Un ado en détresse
Dès les premières pages, Claudine Desmarteau plonge le lecteur dans l’univers oppressant d’Adrien, un adolescent de quinze ans rongé par l’insomnie et la solitude. L’auteure dessine avec une précision chirurgicale le portrait d’un jeune homme en perdition, dont les nuits blanches deviennent le symptôme d’un mal-être profond. Les pensées nocturnes d’Adrien, retranscrites dans une prose poétique et fragmentée, révèlent un esprit tourmenté qui oscille entre lucidité douloureuse et confusion anxieuse.
La perte de Judith, son unique amie, agit comme un catalyseur dans la descente aux enfers du protagoniste. Cette absence, vécue comme un arrachement, laisse Adrien face à sa propre vulnérabilité dans un environnement scolaire hostile. Desmarteau excelle dans sa capacité à transcrire cette sensation de vide, cette impression d’être « privé de soleil » qui caractérise si justement l’état psychologique de son personnage. L’amitié perdue devient alors le prisme à travers lequel se révèle toute la fragilité adolescente.
Au collège, Adrien subit les humiliations répétées de Geoffroy, figure archétypale du harceleur qui règne par la violence et l’intimidation. L’écrivaine ne tombe jamais dans le manichéisme simpliste, préférant explorer les mécanismes complexes de la domination et de la soumission. Les scènes de harcèlement, bien que difficiles à lire, sont décrites avec une justesse qui permet de comprendre l’engrenage destructeur dans lequel s’enferme la victime.
Cette mise en scène initiale de la détresse adolescente révèle tout le talent de Desmarteau pour saisir les nuances psychologiques de cet âge charnière. Sans jamais verser dans le pathos, elle parvient à rendre palpable cette sensation d’étouffement qui pousse Adrien vers ses escapades nocturnes, préparant ainsi l’entrée en scène du mystérieux Chris qui bouleversera son existence.
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Quand la nuit devient refuge
La forêt nocturne se transforme sous la plume de Desmarteau en véritable personnage du roman, offrant à Adrien l’oxygène qui lui manque dans son quotidien étouffant. Ces escapades clandestines, loin du cocon maternel et des murs du collège, deviennent rituelles et nécessaires à sa survie psychique. L’auteure maîtrise parfaitement l’art de décrire ces moments de liberté volée, où chaque coup de pédale vers la clairière résonne comme une bouffée d’air pur dans un monde asphyxiant.
L’opposition entre l’espace diurne et nocturne structure magistralement la narration, créant un contraste saisissant entre deux univers aux règles radicalement différentes. Là où le jour impose ses contraintes sociales, ses humiliations et sa surveillance constante, la nuit offre une temporalité alternative où Adrien peut enfin respirer. Desmarteau exploite habilement cette dichotomie pour montrer comment certains adolescents trouvent dans la marginalité temporelle un refuge contre la violence du groupe.
La plateforme construite avec Judith dans le grand chêne devient le symbole poignant de cette quête d’un territoire personnel. Ce lieu, investi de souvenirs heureux, représente bien plus qu’un simple abri : il incarne la possibilité d’échapper aux codes sociaux oppressants. L’écrivaine parvient à rendre tangible cette sensation de liberté retrouvée, où l’adolescent peut enfin exister sans masque ni contrainte, loin des regards qui le jugent et le condamnent.
L’habileté narrative de Desmarteau transparaît dans sa façon de faire de ces moments nocturnes autre chose qu’une simple fuite romantique. Ces échappées révèlent plutôt la profondeur du malaise d’Adrien et préparent subtilement l’arrivée de Chris, figure qui viendra donner une nouvelle dimension à ces errances solitaires dans l’obscurité bienfaisante de la forêt.
L’apparition de Chris
L’entrée en scène de Chris marque un tournant dramatique dans la trajectoire d’Adrien, transformant ses solitudes forestières en rencontres initiatiques. Desmarteau orchestre cette apparition avec un sens aigu du mystère, laissant planer dès les premiers échanges une ambiguïté troublante sur l’identité réelle de ce personnage énigmatique. La voix grave et apaisante de Chris, qui « résonne clairement » dans la tête d’Adrien, devient immédiatement un refuge contre l’angoisse nocturne, offrant ce que ni la famille ni l’école ne parviennent à donner : une écoute bienveillante et sans jugement.
