Un polar ancré dans le Liban contemporain
David Hury plonge ses lecteurs dans les artères fiévreuses de Beyrouth avec la précision d’un chirurgien et l’œil affûté d’un ancien reporter. Beyrouth forever s’impose d’emblée comme un polar qui transcende les codes du genre pour devenir un véritable radiographie du Liban contemporain. L’auteur, fort de ses dix-huit années passées comme journaliste et photoreporter dans ce pays, transforme son expérience du terrain en matière romanesque dense et authentique. Cette connaissance intime transparaît dès les premières pages, où chaque détail sonne juste, de l’odeur de la foule agglutinée devant les grilles de la police judiciaire aux embouteillages monstres qui paralysent la capitale.
L’enquête menée par l’inspecteur Marwan Khalil autour du meurtre d’Aimée Asmar, historienne assassinée alors qu’elle achevait un manuel scolaire sur l’histoire du Liban, devient le prétexte à une exploration en profondeur des fractures qui traversent la société libanaise. Hury manie avec habileté les ressorts du suspense tout en tissant un réseau complexe d’enjeux politiques, communautaires et mémoriels. Le mystère policier se double ainsi d’une réflexion sur la difficulté d’écrire l’Histoire dans un pays où le passé demeure un terrain miné, où chaque vérité dérange nécessairement une communauté ou un clan.
L’auteur évite l’écueil de l’exotisme facile en ancrant son récit dans une réalité urbaine crue et sans fard. Beyrouth se dévoile à travers les déambulations de Marwan Khalil comme une métropole à bout de souffle, rongée par les coupures d’électricité, les pénuries d’eau et l’effondrement économique. Cette toile de fond n’est jamais gratuite : elle nourrit l’intrigue et révèle les tensions sociales qui sous-tendent le crime. Le polar devient alors un prisme à travers lequel observer les mutations d’une société en crise, où les certitudes vacillent et où les repères traditionnels s’effritent sous la pression de l’histoire immédiate.
La force de Beyrouth forever réside dans cette capacité à faire du genre policier un vecteur d’analyse sociale sans sacrifier l’efficacité narrative. Hury parvient à maintenir la tension propre au polar tout en déployant une fresque complexe où résonnent les échos de la guerre civile, les frustrations de la jeunesse et les compromissions du pouvoir. Cette alchimie entre divertissement et profondeur fait du roman bien davantage qu’un simple thriller méditerranéen : une œuvre qui interroge les mécanismes de la mémoire collective et les enjeux de la transmission historique dans une société fracturée.
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Marwan Khalil, portrait d’un inspecteur en fin de carrière
Marwan Khalil surgit dans l’univers romanesque de David Hury comme une figure saisissante de désillusion et de lucidité. À soixante ans passés, cet inspecteur de la brigade criminelle porte dans sa chair et dans son âme les stigmates d’un pays meurtri. Sa claudication, séquelle d’une balle reçue pendant la guerre civile, fonctionne comme une métaphore vivante des blessures que le Liban n’arrive pas à cicatriser. Hury dessine un personnage complexe, ni héros immaculé ni antihéros caricatural, mais un homme pris dans les contradictions d’un système qu’il sert tout en le méprisant.
L’auteur excelle dans la construction psychologique de son protagoniste, révélant par touches successives un homme rongé par ses compromissions passées et hanté par ses relations personnelles échouées. La relation tendue avec sa fille Maha, partie étudier à Paris après avoir perdu un œil lors de l’explosion du port en 2020, cristallise toutes les culpabilités de Marwan. Cette dimension intime enrichit considérablement le personnage, qui échappe ainsi au stéréotype du flic blasé pour devenir un père blessé, conscient d’avoir échoué dans sa mission de protection et de transmission.
Le génie de Hury réside dans sa capacité à faire de Marwan Khalil un miroir de la société libanaise contemporaine. Ancien milicien chrétien reconverti en policier, l’inspecteur incarne les ambiguïtés d’une génération qui a vécu la guerre civile et doit composer avec ses séquelles. Ses préjugés communautaires, ses petites corruptions quotidiennes et sa méfiance instinctive envers sa jeune collègue chiite Ibtissam révèlent les fractures persistantes d’un pays où la réconciliation demeure superficielle. Cette honnêteté dans le portrait évite l’idéalisation et confère au personnage une authenticité troublante.
