De l’Actualité à la Fiction : Le Génie Journalistique de Gérard de Villiers
Véritable météore dans le paysage littéraire français, Gérard de Villiers a bâti avec sa série SAS un empire du thriller d’espionnage qui transcende les frontières du genre. Né en 1929, ce journaliste reconverti en romancier a donné naissance en 1965 à une saga qui allait compter près de 200 titres et s’écouler à plus de 150 millions d’exemplaires à travers le monde, faisant de lui l’un des auteurs français les plus lus du XXe siècle.
« Opération Apocalypse », troisième opus de cette série phénoménale, confirme déjà la formule imparable qui fera le succès de l’auteur : un cocktail explosif mêlant géopolitique, action haletante et sensualité débridée. Le prince Malko Linge, aristocrate autrichien désargenté travaillant comme agent contractuel pour la CIA, y incarne l’archétype du héros de roman d’espionnage, entre James Bond et Jason Bourne, mais avec une touche d’européanisme distingué qui le singularise.
L’intuition géniale de Villiers fut de transformer chaque roman en véritable reportage géopolitique, s’inspirant de l’actualité immédiate pour tisser ses intrigues. Cette démarche quasi journalistique, fruit de ses nombreux voyages et de ses contacts privilégiés avec le monde du renseignement, confère à ses œuvres une authenticité rarissime dans ce genre littéraire souvent cantonné aux clichés.
La saga SAS a révolutionné le roman d’espionnage à la française, créant un style unique reconnaissable entre mille : descriptions cinématographiques, dialogues percutants, scènes d’action millimétrées et érotisme sans tabou. Si la critique littéraire a longtemps boudé ces « romans de gare », les lecteurs, eux, n’ont jamais cessé de plébisciter cette formule addictive qui captive l’attention dès la première page.
Derrière une apparente facilité se cache pourtant un travail méticuleux de documentation et une connaissance approfondie des mécanismes géopolitiques mondiaux. De Villiers possédait cette faculté rare de vulgariser des enjeux internationaux complexes tout en divertissant, transformant chaque roman en véritable cours de géopolitique appliquée qui éclaire les zones d’ombre de l’actualité.
La magie opérée par l’œuvre de Villiers continue de fasciner bien au-delà de sa disparition en 2013. Témoin clairvoyant des soubresauts de l’Histoire contemporaine, l’auteur a construit à travers sa série SAS une fresque saisissante des conflits de notre époque. « Opération Apocalypse » s’inscrit comme une pièce essentielle de ce puzzle magistral, illustrant avec brio comment le thriller d’espionnage peut transcender le simple divertissement pour devenir un prisme de lecture du monde.
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Opération Apocalypse : intrigue et enjeux d’un thriller géopolitique
Au cœur de ce troisième opus des aventures de Malko Linge se déploie une intrigue d’une terrifiante actualité : la menace d’une guerre bactériologique dévastatrice. De Villiers nous plonge dans un scénario cauchemardesque où un précieux échantillon de CX 3, poison synthétique capable d’anéantir des populations entières, tombe entre les mains d’un réseau hostile lors du détournement d’un avion civil américain vers Cuba. L’enjeu est colossal et la course contre la montre s’engage.
La tension s’intensifie lorsque Malko, arraché à ses vacances, doit traquer le professeur Yoshico Tacata, scientifique japonais renégat qui compte utiliser cette arme biologique contre les États-Unis. Ce personnage, ancien collaborateur des services secrets américains ayant tourné casaque, incarne la figure complexe du savant fou dévoré par la vengeance. Sa présence dans le roman soulève d’inquiétantes questions sur la loyauté et l’éthique dans le monde trouble de l’espionnage international.
Le Mexique devient l’échiquier sanglant de cette traque impitoyable, offrant un décor fascinant entre modernité urbaine et contrées sauvages. Avec un flair remarquable pour la géopolitique, de Villiers entrelace habilement tensions diplomatiques, manipulations des services secrets et contexte historique complexe des relations américano-cubaines en pleine Guerre froide. Le lecteur perçoit en filigrane les bouleversements géopolitiques qui agitent l’Amérique latine dans les années 1960.
