Une plongée dans l’univers sombre de Benjamin Myers
Benjamin Myers nous invite à un voyage saisissant dans les profondeurs de l’âme humaine avec « Noir comme le jour ». Dès les premières pages, l’auteur britannique impose une atmosphère lourde, où la pluie incessante de cette vallée du Yorkshire devient presque un personnage à part entière, témoin silencieux des drames qui s’y déroulent.
L’ouverture du roman nous plonge immédiatement dans une scène troublante : un homme découvre une femme blessée dans une ruelle. Cette rencontre nocturne établit d’emblée le ton de l’œuvre, entre violence latente et beauté brute des paysages du nord de l’Angleterre, si caractéristiques de l’univers de Myers.
L’auteur excelle à dépeindre cette région des Pennines comme un lieu à la fois magnifique et oppressant, où les collines semblent se refermer sur les habitants telle « une tombe ouverte ». Les descriptions précises des lieux – le canal, les bois, la cité ouvrière de Greenfields – créent un décor organique qui semble respirer et observer ses habitants.
Le style de Myers, à la fois poétique et cru, traduit parfaitement cette ambiance singulière. Sa prose alternant entre beauté lyrique et réalisme brutal nous rappelle pourquoi il est considéré comme l’un des écrivains les plus marquants de sa génération, capable de transformer une enquête criminelle en une véritable exploration des ténèbres humaines.
Les histoires de Myers ont souvent pour cadre ces espaces ruraux anglais délaissés, ces communautés isolées où les secrets persistent depuis des générations. « Noir comme le jour » s’inscrit dans cette veine tout en proposant un récit d’une intensité rare qui nous happe dès les premières pages pour ne plus nous lâcher.
L’ambition de ce roman noir dépasse largement les simples codes du genre pour devenir une réflexion profonde sur l’isolement et la façon dont certains lieux peuvent influencer les comportements humains, jusqu’à faire naître cette mystérieuse « fièvre de la vallée » qui plane comme une menace invisible au-dessus des personnages de cette histoire mémorable.
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Portrait d’une vallée anglaise aux multiples secrets
La vallée dépeinte par Benjamin Myers dans « Noir comme le jour » n’est pas un simple décor, mais une entité vivante qui façonne les existences de ceux qui y habitent. Cette petite ville des Pennines, encaissée entre des versants qui semblent se rapprocher jour après jour, est un microcosme où cohabitent différentes communautés : les familles installées depuis des générations, les nouveaux arrivants aux aspirations artistiques, et les habitants de la cité ouvrière de Greenfields.
L’auteur excelle à capturer les contrastes sociaux qui caractérisent ce coin du Yorkshire. D’un côté, une ville qui attire les créatifs, les hippies et les amateurs de nature; de l’autre, les quartiers défavorisés où survivent tant bien que mal des familles comme celle de Tony Garner ou des Knox, victimes d’un déclassement économique qui a suivi la désindustrialisation de la région.
La pluie, omniprésente, s’infiltre partout dans ce roman comme elle s’infiltre dans les vies des personnages. Myers déploie un lexique d’une richesse impressionnante pour décrire ses variations – « crachoter, crachiner, pleuvasser, pleuviner » – témoignant d’une connaissance intime des nuances de ce climat particulier qui contribue à l’atmosphère d’enfermement et d’humidité permanente.
Les frontières entre nature et civilisation s’estompent dans cette vallée où la végétation semble toujours prête à reprendre ses droits. Les bois qui entourent la ville, le canal qui la traverse, les collines qui la surplombent forment un paysage à la beauté sauvage, mais aussi potentiellement menaçante, où les personnages trouvent refuge ou perdition.
Au cœur de ce portrait de lieu, Myers introduit le concept fascinant de « la fièvre de la vallée » ou « fièvre verte », cette influence mystérieuse que l’environnement exercerait sur ses habitants. Cette croyance locale, entre superstition et métaphore, suggère que l’isolement prolongé dans ce creux de terrain peut altérer les comportements jusqu’à provoquer des actes inexplicables.