L’enquête sur le meurtre d’Aimée Asmar devient pour Marwan l’occasion d’une possible rédemption, un ultime combat contre l’impunité qui gangrène son pays. Hury mène avec subtilité cette évolution du personnage, qui découvre dans cette affaire l’opportunité de donner enfin un sens à sa carrière. L’inspecteur en fin de parcours se mue progressivement en gardien de la mémoire collective, refusant que la vérité historique soit une nouvelle fois étouffée. Cette transformation intérieure nourrit la dimension épique du récit, transformant une enquête policière en quête existentielle où se jouent l’honneur personnel et l’avenir d’une nation.
La mémoire confisquée : enjeux du manuel scolaire
Au cœur de l’intrigue de Beyrouth forever, David Hury place un objet en apparence anodin mais d’une puissance symbolique remarquable : un manuel scolaire d’histoire du Liban. Ce projet éditorial, sur lequel travaillait la victime Aimée Asmar, devient bien plus qu’un simple mobile criminel. Il cristallise les enjeux mémoriels d’une société qui peine à faire la paix avec son passé. L’auteur révèle avec finesse comment l’écriture de l’Histoire constitue un champ de bataille où s’affrontent les différentes communautés, chacune soucieuse de préserver sa version des événements et d’effacer les pages les plus compromettantes.
Hury déploie avec intelligence les mécanismes de cette censure rampante qui frappe l’enseignement de l’histoire libanaise. Le roman dévoile comment les élèves du pays grandissent dans une amnésie organisée, privés des clés de compréhension de leur propre société. Cette situation ubuesque, où l’enseignement s’arrête pratiquement à l’indépendance de 1943, trouve dans le récit une illustration saisissante. L’auteur montre comment cette lacune éducative perpétue les incompréhensions entre communautés et empêche l’émergence d’une conscience nationale partagée. Le manuel fantôme d’Aimée Asmar devient ainsi le symbole d’une vérité interdite, d’une parole confisquée qui menace les équilibres fragiles du système confessionnel.
La disparition mystérieuse des trois derniers chapitres du manuscrit, couvrant la période 2000-2020, offre à Hury l’occasion d’explorer les zones d’ombre de l’histoire contemporaine libanaise. Sans tomber dans le pamphlet, l’auteur évoque avec subtilité les assassinats politiques, l’explosion du port de Beyrouth et les ingérences étrangères qui ont marqué ces deux décennies. Cette période récente, encore brûlante d’actualité, devient l’enjeu central du conflit qui entoure le manuel scolaire. L’écrivain parvient ainsi à transformer un débat pédagogique en révélateur des tensions géopolitiques qui traversent le Liban contemporain.
L’originalité de l’approche de Hury réside dans sa capacité à faire du manuel scolaire un personnage à part entière du roman. Cet objet absent, fantomatique, hante l’enquête et motive l’action des protagonistes. Il incarne la quête de vérité de Marwan Khalil autant que les résistances du système politique à toute remise en cause. Cette dimension métahistorique enrichit considérablement le propos, faisant du polar un laboratoire de réflexion sur les rapports entre mémoire, pouvoir et éducation dans les sociétés post-conflictuelles.

Portrait d’une métropole contradictoire entre beauté et délabrement
David Hury fait de la ville libanaise bien plus qu’un simple théâtre d’opérations : elle devient une présence agissante au cœur du roman. L’auteur sculpte un portrait urbain d’une intensité saisissante, où chaque quartier pulse d’une vie particulière et raconte sa propre histoire. De la police judiciaire d’Adlieh aux hauteurs d’Achrafieh, en passant par les ruelles de Mar Mikhaël ou les faubourgs de Dora, l’auteur dessine une cartographie émotionnelle de la ville. Cette géographie romanesque ne relève jamais du pittoresque touristique mais révèle les fractures sociales et communautaires qui structurent l’espace urbain.