L’intrigue se distingue par son réalisme glaçant et sa vision prémonitoire des nouvelles formes de terrorisme. En explorant le potentiel dévastateur des armes biologiques bien avant que celles-ci ne deviennent une préoccupation publique majeure, de Villiers démontre sa remarquable capacité à anticiper les menaces futures. Cette clairvoyance troublante confère au roman une dimension quasi prophétique qui résonne étrangement avec nos angoisses contemporaines.
La recherche constante d’authenticité, marque de fabrique de l’auteur, transparaît dans les descriptions minutieuses des procédures d’intelligence, des luttes intestines entre services secrets et des réalités du terrain. Chaque détail technique, chaque manipulation stratégique semble puisé directement auprès de sources fiables du monde du renseignement, donnant à l’œuvre cette vraisemblance saisissante qui a fait la réputation de la série.
L’ingéniosité narrative de « Opération Apocalypse » réside dans sa capacité à entrelacer enjeux planétaires et destins individuels. Alors que l’existence même des États-Unis est menacée par une catastrophe biologique sans précédent, le roman maintient un équilibre parfait entre tableau géopolitique global et drame humain. Cette double dimension crée une immersion totale où chaque décision, chaque affrontement porte le poids vertigineux d’un monde au bord du gouffre.
Malko Linge : portrait d’un espion aristocrate entre glamour et danger
Son Altesse Sérénissime le prince Malko Linge incarne une figure singulière dans la constellation des héros d’espionnage littéraires. Aristocrate autrichien désargenté, ce chevalier de l’ordre des Séraphins et grand Voïvode de la Voïvodie de Serbie ne correspond en rien au profil typique de l’agent secret. Sa motivation première pour s’engager dans les missions périlleuses de la CIA est essentiellement matérielle : restaurer le château ancestral de Liezen, vestige glorieux mais ruineux de son illustre lignée.
Ses yeux dorés aux reflets hypnotiques – dissimulés derrière d’éternelles lunettes noires – constituent sa signature physique, tout comme son élégance innée qui ne le quitte jamais, même dans les situations les plus extrêmes. Dans « Opération Apocalypse », sa distinction naturelle se manifeste jusque dans le choix méticuleux de ses costumes d’alpaga et de ses chemises de soie monogrammées, cultivant un raffinement européen qui contraste délicieusement avec la brutalité des milieux qu’il fréquente.
Loin d’être un surhomme invincible, Malko puise sa force dans son intelligence vive, sa connaissance des langues et sa compréhension intuitive de la psychologie humaine. De Villiers dessine un agent contractuel qui compose habilement avec sa vulnérabilité, utilisant son charme aristocratique comme une arme stratégique. Face aux dangers biologiques qui menacent l’Amérique, sa relative fragilité physique renforce paradoxalement la tension narrative et l’identification du lecteur.
L’irrésistible séduction qu’exerce Malko sur les femmes qu’il croise constitue l’une des signatures les plus reconnaissables de la série. Dans ce troisième opus, sa relation complexe avec la fascinante Christina Ariman révèle les multiples facettes de sa personnalité : stratège calculateur mais aussi homme sensible capable d’émotions authentiques. Cette dualité fait de lui un personnage bien plus nuancé que la caricature de séducteur dans laquelle on pourrait trop facilement l’enfermer.
Malgré son cynisme apparent, Malko reste animé par un code d’honneur personnel qui transcende sa loyauté envers la CIA. Dans sa traque du professeur Tacata, il démontre une détermination qui dépasse largement la simple exécution d’un contrat. À travers les épreuves extrêmes qu’il traverse, notamment la terrifiante confrontation avec les rats porteurs de peste, se dessine une humanité vulnérable qui donne au personnage sa profondeur et sa résonance émotionnelle.
La complexité de ce héros aristocratique réside dans sa capacité à naviguer entre plusieurs mondes. Ni totalement américain ni complètement européen, à la fois agent de terrain et noble raffiné, cynique et romantique, Malko incarne les contradictions d’une époque de transition géopolitique. Cette ambivalence fondamentale fait de lui un protagoniste fascinant, dont le charisme transcende les décennies, expliquant pourquoi tant de lecteurs continuent de s’identifier à ses aventures périlleuses au service d’idéaux qui, parfois, le dépassent.

