« La résurrection du pire » : Un archipel narratif au cœur des ténèbres

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La résurrection du pire d'Angelina Delcroix

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Un thriller psychologique aux multiples voix

Angelina Delcroix fait le choix d’une narration éclatée qui suit simultanément plusieurs protagonistes aux destins entrecroisés. Cette structure polyphonique permet au récit de gagner en densité et en complexité, même si elle exige du lecteur une attention soutenue pour suivre les différents fils narratifs. Lydia, Joy, Braco, Chloé et Charlie forment autant de perspectives qui s’entrecroisent sans jamais vraiment se rencontrer, créant une mosaïque narrative où chaque pièce éclaire différemment l’ensemble. L’auteure prend le risque de fragmenter son intrigue, un parti pris qui peut dérouter mais qui reflète également la dispersion psychique de personnages en quête d’identité ou de rédemption.

Le roman s’ancre résolument dans le registre du thriller psychologique en privilégiant l’exploration des mécanismes mentaux de ses personnages plutôt que l’action pure. Les traumatismes passés resurgissent constamment dans le présent, transformant chaque protagoniste en être hanté par ses propres démons. Delcroix s’intéresse particulièrement aux états dissociatifs, aux troubles de la personnalité et aux mécanismes de défense psychique que développent ceux qui ont subi des violences extrêmes. Cette dimension clinique, particulièrement développée avec le personnage de Charlie et son trouble dissociatif de l’identité, confère au récit une profondeur psychologique certaine.

La construction narrative repose sur un jeu constant entre intériorité et extériorité. Les monologues intérieurs côtoient les scènes d’action, les réflexions introspectives alternent avec les dialogues tendus. Cette alternance crée un rythme particulier où les moments de tension physique sont contrebalancés par des plongées dans les abîmes psychologiques des personnages. L’auteure utilise également des procédés comme les souvenirs en italiques ou les voix intérieures qui dialoguent avec le personnage principal, techniques qui matérialisent les fractures psychiques de ces êtres brisés.

Cette polyphonie narrative trouve sa cohérence dans un thème central : la résurrection du mal sous différentes formes. Chaque personnage incarne une facette particulière de cette problématique, qu’il s’agisse de victimes tentant de se reconstruire, de criminels poursuivant leur œuvre destructrice, ou d’autorités confrontées aux conséquences de leurs propres décisions. Le titre du roman prend ainsi tout son sens dans cette multiplicité de voix qui témoignent, chacune à leur manière, de la permanence du traumatisme et de la violence.

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La construction narrative en archipel

Le roman se déploie comme un ensemble d’îles narratives reliées par des courants souterrains. Chaque partie porte le nom d’un personnage – Lydia, Joy, Braco, Chloé, Charlie – et constitue un territoire distinct avec ses propres codes, son rythme et sa tonalité. Cette structure insulaire reflète l’isolement psychologique de protagonistes enfermés dans leurs propres tourments, tout en suggérant l’existence de liens invisibles qui les relient malgré la distance. L’auteure ne cherche pas à unifier artificiellement ces différents récits, préférant maintenir une certaine autonomie narrative pour chaque fil conducteur.

Les sauts temporels et géographiques ponctuent la lecture, créant une géographie narrative mouvante. Le récit passe des gorges du Verdon aux rues de Meaux, d’un campement isolé dans la nature aux bureaux de la gendarmerie, sans transition explicite. Cette fragmentation spatiale trouve son équivalent dans le traitement du temps, avec des retours en arrière qui surgissent brutalement, marqués typographiquement par l’italique. Le lecteur doit reconstituer mentalement la chronologie des événements et la carte des lieux, exercice qui peut se révéler exigeant mais qui évite l’écueil d’une narration trop linéaire et prévisible.

L’originalité de cette construction réside dans le refus de hiérarchiser les voix narratives. Aucun personnage ne s’impose comme figure centrale autour de laquelle gravitent les autres. Lydia, avec son passé de détenue et sa quête désespérée, occupe certes une place importante, mais Joy, enquêtrice déchirée entre devoir et compassion, possède une épaisseur narrative équivalente. De même, Braco incarne le mal absolu sans pour autant être réduit à un simple antagoniste caricatural. Cette absence de hiérarchie narrative traduit une vision du monde où chacun est à la fois protagoniste de sa propre histoire et personnage secondaire dans celle des autres.