L’écrivain excelle dans sa capacité à saisir l’âme contradictoire de Beyrouth, métropole à la fois magnifique et délabrée, attachante et exaspérante. Ses descriptions captent avec justesse cette beauté blessée de la ville, où les cicatrices de la guerre se mêlent aux stigmates de la crise économique contemporaine. Les coupures d’électricité qui plongent les quartiers dans l’obscurité, les pénuries d’eau qui contraignent les habitants à rationner chaque geste du quotidien, les embouteillages monstres où s’enlisent les espoirs : Hury transforme ces dysfonctionnements en autant de métaphores d’un pays à l’agonie.
Le génie de l’auteur réside dans sa manière de faire de Beyrouth un organisme vivant, doté d’une respiration propre et d’humeurs changeantes. La ville respire au rythme des générateurs qui suppléent l’électricité défaillante, elle transpire sous la chaleur accablante de septembre, elle suffoque dans la pollution qui stagne entre ses collines. Cette personnification subtile évite l’écueil de l’anthropomorphisme gratuit pour révéler les liens intimes qui unissent les habitants à leur territoire. Marwan Khalil entretient avec sa ville une relation passionnelle faite d’amour et de détestation, miroir de celle que tant de Libanais nourrissent envers leur patrie.
La force évocatrice de l’écriture de Hury atteint son paroxysme dans les passages où Beyrouth se révèle sous ses atours les plus séduisants. Les couchers de soleil sur la Méditerranée, les parfums de jasmin qui s’échappent des jardins, l’effervescence des quartiers nocturnes : ces instants de grâce ponctuent le récit et rappellent pourquoi cette ville exerce une fascination si durable sur ceux qui l’habitent. L’auteur parvient ainsi à restituer cette ambivalence fondamentale qui caractérise le rapport des Beyrouthins à leur cité, oscillant perpétuellement entre l’envie de fuir et l’impossibilité de partir.
Les cicatrices de la guerre civile et leurs héritages
David Hury instille dans Beyrouth forever une réflexion profonde sur la persistance des traumatismes collectifs, révélant comment les blessures de la guerre civile continuent d’irriguer la société libanaise contemporaine. L’auteur évite l’écueil du discours nostalgique ou accusateur pour explorer avec nuance les mécanismes par lesquels le passé violent façonne encore les mentalités et les comportements. À travers les souvenirs de Marwan Khalil, ancien milicien chrétien, et les tensions qui l’opposent à sa jeune collègue chiite Ibtissam, le roman donne à voir ces fractures communautaires que trente ans de paix officielle n’ont pas réussi à refermer.
La force du récit réside dans sa capacité à montrer comment la mémoire de la guerre s’incarne dans les corps et les gestes quotidiens. La claudication de Marwan, séquelle d’une balle reçue en 1988, fonctionne comme une métaphore vivante de ces blessures qui ne cicatrisent jamais complètement. Hury déploie avec subtilité cette dimension psychosomatique du traumatisme, révélant comment les protagonistes portent dans leur chair l’histoire violente de leur pays. Les réflexes communautaires, les méfiances instinctives et les solidarités héritées du conflit structurent encore les relations sociales, créant un tissu de tensions sourdes qui menacent perpétuellement de ressurgir.
L’auteur excelle dans sa manière de dépeindre l’ambiguïté morale de cette génération de la guerre, ni héros ni bourreaux mais hommes ordinaires pris dans l’engrenage de la violence. Marwan et son supérieur Chivas incarnent ces anciens combattants reconvertis dans l’appareil d’État, traînant derrière eux un passé de compromissions et de petites corruptions. Cette approche évite le manichéisme pour révéler la complexité d’une société où les anciens ennemis doivent apprendre à coexister sans jamais vraiment se réconcilier. Le roman montre avec finesse comment cette cohabitation forcée génère des tensions permanentes, alimentées par l’absence de justice transitionnelle et de travail sur la mémoire collective.
