Le destin singulier de Bosco Gonda
Au cœur du livre « Un homme dangereux » d’Alexandre Kauffmann se trouve le parcours hors norme de Bosco Gonda, un homme dont la vie a été marquée par la violence et la maladie mentale. Né en République Démocratique du Congo, Bosco arrive en France avec sa famille dans les années 1980. Son enfance et son adolescence dans la banlieue toulousaine semblent relativement paisibles, bien qu’il subisse la brutalité de son père.
C’est à l’âge adulte que son destin bascule. Bosco commet une série d’actes violents, dont le meurtre d’un codétenu en prison et l’assassinat de sa propre sœur, Fara. Ces crimes le conduisent à être interné dans différentes Unités pour Malades Difficiles (UMD), des structures psychiatriques ultra-sécurisées accueillant les patients considérés comme les plus dangereux.
Diagnostiqué schizophrène, Bosco est déclaré pénalement irresponsable. Dès lors, son sort ne dépend plus de la justice mais du corps médical. S’ensuit une longue période d’enfermement, entrecoupée de permissions de sortie qui se concluent dramatiquement, comme en témoigne le meurtre de Fara en 2008.
Pourtant, au fil des années, l’état de Bosco semble s’améliorer. Il est transféré en unité classique et bénéficie de plus en plus de libertés. Il participe même à une émission de radio animée par des patients. Cette évolution positive interroge sur la capacité de ces individus, considérés comme les « fous les plus dangereux de France », à se réinsérer dans la société.
Le destin de Bosco Gonda soulève de nombreuses questions. Comment un enfant sans histoire a-t-il pu devenir un criminel multirécidiviste ? Quelles sont les parts respectives de la maladie mentale, du contexte familial et social dans ce parcours chaotique ? Les années d’enfermement en UMD étaient-elles une réponse adaptée ? Son histoire met en lumière toute la complexité de la prise en charge des malades mentaux ayant commis des actes violents et les limites du système judiciaire et psychiatrique français.
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L’irresponsabilité pénale en question
L’un des aspects centraux du livre « Un homme dangereux » d’Alexandre Kauffmann est la question de l’irresponsabilité pénale. En France, l’article 122-1 du Code pénal prévoit que les personnes ayant commis des infractions sous l’empire d’un trouble mental ayant aboli leur discernement ou le contrôle de leurs actes ne sont pas pénalement responsables. C’est ce qui s’est produit dans le cas de Bosco Gonda, déclaré irresponsable en raison de sa schizophrénie.
Cette décision, comme souvent dans ce type d’affaires, a suscité l’incompréhension et la colère des familles de victimes. Pour elles, l’absence de procès et de condamnation est vécue comme un déni de justice. Le livre donne la parole à ces familles, notamment à travers le personnage de Christian Stawoski, père d’une jeune fille tuée par un malade mental, qui milite au sein de l’association « Delphine Cendrine » pour une réforme de l’irresponsabilité pénale.
Mais l’ouvrage ne se contente pas de présenter les arguments des parties civiles. Il explore également le point de vue des psychiatres, tiraillés entre leur mission de soin et la pression sociale qui les pousse à se prononcer sur la dangerosité des patients. Les experts, souvent en désaccord entre eux, peinent à évaluer les risques de récidive avec certitude.
À travers le cas Bosco Gonda, Alexandre Kauffmann met en lumière les failles et les dilemmes du système français. D’un côté, l’irresponsabilité pénale apparaît comme une nécessité pour permettre aux malades d’être soignés plutôt que punis. De l’autre, ce principe semble parfois conduire à une forme d’impunité et ne pas prendre suffisamment en compte la souffrance des victimes.
La loi du 25 février 2008, adoptée en réaction à l’affaire Romain Dupuy – un autre protagoniste du livre -, a tenté de concilier ces impératifs contradictoires en instaurant des audiences publiques pour les déclarations d’irresponsabilité pénale et en permettant aux juges de prononcer des mesures de sûreté. Mais cette réforme est loin d’avoir apaisé le débat sur un sujet qui reste éminemment sensible et complexe, comme le montre avec force « Un homme dangereux ».