Les points de convergence entre ces récits apparaissent progressivement, tissant une toile narrative complexe. L’île mystérieuse, mentionnée à plusieurs reprises, constitue le nœud central où se sont noués les destins de plusieurs personnages. Ce passé commun refait surface dans le présent sous forme de menaces, de traumatismes persistants ou de dettes morales à honorer. Delcroix construit ainsi une intrigue en spirale plutôt qu’en ligne droite, où les événements du passé continuent d’exercer leur emprise sur le présent, empêchant toute possibilité de fuite ou d’oubli.

Traumatisme et identité : une exploration psychologique

Le roman accorde une attention particulière aux mécanismes de survie psychique que développent les victimes de violences extrêmes. Charlie, jeune femme atteinte d’un trouble dissociatif de l’identité, constitue le cas le plus manifeste de cette problématique. L’auteure documente avec précision clinique la fragmentation de sa personnalité en plusieurs « alter » distincts, dont « La Fortiche », voix intérieure agressive apparue pour protéger l’enfant qu’elle était. Cette représentation des troubles dissociatifs s’appuie sur une documentation visible, même si la dramatisation romanesque accentue certains aspects pour servir la tension narrative. Le dialogue avec le miroir, exercice thérapeutique prescrit par sa psychothérapeute, illustre cette tentative de réconciliation avec les différentes facettes d’un soi éclaté.

Lydia incarne une autre forme de désagrégation identitaire, celle provoquée par la privation d’existence sociale. Ancienne détenue dont l’identité administrative a été effacée dans le cadre d’un projet gouvernemental secret, elle se retrouve littéralement rayée de la société. Cette absence de statut légal provoque chez elle une dérive inquiétante : puisqu’elle n’existe plus aux yeux de l’État, elle s’autorise progressivement à transgresser toutes les règles. Delcroix explore ici la question de l’identité comme construction sociale et juridique, montrant comment la suppression des droits entraîne celle des devoirs, et comment cette libération peut basculer dans la violence. Le personnage navigue entre différentes versions d’elle-même, celle qui cherche à retrouver son enfant et celle qui sombre dans une amoralité croissante.

Chloé représente le traumatisme professionnel et ses répercussions sur la perception de la réalité. Psychocriminologue envoyée sur une île pénitentiaire où elle a failli perdre la vie, elle souffre de troubles post-traumatiques qui brouillent la frontière entre hallucinations et réalité. Ses cicatrices physiques témoignent d’une violence subie, tandis que ses angoisses nocturnes et ses difficultés de concentration révèlent l’ampleur des dégâts psychiques. L’auteure décrit avec justesse les symptômes du stress post-traumatique – hypervigilance, reviviscences, évitement – sans toutefois approfondir véritablement le travail thérapeutique qui permettrait le dépassement de ces troubles. Le personnage reste prisonnier d’un état de survie permanent, incapable de se projeter au-delà de la menace immédiate.

Cette exploration des conséquences psychologiques de la violence constitue l’un des axes forts du roman, même si l’approche demeure parfois plus descriptive qu’analytique. Delcroix montre comment le traumatisme déforme la perception du temps, enfermant les victimes dans une répétition compulsive du passé. Elle illustre également les mécanismes de défense que sont la dissociation, le déni ou l’agressivité réactionnelle. Néanmoins, le roman privilégie l’action et la tension narrative au détriment d’une véritable réflexion sur les processus de résilience, laissant ses personnages dans un état de fragilité qui semble sans issue thérapeutique possible.

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Le poids du passé et la quête de rédemption

Les personnages du roman portent tous le fardeau d’actes passés qui continuent de déterminer leur présent. Joy incarne particulièrement cette impossibilité d’échapper à ses propres décisions. Gendarme ayant participé à une mission sur l’île pénitentiaire, elle se retrouve confrontée aux conséquences de choix qu’elle a faits dans l’urgence et sous la contrainte. Sa relation avec Lydia illustre ce dilemme moral : doit-elle respecter les ordres de sa hiérarchie qui exige qu’elle livre cette ancienne détenue, ou suivre sa conscience qui lui dicte de l’aider à retrouver son enfant ? Cette tension entre devoir professionnel et empathie humaine structure l’ensemble de son parcours narratif, sans qu’une résolution satisfaisante ne se dessine véritablement.

