Le Nom de la Rose de Umberto Eco

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Le Nom de la Rose de Umberto Eco

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Umberto Eco et le roman historique postmoderne

Umberto Eco, écrivain italien, sémiologue et médiéviste de renom, a marqué l’histoire de la littérature avec son premier roman, « Le Nom de la Rose », publié en Italie en 1980 et traduit en français l’année suivante. Cette œuvre magistrale a non seulement propulsé Eco sur la scène littéraire internationale, mais a également redéfini les contours du roman historique à l’ère postmoderne.

« Le Nom de la Rose » se distingue par sa capacité à fusionner habilement plusieurs genres littéraires. À première vue, il se présente comme un roman policier médiéval, mais cette structure narrative sert de cadre à une réflexion bien plus profonde sur l’histoire, la philosophie, la théologie et la sémiotique. Eco parvient à créer un récit qui, tout en restant fidèle aux conventions du roman historique, les transcende en y insufflant une sensibilité contemporaine.

L’approche d’Eco dans ce roman est emblématique du postmodernisme littéraire. Il joue avec les attentes du lecteur, mêlant faits historiques avérés et éléments fictifs avec une telle dextérité que la frontière entre réalité et fiction devient délibérément floue. Cette ambiguïté est renforcée par l’utilisation astucieuse de l’intertextualité, avec des références multiples à d’autres œuvres littéraires, philosophiques et théologiques.

Le roman se déroule au XIVe siècle, une période de transition entre le Moyen Âge et la Renaissance. Ce choix n’est pas anodin : il permet à Eco d’explorer les tensions entre tradition et modernité, foi et raison, qui résonnent encore dans notre époque contemporaine. À travers les débats théologiques et les conflits politiques dépeints dans le roman, Eco invite le lecteur à réfléchir sur des questions toujours d’actualité, telles que le pouvoir de la connaissance, les limites de l’interprétation, et le rôle de l’Église dans la société.

L’un des aspects les plus novateurs du « Nom de la Rose » est sa structure narrative complexe. Eco utilise un narrateur qui relate des événements survenus dans sa jeunesse, ajoutant ainsi une couche supplémentaire de distance temporelle et de subjectivité au récit. Cette technique narrative permet à l’auteur de jouer avec les notions de mémoire, de vérité historique et de perception subjective, des thèmes centraux de la pensée postmoderne.

En outre, Eco ne se contente pas de raconter une histoire ; il invite le lecteur à participer activement à la construction du sens. Les nombreuses énigmes, codes et symboles parsemés dans le texte transforment la lecture en une véritable quête intellectuelle, reflétant ainsi la démarche investigatrice des personnages principaux.

« Le Nom de la Rose » a eu un impact considérable sur la littérature contemporaine, ouvrant la voie à un nouveau type de roman historique qui ne se contente pas de recréer fidèlement une époque, mais l’utilise comme un miroir pour examiner notre propre société. L’œuvre d’Eco a inspiré de nombreux auteurs à expérimenter avec les frontières entre histoire et fiction, érudition et divertissement.

En conclusion, « Le Nom de la Rose » se présente comme une œuvre charnière, incarnant parfaitement les principes du postmodernisme tout en restant accessible à un large public. À travers ce roman, Umberto Eco a démontré qu’il était possible de créer une œuvre à la fois divertissante et profondément intellectuelle, marquant ainsi un tournant dans l’histoire du roman historique et de la littérature contemporaine.

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Le cadre historique : L’abbaye bénédictine au XIVe siècle

Le cadre historique du « Nom de la Rose » est un élément crucial de l’œuvre d’Umberto Eco, ancrant fermement le récit dans la réalité complexe et tumultueuse du XIVe siècle européen. L’abbaye bénédictine fictive, située quelque part dans le nord de l’Italie, sert de microcosme représentatif des tensions politiques, religieuses et intellectuelles de cette époque charnière entre le Moyen Âge tardif et les prémices de la Renaissance.

Eco dépeint avec une précision remarquable l’organisation et la vie quotidienne d’une abbaye bénédictine au XIVe siècle. La structure hiérarchique, les rituels quotidiens, et l’importance accordée à la prière et au travail intellectuel sont méticuleusement détaillés, offrant au lecteur une immersion authentique dans ce monde monastique. L’auteur s’appuie sur sa vaste connaissance du Moyen Âge pour recréer l’atmosphère unique de ces centres de savoir et de spiritualité que représentaient les abbayes bénédictines.

Le choix de situer l’intrigue dans une abbaye n’est pas anodin. Au XIVe siècle, ces institutions jouaient un rôle central dans la préservation et la transmission du savoir. La bibliothèque de l’abbaye, véritable labyrinthe de connaissances, symbolise l’accumulation et parfois la rétention du savoir par l’Église. Cette bibliothèque devient dans le roman un personnage à part entière, reflétant les débats de l’époque sur l’accès à la connaissance et le contrôle de l’information.

Le contexte historique plus large du XIVe siècle est habilement intégré dans le récit. Eco évoque les conflits entre le pouvoir papal et le pouvoir impérial, les débats théologiques qui agitent l’Église, notamment autour de la question de la pauvreté du Christ, et les premiers frémissements de ce qui deviendra plus tard la Renaissance. Ces éléments ne sont pas de simples toiles de fond, mais des forces actives qui influencent directement les événements du roman et les motivations des personnages.

L’auteur porte une attention particulière aux mouvements hérétiques de l’époque, notamment les fraticelles, branche dissidente des franciscains. Ces tensions religieuses reflètent les questionnements profonds sur la nature de la foi, le rôle de l’Église et l’interprétation des textes sacrés qui caractérisaient cette période de l’histoire. Eco utilise ces controverses historiques pour explorer des thèmes plus larges tels que le pouvoir, la vérité et l’interprétation.

Le XIVe siècle était également une époque de grands changements intellectuels, avec l’émergence de nouvelles façons de penser et d’appréhender le monde. Eco capture brillamment cette effervescence intellectuelle à travers les discussions philosophiques et théologiques de ses personnages. Les débats entre nominalistes et réalistes, par exemple, ne sont pas de simples digressions érudites, mais des éléments essentiels qui sous-tendent l’intrigue et la résolution du mystère central.

La présence de l’Inquisition dans le roman rappelle les tensions et les peurs qui caractérisaient cette époque. L’Inquisition, représentée par le personnage de Bernard Gui, incarne la répression des idées considérées comme hérétiques et la lutte de l’Église pour maintenir son autorité face aux changements sociaux et intellectuels.