Dans les coulisses des Unités pour Malades Difficiles (UMD)
L’un des grands mérites du livre « Un homme dangereux » d’Alexandre Kauffmann est de nous plonger dans l’univers méconnu et inquiétant des Unités pour Malades Difficiles (UMD). Ces structures psychiatriques ultraspécialisées accueillent les patients considérés comme les plus dangereux, ceux dont les troubles mentaux sont associés à un risque élevé de violence. C’est dans ces unités que Bosco Gonda a passé de nombreuses années.
À travers son enquête, Alexandre Kauffmann nous emmène dans les coulisses de deux UMD : celle de Cadillac, en Gironde, et celle d’Albi, dans le Tarn. Il décrit avec précision l’architecture carcérale de ces lieux, les mesures de sécurité draconiennes (sas, portes verrouillées, vidéosurveillance…), mais aussi l’ambiance qui y règne, entre tension permanente et moments de convivialité.
On découvre le quotidien des patients, rythmé par les repas, les activités thérapeutiques (art-thérapie, jeux de société…), les entretiens avec les soignants. Mais aussi leurs difficultés, leur sentiment d’enfermement, leur rapport complexe à la maladie et au traitement. Des personnalités hautes en couleur se dessinent, comme Claude B., « vétéran des UMD », ou Romain Dupuy, le « fou le plus dangereux de France ».
Le livre nous plonge également dans le quotidien des soignants, ces psychiatres, infirmiers, aides-soignants qui travaillent dans des conditions extrêmes. On mesure leur dévouement, leur patience, mais aussi leur fatigue et leurs doutes face à des patients qui mettent à l’épreuve leur engagement. Les incidents violents, comme l’agression d’une infirmière par Bosco Gonda lors d’un repas de Noël, rappellent la dangerosité de ce travail.
Au-delà de la description, « Un homme dangereux » interroge le rôle et le fonctionnement des UMD. Ces structures sont-elles adaptées pour soigner des patients aussi complexes ? Permettent-elles une véritable réinsertion ou maintiennent-elles les malades dans une forme d’exclusion ? Les moyens humains et financiers sont-ils à la hauteur des enjeux ? Autant de questions que soulève ce passionnant reportage au cœur d’un monde hospitalier à part.

Le trio infernal: Bosco Gonda, Claude B. et Romain Dupuy
Au fil des pages d' »Un homme dangereux », trois figures se détachent : Bosco Gonda, Claude B. et Romain Dupuy. Trois destins singuliers qui se croisent et s’entrechoquent au sein de l’UMD de Cadillac, formant ce que certains soignants ont surnommé « le trio infernal ».
Bosco Gonda, le personnage central du livre, est un patient à part. Schizophrène, il alterne entre phases de stabilité et de délire, entre lucidité et confusion. Sa violence, qui l’a conduit à tuer son codétenu en prison puis sa propre sœur, semble imprévisible, incompréhensible. Mais Alexandre Kauffmann ne se contente pas de décrire ses actes. Il tente de cerner sa personnalité complexe, son intelligence, sa soif de reconnaissance, ses blessures aussi.
À ses côtés, on découvre Claude B., « vétéran des UMD ». Cet homme au lourd passé judiciaire est une figure ambivalente. Tour à tour lucide et délirant, attachant et inquiétant, il joue un rôle clé dans l’enquête d’Alexandre Kauffmann. C’est lui qui révèle au journaliste l’existence de Bosco Gonda, dont il fut le compagnon de détention. Mais ses propos sont sujets à caution, Claude B. étant connu pour ses affabulations et ses coups de bluff.