L’âme complexe de cette vallée se révèle peu à peu, au fil de ses établissements emblématiques – le pub Barghest et son folklore, le Flags où se produisent les musiciens folk, La Cafetière où se colportent les commérages. Myers construit ainsi un portrait saisissant d’une Angleterre rurale contemporaine, belle et rude à la fois, où les mythes anciens continuent de résonner dans le présent des habitants.
Des personnages complexes et tourmentés en quête de vérité
Au centre de cette intrigue captivante se trouve Roddy Mace, journaliste au Valley Echo, qui tente de reconstruire sa vie après avoir quitté Londres. Réfugié sur une péniche baptisée le Lièvre de mars, ce personnage en lutte contre son alcoolisme cherche à se réinventer tout en poursuivant l’écriture d’un livre sur une affaire criminelle antérieure. Sa quête professionnelle pour comprendre les agressions se double d’une recherche plus personnelle de rédemption et d’ancrage.
L’inspecteur James Brindle apparaît comme un contrepoint fascinant à Mace. Mis en congé après une affaire qui a mal tourné, cet enquêteur méticuleusement organisé, obsédé par les nombres pairs et les routines strictes, tente de reprendre le contrôle de sa vie. Sa tache de naissance sur la joue symbolise la marque indélébile que le passé a laissée sur lui, tandis qu’il gravite autour d’une enquête qui n’est plus la sienne.
Myers excelle dans la création de personnages secondaires tout aussi mémorables. Tony Garner, surnommé « la Tremblote », est un homme simple au cerveau « déglingué » par un accident, qui survit de braconnage et se retrouve mêlé à l’affaire. Sa relation avec le jeune Raymond Pope, petit délinquant rusé, offre un aperçu touchant des liens qui se tissent entre les marginaux de cette vallée.
Les victimes elles-mêmes sont dépeintes avec une profondeur remarquable. Josephine Jenks, ancienne actrice de films pour adultes, et Anne Knox, employée de cantine scolaire, apparaissent comme des femmes complexes dont les blessures dépassent largement les entailles physiques qu’elles ont subies. Leur place dans cette communauté et les regards qu’elles suscitent révèlent les dynamiques sociales à l’œuvre.
Les personnages de Bob Blackstone, policier à l’ancienne, et de Malcolm Askew, rédacteur en chef vieillissant du journal local, incarnent un monde en voie de disparition. Leur connaissance intime de la vallée et de ses habitants contraste avec l’approche plus détachée de Mace, soulignant la tension entre traditions locales et influences extérieures.
La richesse de cette galerie de personnages réside dans leur authenticité troublante. Aucun n’est totalement innocent ni complètement coupable; tous portent leurs failles et leurs secrets comme des cicatrices intérieures. Myers parvient à créer un microcosme social crédible où chaque figure, même la plus secondaire, participe à la construction d’un tableau saisissant d’humanité blessée cherchant sa place dans un monde qui change.

Une prose poétique au service d’une atmosphère oppressante
L’écriture de Benjamin Myers se distingue par sa capacité à marier la beauté lyrique et la crudité du réel. Sa prose, souvent d’une grande richesse poétique, n’édulcore jamais la dureté des situations qu’il décrit. Au contraire, cette alliance paradoxale renforce l’impact émotionnel du récit, comme lorsqu’il décrit les « feuilles à la bordure brunie, comme consumée par le feu » ou encore « la vallée qui paraît rétrécir entre des versants plus escarpés que jamais ».
Les descriptions de la nature occupent une place centrale dans le roman, reflétant les états d’âme des personnages. L’automne qui s’installe progressivement dans la vallée devient la métaphore parfaite du délitement social et de la décomposition morale qui gangrène certains habitants. « La brume ondoie au-dessus de la rivière et du canal, et se répand sur les vieux murets de pierre, enveloppant le paysage d’un voile de torpeur et de léthargie. »
Myers excelle particulièrement dans sa façon de décrire les sensations physiques. Qu’il s’agisse de la gueule de bois de Mace, de la douleur dans les muscles de Brindle après l’entraînement, ou de la blessure de Josephine Jenks, le lecteur ressent presque physiquement ces expériences. Cette corporalité de l’écriture ancre l’histoire dans une matérialité qui rend l’angoisse d’autant plus palpable.