Enfin, Eco n’oublie pas les aspects plus prosaïques de la vie médiévale. Les descriptions détaillées de la nourriture, des vêtements, des pratiques médicales et des conditions de vie ajoutent une couche supplémentaire d’authenticité historique, permettant au lecteur de s’immerger pleinement dans cette époque lointaine.

En conclusion, le cadre historique du « Nom de la Rose » n’est pas un simple décor, mais un élément intrinsèque de l’œuvre. L’abbaye bénédictine au XIVe siècle, telle que dépeinte par Eco, devient un miroir des complexités de son époque, reflétant les grands débats intellectuels, les conflits de pouvoir et les transformations sociales qui caractérisaient ce siècle tumultueux. C’est cette richesse contextuelle qui permet à Eco de transcender le simple roman historique pour créer une œuvre qui résonne profondément avec les préoccupations contemporaines.

Les protagonistes : Guillaume de Baskerville et Adso de Melk

Au cœur du « Nom de la Rose », se dressent deux figures emblématiques : Guillaume de Baskerville et son jeune disciple, Adso de Melk. Ces protagonistes, bien que fictifs, incarnent avec brio la complexité intellectuelle et spirituelle du XIVe siècle, tout en offrant un pont entre le monde médiéval et la sensibilité moderne.

Guillaume de Baskerville, franciscain anglais et ancien inquisiteur, est le personnage central du roman. Son nom évoque à la fois le philosophe Guillaume d’Ockham et le célèbre détective Sherlock Holmes (via « Le Chien des Baskerville »), signalant d’emblée la dualité de sa nature : à la fois homme d’Église et esprit rationaliste. Doté d’une intelligence acérée et d’un sens de l’observation hors du commun, Guillaume incarne l’émergence d’une pensée proto-scientifique au sein d’un monde encore profondément ancré dans la tradition médiévale. Sa méthode d’investigation, basée sur la déduction logique et l’observation empirique, préfigure l’approche scientifique moderne tout en restant ancrée dans le contexte intellectuel de son époque.

La complexité de Guillaume réside dans sa capacité à naviguer entre foi et raison. Bien que profondément croyant, il n’hésite pas à remettre en question les dogmes établis et à explorer les limites de la connaissance humaine. Son passé d’inquisiteur, qu’il a quitté par dégoût des méthodes employées, ajoute une dimension supplémentaire à son personnage, révélant un homme en constante réflexion sur la nature du bien et du mal, de la vérité et de l’erreur.

Adso de Melk, le jeune novice bénédictin qui accompagne Guillaume, joue le rôle crucial de narrateur. À travers ses yeux, le lecteur découvre non seulement les événements du récit, mais aussi la personnalité fascinante de Guillaume. Adso représente l’innocence et la curiosité de la jeunesse, contrastant avec l’expérience et le scepticisme de son maître. Son évolution au cours du roman, passant de l’admiration aveugle à une compréhension plus nuancée du monde et de son mentor, reflète le processus d’apprentissage et de maturation intellectuelle.

La relation entre Guillaume et Adso est au cœur du roman. Elle dépasse le simple cadre maître-disciple pour devenir une véritable alliance intellectuelle et émotionnelle. À travers leurs discussions et leurs aventures communes, Eco explore des thèmes tels que la transmission du savoir, la nature de la vérité et les limites de la connaissance humaine. Adso apprend de Guillaume non seulement des faits et des méthodes, mais aussi une façon de penser et d’appréhender le monde.

Le contraste entre ces deux personnages est particulièrement révélateur dans leur approche de la sexualité et du désir. Alors que Guillaume adopte une vision pragmatique et compréhensive de la nature humaine, Adso lutte avec la tension entre ses vœux religieux et ses pulsions adolescentes. Cette différence illustre le conflit plus large entre la rigidité doctrinale de l’Église et une approche plus humaniste de la morale.

Guillaume et Adso servent également de véhicules pour explorer les grands débats philosophiques et théologiques de l’époque. À travers leurs conversations et leurs réflexions, Eco aborde des questions complexes telles que la nature du rire, le rôle de l’autorité dans l’interprétation des textes sacrés, et les limites du langage dans la description de la réalité. Ces discussions, loin d’être de simples digressions érudites, sont intimement liées à l’intrigue principale et à la résolution du mystère.

En fin de compte, Guillaume de Baskerville et Adso de Melk ne sont pas seulement des personnages de roman historique, mais des figures qui transcendent leur époque. Ils incarnent la quête éternelle de la vérité et de la connaissance, les tensions entre foi et raison, et la complexité de la condition humaine. Leur relation, empreinte de respect mutuel et d’affection, offre un modèle de dialogue intergénérationnel et intellectuel qui résonne bien au-delà du cadre médiéval du roman.

À travers ces deux protagonistes magnifiquement construits, Umberto Eco parvient à créer un pont entre le passé et le présent, invitant le lecteur à réfléchir sur des questions qui, bien que ancrées dans le XIVe siècle, restent profondément pertinentes pour notre époque contemporaine.

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L’intrigue policière : Meurtres et mystères dans l’abbaye

Au cœur du « Nom de la Rose », Umberto Eco tisse une intrigue policière complexe et captivante qui sert de fil conducteur à l’ensemble du roman. L’histoire débute lorsque Guillaume de Baskerville et son jeune apprenti Adso de Melk arrivent dans une abbaye bénédictine du nord de l’Italie, où ils sont rapidement confrontés à une série de morts mystérieuses et apparemment inexplicables.

Le premier décès, celui du moine Adelme d’Otrante retrouvé mort au pied d’une tour, semble être un suicide. Cependant, à mesure que d’autres moines meurent dans des circonstances tout aussi énigmatiques, il devient évident qu’un meurtrier rôde dans l’enceinte de l’abbaye. Chaque mort semble liée de manière cryptique aux sept trompettes de l’Apocalypse, ajoutant une dimension prophétique et eschatologique à l’enquête.

Guillaume de Baskerville, avec son esprit analytique et son approche proto-scientifique, se lance dans une investigation minutieuse. Il examine les lieux, interroge les moines, et tente de décoder les signes et les symboles qui entourent chaque meurtre. Son enquête le mène à explorer les recoins les plus secrets de l’abbaye, notamment sa légendaire bibliothèque labyrinthique, qui devient rapidement le cœur du mystère.