Enfin, il y a Romain Dupuy, « le fou le plus dangereux de France ». Ce jeune schizophrène s’est rendu tristement célèbre en assassinant deux soignantes dans un hôpital psychiatrique de Pau en 2004. Lui aussi a croisé la route de Bosco Gonda à l’UMD de Cadillac. Entre eux se noue une relation complexe, faite de complicité et de défiance. Pour Romain Dupuy, Bosco est un ami fidèle, un confident. Mais son influence est jugée néfaste par les psychiatres, qui décident de les séparer.
À travers le destin de ces trois hommes, c’est toute la problématique de la prise en charge des malades mentaux dangereux qui se dessine. Comment soigner, réinsérer, tout en protégeant la société ? Comment gérer les relations entre patients au sein de ces unités ? Le livre montre la difficulté de ces questions, en donnant à voir la complexité humaine derrière les étiquettes de « fous dangereux ».
Schizophrénie et dangerosité: la difficile évaluation des risques
L’un des enjeux majeurs soulevés par le livre « Un homme dangereux » est celui du lien entre schizophrénie et dangerosité. Le cas de Bosco Gonda, comme ceux de nombreux patients d’UMD, interroge sur la capacité des psychiatres à évaluer le risque de passage à l’acte violent chez les personnes atteintes de troubles psychotiques.
La question est complexe et suscite de vifs débats au sein de la communauté médicale. Si la grande majorité des schizophrènes ne sont pas violents, il existe néanmoins une surreprésentation des crimes et délits dans cette population par rapport à la population générale. Mais comment distinguer, parmi ces patients, ceux qui présentent un réel danger ?
Alexandre Kauffmann montre à quel point cette évaluation est difficile. Tout au long de son parcours, Bosco Gonda fait l’objet d’expertises psychiatriques contradictoires. Certains experts le jugent « extrêmement dangereux », quand d’autres estiment qu’il ne présente pas de risque particulier. Ces divergences témoignent de la part de subjectivité qui entre en jeu dans ce type d’évaluation.
Le livre met également en lumière les limites des outils actuellement à disposition des psychiatres. Les échelles de prédiction du risque, basées sur des critères statistiques, peinent à rendre compte de la singularité de chaque patient. Quant à l’appréciation clinique, elle reste soumise à l’expérience et à l’intuition de chaque praticien.
Face à ces incertitudes, les psychiatres semblent tiraillés entre deux écueils : la sous-estimation du danger, qui peut conduire à des drames comme celui de la rue du Languedoc, et la surestimation, qui enferme les patients dans un statut de « malade dangereux » dont il est difficile de sortir. Le cas de Romain Dupuy, maintenu en UMD pendant plus de 15 ans malgré les avis favorables à une sortie, illustre cette seconde tendance.
Au-delà du cas individuel, « Un homme dangereux » pose la question de la place accordée à la dangerosité dans la prise en charge des malades mentaux. Cette notion, éminemment subjective et chargée de fantasmes, ne risque-t-elle pas de prendre le pas sur l’objectif de soin ? C’est tout l’enjeu du débat sur l’évolution de la psychiatrie médico-légale que soulève, avec finesse et nuance, le livre d’Alexandre Kauffmann.
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Soigner ou punir? Le dilemme de la psychiatrie médico-légale
Au cœur du livre « Un homme dangereux » se trouve une question qui hante la psychiatrie médico-légale : faut-il soigner ou punir les malades mentaux ayant commis des actes violents ? Ce dilemme, qui traverse toute l’histoire de Bosco Gonda, cristallise les tensions entre la logique judiciaire et l’approche médicale.
D’un côté, la gravité des crimes commis semble appeler une réponse pénale ferme. Pour les familles de victimes, l’irresponsabilité pénale est souvent vécue comme une forme d’impunité. Elles réclament des comptes, une condamnation, une peine qui soit à la hauteur de leur souffrance. Cette attente de justice est parfaitement compréhensible et légitime.