L’originalité de Hury consiste à faire de cette mémoire conflictuelle un ressort dramatique central de son intrigue. L’enquête sur le meurtre d’Aimée Asmar devient l’occasion d’interroger les silences imposés par l’amnistie générale de 1991, qui a certes mis fin aux combats mais a également interdit tout travail de vérité sur les crimes commis. Cette dimension politique enrichit considérablement le propos du roman, transformant le polar en une méditation sur les conditions de la réconciliation nationale. L’auteur suggère avec intelligence que seule la reconnaissance des responsabilités passées pourrait permettre au Liban de construire un avenir apaisé.
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Une galerie de personnages représentatifs de la société libanaise
David Hury déploie dans Beyrouth forever une fresque humaine d’une richesse remarquable, peuplant son récit de figures qui incarnent les multiples facettes de la société libanaise contemporaine. Chaque personnage, du plus central au plus secondaire, porte en lui une part de vérité sociologique qui enrichit la compréhension du monde décrit. L’auteur évite l’écueil de la typologie simpliste pour créer des individus complexes, marqués par leurs appartenances communautaires sans jamais s’y réduire. Cette galerie de portraits compose un véritable kaléidoscope social où se reflètent les tensions, les aspirations et les désillusions d’un peuple en quête d’identité.
L’inspectrice Ibtissam Abou Zeid incarne avec justesse les contradictions de la jeunesse libanaise contemporaine. Chiite voilée mais critique envers le Hezbollah, orpheline d’un frère mort en Syrie qu’elle refuse de vénérer comme martyr, elle représente cette génération qui tente de s’affranchir des déterminismes communautaires hérités de ses aînés. Hury construit ce personnage avec une subtilité qui évite les clichés, révélant une femme moderne qui assume ses convictions religieuses tout en rejetant l’instrumentalisation politique de sa foi. Sa relation avec Marwan Khalil, tissée de méfiances réciproques qui s’estompent progressivement, illustre les possibilités de dialogue entre les communautés quand la volonté individuelle transcende les préjugés collectifs.
Le commissaire Jamil Chakar, surnommé « Chivas », offre le portrait saisissant d’un homme rongé par les démons du passé. Ancien milicien chrétien devenu fonctionnaire corrompu, il cristallise les compromissions d’une génération qui a troqué les idéaux de jeunesse contre les petits arrangements de l’âge mûr. L’auteur excelle dans la construction de ce personnage ambivalent, à la fois protecteur et manipulateur, loyal et vénal. Sa relation complexe avec Marwan, fondée sur une dette de guerre jamais soldée, révèle comment les solidarités forgées dans la violence continuent de structurer les rapports sociaux des décennies plus tard.
La galerie s’enrichit de figures secondaires d’une authenticité saisissante, du concierge syrien Hadi Sleimane à la domestique sri-lankaise Perla, en passant par le député Firas Rahmé ou l’universitaire Nicolas Bassil. Chacun de ces personnages, même brièvement esquissé, porte en lui une dimension représentative qui élargit la portée sociologique du récit. Hury parvient ainsi à dresser un panorama exhaustif de la société libanaise, des élites politiques aux populations marginalisées, des communautés établies aux nouveaux arrivants. Cette polyphonie narrative transforme le roman en véritable chronique sociale, où chaque voix apporte sa pierre à l’édifice d’une nation en perpétuelle recomposition.
L’écriture de David Hury : entre réalisme et engagement
L’écriture de David Hury dans Beyrouth forever révèle une maîtrise stylistique qui puise sa force dans l’équilibre délicat entre observation documentaire et engagement littéraire. L’auteur déploie une prose d’une précision chirurgicale, nourrie par ses années de journalisme au Liban, qui restitue avec un réalisme saisissant l’atmosphère de la capitale libanaise. Cette authenticité du détail, de l’odeur de la foule devant la police judiciaire aux embouteillages qui paralysent la ville, confère au récit une crédibilité immédiate. Pourtant, Hury évite l’écueil du reportage romancé pour construire une véritable œuvre de fiction, où chaque élément descriptif sert la construction dramatique et l’approfondissement psychologique des personnages.