Le rythme de la narration contribue également à l’atmosphère oppressante du roman. Myers alterne habilement entre des phrases courtes, incisives, parfois nominales – « Une forme, avachie. Semblable à un tas d’ordures. À un dépôt de détritus. » – et des périodes plus amples, créant une tension narrative qui ne se relâche jamais complètement, à l’image de cette pluie qui ne cesse de tomber.
Les dialogues, souvent crus et directs, ancrent l’œuvre dans son terroir tout en révélant les caractères. L’auteur capture avec justesse les accents et les expressions du Nord de l’Angleterre, offrant une immersion totale dans cette région. Le langage devient ainsi un marqueur social autant qu’un outil narratif qui participe pleinement à la construction de l’atmosphère étouffante de la vallée.
La musicalité de la prose imprègne chaque page du roman, jusque dans les scènes les plus sombres. Les allitérations, les assonances et le rythme précis des phrases créent une partition verbale qui accompagne le lecteur dans sa descente aux enfers de cette vallée mystérieuse. Cette dimension sonore renforce l’impression d’être physiquement présent dans ce microcosme anglais où la nature et les hommes semblent liés par un pacte aussi ancien qu’inquiétant.
Les thèmes de l’isolement et de la fièvre dans la vallée
L’isolement géographique et psychologique constitue l’un des fils conducteurs les plus puissants de « Noir comme le jour ». La vallée elle-même, encaissée entre des collines qui semblent « se refermer sur vous », devient une métaphore de l’enfermement intérieur des personnages. Myers décrit ce cadre naturel comme « une tombe ouverte », une prison à ciel ouvert où les habitants sont à la fois libres et captifs de l’influence du lieu.
La « fièvre de la vallée » ou « fièvre verte » représente la manifestation la plus mystérieuse de cet isolement. Ce concept fascinant, évoqué par plusieurs personnages, suggère qu’une longue exposition à l’atmosphère particulière de cet endroit peut altérer le comportement et la psyché. « On dit qu’elle ressemble à une tombe ouverte, cette vallée. […] Et c’est pire à l’approche de l’hiver lorsqu’il faut reculer les pendules d’une heure, que vous avez seulement devant vous la perspective des nuits à rallonge et des jours raccourcis. »
La pluie incessante renforce ce sentiment de claustration. Myers multiplie les termes pour la décrire, créant un véritable lexique de l’humidité permanente qui s’infiltre dans les corps et les âmes. Cette omniprésence de l’eau qui tombe du ciel fonctionne comme un rappel constant des limites physiques imposées par l’environnement, contribuant à l’étouffement psychologique des personnages.
Les relations sociales sont profondément marquées par cette configuration spatiale. La communauté est à la fois soudée par la proximité forcée et divisée par les rancœurs accumulées au fil des générations. La cité de Greenfields, isolée sur les hauteurs de la ville, constitue un microcosme encore plus renfermé, où les habitants semblent condamnés à reproduire les mêmes schémas de vie limités par un horizon bouché.
Chaque personnage principal porte sa propre forme d’isolement : Roddy Mace s’est volontairement exilé sur sa péniche, James Brindle s’est enfermé dans ses obsessions et ses routines, Tony Garner est prisonnier de ses limites cognitives. Leurs tentatives pour échapper à cette solitude – l’alcool pour Mace, l’exercice physique pour Brindle, la drogue pour Garner – ne font souvent que renforcer leur enfermement.
L’exploration de ces thèmes par Myers transcende le simple cadre du roman noir pour atteindre une dimension universelle. À travers cette vallée du Yorkshire et ses habitants tourmentés, l’auteur interroge notre capacité collective à rester sains d’esprit dans un monde où l’isolement, qu’il soit géographique, social ou numérique, devient la norme. La fièvre qui plane sur la vallée pourrait bien être la manifestation littéraire de nos propres angoisses contemporaines face à un monde de plus en plus fragmenté.
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L’art du suspense et la construction narrative
La structure de « Noir comme le jour » témoigne d’une maîtrise narrative impressionnante. Benjamin Myers construit son récit comme une spirale qui se resserre autour des personnages et du lecteur, alternant les points de vue avec une habileté consommée. L’auteur nous fait suivre successivement Mace, Brindle, Garner et d’autres protagonistes, offrant ainsi des perspectives différentes sur les mêmes événements et distillant indices et fausses pistes avec un talent certain.