L’intrigue policière se complexifie à mesure que Guillaume découvre que les meurtres sont liés à un livre ancien et dangereux, supposément perdu : le deuxième livre de la Poétique d’Aristote, traitant de la comédie. Ce livre, considéré comme hérétique par certains en raison de son sujet, devient l’objet d’une quête frénétique, tant de la part de Guillaume que du meurtrier.

Eco utilise brillamment les conventions du genre policier pour créer une tension narrative soutenue. Fausses pistes, suspects multiples, et révélations surprenantes jalonnent le récit, maintenant le lecteur en haleine. L’auteur joue également avec les attentes du lecteur, en introduisant des éléments qui semblent surnaturels ou prophétiques, pour finalement les déconstruire à travers l’approche rationnelle de Guillaume.

L’enquête de Guillaume est compliquée par l’arrivée de l’Inquisition, représentée par le redoutable Bernard Gui. Cette intrusion ajoute une dimension politique et idéologique à l’intrigue policière, mettant en lumière les tensions entre différentes factions au sein de l’Église et les enjeux de pouvoir qui sous-tendent l’affaire.

Au fur et à mesure que l’enquête progresse, les meurtres s’avèrent être liés à des secrets bien gardés au sein de l’abbaye. Des questions de foi, de connaissance interdite, et de contrôle de l’information émergent comme des motifs possibles. L’intrigue policière devient ainsi un véhicule pour explorer des thèmes plus larges tels que le pouvoir du savoir, les dangers du dogmatisme, et les limites de la raison humaine.

La résolution de l’énigme, bien que satisfaisante sur le plan narratif, évite les simplifications excessives. Eco maintient une certaine ambiguïté, reflétant la complexité du monde médiéval qu’il dépeint. Le dénouement invite à une réflexion sur la nature de la vérité et sur les conséquences imprévues de nos actions.

L’intrigue policière du « Nom de la Rose » transcende ainsi le simple whodunit pour devenir une méditation profonde sur la quête de la connaissance et les dangers qui l’accompagnent. Eco utilise les conventions du genre policier non seulement pour divertir, mais aussi pour explorer des questions philosophiques et théologiques complexes.

En conclusion, l’intrigue policière du « Nom de la Rose » est bien plus qu’une simple série de meurtres à résoudre. Elle sert de structure narrative permettant à Eco d’entrelacer habilement histoire, philosophie, et théologie. Les meurtres et mystères dans l’abbaye deviennent un microcosme des luttes intellectuelles et spirituelles du XIVe siècle, tout en résonnant avec des préoccupations très contemporaines sur la nature de la vérité et du pouvoir.

La bibliothèque labyrinthique : Symbole du savoir et du secret

Au cœur de l’abbaye mystérieuse du « Nom de la Rose », se dresse la bibliothèque, véritable protagoniste architectural du roman d’Umberto Eco. Cette bibliothèque labyrinthique n’est pas seulement un décor fascinant, mais incarne l’essence même des thèmes centraux de l’œuvre : le savoir, le secret, et le pouvoir que confère la connaissance.

Eco décrit la bibliothèque comme un édifice complexe, composé de multiples salles interconnectées, formant un labyrinthe à la fois physique et intellectuel. Sa structure reflète l’organisation du savoir médiéval, avec ses salles thématiques représentant les différentes branches de la connaissance. Cette disposition n’est pas aléatoire, mais suit une logique cryptique, miroir de la vision du monde de ses créateurs. Le lecteur, tout comme les personnages, se trouve plongé dans un univers où l’architecture elle-même devient un code à déchiffrer.

L’accès à la bibliothèque est strictement réglementé, seuls quelques moines choisis y étant admis. Cette restriction symbolise le contrôle de l’information exercé par l’Église au Moyen Âge, mais aussi la croyance que certains savoirs peuvent être dangereux s’ils tombent entre de mauvaises mains. La bibliothèque devient ainsi un lieu de tension entre la préservation et la dissimulation du savoir, entre la lumière de la connaissance et l’obscurité du secret.

Au fil du récit, la bibliothèque se révèle être bien plus qu’un simple dépôt de livres. Elle est le théâtre de découvertes cruciales, de rencontres secrètes, et finalement, le lieu où se dénoue le mystère central du roman. Les personnages qui s’y aventurent sont confrontés non seulement aux dangers physiques du labyrinthe, mais aussi aux défis intellectuels et spirituels que posent les textes qu’elle renferme.

Le cœur de la bibliothèque, le finis Africae, est particulièrement emblématique. Cette salle secrète, qui abrite le livre interdit au centre de l’intrigue, symbolise les limites de la connaissance autorisée et les frontières du monde connu. Son existence même soulève des questions sur la nature du savoir interdit et sur le droit de certains à décider ce qui peut ou ne peut pas être connu.

Eco utilise la bibliothèque comme une métaphore puissante de l’univers lui-même. Tout comme l’univers médiéval était perçu comme un livre écrit par Dieu, la bibliothèque devient un microcosme à déchiffrer. Les personnages, en particulier Guillaume de Baskerville, tentent de lire ce « livre » complexe, cherchant à comprendre non seulement son contenu, mais aussi la logique qui sous-tend son organisation.

La bibliothèque joue également un rôle central dans l’exploration des thèmes de l’interprétation et de la sémiotique, si chers à Eco. Les livres qu’elle contient ne sont pas de simples objets, mais des signes à interpréter, chacun porteur de multiples sens potentiels. Cette multiplicité d’interprétations possibles reflète la complexité de la quête de la vérité, thème central du roman.

Par ailleurs, la bibliothèque incarne la tension entre tradition et innovation intellectuelle. Elle abrite à la fois des textes anciens, gardiens de la tradition, et des œuvres plus récentes ou controversées qui remettent en question les dogmes établis. Cette dualité reflète les débats intellectuels de l’époque, entre respect de l’autorité et émergence de nouvelles façons de penser.

La fin tragique de la bibliothèque, consumée par les flammes, est chargée de symbolisme. Elle évoque la fragilité du savoir face à l’ignorance et au fanatisme, mais aussi la nature transitoire de toute connaissance humaine. La destruction de ce trésor intellectuel soulève des questions sur la perte irrémédiable du savoir à travers l’histoire et sur la responsabilité de ceux qui en sont les gardiens.

