Gianni Biondillo : portrait d’un auteur italien contemporain
Gianni Biondillo est un écrivain italien né en 1966 à Milan. Architecte de formation, il se consacre désormais pleinement à l’écriture et s’est imposé comme une voix marquante du polar transalpin. Son œuvre, ancrée dans la réalité sociale et politique de l’Italie d’aujourd’hui, se distingue par la finesse de son regard et la justesse de son analyse.
Profondément attaché à sa ville natale, Biondillo en fait le théâtre privilégié de ses intrigues. Milan n’est pas un simple décor mais un véritable personnage, dont il explore les multiples facettes, des quartiers populaires aux artères huppées. L’auteur porte une attention particulière aux mutations urbaines et sociologiques qui transforment la cité lombarde.
L’écriture de Gianni Biondillo se caractérise par un style incisif, un rythme soutenu et des dialogues ciselés. Ses romans, s’ils s’inscrivent dans la tradition du polar, s’en affranchissent aussi par leur ambition littéraire et leur volonté de sonder les tourments de l’âme humaine. Les personnages, toujours finement dessinés, sont souvent en proie à des questionnements existentiels qui donnent à ses intrigues une profondeur singulière.
Publié en Italie en 2011, « Le matériel du tueur » confirme le talent de cet auteur en pleine maturité. Biondillo y orchestre un récit foisonnant, tissant les destins de ses protagonistes sur plusieurs décennies. Véritable plongée dans les heures sombres de l’Italie contemporaine, ce roman ambitieux révèle une fois encore la maestria d’un écrivain exigeant, soucieux de dépeindre les failles d’une société gangrenée par le crime et la corruption.
Figure incontournable du néo-polar italien, aux côtés de Massimo Carlotto ou de Marcello Fois, Gianni Biondillo s’affirme, avec « Le matériel du tueur », comme un narrateur aguerri, capable de conjuguer la puissance d’une intrigue tendue et la finesse d’une écriture ciselée. Un roman ample et poignant qui confirme son statut d’auteur majeur dans le paysage littéraire transalpin.
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Les personnages principaux et leur évolution au fil du récit
« Le matériel du tueur » met en scène une galerie de personnages aussi complexes qu’attachants, dont les destins s’entremêlent au fil d’une intrigue savamment orchestrée. Au cœur du récit, on retrouve l’inspecteur Michele Ferraro, un flic désabusé mais tenace, profondément marqué par son enfance dans les quartiers populaires de Milan. Tout au long du roman, Ferraro se confronte à ses propres démons, tiraillé entre son sens du devoir et les doutes qui l’assaillent.
À ses côtés, son fidèle coéquipier Comaschi incarne une figure de policier intègre et loyal, dont la présence rassurante permet à Ferraro de garder pied dans les moments les plus sombres de l’enquête. Leur complicité, faite d’humour et de non-dits, est l’un des points forts du roman, apportant une touche d’humanité dans un univers souvent brutal.
Parmi les autres protagonistes, la commissaire Elena Rinaldi, à la tête du Service central opérationnel, impressionne par sa détermination et sa ténacité. Femme de pouvoir dans un monde d’hommes, elle se révèle aussi fragile qu’implacable, hantée par un passé douloureux qui ne cesse de la rattraper. Sa relation ambiguë avec Ferraro, faite d’attirance et de rivalité, ajoute encore à la complexité de ce personnage fascinant.
Mais c’est peut-être à travers les figures secondaires que le talent de Biondillo se déploie avec le plus d’acuité. Qu’il s’agisse de Don Stefano, le prêtre engagé qui tente de sauver les âmes perdues, de Tête de Chien, le détenu qui règne sur la prison, ou encore de Zahra, la mystérieuse complice du tueur, chaque personnage est ciselé avec une précision d’orfèvre, doté d’une épaisseur psychologique qui en fait bien plus que de simples faire-valoir.