Le Mexique comme toile de fond : exotisme et contrastes
Dans « Opération Apocalypse », Gérard de Villiers érige le Mexique en véritable personnage, déployant avec maestria une cartographie sensorielle d’un pays aux contrastes saisissants. De la modernité clinquante de Mexico City aux villages perdus du Pacifique, l’auteur nous entraîne dans une plongée vertigineuse où chaque lieu révèle une facette différente de cette nation complexe. Les descriptions ciselées transforment le paysage mexicain en théâtre idéal pour une intrigue où l’exotisme se teinte constamment de danger.
Acapulco, avec ses hôtels luxueux et ses plages paradisiaques, symbolise parfaitement la dualité du décor. D’un côté, le Hilton glacial et aseptisé où séjourne Malko; de l’autre, les bidonvilles surplombant la baie où s’entassent cireurs de chaussures et petits délinquants. De Villiers excelle dans la représentation de ces deux mondes qui coexistent sans jamais véritablement se rencontrer, créant un microcosme des inégalités socio-économiques qui structurent la société mexicaine des années 1960.
L’auteur pénètre également les territoires sauvages de l’arrière-pays mexicain, là où la jungle impénétrable recèle des villages oubliés comme Las Piedras. Dans ces contrées reculées, accessibles uniquement par des pistes défoncées, le temps semble s’être arrêté. La description minutieuse de ces lieux isolés, où la nature reprend ses droits et où l’État mexicain n’exerce qu’une autorité théorique, traduit une connaissance intime du terrain que seul un écrivain-voyageur comme de Villiers pouvait posséder.
La chaleur écrasante, l’humidité permanente et les parfums entêtants de la végétation tropicale imprègnent chaque page, créant une atmosphère quasi palpable qui intensifie le sentiment d’étrangeté. Le climat devient un acteur à part entière de l’intrigue, éprouvant les personnages jusqu’à leurs limites physiques et psychologiques. Dans ce cadre suffocant, la propriété du sinistre professeur Tacata, cachée au cœur de la jungle, représente le parfait sanctuaire pour des expérimentations macabres.
La dimension sociologique n’est jamais absente du regard que porte l’auteur sur le Mexique. À travers la description du syndicat des cireurs de chaussures d’Acapulco ou les interactions entre Malko et les différentes strates de la société mexicaine, de Villiers dresse un portrait nuancé d’un pays tiraillé entre traditions ancestrales et aspirations à la modernité. Cette richesse anthropologique confère au roman une profondeur documentaire qui dépasse largement le cadre habituel du thriller d’espionnage.
De cette fresque mexicaine saisissante émane une beauté vénéneuse qui sert admirablement les ressorts de l’intrigue. Le contraste entre l’apparente tranquillité des paysages et la menace mortelle qu’ils dissimulent crée une tension narrative constante. La jungle luxuriante qui entoure la propriété de Tacata incarne cette dualité fondamentale : paradis visuel recelant un enfer bactériologique, elle symbolise parfaitement l’équilibre précaire entre splendeur et terreur que le roman explore avec une précision chirurgicale.
Les femmes dans l’univers de SAS : entre séduction et manipulation
La galerie féminine d' »Opération Apocalypse » illustre brillamment la complexité des personnages féminins dans l’univers littéraire de Gérard de Villiers. Loin des simples faire-valoir érotiques auxquels la critique a parfois réduit les femmes de SAS, ce troisième opus présente des protagonistes féminines aux multiples facettes, dotées d’une véritable épaisseur psychologique. Ces figures oscillent constamment entre séduction fatale et détermination farouche, incarnant parfaitement l’ambivalence que l’auteur attribue au féminin dans un monde dominé par les enjeux géopolitiques masculins.
Christina Ariman émerge comme l’archétype le plus fascinant de cette vision nuancée. Métisse d’origine indienne devenue millionnaire par son mariage avec un magnat mexicain, elle transcende tous les clichés par sa complexité. Sa relation avec Malko révèle une tension permanente entre désir physique et antagonisme idéologique. Capable de passer d’une sensualité débridée lors de leur nuit torride à une froideur calculatrice quand elle tente de l’éliminer, Christina incarne la frontière poreuse entre l’intime et le politique.
