions dialectales – « ké » pour ponctuer une phrase jurassienne, les formules en suisse-allemand de Fred Staub – créant un effet de réel linguistique qui ancre solidement le récit dans son territoire. Cette polyphonie linguistique ne relève pas d’un simple exercice de style : elle matérialise les frontières invisibles qui quadrillent l’espace helvétique, ces lignes de démarcation culturelles que les personnages franchissent, négocient ou instrumentalisent selon leurs objectifs.
Le roman tisse également des correspondances entre géographie suisse et scène internationale, notamment à travers les références au Monténégro de Miroljub ou à Jérusalem où se trament les alliances populistes. Cette ouverture permet d’inscrire les enjeux locaux dans une perspective plus vaste, suggérant que les petites nations comme la Suisse servent parfois de laboratoire pour des phénomènes politiques destinés à essaimer ailleurs. La prairie du Grütli, accessible par bateau depuis Lucerne, évoque d’ailleurs cette insularité paradoxale du pays : un territoire apparemment protégé mais en réalité perméable aux influences extérieures. L’auteur saisit cette dialectique entre repli identitaire et mondialisation, entre attachement aux traditions locales et vulnérabilité face aux dynamiques globales, faisant de l’espace romanesque bien davantage qu’un simple décor.
Entre thriller et satire : les codes narratifs au service du propos
Cattin orchestre une hybridation générique particulièrement stimulante en mariant l’ossature du polar à une veine satirique qui affleure régulièrement dans le texte. Le dispositif du meurtre mystérieux, corps nu découvert sur un lieu emblématique en pleine fête nationale, emprunte à la tradition du thriller ses ressorts classiques : enquête policière, multiplication des protagonistes suspects, révélations progressives. Pourtant, cette armature narrative sert avant tout de véhicule à une observation acérée du théâtre politique contemporain. Les scènes de négociation au sommet, les calculs stratégiques des communicants, les manipulations médiatiques se déploient avec un réalisme qui suggère une connaissance intime des coulisses du pouvoir, vraisemblablement nourrie par l’expérience diplomatique de l’auteur.
La dimension satirique transparaît notamment dans les portraits des acteurs politiques, croqués avec une ironie mordante qui épargne peu de camps. Le commissaire Baeriswyl, divisionnaire aux deux étoiles bien polies, navigue dans un univers bureaucratique où les considérations protocolaires rivalisent avec l’urgence de l’enquête. Les figures du PPS, réunies dans la villa d’Herrliberg autour de leur patriarche, évoluent dans un décor qui évoque autant la comédie de mœurs que le film noir. L’assemblée de Jérusalem, où convergent les « super-spreaders » de la peur politique, prend des allures de grand-messe délétère dont l’auteur restitue l’atmosphère d’euphorie malsaine avec une précision clinique. Ces tableaux, sans verser dans la caricature grossière, utilisent les ressources de l’exagération pour mettre en lumière des mécanismes bien réels de pouvoir et d’influence.
L’efficacité narrative repose également sur un rythme qui mime la frénésie médiatique contemporaine. Les chapitres courts, datés avec précision au format « 1er août, 09h00 heure locale », créent un effet de compte à rebours qui maintient la tension tout en permettant des ellipses temporelles stratégiques. Les alertes téléphoniques, les conversations sur Threema, les tweets qui génèrent des milliers de réactions instantanées ponctuent le récit comme autant de marqueurs de notre rapport addictif à l’information continue. Cette architecture temporelle fragmentée reflète la manière dont se construisent aujourd’hui les événements politiques : par accumulation d’instants viraux, par sédimentation de micro-scandales qui finissent par composer une crise majeure. Cattin parvient ainsi à faire du roman un objet doublement lisible, fonctionnant à la fois comme divertissement narratif et comme radiographie d’une époque.