Mais d’un autre côté, les psychiatres rappellent que leur rôle n’est pas de punir, mais de soigner. Pour eux, la maladie mentale doit être traitée comme n’importe quelle pathologie. Un schizophrène qui commet un crime sous l’empire d’un délire n’est pas un délinquant comme les autres. L’enfermer en prison ne ferait qu’aggraver son état et augmenter le risque de récidive.
C’est tout l’enjeu de l’article 122-1 du code pénal sur l’irresponsabilité pénale. En soustrayant les malades à une condamnation classique, il permet de les orienter vers un parcours de soins adapté à leur pathologie. Mais ce principe se heurte souvent à l’incompréhension du grand public et suscite régulièrement des polémiques.
Le cas de Bosco Gonda illustre parfaitement ce dilemme. Déclaré pénalement irresponsable, il échappe à la prison mais se retrouve enfermé de longues années en UMD. Est-ce une solution satisfaisante ? Les conditions de détention y sont certes différentes, mais la privation de liberté n’en est pas moins réelle. Et les soins prodigués, aussi intensifs soient-ils, n’empêchent pas toujours la récidive, comme le montre le meurtre de sa sœur Fara en 2008.
Pour Alexandre Kauffmann, il n’y a pas de réponse simple à ce dilemme. Son livre plaide pour une approche nuancée, qui prenne en compte à la fois les impératifs de sécurité et le droit des patients à être soignés dignement. Il invite à repenser la psychiatrie médico-légale, à renforcer les moyens des UMD, à développer des alternatives à l’enfermement. Un vaste chantier qui nécessite de dépasser les clivages et de faire dialoguer tous les acteurs concernés : juges, psychiatres, familles de victimes, associations de patients… Un dialogue difficile mais nécessaire, pour tenter de concilier soigner et protéger.
De la réclusion à la réinsertion: le lent cheminement de Bosco Gonda
Le parcours de Bosco Gonda, tel que le retrace « Un homme dangereux », n’est pas linéaire. C’est un chemin fait d’allers-retours, d’espoirs et de rechutes, qui illustre toute la complexité du processus de réinsertion pour les patients psychiatriques au lourd passé judiciaire.
Pendant de longues années, Bosco Gonda semble condamné à une forme de réclusion à perpétuité. Interné en UMD après le meurtre de son codétenu, il paraît enlisé dans un engrenage de violence et de délire. Les permissions de sortie se soldent par de nouveaux drames, comme l’agression de sa sœur Fara en 2008. Son cas semble désespéré.
Pourtant, peu à peu, son état s’améliore. Grâce à un traitement médicamenteux adapté et à un suivi intensif, il parvient à stabiliser ses symptômes. Il développe des relations plus apaisées avec les soignants et les autres patients. Ses progrès sont tels qu’en 2019, il est transféré en unité classique, avec un régime de soins moins contraignant.
C’est une nouvelle étape dans le lent processus de réinsertion de Bosco Gonda. En psychiatrie classique, il bénéficie de permissions de sortie plus fréquentes, sans accompagnement. Il peut ainsi participer à une émission de radio, suivre des cours de boxe, renouer des liens avec l’extérieur. Autant de signes encourageants, qui laissent entrevoir la possibilité d’un retour à une vie normale.
Mais cette évolution n’est pas sans embûches. Le passé de Bosco Gonda le rattrape sans cesse, suscitant la méfiance de son entourage. Sa famille, traumatisée, a coupé les ponts. Les soignants eux-mêmes restent sur leurs gardes, craignant une nouvelle « décompensation ». Et le poids des années d’enfermement est lourd à porter, générant une angoisse de la liberté retrouvée.
Le cheminement de Bosco Gonda pose la question de la réinsertion des malades mentaux « dangereux ». Comment accompagner ces patients vers une vie autonome, tout en garantissant la sécurité de tous ? Quelles étapes, quels garde-fous mettre en place ? Le livre d’Alexandre Kauffmann n’apporte pas de réponse définitive, mais il ouvre des pistes de réflexion passionnantes.