La langue de l’auteur se distingue par sa capacité à épouser les registres multiples de la société libanaise contemporaine. Du français soutenu des élites intellectuelles aux expressions arabes qui ponctuent les dialogues populaires, Hury restitue la richesse linguistique d’un pays multilingue sans jamais verser dans l’exotisme de surface. Cette polyphonie langagière enrichit considérablement la texture narrative, créant un effet de réel d’autant plus convaincant qu’il respecte les nuances sociolinguistiques de chaque milieu dépeint. L’insertion naturelle des termes arabes, toujours contextualisés et compréhensibles, témoigne d’une approche respectueuse qui évite l’écueil de la couleur locale artificielle.
L’engagement de Hury transparaît dans sa manière de construire l’intrigue autour d’enjeux politiques et mémoriels cruciaux, sans jamais sacrifier l’efficacité narrative du polar. L’auteur parvient à transformer son indignation face à l’impunité et à la confiscation de la mémoire collective en ressort dramatique, évitant ainsi le piège du roman à thèse. Cette alchimie subtile entre dénonciation et divertissement révèle un écrivain conscient de ses responsabilités artistiques et citoyennes. Le choix du genre policier comme vecteur de réflexion politique s’avère particulièrement judicieux, permettant d’aborder des sujets sensibles tout en maintenant l’attention du lecteur.
La construction narrative témoigne d’une maîtrise technique certaine, alternant avec fluidité les perspectives temporelles et les points de vue pour enrichir la compréhension des enjeux. Hury excelle dans l’art du dosage, distillant les informations historiques et politiques au rythme de l’enquête, évitant ainsi les lourdeurs didactiques qui auraient pu nuire à la dynamique du récit. Cette habileté compositionnelle transforme Beyrouth forever en un roman accessible qui ne renonce jamais à la complexité de son propos, démontrant qu’engagement littéraire et qualité narrative peuvent parfaitement coexister dans une œuvre de fiction contemporaine.
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Un roman témoin de son époque
Beyrouth forever s’impose comme un témoignage littéraire de première importance sur le Liban contemporain, saisissant avec acuité les transformations profondes qui bouleversent la société libanaise depuis la révolution d’octobre 2019. David Hury ancre son récit dans l’actualité immédiate de septembre 2023, captant ainsi les répercussions de la crise économique, de l’explosion du port de Beyrouth et de l’effondrement des institutions sur la vie quotidienne des habitants. Cette proximité temporelle confère au roman une valeur documentaire indéniable, l’auteur transformant son expérience journalistique en matière romanesque pour offrir un instantané saisissant d’un pays en pleine mutation. Le choix de situer l’action à quelques semaines de la retraite du protagoniste crée un parallèle symbolique entre la fin d’une carrière et la déliquescence d’un système politique à bout de souffle.
L’auteur excelle dans sa capacité à transformer les dysfonctionnements quotidiens du Liban en révélateurs des fractures plus profondes qui minent la société. Les coupures d’électricité qui paralysent les enquêtes, les pénuries d’eau qui contraignent Marwan à rationner ses gestes les plus élémentaires, l’effondrement de la livre libanaise qui vide les portefeuilles : ces détails du quotidien deviennent sous la plume de Hury les symptômes d’une crise systémique plus vaste. Cette dimension sociologique enrichit considérablement le propos, faisant du polar un laboratoire d’observation des mécanismes d’adaptation d’une population face à l’adversité. Le roman révèle ainsi comment les Libanais inventent au jour le jour des stratégies de survie dans un État défaillant.
La force prophétique de l’œuvre réside dans sa capacité à anticiper les tensions qui traversent le Moyen-Orient contemporain. En évoquant les ingérences régionales, les trafics transfrontaliers et les équilibres géopolitiques fragiles, Hury dresse un tableau prémonitoire des enjeux qui agitent la région. Le roman devient ainsi bien plus qu’un simple thriller local pour s’ériger en chronique d’une époque marquée par l’instabilité et les recompositions géostratégiques. Cette dimension universelle transcende le cadre libanais pour interroger les mécanismes de la décomposition étatique et de la résistance civile dans les sociétés post-conflictuelles.