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Réseau de personnages et dynamiques de pouvoir
L’architecture humaine du roman se construit comme un vaste réseau où chaque protagoniste occupe un nœud stratégique dans la circulation du pouvoir. Autour de Samira gravitent des figures qui incarnent différentes formes d’autorité : le commissaire Baeriswyl, représentant de l’État fédéral confronté aux particularismes cantonaux ; Jessica, l’attachée de presse qui décrypte les flux numériques avec l’expertise d’une analyste de données ; Jérôme, le collaborateur fidèle dépositaire des secrets de la présidente. Cette constellation ne relève pas d’un simple procédé d’accumulation : elle matérialise la complexité des chaînes de décision dans une démocratie moderne, où l’exercice du pouvoir suppose une orchestration permanente d’acteurs aux intérêts parfois divergents. Le personnage de Dahinden, commandant de police uranais dépassé par l’ampleur des événements, illustre comment les structures locales peuvent se trouver submergées lorsque l’actualité bascule dans une dimension nationale voire internationale.
Du côté des forces populistes, Cattin compose une galerie tout aussi foisonnante où se dessinent les hiérarchies internes et les rivalités sourdes. Christian Spinner, l’Übervater vieillissant dans sa villa zurichoise, incarne cette première génération de tribuns dont l’influence reposait sur la fortune personnelle et le charisme direct. Fred Staub représente l’émergence d’une nouvelle garde, rompue aux stratégies numériques et aux alliances transnationales, qui considère les méthodes traditionnelles comme obsolètes. Franz Jäggi, le marchand de semences bovines devenu président du parti, et Wolfram Bülow, l’idéologue aux lunettes rondes qui distille son venin hebdomadaire dans Die Woche, complètent ce tableau des ambitions contradictoires au sein d’un même mouvement. Ces tensions internes confèrent une épaisseur sociologique au récit : le populisme n’apparaît pas comme un bloc monolithique mais comme un écosystème traversé par des luttes de pouvoir, des conflits générationnels et des divergences tactiques.
La richesse du dispositif tient également à l’inclusion de figures secondaires qui incarnent des positions intermédiaires ou ambiguës. Boillat, le Jurassien en perfecto qui accompagne la policière bernoise, personnifie ces identités régionales farouchement attachées à leur particularisme tout en restant intégrées au système fédéral. Miroljub Djukanović, le médecin monténégrin aux origines troubles, introduit une dimension diasporique et rappelle que les enjeux de pouvoir débordent largement le cadre national. Cette multiplicité de voix et de perspectives transforme le roman en véritable polyphonie politique, où aucune position ne bénéficie d’un monopole narratif absolu.
Enjeux contemporains : écologie, manipulation et démocratie
Le roman interroge frontalement la collision entre urgence environnementale et résistances politiques dans nos sociétés démocratiques. Samira incarne cette génération de dirigeants verts portés au pouvoir par une prise de conscience collective, mais immédiatement confrontés aux forces qui perçoivent l’écologie comme une menace à leur mode de vie ou à leurs intérêts économiques. L’oxymore du « terrorisme écologique » que l’auteur place au centre du dispositif narratif cristallise cette tension : comment un mouvement fondé sur l’harmonie avec la nature peut-il être retourné en épouvantail sécuritaire ? Cette inversion sémantique, qui se propage viralement dans l’univers du roman, illustre la facilité avec laquelle les concepts peuvent être vidés de leur substance pour servir des agendas opposés. Le tract récupéré à la Fosse aux ours, qui dénonce la « dictature écolo-mondialiste », témoigne de ces rhétoriques conspirationnistes qui prospèrent en détournant les préoccupations légitimes de la population.
La question de la manipulation informationnelle traverse l’ensemble du récit avec une acuité particulière. Les réseaux sociaux y apparaissent comme des amplificateurs redoutables où les émotions négatives circulent plus rapidement que les nuances. Steve, le stratège américain spécialiste des fake news, théorise explicitement cette approche : il ne s’agit plus d’informer mais de mobiliser, de susciter des réactions épidermiques qui court-circuitent la réflexion. Les chiffres mentionnés dans le texte – ces 46 000 likes récoltés en quelques heures par une thèse complotiste – ne sont pas de simples ornements romanesques : ils documentent une réalité algorithmique où l’engagement émotionnel détermine la visibilité des contenus. Cattin saisit comment cette économie de l’attention transforme radicalement la nature du débat démocratique, privilégiant les formules choc aux argumentaires construits, les slogans polarisants aux positions nuancées.