En suivant pas à pas le parcours de Bosco Gonda, « Un homme dangereux » nous invite à changer de regard sur ces patients si particuliers. Sans nier la gravité de leurs actes, il montre que la réinsertion est possible, au prix d’efforts constants et d’une vigilance de tous les instants. Un message d’espoir, aussi fragile soit-il, dans un univers souvent perçu comme celui du désespoir et de l’enfermement à vie.
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Une plongée journalistique aux limites de l’éthique
En se lançant sur les traces de Bosco Gonda, Alexandre Kauffmann savait qu’il s’engageait dans une enquête périlleuse. Non seulement par la nature sensible du sujet, touchant à la folie et au crime, mais aussi par les questions éthiques qu’elle ne manquerait pas de soulever. Car pour approcher au plus près la vérité de cet « homme dangereux », le journaliste a dû repousser les limites habituelles de son métier.
Tout au long du livre, on suit Alexandre Kauffmann dans sa quête obsessionnelle d’informations. Il multiplie les démarches, les coups de téléphone, les visites dans les hôpitaux psychiatriques. Il interroge sans relâche les proches de Bosco Gonda, les soignants, les avocats, les experts… Une enquête minutieuse et acharnée, qui force parfois l’admiration.
Mais cette obstination a aussi ses revers. Pour obtenir des témoignages, le journaliste n’hésite pas à user de subterfuges, voire de dissimulation. Il se fait passer pour un simple visiteur à l’UMD de Cadillac, cache son identité à certains interlocuteurs, enregistre des conversations à leur insu. Autant de méthodes qui flirtent avec les limites de la déontologie journalistique.
Plus problématique encore, sa volonté de rencontrer Bosco Gonda en personne. Malgré les refus répétés du patient, Alexandre Kauffmann cherche par tous les moyens à entrer en contact avec lui. Il lui écrit des lettres, tente de le croiser lors de ses permissions de sortie, s’invite même à l’émission de radio à laquelle il participe. Une insistance qui peut paraître légitime d’un point de vue journalistique, mais qui pose question sur le plan éthique.
Car en cherchant à tout prix à approcher Bosco Gonda, Alexandre Kauffmann ne risque-t-il pas de perturber son fragile équilibre ? De compromettre le travail des soignants qui l’entourent ? Sa quête de vérité ne se fait-elle pas au détriment du respect de la vie privée et du secret médical ?
Le journaliste semble conscient de ces dilemmes. À plusieurs reprises, il s’interroge sur sa démarche, exprime des doutes, des scrupules. Mais l’attrait de l’enquête, la fascination pour son sujet, semblent toujours l’emporter. Jusqu’à cette scène finale où, pensant apercevoir Bosco Gonda dans une rue de Sainte-Foy-la-Grande, il se lance à sa poursuite…
En retraçant ainsi son enquête, avec ses avancées et ses impasses, ses succès et ses questionnements, Alexandre Kauffmann nous offre une passionnante réflexion sur les enjeux du journalisme d’investigation. Une plongée vertigineuse au cœur d’un sujet brûlant, qui n’évite pas toujours les écueils éthiques. Mais c’est aussi ce qui fait la force et l’honnêteté de ce livre, qui interroge avec acuité notre rapport à l’information, dans ce qu’elle a de plus nécessaire et de plus dérangeant.
Victimes et familles de victimes : des voix à entendre
Dans le débat sur l’irresponsabilité pénale et la prise en charge des malades mentaux dangereux, il est une parole trop souvent négligée : celle des victimes et de leurs familles. C’est l’un des grands mérites du livre « Un homme dangereux » que de leur donner la parole, de faire entendre leurs voix blessées et leurs colères légitimes.