Beyrouth forever s’inscrit dans cette tradition littéraire qui fait du roman le miroir privilégié des mutations sociales contemporaines. Hury rejoint ainsi la lignée des écrivains qui transforment l’observation du présent en matière littéraire durable, offrant aux lecteurs d’aujourd’hui et de demain les clés de compréhension d’une époque charnière. Cette ambition testimoniale, loin de desservir la qualité artistique de l’œuvre, la nourrit au contraire d’une densité et d’une urgence qui en font bien davantage qu’un simple divertissement. Le roman s’affirme comme un document littéraire essentiel pour quiconque souhaite comprendre les enjeux du Liban contemporain et, au-delà, les défis auxquels font face les sociétés méditerranéennes en ce début de XXIe siècle.
Mots-clés : Polar libanais, Beyrouth contemporain, Mémoire collective, Enquête policière, Société post-conflit, Engagement littéraire, Thriller politique
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Lundi 18 septembre, 9 h 16
La foule grouille tout autour de lui, mais il ne l’entend plus. Les gens se bousculent, excédés de s’agglutiner depuis plus d’une heure devant les grilles de la police judiciaire à Adlieh. Des papiers froissés à la main, qu’ils espèrent suffisants. Des mots aigres à la bouche, en guise de ras-le-bol à cause de cette interminable attente. La file indienne qui n’avance pas, avec le portique de sécurité en ligne de mire, n’arrange rien. Il y a là les pressés qui viennent déposer plainte, les craintifs qui répondent à une convocation en ayant peur de ne jamais ressortir du bâtiment. En doublant tout ce petit monde, l’inspecteur Marwan Khalil fait semblant de ne rien voir. De ne pas les voir. Comme tous les matins.
Trente ans de cette routine l’ont rendu indifférent aux histoires toujours identiques de pauvres bougres toujours persuadés qu’elles sont uniques. Dans le couloir d’accès du rez-de-chaussée, la peinture terne et écaillée annonce la couleur. L’immeuble est austère, l’atmosphère délétère. Le soleil n’est levé que depuis trois heures, mais l’air est déjà moite et salé. Et les auréoles sous les bras déjà sombres et diffuses. Juste avant de passer sous le détecteur de métaux, l’odeur de cette populace devient insoutenable. Marwan fait de son mieux pour ne pas respirer. Il presse le pas. Il esquisse un signe de la main aux trois plantons, treillis gris souris et boots dépareillées, et passe sous le portique qui se met à siffler. Le Beretta rivé à sa hanche droite fait toujours le même effet. Au moins, cette machine fonctionne, elle.
Dans le hall principal, le sol est crasseux. Et l’ascenseur de service toujours condamné. Pourquoi y aurait-il eu un miracle pendant la nuit, hein ? La même pancarte aux coins écornés pendouille depuis des lustres en plein milieu de la porte coulissante. Hors service. Marwan la regarde avec un pincement au cœur, et un autre au genou. Monter et descendre les étages est à chaque fois une petite torture. Une balle de 7,62 mm est venue lui lécher la rotule par une belle après-midi de juin 1988, et lui a laissé une saloperie de mauvais souvenir. Putain de guerre des milices. Putain de cartilages en moins surtout. «
- Titre : Beyrouth forever
- Auteur : David Hury
- Éditeur : Éditions Liana Levi
- Nationalité : France
- Date de sortie : 2025
Page Officielle : www.davidhury.com
Résumé
Beyrouth, septembre 2023. Aimée Asmar, historienne et universitaire de renom, est retrouvée assassinée à son domicile. La police judiciaire dépêche sur les lieux l’inspecteur Marwan Khalil et sa jeune adjointe Ibtissam Abou Zeid, deux flics que tout oppose. Lui, ex-milicien chrétien qui n’a jamais pu tourner la page de la guerre civile de 1975 ; elle, jeune chiite idéaliste en rupture avec sa communauté.
Très vite, l’inspecteur Khalil se lance sur la piste politique : l’historienne venait de mettre un point ?nal à l’écriture d’un manuel scolaire uni?é, censé apprendre l’Histoire du Liban aux collégiens et lycéens du pays. Un manuel scolaire sans cesse repoussé depuis la ?n de la guerre et qui semble déranger le Hezbollah. Marwan et Ibtissam devront batailler pour faire éclater la vérité dans ce Liban à bout de souffle où la dissimulation est reine et les blessures du passé encore vives.

Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis une soixantaine d’années, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.