Ilna Lentz, épouse du correspondant local de la CIA, représente une autre variation captivante du féminin dans l’œuvre. Son tempérament volcanique et sa sexualité débordante dissimulent une solitude profonde et une rancœur envers un mari absent. De Villiers dresse le portrait nuancé d’une femme qui utilise sa sensualité comme monnaie d’échange dans un environnement où les perspectives d’émancipation demeurent limitées pour les femmes de sa condition.
Ariane, rencontrée brièvement mais intensément par Malko au bord de la piscine du Hilton d’Acapulco, incarne quant à elle une féminité plus légère, presque insouciante. Cette Américaine en vacances, qui succombe rapidement au charme du prince autrichien, offre un contrepoint intéressant aux femmes locales. Sa présence éphémère dans le récit souligne la capacité de l’auteur à dépeindre différentes typologies féminines, chacune révélant un aspect spécifique de la psychologie de Malko.
La dimension érotique, indissociable de la série SAS, s’inscrit ici dans une approche quasi anthropologique des rapports homme-femme. Les scènes sensuelles, loin d’être gratuites, révèlent systématiquement un trait de caractère, une motivation cachée ou un enjeu narratif. La puissance de l’attraction entre Christina et Malko, par exemple, transcende la simple attirance physique pour devenir le symbole d’une fascination mutuelle entre deux mondes opposés, celui de l’aristocratie européenne et celui des peuples opprimés d’Amérique latine.
L’originalité du traitement des personnages féminins dans ce roman tient à leur ambiguïté fondamentale. Jamais totalement alliées ni complètement adversaires, elles conservent une part d’indépendance qui échappe au contrôle de Malko comme à celui du lecteur. Cette autonomie narrative confère aux protagonistes féminines une dimension rarement atteinte dans le thriller d’espionnage traditionnel. Christina, notamment, avec son mélange troublant de cruauté et de compassion, représente un défi fascinant aux catégorisations simplistes, reflétant la vision complexe que de Villiers porte sur l’éternel féminin.
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La guerre bactériologique : un sujet d’actualité traité avec réalisme
En plaçant une arme biologique dévastatrice au cœur de son intrigue, Gérard de Villiers fait preuve d’une clairvoyance saisissante sur les menaces qui allaient façonner les décennies suivantes. Le CX 3, poison synthétique capable d’anéantir des populations entières par simple contact cutané, dépasse le cadre de la simple invention romanesque pour s’ancrer dans une réalité scientifique troublante. L’auteur démontre une connaissance approfondie des recherches en guerre bactériologique menées par les grandes puissances durant la Guerre froide, transformant cette menace invisible en protagoniste glaçant de son thriller.
La description clinique des installations du professeur Tacata au cœur de la jungle mexicaine frappe par son réalisme méticuleux. Rats porteurs de peste bubonique, souches virulentes cultivées en laboratoire, processus de fabrication détaillés : chaque élément technique semble puisé directement auprès de sources initiées du renseignement militaire. Cette précision quasi documentaire, marque de fabrique de Villiers, confère au roman une dimension prophétique qui résonne étrangement avec nos préoccupations contemporaines autour du bioterrorisme et des laboratoires P4.
L’expérimentation macabre menée sur le village de Las Piedras, où tous les habitants sont retrouvés morts, victimes d’un test grandeur nature du poison, illustre l’horreur particulière des armes biologiques. En décrivant sans complaisance les corps couverts d’une moisissure rougeâtre caractéristique, l’auteur donne à voir l’atrocité spécifique de ces armes qui ne discriminent pas entre combattants et civils. Cette vision apocalyptique anticipait avec une précision troublante les angoisses qui allaient s’emparer de l’opinion publique mondiale quelques décennies plus tard.