En conclusion, la bibliothèque labyrinthique du « Nom de la Rose » est bien plus qu’un simple élément du décor. Elle est un symbole complexe et multifacette, incarnant les grandes questions philosophiques et théologiques du Moyen Âge, tout en résonnant avec des préoccupations très contemporaines sur l’accès à l’information et le pouvoir de la connaissance. À travers cette construction littéraire magistrale, Eco invite le lecteur à réfléchir sur la nature du savoir, les dangers de son contrôle, et le défi éternel de naviguer dans le labyrinthe de la connaissance humaine.

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Les débats théologiques et philosophiques au cœur du récit

« Le Nom de la Rose » d’Umberto Eco est bien plus qu’un simple roman policier historique. Au cœur de son intrigue complexe se trouvent des débats théologiques et philosophiques profonds qui reflètent les préoccupations intellectuelles du XIVe siècle tout en résonnant avec des questions toujours d’actualité. Ces discussions ne sont pas de simples ornements érudits, mais forment la trame même du récit, influençant les actions des personnages et le déroulement de l’enquête.

L’un des débats centraux du roman concerne la nature de la vérité et les moyens de l’atteindre. Guillaume de Baskerville, le protagoniste, incarne une approche proto-scientifique de la connaissance, basée sur l’observation et la déduction logique. Cette méthode, inspirée des travaux de philosophes comme Roger Bacon et Guillaume d’Ockham, se heurte à la vision plus traditionnelle de certains moines qui privilégient l’autorité des textes sacrés et la révélation divine. Ce conflit entre raison et foi, entre empirisme naissant et dogmatisme religieux, est au cœur de nombreuses discussions passionnantes tout au long du roman.

La question de la pauvreté du Christ et de l’Église est un autre thème théologique majeur abordé dans l’œuvre. Le roman se déroule à une époque où les débats sur la richesse de l’Église et l’interprétation de la pauvreté évangélique divisent profondément le monde chrétien. Eco explore ces tensions à travers les discussions entre différents personnages, notamment les franciscains et les représentants du pape. Ces débats ne sont pas de simples exercices intellectuels, mais ont des implications politiques et sociales profondes, reflétant les luttes de pouvoir au sein de l’Église et de la société médiévale.

Le rire et son rôle dans la vie spirituelle et intellectuelle est un autre sujet de controverse fascinant exploré dans le roman. Le livre perdu d’Aristote sur la comédie, au cœur de l’intrigue, soulève des questions sur la légitimité du rire dans un contexte religieux. Certains personnages voient le rire comme une menace pour l’ordre établi et l’autorité de l’Église, tandis que d’autres, comme Guillaume, y voient une expression légitime de l’humanité et même un outil potentiel pour atteindre la vérité. Ce débat sur le rire devient une métaphore de la tension plus large entre rigidité doctrinale et ouverture intellectuelle.

La nature du mal et son origine sont également au cœur des réflexions théologiques du roman. Les meurtres mystérieux qui se produisent dans l’abbaye soulèvent des questions sur la nature du péché, la tentation, et le rôle du diable dans le monde. Les personnages débattent de l’origine du mal, certains l’attribuant à des forces surnaturelles, d’autres y voyant le résultat de choix humains. Ces discussions reflètent les préoccupations médiévales sur le salut de l’âme et la lutte contre le péché, tout en offrant une réflexion plus large sur la moralité et la responsabilité individuelle.

Le roman aborde également des questions épistémologiques complexes, notamment à travers les discussions sur la nature des signes et leur interprétation. Guillaume, avec son approche sémiotique avant la lettre, tente de « lire » le monde comme un livre, cherchant à décoder les signes qui l’entourent pour résoudre le mystère. Ces réflexions sur le langage, les symboles et leur signification reflètent non seulement les débats médiévaux sur la nature de la connaissance, mais aussi les préoccupations modernes en linguistique et en philosophie du langage.

La relation entre le pouvoir et le savoir est un autre thème philosophique crucial du roman. La bibliothèque de l’abbaye, avec ses secrets jalousement gardés, devient le symbole de cette relation complexe. Les débats sur qui devrait avoir accès à certaines connaissances et pourquoi reflètent des préoccupations toujours d’actualité sur la censure, la liberté intellectuelle et les dangers potentiels de certains savoirs.

Eco explore également les limites de la raison humaine à travers son récit. Bien que Guillaume incarne une approche rationnelle et méthodique, le dénouement du roman suggère que même la logique la plus rigoureuse peut se tromper face à la complexité du monde. Cette réflexion sur les limites de la connaissance humaine ajoute une dimension philosophique profonde au récit, invitant le lecteur à réfléchir sur la nature de la vérité et notre capacité à la saisir pleinement.

En conclusion, les débats théologiques et philosophiques dans « Le Nom de la Rose » ne sont pas de simples digressions érudites, mais forment la substance même du roman. Ils reflètent les préoccupations intellectuelles d’une époque de transition, où les certitudes médiévales commencent à être remises en question par de nouvelles approches de la connaissance. En entrelaçant ces débats avec une intrigue policière captivante, Eco parvient à rendre accessibles et passionnantes des questions philosophiques complexes, invitant le lecteur à une réflexion profonde sur des thèmes qui résonnent encore aujourd’hui.

L’intertextualité et les références culturelles dans l’œuvre

« Le Nom de la Rose » d’Umberto Eco est une œuvre d’une richesse intertextuelle exceptionnelle, tissée d’une multitude de références culturelles, littéraires et historiques. Cette intertextualité n’est pas un simple ornement, mais une composante essentielle de la structure narrative et thématique du roman, reflétant la vaste érudition de son auteur et invitant le lecteur à une exploration intellectuelle approfondie.

Au cœur de cette intertextualité se trouve la littérature médiévale, omniprésente dans le roman. Eco parsème son récit de références aux grands textes de l’époque, des écrits théologiques de Saint Thomas d’Aquin aux poèmes courtois. Ces allusions ne sont pas gratuites ; elles ancrent solidement le récit dans son contexte historique tout en offrant des clés de lecture supplémentaires pour les lecteurs avertis. Par exemple, les débats théologiques qui ponctuent le roman font écho aux véritables controverses qui agitaient l’Église au XIVe siècle, ajoutant une profondeur historique au récit.