La notion de rédemption traverse le roman de manière ambiguë. Certains personnages cherchent activement à se racheter de leurs fautes, tandis que d’autres semblent enfermés dans une spirale de violence dont ils ne peuvent s’extraire. Lydia oscille entre le désir légitime de retrouver son enfant et des méthodes de plus en plus contestables, jusqu’à prendre en otage une mère et son bébé. Cette dérive morale interroge les limites de la compassion que le lecteur peut éprouver pour un personnage victime devenu bourreau à son tour. L’auteure refuse de trancher clairement, présentant les actes de Lydia comme simultanément compréhensibles et condamnables, fruit d’un système qui l’a broyée mais relevant aussi de sa responsabilité individuelle.

Charlie représente une tentative de reconstruction identitaire à travers une marche en montagne censée lui permettre de se confronter à elle-même. Cette quête thérapeutique, accompagnée par Aurore, devrait constituer un chemin vers l’apaisement et la réconciliation avec ses différentes personnalités. Toutefois, la nature même de son traumatisme – programmation mentale au sein d’une secte satanique durant son enfance – semble rendre toute guérison hypothétique. Les événements qui surviennent pendant la marche suggèrent que le passé ne se laisse pas dépasser si facilement, que les mécanismes de défense mis en place pour survivre résistent à toute tentative de démantèlement.

Le roman soulève ainsi la question de savoir si une véritable rédemption est possible pour ceux qui ont été profondément altérés par la violence, qu’ils l’aient subie ou perpétrée. Delcroix ne propose pas de réponse consolatrice à cette interrogation. Ses personnages demeurent prisonniers de cycles répétitifs, reproduisant malgré eux des schémas destructeurs. Cette vision pessimiste de la condition humaine traverse l’ensemble du récit, suggérant que certaines blessures ne cicatrisent jamais complètement et que le mal, une fois expérimenté, laisse des traces indélébiles qui conditionnent tous les comportements futurs.

L’île comme métaphore de l’enfermement

L’île pénitentiaire évoquée tout au long du récit fonctionne comme un lieu absent-présent, fantôme géographique qui hante les consciences sans jamais apparaître directement dans la narration principale. Ce projet gouvernemental secret, destiné à exiler les criminels les plus dangereux en leur offrant une pseudo-liberté géographique en échange de l’effacement de leur identité civile, constitue le point nodal où se sont croisés les destins de plusieurs protagonistes. Delcroix utilise cette île comme catalyseur narratif sans jamais la montrer frontalement, privilégiant l’évocation des traumatismes qu’elle a générés plutôt que la description concrète du lieu. Cette absence physique renforce paradoxalement son omniprésence psychologique dans l’esprit des personnages qui y ont séjourné.

La dimension métaphorique de cette île s’impose progressivement au lecteur. Elle représente l’impossibilité d’échapper à son passé, même lorsqu’on change de territoire. Les évadés qui reviennent sur le continent ne retrouvent pas la liberté espérée mais transportent avec eux l’enfermement mental que l’île a cristallisé. Braco poursuit ses rituels sadiques, reproduisant en France métropolitaine les mécanismes de chasse qu’il avait développés dans cet espace insulaire. Chloé, bien que n’ayant jamais été détenue, reste psychiquement prisonnière de cette expérience où elle a failli perdre la vie. L’île devient ainsi le symbole d’une captivité intérieure dont l’évasion géographique ne libère pas véritablement.

Cette métaphore de l’enfermement s’étend au-delà de l’île proprement dite pour contaminer d’autres espaces du récit. Les gorges du Verdon, avec leurs parois verticales et leur géographie labyrinthique, reproduisent la claustration insulaire sous une autre forme. Charlie et Aurore, perdues dans ces gorges durant leur marche thérapeutique, expérimentent un isolement similaire à celui des détenus, coupées du monde civilisé et confrontées à une nature qui peut se révéler hostile. Les noms des lieux traversés – Mainmorte, le ravin de Mainmorte, l’Imbut – résonnent comme autant de présages funestes qui transforment le paysage en piège potentiel. L’auteure joue sur cette ambivalence spatiale où la nature, censée offrir un espace de ressourcement, devient le théâtre de nouvelles violences.