Tout au long de son enquête, Alexandre Kauffmann prend le temps de rencontrer ces hommes et ces femmes dont la vie a basculé un jour sous les coups d’un « fou criminel ». Il y a Christian Stawoski, le père de Cendrine, tuée par un septuagénaire armé d’un fusil. Maria Moulédous, la sœur de Chantal Klimaszewski, l’infirmière assassinée par Romain Dupuy. Et puis tous ces anonymes, ces « victimes collatérales » qui ne se remettent pas de la perte d’un proche.
À travers leurs témoignages, c’est tout le poids d’un deuil impossible qui se révèle. Car pour ces familles, l’irresponsabilité pénale de l’agresseur vient redoubler la douleur de la perte. L’absence de procès, de condamnation, est vécue comme un déni de justice, une négation de leur souffrance. « On nous a volé notre procès », résume avec amertume Christian Stawoski.
Mais au-delà de la colère, ce qui frappe chez ces victimes, c’est leur volonté de comprendre. De donner un sens à l’insensé. Beaucoup se sont plongées dans les dossiers médicaux, ont épluché les expertises psychiatriques, se sont renseignées sur les pathologies mentales. Non par voyeurisme morbide, mais par nécessité vitale. Pour tenter de comprendre l’incompréhensible.
Et de cette quête de sens est née, chez certains, une volonté d’agir. C’est le cas de Christian Stawoski, qui a fondé l’association « Delphine Cendrine » pour défendre les droits des victimes et militer pour une réforme de l’irresponsabilité pénale. Un combat de longue haleine, souvent ingrat, mais porté par une conviction inébranlable : celle que la société doit entendre la voix des victimes.
Car c’est peut-être là le message essentiel de ces témoignages : la nécessité d’inclure les victimes dans la réflexion sur la prise en charge des malades mentaux criminels. De ne pas les laisser seules face à leur douleur et leurs interrogations. De faire de leur parole un levier pour repenser le système psychiatrique et judiciaire.
En donnant à entendre ces voix trop souvent inaudibles, « Un homme dangereux » ne se contente pas de susciter l’émotion. Il invite à un véritable débat de société, où la souffrance des victimes ne serait pas opposée aux droits des patients, mais prise en compte dans une approche globale et humaniste. Un débat difficile, douloureux, mais ô combien nécessaire pour tenter de concilier les exigences de la justice, de la sécurité et de la dignité humaine.
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Alexandre Kauffmann, sur les traces d’un homme dangereux
« Un homme dangereux » n’est pas seulement un livre sur Bosco Gonda et la psychiatrie médico-légale. C’est aussi, en filigrane, le récit d’une quête personnelle, celle d’Alexandre Kauffmann, journaliste obstiné et écrivain talentueux, qui s’est lancé corps et âme sur les traces de cet « homme dangereux ».
Dès les premières pages, on sent chez l’auteur une fascination pour son sujet. Une fascination qui tient autant à la personnalité énigmatique de Bosco Gonda qu’aux questions vertigineuses que soulève son parcours : la folie, le crime, l’enfermement, la rédemption possible… Autant de thèmes qui résonnent avec la propre histoire d’Alexandre Kauffmann, dont le père a connu la détention lors de la guerre civile libanaise.
Mais cette fascination ne tourne jamais à la complaisance. Tout au long de son enquête, le journaliste garde une distance critique, interroge sans cesse sa démarche et ses motivations. Il sait que s’intéresser à un homme comme Bosco Gonda, c’est aussi s’exposer à la critique, voire à l’indignation. Pourquoi donner la parole à un criminel ? Pourquoi chercher à comprendre l’incompréhensible ?
À ces questions, Alexandre Kauffmann répond par l’exigence de son métier. Celle de comprendre, justement. De décrypter la complexité humaine derrière les faits divers. De donner à voir la part d’humanité qui subsiste en chaque homme, même le plus « dangereux ». Une exigence qui le pousse à aller toujours plus loin dans son investigation, à multiplier les rencontres et les démarches, parfois à la limite de l’éthique journalistique.