La Bible est une autre source intertextuelle majeure dans « Le Nom de la Rose ». Les références bibliques abondent, que ce soit dans les discussions théologiques des personnages ou dans la structure même de l’intrigue. Les morts mystérieuses qui se produisent dans l’abbaye sont liées aux sept trompettes de l’Apocalypse, créant un parallèle saisissant entre le récit biblique et les événements du roman. Cette utilisation de la symbolique biblique ajoute une dimension prophétique et eschatologique à l’intrigue, enrichissant sa signification.

L’œuvre d’Aristote joue également un rôle central dans l’intertextualité du roman. Le livre perdu sur la comédie, supposément le deuxième tome de la Poétique d’Aristote, est au cœur de l’intrigue. Cette référence à un texte réellement perdu de l’histoire littéraire permet à Eco d’explorer des questions fascinantes sur la nature du rire et son rôle dans la société médiévale. De plus, les méthodes d’investigation de Guillaume de Baskerville s’inspirent largement de la logique aristotélicienne, créant un lien direct entre la pensée antique et l’intrigue du roman.

Eco ne se contente pas de références médiévales et antiques. Il intègre habilement des allusions à la littérature moderne, créant un pont entre le passé et le présent. Le nom même de Guillaume de Baskerville évoque à la fois le philosophe médiéval Guillaume d’Ockham et le célèbre détective Sherlock Holmes (via « Le Chien des Baskerville » de Conan Doyle). Cette double référence souligne la nature hybride du personnage, à la fois moine médiéval et proto-détective moderne.

L’intertextualité dans « Le Nom de la Rose » s’étend au-delà de la littérature pour englober l’art et l’architecture médiévaux. Les descriptions détaillées de l’abbaye et de ses bâtiments font écho aux véritables constructions monastiques de l’époque, tandis que les discussions sur l’art religieux reflètent les débats esthétiques et théologiques du Moyen Âge. Ces références visuelles et architecturales contribuent à créer un univers médiéval richement texturé et authentique.

La philosophie occupe également une place centrale dans le réseau intertextuel du roman. Les débats entre les personnages font référence à une vaste gamme de penseurs, de Platon à Roger Bacon, en passant par les grands philosophes arabes comme Averroès. Ces discussions philosophiques ne sont pas de simples digressions érudites, mais s’intègrent organiquement à l’intrigue, influençant les actions et les motivations des personnages.

L’œuvre d’Eco elle-même devient un élément d’intertextualité. En tant que sémiologue renommé, Eco intègre dans son roman des concepts issus de ses propres travaux théoriques sur les signes et l’interprétation. Cette autoréférentialité subtile ajoute une couche supplémentaire de signification pour les lecteurs familiers avec ses écrits théoriques.

La richesse intertextuelle du « Nom de la Rose » offre plusieurs niveaux de lecture. Pour le lecteur non initié, ces références forment un arrière-plan fascinant qui enrichit l’atmosphère du roman. Pour le lecteur érudit, elles deviennent un jeu intellectuel stimulant, une invitation à décoder les multiples couches de signification du texte. Cette stratégie narrative reflète la vision d’Eco de la littérature comme un réseau complexe de significations interconnectées.

En conclusion, l’intertextualité et les références culturelles dans « Le Nom de la Rose » ne sont pas de simples démonstrations d’érudition. Elles sont partie intégrante de la structure narrative et thématique du roman, créant un dialogue fascinant entre le passé et le présent, entre différentes traditions culturelles et intellectuelles. À travers ce tissu complexe de références, Eco invite le lecteur à une exploration intellectuelle profonde, faisant de son roman non seulement une œuvre de fiction captivante, mais aussi une réflexion sur la nature même de la culture et de la connaissance humaine.

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La sémiotique et le rôle des signes dans « Le Nom de la Rose »

« Le Nom de la Rose » d’Umberto Eco est une œuvre profondément ancrée dans la sémiotique, discipline dont l’auteur était un éminent spécialiste. Cette science des signes et de leur interprétation imprègne chaque aspect du roman, de sa structure narrative à ses thèmes centraux, offrant une réflexion fascinante sur la manière dont nous donnons du sens au monde qui nous entoure.

Au cœur du roman se trouve l’idée que le monde est un vaste système de signes à déchiffrer. Guillaume de Baskerville, le protagoniste, incarne cette approche sémiotique. Il « lit » le monde comme un texte, interprétant chaque indice, chaque trace, comme un signe porteur de sens. Sa méthode d’investigation, basée sur l’observation minutieuse et l’interprétation logique, est en réalité une application pratique de la sémiotique. Qu’il s’agisse de déduire le passage d’un cheval à partir de traces dans la neige ou de comprendre la signification cachée d’un manuscrit cryptique, Guillaume démontre constamment sa capacité à décoder les signes qui l’entourent.

La bibliothèque de l’abbaye, véritable labyrinthe de connaissances, est elle-même un immense système sémiotique. Son organisation spatiale, les titres des livres, leur disposition, tout est signe à interpréter. La quête de Guillaume et Adso à travers ce dédale n’est pas seulement physique, mais aussi intellectuelle : c’est une quête de sens à travers un univers de symboles. La bibliothèque devient ainsi une métaphore du monde lui-même, un microcosme où chaque élément est porteur de signification, attendant d’être déchiffré par un lecteur averti.

Le mystère central du roman, lié au livre perdu d’Aristote sur la comédie, est lui-même un exercice de sémiotique. Le livre n’existe que par les traces qu’il laisse : des références, des rumeurs, des effets sur ceux qui l’ont lu. Guillaume doit interpréter ces signes indirects pour comprendre la nature et le contenu du livre, illustrant ainsi le concept sémiotique d’absence signifiante : un signe peut avoir un impact même lorsque son référent est absent ou n’existe plus.

Eco explore également la nature arbitraire et conventionnelle des signes, un concept clé en sémiotique. Les discussions sur les différentes langues et systèmes d’écriture présents dans la bibliothèque soulignent comment le sens est construit culturellement plutôt qu’inhérent aux signes eux-mêmes. Cette réflexion s’étend aux débats théologiques du roman, où l’interprétation des textes sacrés devient un enjeu de pouvoir, illustrant comment le contrôle du sens est aussi un contrôle social et politique.

La structure narrative du roman elle-même est un exercice de sémiotique. Eco joue constamment avec les attentes du lecteur, utilisant les conventions du genre policier pour créer du sens, puis les subvertissant pour remettre en question ce sens. Le lecteur, comme Guillaume, est invité à interpréter les signes du récit, à formuler des hypothèses, à chercher des connections. Cette participation active du lecteur dans la construction du sens est un aspect central de la théorie sémiotique d’Eco sur la lecture.