Le roman suggère que l’enfermement véritable ne réside pas dans les murs d’une prison ou les frontières d’une île, mais dans l’incapacité des personnages à sortir des schémas psychiques établis par leurs traumatismes. Les personnages circulent géographiquement – de l’île au continent, de Paris aux Alpes-Maritimes, des Hautes-Alpes au Verdon – sans jamais véritablement échapper à leur prison intérieure. Cette vision déterministe, où le passé conditionne irrémédiablement le présent, confère au récit une tonalité sombre qui laisse peu de place à l’espoir d’émancipation. L’île disparue continue d’exercer son emprise, preuve que certains lieux, même quittés, ne cessent jamais de nous habiter.

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Entre polar et étude de caractères

Le roman emprunte les codes du thriller policier tout en s’en émancipant par moments pour privilégier l’exploration psychologique de ses personnages. L’enquête menée par le lieutenant Josée Grima et son équipe sur les meurtres dans les gorges du Verdon respecte les conventions du genre : découverte progressive des corps, analyse des scènes de crime, établissement d’un profil du tueur, course contre la montre pour éviter de nouvelles victimes. Delcroix intègre le vocabulaire technique de l’investigation criminelle et met en scène les tensions au sein d’une équipe où cohabitent enquêteurs locaux et renforts venus de Marseille. Toutefois, cette dimension policière reste parfois en surface, servant davantage de cadre à l’action que de véritable intrigue à résoudre.

La présence de Chloé en tant que psychocriminologue introduit une réflexion sur le profilage et l’analyse comportementale des tueurs en série. Son travail consiste à établir le portrait psychologique de Braco à partir de ses modes opératoires, anticiper ses prochaines actions et comprendre ses motivations profondes. Cette démarche analytique offre au récit une dimension réflexive intéressante, même si l’utilisation romanesque du profilage simplifie nécessairement la complexité réelle de cette discipline. Les passages où Chloé rédige ses notes sur le criminel permettent d’alterner entre l’action immédiate et une forme de distanciation intellectuelle qui enrichit la compréhension du personnage de Braco sans toutefois éviter certains stéréotypes du tueur méthodique et sadique.

L’auteure accorde néanmoins une place prépondérante à l’intériorité de ses personnages, y compris celle du criminel. Les chapitres consacrés à Braco ne se contentent pas de le montrer en action mais explorent ses cauchemars récurrents, ses angoisses enfouies et la construction mentale qui sous-tend sa violence. Cette humanisation du monstre, sans jamais justifier ses actes, complexifie le personnage au-delà de la figure du mal absolu. De même, les passages avec Charlie et Aurore s’éloignent complètement du registre policier pour s’apparenter davantage à un récit d’apprentissage et de confrontation psychologique, créant une respiration narrative par rapport aux sections plus orientées vers l’action et l’investigation.

Cette hybridation générique constitue à la fois une force et une faiblesse du roman. Elle permet d’éviter la mécanique parfois prévisible du polar classique en ouvrant des espaces contemplatifs ou introspectifs. Cependant, les transitions entre ces différents registres ne sont pas toujours fluides, et certains lecteurs attachés aux conventions du thriller pourront trouver que les développements psychologiques ralentissent le rythme de l’enquête. À l’inverse, ceux qui s’investissent dans l’exploration des traumatismes des personnages risquent d’être frustrés par les scènes d’action et de violence qui interrompent ces plongées introspectives. Delcroix fait le pari d’un équilibre précaire entre ces deux dynamiques, avec des résultats inégaux selon les sections du roman.

La violence comme langage narratif

La violence occupe une place centrale dans le roman, non pas comme simple ressort dramatique mais comme véritable système de signification. Delcroix ne recourt pas à l’euphémisme lorsqu’elle décrit les sévices infligés aux victimes de Braco : empalements, écartèlements, mises en scène macabres des corps. Cette crudité descriptive vise à traduire l’inhumanité absolue de ces actes tout en maintenant le lecteur dans un état d’inconfort permanent. L’auteure prend le risque de la saturation, multipliant les scènes de violence graphique au point que certains passages peuvent susciter un sentiment de trop-plein. Cette accumulation interroge : cherche-t-elle à dénoncer l’horreur ou risque-t-elle de la banaliser par la répétition ?