Le personnage de Chris se dessine progressivement à travers les descriptions fragmentaires d’Adrien, révélant un être insaisissable qui semble incarner tout ce que l’adolescent rêve de devenir. Tantôt mentor bienveillant, tantôt figure paternelle de substitution, Chris dispense ses enseignements avec une autorité naturelle qui fascine autant qu’elle interroge. L’auteure excelle dans sa capacité à maintenir cette zone d’ombre autour de son personnage, cultivant savamment le doute sur sa nature réelle sans jamais basculer dans le fantastique pur.
Les interactions entre les deux protagonistes révèlent la virtuosité de Desmarteau dans l’art du dialogue psychologique. Chris devient progressivement le catalyseur d’une transformation profonde chez Adrien, l’encourageant à abandonner sa passivité pour embrasser une vision plus combative de l’existence. Ces séances d’apprentissage, mêlant connaissances pratiques sur la nature et leçons de vie philosophiques, donnent au récit une dimension initiatique particulièrement saisissante.
Ce qui frappe dans cette construction narrative, c’est la façon dont l’écrivaine parvient à rendre crédible cette relation improbable entre un adolescent en détresse et cette figure tutélaire aux contours flous. Loin de céder à la facilité du merveilleux, elle ancre solidement cette amitié dans la psychologie complexe de son jeune héros, préparant ainsi les développements ultérieurs de cette relation ambivalente.
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Une amitié qui transforme
Sous l’influence de Chris, Adrien amorce une métamorphose psychologique et physique qui redéfinit son rapport au monde. Les enseignements dispensés par son mentor nocturne dépassent largement le cadre de la simple survie en forêt : ils touchent à l’essence même de la confiance en soi et de l’affirmation personnelle. Desmarteau dépeint avec finesse cette transformation graduelle, montrant comment les encouragements de Chris agissent comme un révélateur sur la personnalité bridée d’Adrien. Les séances d’entraînement physique, les leçons sur la nature et les discussions philosophiques tissent progressivement un nouveau rapport à la force et au courage.
La question du changement d’identité illustre parfaitement la portée symbolique de cette relation. Lorsque Chris propose à Adrien d’abandonner son prénom pour adopter celui de Sven, l’auteure explore avec subtilité les mécanismes de reconstruction identitaire propres à l’adolescence. Ce passage du « petit garçon sage » Adrien au « warrior » Sven révèle la profondeur des enjeux psychologiques à l’œuvre, même si l’on peut s’interroger sur la pertinence de certains conseils prodigués par ce guide aux motivations opaques.
L’apprentissage des techniques de combat constitue l’un des axes les plus ambigus de cette transformation. Chris enseigne à Adrien non seulement l’art de se défendre, mais aussi celui de dominer, instillant progressivement une philosophie de la force qui tranche radicalement avec la passivité antérieure du jeune homme. Desmarteau navigue ici en eaux troubles, explorant les zones grises de l’éducation masculine où la légitime défense côtoie dangereusement l’appel à la violence.
Cette évolution du protagoniste soulève des questions dérangeantes sur les limites de l’influence exercée par Chris, transformant ce qui pourrait n’être qu’un simple récit d’émancipation en une réflexion plus complexe sur les mécanismes de manipulation et d’emprise psychologique.
Entre réalité et imagination
Desmarteau instille dès les premières apparitions de Chris une ambiguïté fondamentale qui place le lecteur dans une position d’incertitude permanente. Les descriptions physiques changeantes du personnage, ses disparitions soudaines et l’absence totale de témoins lors de ses rencontres avec Adrien alimentent un questionnement constant sur sa nature réelle. L’auteure maîtrise parfaitement cet équilibre délicat entre vraisemblance et fantastique, laissant planer le doute sans jamais trancher définitivement la question de l’existence concrète de ce mentor énigmatique.
La structure narrative elle-même reflète cette ambiguïté troublante, alternant entre les passages où Chris semble parfaitement tangible et ceux où sa présence relève davantage de la voix intérieure. Les dialogues avec la psychologue révèlent d’ailleurs cette zone d’ombre : seul Adrien entend Chris, seul Adrien bénéficie de ses enseignements. Cette solitude testimoniale transforme progressivement le lecteur en enquêteur, l’obligeant à décrypter les indices semés par l’écrivaine pour démêler le vrai du fantasmé.