Au fil des chapitres, ces êtres de papier prennent vie sous la plume de Biondillo, révélant leurs failles et leurs contradictions. Confrontés à des choix impossibles, ils évoluent et se transforment, pour le meilleur ou pour le pire. C’est cette humanité vibrante, cette attention portée aux détails qui font de « Le matériel du tueur » bien plus qu’un simple polar : une fresque sociale et intime, un portrait sans concession d’une Italie à la dérive, où les destins individuels se heurtent à la grande Histoire.
La construction narrative : une intrigue à plusieurs niveaux
L’un des aspects les plus remarquables de « Le matériel du tueur » réside dans sa construction narrative singulière. Gianni Biondillo tisse une intrigue complexe, qui se déploie sur plusieurs niveaux, entremêlant les époques et les points de vue pour offrir au lecteur une expérience immersive et déroutante.
Le récit alterne ainsi entre différentes temporalités, naviguant de l’enquête présente menée par Ferraro et son équipe aux flashbacks éclairant le passé trouble du tueur Haile. Cette structure non linéaire permet à l’auteur de distiller les informations au compte-gouttes, maintenant une tension constante tout en dévoilant progressivement les ressorts psychologiques des personnages.
Biondillo joue également sur les changements de focalisation, adoptant tour à tour le regard de ses différents protagonistes. Cette multiplicité des points de vue offre une vision kaléidoscopique de l’intrigue, révélant les motivations et les failles de chacun. Le lecteur, plongé au cœur de cette mosaïque narrative, doit sans cesse réévaluer ses certitudes et ses hypothèses.
Mais cette fragmentation du récit n’est jamais gratuite : elle répond à une véritable intention littéraire, celle de sonder la complexité de l’âme humaine et de dépeindre une réalité sociale et politique où rien n’est tout noir ou tout blanc. En entrecroisant les destins individuels et les enjeux collectifs, Biondillo donne à voir les rouages d’un système gangrené par la corruption et la violence.
Cette maîtrise de la construction narrative, alliée à un sens aigu du suspense, fait de « Le matériel du tueur » un page-turner haletant, qui tient le lecteur en haleine jusqu’à la dernière page. Mais au-delà de son efficacité thriller, le roman impressionne par sa capacité à tisser des liens entre les époques et les personnages, à faire écho aux traumatismes enfouis et aux blessures invisibles.
Véritable défi pour le lecteur, habitué aux intrigues linéaires du polar traditionnel, cette architecture audacieuse confirme le talent de Biondillo et son ambition de renouveler les codes du genre. « Le matériel du tueur » se dévore ainsi comme un puzzle géant, dont chaque pièce, savamment ciselée, vient s’imbriquer pour former une fresque aussi sombre que passionnante.
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Le miroir d’une Italie en mutation : Milan, cœur battant du roman de Biondillo
Dans « Le matériel du tueur », Milan n’est pas un simple décor, mais un véritable protagoniste qui imprègne chaque page du roman. Gianni Biondillo, en fin connaisseur de sa ville natale, dresse le portrait d’une cité complexe et fascinante, loin des clichés touristiques et des représentations glamour.
Au fil des chapitres, le lecteur est entraîné dans une déambulation urbaine qui révèle les multiples visages de la capitale lombarde. Des quartiers populaires de la périphérie aux artères huppées du centre-ville, Biondillo explore les contrastes et les tensions qui façonnent l’identité milanaise. Avec un sens du détail quasi-anthropologique, il s’attache à restituer l’atmosphère singulière de chaque lieu, des odeurs qui flottent dans les rues aux conversations saisies au vol dans les bars.
Mais Milan n’est pas seulement un espace géographique : c’est aussi un personnage à part entière, qui influence le cours de l’intrigue et le destin des protagonistes. La ville est le théâtre des drames intimes et des enjeux collectifs, le creuset où se heurtent les ambitions et les désillusions. Elle façonne les caractères, imprime sa marque sur les corps et les esprits, comme un organisme vivant qui ne cesse de se métamorphoser.
Car Biondillo ne se contente pas de dépeindre une carte postale figée : il capte les mutations qui transforment la cité lombarde, les chantiers qui surgissent au détour d’une rue, les gratte-ciels rutilants qui redessinent le paysage urbain. Milan apparaît ainsi comme une ville en perpétuel devenir, tiraillée entre son passé industriel et ses rêves de grandeur, entre ses traditions séculaires et sa soif de modernité.