Les violences évoquées ne se limitent pas aux meurtres perpétrés par Braco. Le roman explore également les violences subies durant l’enfance, particulièrement à travers le personnage de Charlie et son passé au sein d’une secte satanique. Les descriptions des baptêmes de sang, des sacrifices d’animaux et du conditionnement psychologique infligé à une enfant atteignent un degré de noirceur extrême. Delcroix n’épargne pas non plus le lecteur concernant les violences sexuelles, évoquées de manière récurrente dans l’histoire de Lydia et de Charlie. Cette omniprésence de la brutalité sous toutes ses formes finit par créer un univers romanesque particulièrement sombre, où la cruauté humaine semble constituer la seule constante universelle.

L’utilisation de cette violence soulève la question de sa fonction narrative. Dans certains cas, elle sert effectivement le propos en illustrant les traumatismes fondateurs qui expliquent les comportements des personnages. La fragmentation identitaire de Charlie trouve sa source dans ces violences répétées qui ont nécessité la création de personnalités protectrices. L’amoralité croissante de Lydia découle directement des abus subis dès l’enfance et de l’abandon institutionnel dont elle a été victime. Cependant, l’accumulation des scènes violentes peut également produire un effet d’anesthésie émotionnelle chez le lecteur, qui finit par développer une forme de distance protectrice face à l’horreur constamment réitérée.

Le traitement de la violence révèle aussi certaines ambiguïtés morales du récit. En donnant la parole à Braco et en explorant ses cauchemars récurrents, l’auteure suggère que même le bourreau possède ses propres traumatismes fondateurs. Cette tentative de compréhension psychologique du mal, si elle évite la diabolisation simpliste, flirte parfois avec une forme d’excuse implicite. De même, la violence exercée par Charlie ou Lydia, présentée comme réactive et défensive, bénéficie d’une mansuétude narrative qui contraste avec le traitement réservé à d’autres personnages. Ces déséquilibres dans l’économie morale du récit témoignent d’une volonté de nuancer les catégories de victime et bourreau, avec des résultats qui restent parfois inconfortables et discutables.

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Une œuvre qui interroge les limites de l’humanité

Le roman d’Angelina Delcroix pose frontalement la question de ce qui définit encore l’humain lorsque la violence extrême a fracturé l’être. À travers ses personnages brisés, l’auteure explore la zone grise où victime et bourreau ne constituent plus des catégories étanches mais des positions interchangeables selon les circonstances. Lydia illustre cette porosité troublante : mère dépossédée de son enfant, elle devient à son tour celle qui sépare une autre mère de sa fille en prenant Ninon en otage. Cette reproduction des schémas violents subis interroge la possibilité même d’échapper à la transmission du traumatisme. Le roman suggère, sans jamais l’affirmer explicitement, que certaines expériences dégradent irrémédiablement la capacité d’empathie et la conscience morale.

La question institutionnelle traverse également l’ensemble du récit, notamment à travers le projet gouvernemental d’exil des criminels sur une île. Cette expérience dystopique, qui supprime l’identité civile des détenus en échange d’une pseudo-liberté géographique, interroge les fondements mêmes du contrat social. En effaçant administrativement l’existence de ces individus, l’État se décharge de toute responsabilité à leur égard tout en créant les conditions de leur retour violent dans la société. Delcroix dénonce ici, de manière transparente, l’hypocrisie d’un système qui prétend protéger les citoyens tout en fabriquant des monstres juridiques privés de droits et donc libérés de tout devoir. Cette critique politique reste cependant assez schématique, réduisant les institutions à une entité monolithique et cynique sans véritablement explorer les contradictions internes du système judiciaire.

Le titre même du roman, « La résurrection du pire », résume cette vision pessimiste de la nature humaine. Le mal ne disparaît jamais véritablement mais se régénère constamment sous de nouvelles formes. Les traumatismes d’hier produisent les bourreaux d’aujourd’hui, qui créent à leur tour les victimes de demain dans un cycle apparemment ininterrompu. Cette conception déterministe ne laisse guère d’espace à l’espoir ou à la rédemption véritable. Les personnages demeurent prisonniers de leur histoire, condamnés à répéter des schémas destructeurs qu’ils ne parviennent pas à briser malgré quelques velléités de changement. Seule Charlie, engagée dans un processus thérapeutique explicite, semble chercher une issue à cette fatalité, mais les événements qui surviennent durant sa marche suggèrent que même cet effort pourrait être vain.