Le personnage de Yoshico Tacata, scientifique japonais ayant travaillé pour les Américains avant de se retourner contre eux, incarne parfaitement l’ambivalence morale de la recherche en armement biologique. Son passé dans les unités japonaises de Mandchourie durant la Seconde Guerre mondiale, où des expérimentations humaines furent réellement conduites, ancre le roman dans une réalité historique méconnue mais avérée. À travers ce personnage, Villiers interroge la responsabilité des puissances occidentales qui ont parfois récupéré ces scientifiques compromis au nom de la realpolitik.
La dimension géopolitique de la menace bactériologique est magistralement exposée à travers les rivalités entre services secrets. Le dilemme des autorités américaines, contraintes d’abattre un avion civil pour empêcher que l’échantillon de CX 3 ne tombe aux mains ennemies, illustre les choix éthiques impossibles que pose ce type d’armement. Cette tension morale, caractéristique des meilleurs thrillers d’espionnage, élève « Opération Apocalypse » au-delà du simple divertissement pour en faire une véritable réflexion sur la dissuasion à l’ère des armes non conventionnelles.
L’intuition narrative qui anime ce roman révèle la compréhension profonde qu’avait Villiers des vulnérabilités des sociétés modernes face aux menaces biologiques. Bien avant que les attaques au bacille du charbon ne frappent les États-Unis ou que les pandémies ne bouleversent l’ordre mondial, l’auteur avait saisi que la prochaine frontière de la terreur serait microscopique et invisible. Cette capacité à anticiper les évolutions des menaces sécuritaires confirme la position singulière de la série SAS comme baromètre géopolitique aussi divertissant qu’instructif, captant les anxiétés collectives avant même qu’elles ne se cristallisent dans la conscience publique.
Le style littéraire de Gérard de Villiers : efficacité et tension narrative
La prose de Gérard de Villiers dans « Opération Apocalypse » révèle un art consommé de la narration efficace, où chaque mot s’inscrit dans une mécanique implacable au service de l’action. Loin des fioritures stylistiques ou des digressions contemplatives, l’écriture se caractérise par une économie remarquable qui ne sacrifie jamais la précision. Les phrases courtes, incisives, souvent construites sur un mode paratactique, créent un rythme haletant qui mime l’urgence de la mission confiée à Malko et propulse littéralement le lecteur d’un chapitre à l’autre.
Les dialogues, ciselés avec une justesse presque théâtrale, constituent l’une des grandes forces de l’auteur. Dépouillés de tout artifice, ils captent l’essence des personnages tout en faisant progresser l’intrigue. Le laconisme de Malko, les formules colorées de Felipe, ou encore les manipulations verbales de Christina composent une partition verbale où chaque réplique révèle autant qu’elle dissimule. Cette maîtrise du dialogue contribue puissamment à l’impression de réalisme qui se dégage de l’œuvre.
Les descriptions géographiques et techniques témoignent d’une documentation minutieuse transfigurée par un talent visuel indéniable. Qu’il s’agisse de la baie d’Acapulco baignée de soleil, des laboratoires sinistres de Tacata ou des ruelles tortueuses de Mexico, chaque décor est campé en quelques traits précis qui sollicitent immédiatement l’imaginaire du lecteur. Cette capacité à esquisser rapidement un univers crédible participe à l’immersion totale qui caractérise l’expérience de lecture des romans de Villiers.
La construction narrative de « Opération Apocalypse » repose sur une alternance savamment orchestrée entre scènes d’action pure, moments de tension psychologique et épisodes sensuels. Cette rythmique à trois temps, signature de la série SAS, maintient constamment l’attention du lecteur en variant les registres émotionnels. L’art du suspense atteint son apogée dans les séquences où Malko et Felipe sont confrontés aux rats porteurs de peste, pages d’anthologie où la terreur monte crescendo jusqu’à devenir presque insoutenable.
Le style de Villiers se distingue également par un sens aigu du détail signifiant qui ancre la fiction dans une réalité tangible. L’attention méticuleuse portée aux vêtements de Malko, aux modèles d’armes, aux cocktails consommés ou aux spécificités techniques des véhicules crée un effet de réel saisissant. Cette précision quasi maniaque n’est jamais gratuite : elle contribue à établir l’autorité narrative de l’auteur, suggérant au lecteur qu’il est guidé par une voix parfaitement informée des arcanes de l’espionnage international.