Le suspense se construit progressivement, non pas tant sur l’identité de l’agresseur que sur les motivations profondes qui sous-tendent les actes de violence. Myers s’écarte délibérément des conventions du polar traditionnel pour privilégier une tension psychologique qui imprègne chaque scène. Les silences, les non-dits et les zones d’ombre constituent les véritables ressorts dramatiques du récit, bien plus que les rebondissements spectaculaires.
L’auteur excelle particulièrement dans sa façon de jouer avec le temps narratif. Les journées pluvieuses semblent s’étirer indéfiniment tandis que certains moments cruciaux se déroulent en quelques instants. Cette élasticité temporelle accentue la perception subjective des personnages et renforce l’impression d’une réalité déformée par la « fièvre de la vallée » qui affecte leurs perceptions.
La construction fragmentée du récit permet également à Myers de multiplier les échos et les correspondances entre différentes scènes. Des motifs récurrents – comme le couteau, la pluie, les reflets – tissent une toile subtile de connexions qui enrichissent la narration. Cette technique confère à l’œuvre une dimension presque musicale, où certains thèmes réapparaissent, légèrement modifiés, créant un sentiment d’inéluctabilité.
La façon dont Myers intègre les commentaires des habitants, les ragots et les rumeurs, participe pleinement à la construction du suspense. Ces voix multiples forment un chœur qui guide ou égare le lecteur, tout en révélant les dynamiques sociales à l’œuvre dans cette communauté fermée. Les conversations entendues par Mace au café, les remarques du barman au Barghest, les insinuations de Blackstone construisent un réseau d’informations contradictoires qui alimentent le mystère.
La narration de Myers s’apparente à un jeu de miroirs déformants où chaque révélation en appelle une autre, où chaque certitude peut être remise en question. Cette approche kaléidoscopique de la vérité transforme la lecture en une expérience immersive où l’on partage les doutes et les questionnements des personnages. En refusant les solutions faciles et les résolutions artificielles, l’auteur élève son récit bien au-delà du simple divertissement pour proposer une œuvre qui continue de hanter le lecteur longtemps après qu’il en a tourné la dernière page.
Les échos du folklore local dans la narration
Benjamin Myers ancre profondément son récit dans les traditions et les légendes du nord de l’Angleterre, créant un dialogue fascinant entre le présent et le passé mythique de cette région. Le pub Barghest, nommé d’après une créature légendaire – un immense chien noir aux crocs acérés qui hanterait les landes du Yorkshire – témoigne de cette présence du folklore. Les illustrations de créatures mythiques qui tapissent les murs de l’établissement, des « fanfrelons » aux « trolls » en passant par les « korrigans », constituent un bestiaire fantastique qui semble surveiller les habitants de la vallée.
La péniche de Roddy Mace, baptisée le « Lièvre de mars », fait référence à une figure emblématique du folklore britannique, rappelant le personnage d’Alice au pays des merveilles mais aussi des traditions plus anciennes. L’inscription sur la poutre du bateau, attribuée à « Isobel Gowdie, 1662 » – « Je me changerai en lièvre / Avec tristesse, et émotion et grand soin / Et j’irai au nom du Diable / Lorsque je rentrerai dans mon foyer » – évoque les croyances liées à la sorcellerie et aux métamorphoses.
Les chansons folk interprétées par Jenny Thank-You et son groupe constituent un autre vecteur de transmission de ce patrimoine immatériel. La chanteuse explique à Mace qu’elle exploite « un riche filon de légendes locales » pour nourrir ses compositions, mentionnant notamment « des persécutions de prétendues sorcières » et « une série d’attaques violentes contre des femmes dans les environs d’Halifax, qui a été attribuée à un phénomène d’hystérie collective ».
L’arbre couvert de pièces que découvre Mace lors de sa promenade nocturne illustre la persistance de pratiques ancestrales dans le paysage contemporain. Ces « centaines, peut-être même des milliers de pièces de monnaie dont la tranche est insérée dans le bois tendre » évoquent les « arbres à souhaits » ou « arbres à clous », où les passants laissaient traditionnellement une offrande pour se porter chance ou soigner une maladie, créant ainsi une connexion tangible entre superstition et réalité.