Au-delà de ces constats, le roman sonde la résilience des institutions démocratiques face à ces assauts multiformes. La Suisse, avec son système de démocratie directe et sa culture du consensus, sert de laboratoire pour observer comment un édifice politique apparemment solide peut se fissurer sous la pression de forces qui instrumentalisent ses propres valeurs. Les références à la pandémie, aux prescriptions sanitaires qui interdisaient « tout contact physique » mais que « les vieux amis » transgressaient, évoquent subtilement ces moments de crise où l’équilibre entre liberté individuelle et bien commun devient champ de bataille idéologique. L’auteur n’apporte pas de réponses définitives à ces dilemmes contemporains, préférant les incarner dans des situations concrètes qui en révèlent toute la complexité.
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Une œuvre qui interroge les dérives de notre temps
« Samira au pouvoir » s’affirme comme un roman politique au sens plein du terme, celui qui refuse le confort de la neutralité pour investir les zones de friction de notre actualité. Cattin prend le risque d’ancrer son intrigue dans des problématiques immédiatement reconnaissables, au péril de voir son œuvre rapidement datée par l’évolution rapide des événements. Ce pari sur l’urgence constitue pourtant l’une des forces majeures du livre : en captant l’air du temps avec cette précision quasi journalistique, l’auteur compose un témoignage sur notre époque dont la valeur documentaire enrichit considérablement la dimension fictionnelle. Le roman fonctionne ainsi sur plusieurs registres de lecture, offrant au lecteur contemporain le plaisir de la reconnaissance tout en jetant les bases d’une chronique qui pourra être relue dans vingt ans comme un instantané des tensions qui traversaient les démocraties occidentales au début du XXIe siècle.
La lucidité de l’analyse transparaît particulièrement dans la manière dont l’auteur évite les simplifications manichéennes. Si les protagonistes populistes sont dépeints sans complaisance, leurs mécanismes d’ascension ne sont jamais réduits à la seule manipulation cynique : ils prospèrent sur des frustrations réelles, des angoisses collectives légitimes que les forces progressistes ont parfois négligées. De même, Samira n’incarne pas une vertu immaculée opposée au mal absolu : ses contradictions personnelles, ses failles intimes, ses moments de doute humanisent une figure qui aurait pu sombrer dans l’hagiographie. Cette complexité morale traverse l’ensemble du dispositif romanesque, suggérant que les dérives contemporaines naissent moins de la confrontation entre bons et méchants que de l’incapacité collective à maintenir un dialogue démocratique à l’heure de la polarisation numérique.
L’ambition de Cattin réside finalement dans cette volonté de transformer le roman en espace de réflexion sur les fragilités démocratiques actuelles. L’intrigue policière, habilement menée, constitue le véhicule d’une interrogation plus vaste sur notre capacité à résister aux sirènes autoritaires qui fleurissent sur le terreau de nos peurs. Le choix du cadre suisse, loin de limiter la portée du propos, l’universalise : si même ce pays réputé pour sa stabilité politique et son pragmatisme se trouve ébranlé par ces dynamiques délétères, quelle démocratie peut se croire à l’abri ? Le roman s’achève ainsi non sur des certitudes rassurantes mais sur une invitation au questionnement, confirmant sa nature d’œuvre engagée dans les débats de son temps tout en transcendant le simple commentaire d’actualité pour atteindre une forme de résonance plus durable.