L’originalité profonde de l’écriture Villierienne réside dans son équilibre parfait entre concision journalistique et puissance évocatrice. Sans jamais s’appesantir, l’auteur parvient à créer des images mentales d’une vivacité saisissante, particulièrement dans les scènes de violence ou de sensualité. Cette double nature du texte, à la fois rapport factuel et expérience immersive, confère à « Opération Apocalypse » une dimension presque cinématographique. La prose acquiert ainsi une transparence paradoxale où la simplicité apparente du style dissimule un art consommé de la narration, capable de transporter instantanément le lecteur au cœur de l’action, comme témoin privilégié d’une réalité qui le dépasse.
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L’héritage de SAS : influence sur le roman d’espionnage contemporain
L’empreinte laissée par Gérard de Villiers et sa série SAS sur le thriller d’espionnage contemporain est aussi profonde que méconnue par la critique littéraire. Dès ses premiers opus comme « Opération Apocalypse », l’auteur a révolutionné le genre en y introduisant un réalisme géopolitique sans précédent, brisant les codes d’un univers jusqu’alors largement dominé par les fantasmes de la Guerre froide. En ancrant ses intrigues dans une connaissance précise des mécanismes du pouvoir et des tensions internationales réelles, de Villiers a ouvert la voie à toute une génération d’auteurs privilégiant l’authenticité documentaire à la pure invention romanesque.
La figure de Malko Linge a redéfini l’archétype du héros d’espionnage, proposant une alternative européenne crédible au modèle bondien. Son statut d’agent contractuel plutôt que de fonctionnaire dévoué, sa motivation financière assumée et son absence de patriotisme exalté ont influencé la création de nombreux protagonistes contemporains plus nuancés et ambivalents. Des personnages comme Jason Bourne ou les héros de Daniel Silva portent indéniablement la trace de cette complexification du héros d’espionnage initiée par de Villiers.
Le traitement sans filtre des réalités géopolitiques les plus sensibles constitue peut-être l’héritage le plus significatif de la série. La capacité de « Opération Apocalypse » à aborder frontalement des sujets comme la guerre bactériologique ou les tensions postcoloniales a défini un nouveau standard d’audace narrative. Ce courage thématique a inspiré des auteurs comme Frederick Forsyth ou Tom Clancy, conduisant à l’émergence du sous-genre du techno-thriller, où la véracité technique devient un élément central de la proposition littéraire.
L’influence formelle de de Villiers se manifeste également dans le rythme narratif adopté par de nombreux thrillers contemporains. Sa structure en chapitres courts, son montage alterné entre plusieurs lignes d’action et sa capacité à maintenir une tension constante ont redéfini les standards d’efficacité du genre. L’équilibre parfait entre scènes d’action, développements géopolitiques et interludes plus personnels que l’on retrouve dans « Opération Apocalypse » est désormais la norme pour de nombreux bestsellers internationaux du genre.
Paradoxalement, c’est peut-être dans le domaine audiovisuel que l’héritage de SAS se fait le plus sentir aujourd’hui. Des séries comme « Homeland », « Le Bureau des légendes » ou « Jack Ryan » doivent beaucoup à la vision villierienne d’un espionnage enraciné dans des réalités géopolitiques précises. L’attention portée aux détails techniques, la complexité morale des protagonistes et l’ancrage dans l’actualité internationale immédiate sont autant d’éléments que ces productions ont hérités, consciemment ou non, de l’approche pionnière développée par de Villiers dès les années 1960.
La persistance culturelle de l’œuvre de Villiers se manifeste également par sa capacité à transcender les époques tout en restant pertinente. Alors que de nombreux romans d’espionnage contemporains de « Opération Apocalypse » paraissent aujourd’hui terriblement datés, l’actualité des thématiques abordées – terrorisme non conventionnel, vulnérabilité des sociétés modernes, tensions Nord-Sud – confère à l’œuvre une résonance étonnamment contemporaine. Cette dimension visionnaire explique pourquoi tant d’auteurs actuels continuent de puiser, parfois sans le savoir, dans le riche héritage narratif et thématique légué par le créateur de SAS, véritable précurseur d’un réalisme géopolitique qui définit aujourd’hui largement les contours du thriller d’espionnage international.