La mystérieuse « fièvre de la vallée » constitue l’expression la plus originale de ce folklore local réinventé par Myers. Présentée comme une croyance transmise depuis des générations, cette influence que le lieu exercerait sur ses habitants s’inscrit dans une tradition de légendes territoriales où certains endroits sont réputés maléfiques ou dotés de pouvoirs particuliers. Cette conception animiste de l’espace, où la géographie physique détermine les comportements humains, puise aux sources les plus anciennes des mythologies britanniques.
La façon dont Myers intègre ces éléments folkloriques transcende le simple effet de couleur locale. Ces références créent une profondeur temporelle qui enracine les événements contemporains dans un continuum historique, suggérant que les drames qui se jouent aujourd’hui dans la vallée ne sont que les manifestations modernes de forces et de tensions immémoriales. Le roman devient ainsi une exploration fascinante de la manière dont les mythes anciens continuent de façonner notre compréhension du monde et de ses zones d’ombre.
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« Noir comme le jour » : une réflexion puissante sur la nature humaine
Au-delà de son intrigue captivante, « Noir comme le jour » propose une méditation profonde sur les zones d’ombre de l’âme humaine. Benjamin Myers explore avec finesse les frontières poreuses entre le bien et le mal, interrogeant notre capacité à juger les actes d’autrui. Aucun personnage n’est entièrement innocent ou coupable – tous évoluent dans un spectre moral complexe où les circonstances, l’environnement et les traumatismes personnels influencent les choix et les comportements.
Le roman soulève des questions essentielles sur le regard social porté sur les femmes. À travers les personnages de Josephine Jenks et d’Anne Knox, Myers expose les mécanismes de jugement, d’exclusion et d’objectification qui peuvent régir les relations dans une petite communauté. La façon dont ces femmes sont perçues et traitées, notamment dans les conversations à La Cafetière, révèle les dynamiques de pouvoir et les préjugés ancrés dans la société.
La thématique de la violence, qu’elle soit physique ou symbolique, traverse l’œuvre comme un fil rouge. L’auteur examine ses manifestations et ses origines avec une lucidité remarquable, montrant comment elle peut surgir de la frustration, de l’isolement ou du sentiment d’impuissance. Les agressions au couteau représentent l’expression la plus brutale d’une violence latente qui imprègne les relations humaines dans cette vallée où la nature elle-même semble parfois hostile.
Le titre même du roman, « Noir comme le jour », constitue un oxymore puissant qui reflète les paradoxes explorés tout au long du récit. Cette formulation énigmatique suggère que l’obscurité peut exister en pleine lumière, que les actes les plus sombres peuvent être commis au grand jour, et que la vérité elle-même est souvent plus complexe qu’une simple opposition entre le clair et l’obscur, le vrai et le faux.
Myers s’intéresse également aux mécanismes de résilience et de survie dans un environnement difficile. Chaque personnage développe ses propres stratégies pour faire face à l’adversité : l’alcool et l’écriture pour Mace, les routines obsessionnelles pour Brindle, la drogue pour Garner. Ces échappatoires, aussi destructrices soient-elles parfois, témoignent d’une humanité qui cherche obstinément à donner un sens à son existence malgré les épreuves.
L’œuvre de Benjamin Myers résonne avec une force particulière dans notre époque marquée par les divisions sociales et les incertitudes. En nous plongeant dans cette vallée du Yorkshire aux multiples secrets, l’auteur nous tend un miroir où se reflètent nos propres ambiguïtés, nos préjugés et nos vulnérabilités. « Noir comme le jour » s’impose ainsi comme un roman noir d’une rare profondeur, qui utilise les codes du genre pour nous offrir une exploration saisissante des abysses de la condition humaine et de notre capacité collective à affronter nos propres ténèbres.
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Extrait Première Page du livre
» 1
Une forme, avachie.
Semblable à un tas d’ordures.
À un dépôt de détritus.