Le nom même de la rose, titre énigmatique du roman, est un exercice de sémiotique. Eco invite le lecteur à réfléchir sur la relation entre le nom (le signe) et la chose nommée, sur la manière dont le langage façonne notre perception de la réalité. La célèbre phrase finale du roman, « Stat rosa pristina nomine, nomina nuda tenemus » (La rose d’antan n’existe que par son nom, nous ne possédons que de simples noms), est une méditation profonde sur la nature du signe et sa relation au réel.

Le roman explore également la notion d’interprétation excessive, un concept cher à Eco. Guillaume, malgré sa rigueur intellectuelle, se laisse parfois emporter par ses interprétations, voyant des connections là où il n’y en a pas. Cette « surinterprétation » des signes mène à des erreurs, illustrant les dangers d’une lecture trop zélée du monde comme texte. Eco montre ainsi les limites de la sémiotique, tout en soulignant son pouvoir.

La sémiotique dans « Le Nom de la Rose » s’étend au-delà du texte pour englober le visuel et le tactile. Les descriptions détaillées des enluminures, des reliques, de l’architecture de l’abbaye, sont autant d’invitations à « lire » le monde visuel, à interpréter les signes non textuels. Cette approche multi-sensorielle de la sémiotique enrichit l’expérience de lecture et souligne la omniprésence des signes dans notre perception du monde.

En conclusion, « Le Nom de la Rose » est bien plus qu’un roman historique ou policier : c’est une exploration profonde et fascinante de la sémiotique. À travers son intrigue complexe et ses personnages richement développés, Eco nous invite à réfléchir sur la manière dont nous interprétons le monde qui nous entoure, sur la nature du sens et sur notre rôle dans sa création. Le roman devient ainsi une démonstration vivante du pouvoir des signes et de leur interprétation, non seulement dans la résolution d’un mystère médiéval, mais dans notre compréhension même de la réalité.

L’humour et l’ironie : Éléments clés du style d’Eco

Dans « Le Nom de la Rose », Umberto Eco déploie un sens de l’humour et de l’ironie subtil mais omniprésent, qui joue un rôle crucial dans la texture et la profondeur de l’œuvre. Loin d’être de simples ornements stylistiques, l’humour et l’ironie sont des éléments fondamentaux qui enrichissent le récit, apportent de la légèreté à des sujets parfois austères, et invitent le lecteur à une réflexion plus profonde sur les thèmes abordés.

L’humour d’Eco se manifeste souvent à travers le contraste entre le sérieux apparent du cadre médiéval et des situations plus légères ou absurdes. Par exemple, les discussions théologiques pointues sont parfois entrecoupées de remarques prosaïques sur la vie quotidienne des moines, créant un effet comique par juxtaposition. Cette technique permet à Eco de démystifier le Moyen Âge, le rendant plus accessible et humain pour le lecteur moderne.

L’ironie est particulièrement présente dans le traitement des personnages ecclésiastiques. Eco dépeint avec un œil critique mais amusé les travers et les contradictions de certains membres du clergé. Les débats théologiques alambiqués sur des sujets apparemment triviaux, comme la pauvreté du Christ ou la légitimité du rire, sont présentés de manière à en souligner l’absurdité occasionnelle, tout en respectant leur importance historique et intellectuelle.

Le personnage de Guillaume de Baskerville est lui-même un véhicule d’humour et d’ironie. Son esprit vif et son penchant pour le sarcasme contrastent avec l’atmosphère solennelle de l’abbaye. Ses commentaires ironiques sur les pratiques religieuses ou les superstitions de l’époque servent non seulement à amuser le lecteur, mais aussi à introduire une perspective critique sur la société médiévale.

L’humour d’Eco se manifeste également dans son jeu avec les conventions littéraires. En utilisant les codes du roman policier dans un contexte médiéval, il crée un décalage amusant qui interpelle le lecteur. Les allusions anachroniques subtiles et les clins d’œil à la littérature moderne ajoutent une couche d’humour que les lecteurs attentifs prendront plaisir à découvrir.

L’ironie est particulièrement mordante dans le traitement du thème du rire et de la comédie. Le fait que le livre « dangereux » au cœur de l’intrigue soit un traité sur le rire est en soi ironique, soulignant l’absurdité de la peur que peut inspirer quelque chose d’aussi fondamentalement humain que l’humour. Les débats sur la légitimité du rire dans un contexte religieux deviennent ainsi à la fois sérieux et comiques.

Eco utilise également l’humour comme outil de caractérisation. Les différents personnages sont souvent définis par leur rapport à l’humour et à l’ironie. Certains, comme Jorge de Burgos, rejettent catégoriquement le rire, tandis que d’autres, comme Salvatore avec son langage mêlé, deviennent des sources involontaires de comique. Ces contrastes permettent à Eco d’explorer les différentes facettes de l’humour médiéval tout en créant des personnages mémorables.

L’auteur n’hésite pas non plus à tourner son ironie vers lui-même et son œuvre. Les passages méta-narratifs, où le narrateur commente le processus d’écriture ou remet en question la fiabilité de sa propre mémoire, ajoutent une couche d’auto-dérision qui complexifie la relation entre l’auteur, le texte et le lecteur.

L’humour et l’ironie servent également de contrepoint à la gravité des thèmes abordés dans le roman. Face à la mort, à la violence de l’Inquisition, ou aux grandes questions existentielles, l’humour offre un soulagement bienvenu, permettant au lecteur de prendre du recul et d’aborder ces sujets difficiles sous un angle différent.

Enfin, l’ironie d’Eco s’étend à sa critique de la société contemporaine. À travers le prisme du Moyen Âge, il offre un commentaire subtil sur les travers de notre époque, invitant le lecteur à établir des parallèles entre les débats médiévaux et les controverses modernes.

En conclusion, l’humour et l’ironie dans « Le Nom de la Rose » ne sont pas de simples éléments de style, mais des composantes essentielles de la vision d’Eco. Ils servent à la fois à divertir, à instruire et à provoquer la réflexion. En maniant ces outils avec finesse, Eco crée une œuvre qui, tout en traitant de sujets profonds et complexes, reste accessible et profondément humaine. L’humour et l’ironie deviennent ainsi des clés de lecture essentielles, invitant le lecteur à une exploration joyeuse et critique de l’histoire, de la philosophie et de la nature humaine.