Mais cette quête acharnée n’est pas sans conséquences pour le journaliste lui-même. Au fil des pages, on le sent happé par son sujet, obsédé par cette figure fantomatique qu’il peine à cerner. Les nuits sans sommeil, les doutes, la peur aussi, parfois… Autant de signes qui trahissent l’impact profond de cette enquête sur son auteur.
Et c’est peut-être là, finalement, que réside la force de ce livre. Dans cette implication totale de l’auteur, qui ne cherche pas à masquer ses tourments et ses questionnements. Qui interroge, avec une lucidité parfois douloureuse, son propre rapport à la folie, à la violence, à l’altérité radicale que représente Bosco Gonda.
En se mettant ainsi en jeu, Alexandre Kauffmann ne livre pas seulement un reportage captivant. Il nous offre une réflexion profonde sur le métier de journaliste, sur les doutes et les engagements qui l’animent. Et plus largement, sur la part d’ombre qui sommeille en chacun de nous, et que seule une enquête obstinée, au plus près de l’humain, peut tenter d’éclairer. Une leçon de journalisme, mais aussi une leçon de vie, qui fait d' »Un homme dangereux » bien plus qu’un simple livre : une expérience à part entière, troublante et nécessaire.
Extrait Première Page du livre
» LE BRAS
AOÛT 2008
« LE JUGE : Vous souvenez-vous lui avoir coupé un bras ?
RÉPONSE : Oui. […]
LE JUGE : Quand vous lui avez coupé le bras, elle était vivante ou morte ?
RÉPONSE : Elle était morte.
LE JUGE : Qu’avez-vous fait quand les policiers sont arrivés ?
RÉPONSE : Je leur ai tiré dessus avec le revolver, c’était une technique pour me faire tirer dessus… »
Procès-verbal de première comparution,
26 août 2008.
LE VÉTÉRAN
OCTOBRE 2021
Les branches du catalpa glissent sur la carrosserie. Le Volvo break roule au pas sur le sentier défoncé longeant la maison familiale. Dans le rétroviseur, je vois ma mère trottiner derrière la voiture. Je ralentis et baisse la vitre. Un parfum frais et acidulé se répand dans l’habitacle.
– Tu comptes revenir à quelle heure ?
Il n’y a pas d’inquiétude dans sa voix. Juste une pointe d’exaspération.
– Mon rendez-vous est à 11 heures. Disons que si je n’ai pas donné de nouvelles à 17 heures, tu m’appelles. Si je ne réponds pas – seulement si je ne réponds pas –, tu préviens la police… Je serai au 75 cours de l’Yser, au sud de Bordeaux. Pas loin de la gare Saint-Jean.
– 17 heures, 75 cours de l’Yser, d’accord…
Dans sa tenue estivale – short en lin et Bensimon –, ma mère hoche la tête et s’en retourne d’un pas tranquille vers la maison. Ce n’est pas la première fois que je l’enrôle dans mes combines.
Depuis Moustey, commune de Haute-Lande, je rejoins l’A63 en coupant par un chemin forestier. Sur la voie rapide en direction de Bordeaux, j’essaie de me représenter Claude B., l’homme qui m’attend cours de l’Yser. Aucune photo de lui n’est disponible sur Internet. À 76 ans, il a connu la plupart des prisons et hôpitaux psychiatriques de France. Le plus souvent en quartier de haute sécurité. C’est un miracle qu’il soit encore vivant. D’ailleurs, je l’ai longtemps cru mort. L’un de ses anciens avocats, contacté par téléphone, m’avait annoncé qu’il était décédé depuis une dizaine d’années. Dans l’enquête qui m’occupait alors – un sujet autour de l’irresponsabilité pénale pour le journal Libération –, j’avais fait une croix sur Claude B., meurtrier et adversaire emblématique de la psychiatrie légale. «
- Titre : Un homme dangereux
- Auteur : Alexandre Kauffmann
- Éditeur : Editions Goutte d’Or
- Nationalité : France
- Date de sortie : 2024

Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis plus de 60 ans, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.