L’insomnie chronique d’Adrien et son état psychologique fragile offrent un terreau fertile à cette confusion des frontières entre réel et imaginaire. Desmarteau exploite habilement les mécanismes de la projection psychologique, montrant comment un adolescent en détresse peut créer inconsciemment la figure paternelle et protectrice qui lui fait défaut. Les connaissances que Chris transmet à Adrien pourraient tout aussi bien provenir de recherches personnelles ou de documentaires télévisés, transformant chaque révélation en nouvel élément de doute.
Le génie de cette construction réside dans sa capacité à maintenir le suspense interprétatif jusqu’aux dernières pages, forçant le lecteur à s’interroger non seulement sur la réalité de Chris, mais aussi sur les mécanismes de création des figures tutélaires dans l’imaginaire adolescent en souffrance.
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La violence comme réponse
L’escalade vers la violence constitue l’un des aspects les plus troublants et les mieux maîtrisés du roman de Desmarteau. L’altercation entre Adrien et Geoffroy marque un point de non-retour dans l’évolution du protagoniste, transformant la victime passive en agresseur potentiel. L’auteure décrit avec une précision clinique cette bascule psychologique, montrant comment les enseignements de Chris trouvent leur application concrète dans un geste de légitime défense qui dépasse rapidement son cadre initial. Cette première victoire physique d’Adrien révèle la face sombre de sa transformation, questionnant les limites entre protection de soi et désir de domination.
L’inscription au club de hapkido prolonge cette logique martiale en lui donnant une légitimité sportive et sociale. Desmarteau explore avec subtilité cette zone grise où l’apprentissage de la self-défense se mue progressivement en quête de puissance. Les séances d’entraînement deviennent pour Adrien un laboratoire d’expérimentation de sa nouvelle force, alimentant une confiance en soi qui flirte dangereusement avec l’arrogance. L’écrivaine parvient à rendre palpable cette ivresse de la force retrouvée, tout en laissant entrevoir les dérives potentielles de cette philosophie du combat.
La haine cultivée envers Geoffroy se transforme sous l’influence de Chris en véritable moteur existentiel. Adrien apprend à « entretenir » et à « bichonner » sa haine, la transformant en énergie destructrice soigneusement canalisée. Cette perversion des émotions négatives en carburant pour l’action révèle toute l’ambiguïté du personnage de Chris, dont les conseils oscillent entre sagesse pratique et manipulation psychologique. Desmarteau ne se contente pas de dénoncer cette dérive : elle en explore les mécanismes intimes avec une lucidité dérangeante.
L’auteure soulève ainsi des questions essentielles sur les conséquences de la violence subie et les moyens de s’en libérer, refusant les réponses simplistes pour plonger dans la complexité morale de la vengeance et de la justice personnelle.
Grandir dans la douleur
L’évolution d’Adrien tout au long du récit illustre magistralement les mécanismes complexes de la maturation adolescente lorsqu’elle s’opère dans un contexte de souffrance. Desmarteau excelle dans sa capacité à montrer comment la douleur, loin d’être uniquement destructrice, peut devenir paradoxalement un catalyseur de croissance personnelle. Les épreuves successives que traverse le protagoniste – perte d’amitié, harcèlement scolaire, insomnie chronique – façonnent progressivement une personnalité plus affirmée, bien que cette transformation s’accompagne d’une perte d’innocence inquiétante.
La relation fusionnelle avec sa mère se fissure graduellement au fil des pages, révélant les tensions inévitables entre protection maternelle et besoin d’autonomie. L’auteure dépeint avec finesse cette émancipation douloureuse, où chaque mensonge d’Adrien à sa mère marque une étape supplémentaire vers l’indépendance. Cette évolution relationnelle, ponctuée de moments de tendresse et de conflit, illustre parfaitement les enjeux de la séparation adolescente, même si certains choix narratifs auraient mérité un approfondissement plus nuancé.
L’épisode de la maladie d’Adrien constitue un moment charnière dans cette trajectoire de croissance, fonctionnant comme une pause forcée dans sa transformation. Cette parenthèse de vulnérabilité physique révèle la persistance des liens affectifs profonds malgré les tensions grandissantes, tout en soulignant la fragilité sous-jacente du processus d’émancipation. Desmarteau utilise habilement cette séquence pour rappeler que derrière la façade de l’adolescent en révolte subsiste encore l’enfant en quête de protection.