Quelque chose dans cet amas accroche pourtant le regard de l’homme au moment où, ses jambes ne demandant qu’à le porter dans une direction différente, la tête pleine de fumée et de chansons, il s’en approche. L’esquisse d’un mouvement, peut-être. Un signe de vie. Un frémissement fugace. L’architecture de la nuit est toute d’angles adoucis et de halos de lampadaires quand il s’arrête pour jeter un coup d’œil.
Il pleut. On dirait qu’il pleut sans discontinuer depuis des semaines, des mois – depuis toujours, qui sait ; l’image des soirées d’été luxuriantes n’est plus qu’un lointain souvenir. Il attend, oscillant légèrement telle une anémone de mer à marée descendante, tandis que son centre de gravité, perturbé par les substances euphorisantes, se reconfigure, de même que ses sens, pour affronter cette vision déroutante. Il avance encore de quelques pas, puis pénètre dans l’obscurité bleu foncé du passage étroit avec l’impression de prendre conscience du moment présent à cet instant seulement. Comme s’il venait de se réveiller.
Il s’aperçoit alors qu’il s’agit d’une femme. Peut-être qu’elle est ivre elle aussi, qu’elle a forcé sur la dose encore plus que lui et bu toute la nuit jusqu’à l’oubli – qu’elle cuve après avoir éclusé pendant de longues heures les petits verres d’alcool fluorescent vendus une livre au bar en sous-sol de l’Attila, et qu’elle émergera secouée de hoquets bleu électrique, l’estomac rongé par la brûlure des regrets. De plus près, cependant, quand il constate qu’une de ses jambes est repliée sous son corps dans une position bizarre et l’autre tendue devant elle, il comprend qu’il y a un problème.
Elle est adossée au mur, la tête sur la poitrine, la mâchoire pendante. Le visage barré par des ombres.
Malgré tout, l’espace d’une seconde, il se dit – il espère – qu’elle n’est pas réelle, que c’est une espèce d’œuvre d’art, ou un épouvantail, ou encore un de ces pantins à taille humaine, fabriqués artisanalement chaque année pour le défilé estival où marionnettes et effigies d’animaux et de créatures mythiques sont promenées dans les rues. Voire un mannequin de vitrine, habillé puis abandonné dehors pour faire une blague à quelqu’un – pourquoi pas à lui, d’ailleurs ? Ce ne serait pas la première fois. «
- Titre : Noir comme le jour
- Titre original : These Darkening Days
- Auteur : Benjamin Myers
- Éditeur : Éditions du Seuil
- Nationalité : Royaume-Uni
- Date de sortie en France : 2020
- Date de sortie en Royaume-Uni : 2017
Page Officielle : www.benjaminmyerswriter.com
Résumé
Une petite ville post-industrielle au fin fond de la vallée des Pennines en Angleterre, où se côtoient vieilles générations, gardiennes des coutumes, secrets et légendes folkloriques du coin, et jeunes milléniaux post-hippies, adeptes du retour à la nature, venus embrasser un mode de vie alternatif.
Dans une ruelle, on retrouve le corps inanimé d’une femme, la gorge tailladée d’une oreille à l’autre. Qui pouvait en vouloir à Josephine Jenks, ancienne gloire locale du cinéma X ? Son passé pathétique et sulfureux ne va pas tarder à aviver la curiosité malsaine des médias. d’autant que son agression n’est que la première d’une longue série…
L’automne arrive, les jours s’assombrissent, et bientôt la région tout entière se retrouve en proie à une étrange fièvre collective.
Tony Garner, « l’idiot du village » à la réputation violente, reclus et ostracisé, cible de toutes les moqueries, ferait un coupable idéal. Mais le journaliste Roddy Mace, installé dans une péniche et bien résolu à ne pas se laisser rattraper par ses vieux démons (l’alcool et le stupre), ne croit pas à cette théorie, trop facile. L’inspecteur James Brindle, en retraite forcée depuis le fiasco de sa dernière enquête, est lui aussi persuadé qu’il ne s’agit pas d’un fait divers comme les autres, et que le « serial killer » qui excite et terrorise tout le monde n’est pas celui qu’on croit.
Inspiré d’événements réels qui ont traumatisé le West Yorkshire dans les années 1930, Noir comme le jour sonde avec une remarquable finesse l’esprit de notre époque déroutée, hystérique et paranoïaque.

Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis une soixantaine d’années, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.