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Du papier à l’écran : L’adaptation cinématographique du ‘Nom de la Rose’

L’adaptation cinématographique du « Nom de la Rose » d’Umberto Eco, réalisée par Jean-Jacques Annaud en 1986, représente un défi considérable relevé avec brio. Transposer l’œuvre dense et complexe d’Eco sur grand écran nécessitait une vision artistique audacieuse et une compréhension profonde du matériau source.

Le film, mettant en vedette Sean Connery dans le rôle de Guillaume de Baskerville et Christian Slater dans celui d’Adso de Melk, parvient à capturer l’essence du roman tout en l’adaptant aux exigences du médium cinématographique. Annaud choisit de se concentrer sur l’intrigue policière centrale, tout en préservant le riche contexte historique et philosophique qui fait la singularité de l’œuvre d’Eco.

L’un des plus grands succès de l’adaptation est sa reconstitution visuelle impressionnante du monde médiéval. Les décors somptueux, notamment l’abbaye labyrinthique, créent une atmosphère immersive qui plonge le spectateur dans l’univers du XIVe siècle. Le travail minutieux sur les costumes et les accessoires contribue à l’authenticité historique du film, reflétant le souci du détail présent dans le roman d’Eco.

La photographie du film, avec ses jeux d’ombre et de lumière, évoque parfaitement l’ambiance mystérieuse et oppressante de l’abbaye. Cette esthétique visuelle sombre et gothique traduit efficacement la tension et le sentiment de danger omniprésent qui imprègnent le récit d’Eco.

Inévitablement, l’adaptation a dû faire des choix et des compromis. Certains aspects plus intellectuels du roman, notamment les longues discussions théologiques et philosophiques, sont nécessairement condensés ou omis. Cependant, le film parvient à préserver l’essence de ces débats à travers des dialogues ciselés et des performances d’acteurs nuancées.

La performance de Sean Connery en Guillaume de Baskerville est particulièrement remarquable. Il incarne avec justesse l’intelligence vive, l’humour subtil et le scepticisme du personnage d’Eco. Christian Slater, dans le rôle d’Adso, capture bien la naïveté et la curiosité du jeune novice, offrant un contrepoint efficace à la sagesse de Guillaume.

L’adaptation prend quelques libertés avec le matériau source, notamment dans l’accentuation de certains éléments dramatiques et l’ajout de scènes d’action pour dynamiser le rythme du film. Ces choix, bien que s’éloignant parfois de la lettre du roman, restent fidèles à son esprit et contribuent à rendre l’histoire plus accessible à un public cinématographique.

La musique du film, composée par James Horner, mérite une mention spéciale. Sa partition, mêlant chants grégoriens et orchestrations modernes, crée une ambiance sonore qui renforce l’atmosphère médiévale tout en soulignant la tension dramatique du récit.

L’un des défis majeurs de l’adaptation était de rendre visuel le monde des idées et des signes si central dans le roman d’Eco. Le film y parvient en grande partie grâce à une mise en scène inventive et à l’utilisation judicieuse de symboles visuels, transformant les concepts abstraits en éléments tangibles de l’intrigue.

Malgré quelques critiques concernant la simplification inévitable du matériau source, l’adaptation cinématographique du « Nom de la Rose » a été généralement bien reçue, tant par le public que par la critique. Elle a contribué à élargir encore davantage l’audience de l’œuvre d’Eco et a suscité un regain d’intérêt pour le roman original.

En conclusion, l’adaptation cinématographique du « Nom de la Rose » représente un exemple réussi de la transposition d’une œuvre littéraire complexe à l’écran. Bien qu’elle ne puisse capturer toute la profondeur et la richesse du roman d’Eco, elle parvient à en distiller l’essence, offrant une expérience visuelle et narrative puissante qui complète et enrichit l’œuvre originale. Le film reste, des décennies après sa sortie, une référence dans le domaine des adaptations littéraires, témoignant de la force et de l’universalité de l’histoire créée par Umberto Eco.

Le mot de la fin

« Le Nom de la Rose » d’Umberto Eco, publié en 1980, a laissé une empreinte indélébile sur le paysage littéraire contemporain. Ce roman, qui a connu un succès international retentissant, a non seulement captivé des millions de lecteurs à travers le monde, mais a également exercé une influence profonde et durable sur la littérature, redéfinissant les possibilités du genre historique et du roman intellectuel.

L’une des contributions majeures du « Nom de la Rose » à la littérature contemporaine réside dans sa fusion innovante de genres. En mêlant habilement roman historique, intrigue policière et réflexion philosophique, Eco a ouvert la voie à une nouvelle forme de fiction érudite, accessible et divertissante. Cette approche a inspiré de nombreux auteurs à explorer des territoires similaires, donnant naissance à un sous-genre de romans historiques intellectuellement stimulants qui continuent de prospérer aujourd’hui.

L’œuvre d’Eco a également revitalisé l’intérêt pour le Moyen Âge dans la littérature contemporaine. Son portrait vivant et nuancé de cette période historique, loin des clichés habituels, a encouragé d’autres auteurs à explorer cette époque avec une plus grande profondeur et authenticité. On peut voir l’influence du « Nom de la Rose » dans la prolifération de romans historiques médiévaux qui s’efforcent de capturer la complexité intellectuelle et culturelle de cette période.

L’approche sémiotique d’Eco, sa façon de traiter le monde comme un texte à déchiffrer, a eu un impact significatif sur la littérature postmoderne. De nombreux auteurs contemporains ont adopté cette perspective, créant des œuvres qui jouent avec les signes, les symboles et les multiples niveaux d’interprétation. L’héritage du « Nom de la Rose » se retrouve dans des romans qui invitent le lecteur à une participation active dans la construction du sens, brouillant les frontières entre fiction et réalité.

L’utilisation magistrale de l’intertextualité par Eco a également influencé la manière dont les auteurs contemporains intègrent des références culturelles et littéraires dans leurs œuvres. Le « Nom de la Rose » a montré comment un roman pouvait être à la fois profondément ancré dans la tradition littéraire et totalement original, ouvrant la voie à des œuvres qui jouent consciemment avec l’héritage culturel et littéraire.