Ce parcours initiatique, malgré ses zones d’ombre et ses questionnements moraux, offre un portrait saisissant de l’adolescence contemporaine et de ses défis, confirmant le talent de l’auteure pour saisir les nuances psychologiques de cet âge de tous les possibles et de tous les dangers.
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Un roman miroir de l’adolescence
« Au nom de Chris » fonctionne comme un miroir impitoyable tendu à l’adolescence contemporaine, reflétant ses fractures et ses quêtes identitaires avec une acuité remarquable. Desmarteau parvient à cristalliser dans le parcours d’Adrien les grandes problématiques qui traversent cette période charnière : la solitude, la recherche de modèles identificatoires, la violence subie et exercée, l’émancipation familiale. L’originalité du roman réside dans sa capacité à aborder ces thèmes universels à travers le prisme déformant d’une rencontre aux contours flous, transformant le récit initiatique classique en une exploration psychologique troublante.
L’œuvre interroge avec pertinence les mécanismes de construction identitaire chez les jeunes en détresse, questionnant le rôle des figures tutélaires dans ce processus. La relation entre Adrien et Chris fonctionne comme une métaphore puissante des influences contradictoires qui s’exercent sur l’adolescent moderne, tiraillé entre protection et émancipation, passivité et violence, conformisme et rébellion. Cette ambivalence constante évite au roman de sombrer dans la leçon de morale, préférant explorer les zones grises de l’éducation et de la transmission.
Cependant, certaines facilités narratives ternissent parfois la portée de cette réflexion. Les passages consacrés aux arts martiaux, bien qu’efficaces dramatiquement, versent parfois dans un didactisme qui tranche avec la subtilité psychologique du reste de l’œuvre. De même, l’évolution de la relation mère-fils, si elle sonne juste dans ses grandes lignes, aurait gagné à être approfondie pour égaler la complexité du personnage principal.
Malgré ces réserves, l’œuvre de Desmarteau constitue une contribution précieuse à la littérature jeunesse contemporaine, proposant une lecture sans complaisance des tourments adolescents tout en soulevant des questions essentielles sur les limites de l’influence exercée par les adultes sur la jeunesse en construction.
Mots-clés : Adolescence, Harcèlement scolaire, Identité, Violence, Manipulation psychologique, Émancipation, Littérature jeunesse
Extrait Première Page du livre
» I
Fin d’été
Je me souviens de mes pensées de nuit, mais pas toujours. Des fois ça se mélange avec le vrai et j’ai du mal à faire la différence. Parce que je suis très fatigué, peut-être. Faudrait que je dorme longtemps, d’un seul coup, mais j’y arrive pas. Plus on essaie de s’endormir, moins on y arrive.
Faudrait que je m’allonge
Que je ferme les yeux
Et hop
Je dormirais comme par enchantement
Avant ça marchait. Même parfois, mes yeux se fermaient tout seuls sur un livre et je dormais jusqu’au jour suivant.
C’est une chance incroyable de dormir comme par enchantement. Je ne m’en rendais pas compte.
Comme pour Judith : je ne me rendais pas compte de ma chance.
Quand Judith et le sommeil reviendront, j’en profiterai à fond.
Je serai joyeux et je m’en rendrai compte.
Si on est vraiment joyeux, est-ce qu’on peut s’en rendre compte ?
Si on s’en rend compte c’est qu’on est déjà un peu triste, au fond, de savoir que la joie, c’est pas pour toujours.
Non ?
On est joyeux pour un instant qui ne durera pas et ça, c’est triste. «
- Titre : Au nom de Chris
- Auteur : Claudine Desmarteau
- Éditeur : Gallimard Jeunesse
- Nationalité : France
- Date de sortie : 2023
Page Officielle : desmarteau.fr
Résumé
Approche
T’as peur ?
T’as raison
Faut pas se fier aux inconnus
Faut rester sur ses gardes
Se fier à personne
A personne qu’à toi-même
Pas faire confiance au premier venu
On sait jamais à qui on a affaire
La confiance ça se mérite
Comment tu t’appelles ?
Moi c’est Chris
Jusqu’où peut aller l’emprise ?
Un thriller psychologique qui se lit le souffle court, par une autrice au talent saisissant.

Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis une soixantaine d’années, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.