Mots-clés : Espionnage, Bioterrorisme, Mexique, Malko Linge, Guerre froide, Thriller géopolitique, SAS, Redécouverte Littéraire
Extrait Première Page du livre
» CHAPITRE PREMIER
Stanley Lovell, le radio de permanence à la tour de contrôle de Tampa en Floride, somnolait en sirotant avec une paille un verre de Seven-up qu’il venait d’aller chercher au distributeur automatique. Il était 3 heures et le soleil tapait dur sur les vitres. Un DC 9 des Delta Airlines venait de décoller et il n’y avait plus aucun appareil sur le parking. Tampa, à mi-chemin entre Washington et Miami, n’est pas une escale très importante. La seule distraction, à la tour de contrôle, était de dire bonjour par radio aux avions qui passaient dans le coin sans s’arrêter.
Fixant d’un œil atone le ciel bleu, le radio pensa que dans dix minutes il pourrait aller retrouver son bungalow climatisé, à la sortie Est de la ville. Maggie, sa petite amie, ne travaillait pas. Elle devait l’attendre, étendue sur leur lit, en combinaison, comme il l’aimait.
Il eut un petit gloussement satisfait : c’était fichtrement bon, de retrouver une pépée comme ça après six heures de boulot idiot ! Il se décrocha le cou pour voir si son remplaçant n’arrivait pas. Avec ce temps-là, ce n’était pas le moment de faire des heures supplémentaires. Il ouvrait la bouche pour bâiller quand le haut-parleur placé devant lui grésilla :
— Ici, N-CATR, vol 765 North-Eastem, en provenance de Washington, destination Kingston, Jamaïque, prochaine escale Miami. Deux hommes armés nous donnent l’ordre de nous dérouter…
Stanley Lovell regarda son haut-parleur. Incroyable !… La voix reprit :
— Ici, N-CATR, suis à la verticale de Tampa, Floride. Je change de cap sous la menace de…
La voix s’arrêta brusquement. Lovell considéra un instant le haut-parleur muet, puis se rua sur son livre de code-radio, pour trouver le canal de North-Eastem. Il empoigna son micro :
— Ici la tour de contrôle de Tampa. Que se passe-t-il, N-CATR ? Donnez votre cap et votre altitude.
Pas de réponse… Lovell posa son micro et se pencha pour apercevoir le ciel. Il vit tout de suite le DC 9. C’était un petit point, à environ 15 000 pieds, qui s’éloignait vers le sud-est. Lovell demeura songeur une seconde, pensant qu’un drame se jouait là-haut dans le fuselage brillant de métal léger. «
- Titre : Opération Apocalypse
- Auteur : Gérard de Villiers
- Éditeur : Éditions Gérard de Villiers
- Nationalité : France
- Date de sortie : 1999
Résumé
À presque 40 ans, Stéphane n’est rien. Il n’est personne. À Marseille depuis toujours, et dans le bar de Fredo, il se sent comme chez lui : Kahina, serveuse en attendant mieux, y est pour beaucoup.
Steph, lui, n’attend plus rien et vivote. Ça lui va bien : la vie peut être une salope, alors il fait avec.
D’ailleurs, par cet été caniculaire, dégoter un intérim dans une pizzeria sur la Canebière, c’est le job idéal ! D’autant que le hasard remet bientôt sur sa route d’anciennes connaissances.
Mais sous le ciel implacable, dans la touffeur délétère de Marseille qui chavire, la tragédie n’est jamais loin, même pour les pauvres types …
« Le soleil brille pour tout le monde » est un premier roman écrit comme une cavalcade haletante à travers les rues et les quartiers de la cité phocéenne. Là se font et se défont les destins.
Marseille s’offre, telle qu’elle se vit, telle qu’elle se parle. Dans la violence sombre de ses rêves de Zenith brûlés en plein vol.
En réalité, dans « Le soleil ne brille pas pour tout le monde », le personnage principal, c’est Marseille. Sa face nord.
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Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis une soixantaine d’années, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.