Mots-clés : Thriller politique suisse, Populisme contemporain, Écologie et pouvoir, Démocratie en danger, Manipulation médiatique, Roman d’actualité, Fiction politique romande
Extrait Première Page du livre
» 1er août, 06h00 CET – Prairie du Grütli, Suisse
Werner remonta sa salopette et se gratta la barbe en bâillant. Sa nuit n’avait pas été aussi sereine qu’il l’aurait espéré. Couché à 23 heures comme tous les soirs, il s’était endormi comme une pierre, aidé sans doute par les quelques verres de Chrüter qu’il s’était accordé devant la télé. Tous les 31 juillet, veille de la Fête nationale, il y avait de la musique traditionnelle suisse en prime time sur la première chaîne de la SRF, la télévision nationale. D’habitude, ce que ces gauchistes zurichois de la télé appelaient «musique folklorique» était reléguée sur la seconde chaîne, et plutôt en fin de soirée. Ces sons joyeux souvent, mélancoliques parfois, entraînants ou envoûtants éveillaient dans les tréfonds de son âme des souvenirs de pureté, d’insouciance, de bonheur à jamais perdu. Tout avait changé, depuis. Il se remémora sa prime enfance, ces veillées de 1er août passées en famille sur la petite terrasse devant la ferme-restaurant avec quelques clients, le lac des Quatre-Cantons scintillant à leurs pieds, protégés par la masse sombre du Fronalpstock en face, de l’autre côté de l’eau. Dans les plus belles années, celles de l’adolescence, ses sœurs Trudi et Vreni étaient à la schwytzoise, ce petit accordéon en bois typique de la Suisse centrale, lui, Werner, maniait la contrebasse. La mère Greti déroulait ses yodels, mélopées enjouées comme un torrent de printemps ou nostalgiques comme un monde qui s’en va. Le père, Walter, servait les bières et les saucisses et comptait les sous. En fin de soirée, il sortait le cor des Alpes, se plantait au milieu de la prairie et saluait les étoiles.
C’était le bon temps, un temps que Werner croyait immuable puisque c’était comme ça depuis toujours. Il imaginait que Walter Fürst, le délégué uranais au fameux serment du Grütli, l’acte fondateur de la Confédération helvétique, était l’un de ses ancêtres. Dans son sang circulait l’âme rebelle, libre, indépendante de ce grand aïeul. Et son devoir dans la vie, c’était de maintenir en vie ce pré historique et toutes les traditions qui vont avec. Ces intellos des villes avaient beau prétendre que tout ce que ses parents lui avaient toujours appris sur les origines de la Suisse n’était que des mythes sans valeur, lui, il y croyait. «Kopfertami !»1 Son juron résonna faux dans l’aube orangée. Le soleil allait bientôt poindre derrière les montagnes, de l’autre côté du lac. «
- Titre : Samira au pouvoir
- Auteur : Daniela Cattin
- Éditeur : Éditions Zarka
- Nationalité : Suisse
- Date de sortie : 2024
Résumé
Il ne se passe jamais rien en Suisse… Vraiment ? Voilà qu’à l’aube de la Fête nationale, le corps nu d’un homme, transpercé de dix-huit carreaux d’arbalète est trouvé attaché à un tronc d’arbre sur la prairie du Grütli !
On apprend rapidement qu’il s’agit du directeur du Musée jurassien de Delémont et que la pièce la plus précieuse du musée, la crosse d’évêque datant du VIIe siècle, une des plus anciennes reliques chrétiennes de Suisse et symbole du jeune canton du Jura, a disparu. Mais que veulent les voleurs ? Pourquoi cet abominable crime ?
Pour ne rien arranger, toujours le 1er août, la Présidente de la Confédération, Samira Pedrazzini, se fait poignarder peu après avoir commencé son discours face aux spectateurs présents sur la mythique prairie…
C’est le début d’une crise comme la Suisse n’en a jamais connue. Sur fond de vieilles rancunes du conflit jurassien, la lutte de pouvoir entre la présidente Samira (parti des Verts) et l’étoile montante du Parti populaire suisse, Fred Staub, financé par un magnat de la droite alternative américaine, mène au chaos.
L’action nous promène de Berne à Delémont ou Zurich, en passant par Jérusalem et Las Vegas. Un récit riche en rebondissements, des personnages détestables ou attachants, c’est une lecture passionnante que nous offre ici la « double jurassienne » Daniela Cattin.

Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis une soixantaine d’années, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.




































Manuel a su saisir toutes les subtilités ce roman difficilement classifiable, que l’auteur lui-même dit avoir écrit dans le style des romans de gare qu’il lisait pendant ses études. Si je n’avais pas déjà lu « Samira au pouvoir » plus d’une dizaine de fois, toujours avec le même plaisir, cette chronique me donnerait tout de suite envie de m’en emparer! En fait, je crois que je vais me faire le plaisir de le relire encore…
Marta, l’éditrice