Cette noirceur systématique constitue à la fois la cohérence thématique du roman et sa principale limite. En refusant toute échappatoire, toute lueur d’espoir ou de reconstruction possible, Delcroix construit un univers romanesque qui finit par manquer de nuances. L’accumulation de personnages traumatisés, de violences graphiques et de situations sans issue crée un effet de saturation qui peut affaiblir l’impact émotionnel recherché. Le lecteur se trouve confronté à un catalogue des horreurs humaines sans qu’une véritable réflexion sur les conditions de possibilité d’un dépassement ne soit véritablement développée. Le roman interpelle davantage qu’il n’analyse, constate plus qu’il n’interroge, laissant au lecteur le soin de construire lui-même une pensée éthique face à ces questions vertigineuses sur les limites de l’humain.

Mots-clés : Thriller psychologique, Traumatisme, Trouble dissociatif, Violence, Enquête criminelle, Identité fragmentée, Rédemption impossible


Extrait Première Page du livre

 » PROLOGUE
— Je m’en veux, c’est atroce. Tu ne méritais pas ça.

Cette confession est adressée à un vieil homme à la barbe hirsute, dont on distingue mal si les couleurs mêlées aux poils blancs sont naturelles ou résiduelles. Assis sur son canapé en velours marron, il ne bronche pas alors que son chien, un brachet de Styrie, est ravi d’avoir de la visite. D’un coup de truffe moite, ce dernier fait comprendre à son nouvel ami qu’il serait bon qu’il use de sa main sur son poil rêche. Il reçoit en retour un claquement de langue et un regard noir qui signifie que les sillons papillaires de l’invité n’ont aucune envie d’être souillés par sa crasse puante. Après un couinement de soumission, la bête finit par se coucher avant de gronder son échec.

— Tu as du mal à me croire, on dirait ? reprend le nouvel arrivant. Je ne sais pas, parle-moi pour qu’on essaye d’avancer.

Il tire alors une chaise pour s’asseoir face au canapé et le cabot suit le mouvement avant de s’allonger à nouveau, le museau contre la chaussure poussiéreuse de son maître.

— En fait, tu sais quoi ? Tu as raison. Mes excuses ne sont pas recevables, ce ne sont que des mots dénués de sens. S’en vouloir, regretter, culpabiliser… c’est complètement stupide. Quand on agit, c’est de façon réfléchie, sinon on s’abstient, non ? Alors, à quoi bon revenir sur ce qui a été fait ? Quant à savoir si l’autre mérite ou non ce qui lui arrive…

Le vieil homme garde le silence et son chien expire bruyamment, les paupières apparemment esclaves d’une télécommande détraquée. Le monologue reprend après une brève réflexion, lèvres pincées.

— Tu sais quoi ? On se ressemble, toi et moi. Je crois que c’est pour ça qu’on s’est trouvés, enfin, que je t’ai débusqué, plutôt. Attention, je ne dis pas que c’est ta faute ! Mais, un vrai solitaire comme toi, coupé du monde et autosuffisant, tu avoueras que c’était tentant. Tu as fait un choix de vie qui a lentement effiloché ton lien avec la société et ton existence s’est progressivement effacée. Eh bien, c’est pareil pour moi. Je suis là, sur cette terre, avec la sensation d’être une fourmi dans le désert de Gobi. « 


  • Titre : La résurrection du pire
  • Auteur : Angelina Delcroix
  • Éditeur : iMPACT Hugo Publishing
  • Nationalité : France
  • Date de sortie en France : 2025

Résumé

« Essayez toujours, murmure-t-elle, sourire aux lèvres. Je n’existe pas. » Le projet expérimental consistant à exiler certains détenus dangereux sur une île sans loi ni surveillance est toujours en place. En contrepartie de cette fausse liberté, l’identité des criminels qui ont accepté cette relégation est définitivement supprimée. Ils n’ont plus d’existence, plus de passé. Rayés de la mémoire collective sans retour en arrière possible.Et sans doute parce que ce qui se passe sur l’île reste sur l’île, personne ne veut prendre en compte les rapports accablants de la psychocriminologue Chloé Mesnil et de l’adjudante Joy Morel qui se sont pourtant rendues sur place. Alors quand quatre des pires criminels de ce cercle de l’enfer parviennent à s’échapper et regagnent le continent pour se venger, Joy et Chloé n’ont d’autre choix que de se replonger dans l’horreur. Pour peut-être parvenir à éviter la résurrection du pire.


Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis une soixantaine d’années, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.


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