L’influence du roman s’étend au-delà de la littérature proprement dite. Son succès a contribué à légitimer le roman « sérieux » comme forme de divertissement populaire, brouillant les frontières entre littérature « haute » et « populaire ». Cette démocratisation de la littérature érudite a eu un impact durable sur l’industrie de l’édition et sur les attentes des lecteurs.

Le traitement du thème de la bibliothèque et du savoir dans « Le Nom de la Rose » continue de résonner dans la littérature contemporaine. De nombreux auteurs ont repris et exploré le motif de la bibliothèque comme labyrinthe de connaissances, reflétant les anxiétés et les fascinations de notre ère de l’information.

L’approche d’Eco concernant l’histoire, qui mêle faits avérés et éléments fictifs avec une habileté consommée, a influencé la manière dont les auteurs contemporains abordent la fiction historique. Son exemple a encouragé une approche plus créative et ludique de l’histoire dans la littérature, tout en maintenant un respect pour l’authenticité historique.

L’héritage du « Nom de la Rose » se manifeste également dans la façon dont il a élargi les possibilités du roman pour aborder des questions philosophiques et théologiques complexes. Il a montré qu’un roman pouvait être à la fois un véhicule pour des idées profondes et une lecture captivante, inspirant des auteurs à explorer des territoires intellectuels ambitieux dans leurs fictions.

Enfin, l’influence d’Eco s’étend à la façon dont les auteurs contemporains considèrent leur relation avec le lecteur. Son approche, qui invite à une lecture active et interprétative, a encouragé une génération d’écrivains à créer des œuvres qui défient et engagent intellectuellement leurs lecteurs.

En conclusion, « Le Nom de la Rose » demeure une œuvre pivot dans l’histoire de la littérature contemporaine. Son influence se fait sentir non seulement dans les romans historiques et les thrillers intellectuels qu’il a inspirés, mais aussi dans la manière dont les auteurs contemporains abordent la narration, l’intertextualité, et la relation entre fiction et érudition. L’héritage d’Eco continue de façonner la littérature, encourageant les auteurs à repousser les limites du roman et à créer des œuvres qui sont à la fois intellectuellement stimulantes et profondément engageantes. « Le Nom de la Rose » reste ainsi un phare pour la littérature contemporaine, un rappel du pouvoir du roman à éduquer, divertir et illuminer l’expérience humaine.


Extrait Première Page du livre

« PROLOGUE

Au commencement était le Verbe et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu et la tâche d’un moine fidèle serait de répéter chaque jour avec humilité psalmodiante l’unique inchangeable événement dont on puisse affirmer l’incontestable vérité. Mais videmus nunc per speculum et in aenigmate et la vérité, avant le face-à-face, se manifeste par fragments (hélas, combien illisibles) dans l’erreur du monde, si bien que nous devons en ânonner les signes fidèles, même là où ils nous semblent obscurs et comme le tissu d’une volonté visant exclusivement au mal.

Arrivé au terme de ma vie de pécheur, tandis que chenu, vieilli comme le monde, dans l’attente de me perdre en l’abîme sans fond de la divinité silencieuse et déserte, participant de la lumière immuable des intelligences angéliques, désormais retenu par mon corps lourd et malade dans cette cellule de mon cher monastère de Melk, je m’apprête à laisser sur ce vélin témoignage des événements admirables et terribles auxquels dans ma jeunesse il me fut donné d’assister, en répétant tout ce que je vis et entendis, sans me hasarder à en tirer un dessein, comme pour laisser à ceux qui viendront (si l’Antéchrist ne les devance) des signes de signes, afin que sur eux s’exerce la prière du déchiffrement.

Que le Seigneur m’accorde la grâce d’être le témoin transparent des péripéties qui eurent lieu à l’abbaye dont il est bon et charitable de taire même le nom désormais, vers la fin de l’année du Seigneur 1327 où l’empereur Louis descendit en Italie pour reconstruire la dignité du Saint Empire romain, suivant les plans du Très-Haut et pour confondre l’infâme usurpateur simoniaque et hérésiarque qui en Avignon couvrit de honte le saint nom de l’apôtre (je veux dire l’âme pécheresse de Jacques de Cahors, que les impies honorèrent sous le nom de Jean XXII).

Sans doute, pour mieux comprendre les événements où je me trouvai mêlé, est-il bon que je rappelle ce qui advenait en ce début de siècle, tel que je le compris alors, en le vivant, et comme je me le remémore maintenant, enrichi d’autres récits que j’ai entendus après – si ma mémoire est encore en mesure de renouer les fils de si nombreux et si confus prodiges.

Dès les premières années de ce siècle, le pape Clément V avait transféré le siège apostolique en Avignon, laissant Rome en proie aux ambitions des seigneurs locaux : et graduellement la ville très sainte de la chrétienté s’était transformée en un cirque, ou en un lupanar, déchirée par les luttes entre ses grands ; elle se disait république, et ne l’était pas, battue par des bandes armées, soumise aux violences et aux pillages. Des ecclésiastiques s’étant soustraits à la juridiction séculaire commandaient des groupes de rebelles et vivaient de rapines, l’épée à la main, prévariquaient et organisaient d’ignobles trafics. Comment empêcher que la Caput Mundi redevînt, et fort justement, le but de qui voulait coiffer la couronne du Saint Empire romain et restaurer la dignité de cette domination temporelle qui jadis avait été celle des césars ?

Voilà donc qu’en 1314 cinq princes allemands avaient élu à Francfort Louis de Bavière comme suprême gouverneur de l’Empire. Mais le jour même, sur l’autre rive du Main, le comte palatin du Rhin et l’archevêque de Cologne avaient élu à la même dignité Frédéric d’Autriche. Deux empereurs pour un seul trône et un seul pape pour deux : situation qui devint, en vérité, cause de grand désordre…

Deux années plus tard était élu en Avignon le nouveau pape, Jacques de Cahors, âgé de soixante-douze ans, sous le nom précisément de Jean XXII, et fasse le ciel que jamais plus aucun Pontife ne prenne un nom désormais si haï des bonnes gens. Français et dévoué au roi de France (les hommes de cette terre corrompue sont toujours enclins à favoriser les intérêts des leurs, et sont incapables de regarder le monde entier comme leur patrie spirituelle) ».


  • Titre : Le Nom de la Rose
  • Auteur : Umberto Eco
  • Éditeur : Grasset et Fasquelle
  • Parution : 1980

Autoportrait de l'auteur du blog

Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis plus de 60 ans, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.


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