Loin de tout folklore, le Milan de Biondillo est un miroir tendu à l’Italie contemporaine, un concentré de ses espoirs et de ses contradictions. À travers le prisme de la ville, l’auteur explore les maux qui rongent la société italienne : la corruption endémique, les inégalités sociales, le poids des héritages familiaux et historiques. Milan devient alors le symbole d’un pays en quête de repères, d’une identité à réinventer dans un monde en plein bouleversement.
Avec « Le matériel du tueur », Gianni Biondillo signe une véritable déclaration d’amour à sa ville, un hommage vibrant à cette « dame sans camélias » qui ne cesse de fasciner et de tourmenter ses habitants. Tout au long du récit, Milan s’impose comme une présence obsédante, un personnage insaisissable et envoûtant qui happe le lecteur jusqu’à la dernière page. Une plongée captivante dans les entrailles d’une cité aussi séduisante que dangereuse.
Le roman policier revisité : réalisme social et critique politique
Avec « Le matériel du tueur », Gianni Biondillo propose une relecture singulière du roman policier, qui dépasse les codes traditionnels du genre pour embrasser une ambition littéraire et politique. Si l’intrigue conserve les ingrédients du polar – un meurtre, une enquête, des suspects – elle devient surtout prétexte à une exploration sans concession de la société italienne contemporaine.
Loin de se cantonner à une simple mécanique de résolution d’énigme, Biondillo ancre son récit dans un réalisme social saisissant. Chaque scène, chaque dialogue semble saisi sur le vif, restitué avec une précision quasi-documentaire. L’auteur porte une attention particulière aux détails du quotidien, aux petits riens qui font le sel de l’existence : les rituels du café matinal, les conversations de bistrot, les silences embarrassés dans un ascenseur.
Mais ce réalisme n’est pas qu’un effet de style : il traduit une volonté de sonder les rouages d’une société en crise, minée par les inégalités et la corruption. À travers le prisme de l’enquête policière, Biondillo dresse un état des lieux implacable de l’Italie d’aujourd’hui, de ses dérives mafieuses à ses scandales politiques en passant par la précarisation croissante des classes populaires. Le polar devient alors un formidable outil de critique sociale, un révélateur des dysfonctionnements et des injustices qui gangrènent le pays.
Cette dimension politique est portée par des personnages à la complexité troublante, bien loin des archétypes manichéens du polar traditionnel. Flics et voyous, hommes de pouvoir et laissés-pour-compte : tous sont pris dans les mailles d’un système qui les dépasse, contraints à des compromissions dont ils mesurent le prix. Biondillo excelle à sonder les zones grises de l’âme humaine, les choix impossibles auxquels sont confrontés ses protagonistes dans un monde où la frontière entre le bien et le mal ne cesse de se brouiller.
Mais cette noirceur n’est jamais gratuite ou complaisante : elle s’accompagne toujours d’une profonde empathie pour les destins individuels, d’une attention aux fêlures intimes et aux blessures secrètes. C’est cette humanité vibrante qui donne au roman sa force et son universalité, bien au-delà du simple constat désenchanté.
Véritable renouvellement du genre, « Le matériel du tueur » prouve que le polar peut être un formidable vecteur de prise de conscience, un miroir sans concession tendu à nos sociétés en perte de repères. En conjuguant la puissance d’une intrigue haletante et la finesse d’une écriture ciselée, Gianni Biondillo signe un roman coup de poing, qui interroge notre rapport au monde et à ses injustices. Une lecture aussi passionnante que nécessaire, qui confirme le talent d’un auteur engagé et exigeant.
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L’Italie contemporaine et ses maux au cœur de l’intrigue
Véritable radiographie de l’Italie du XXIe siècle, « Le matériel du tueur » plonge le lecteur au cœur d’un pays en proie à de profonds bouleversements. Au fil des pages, Gianni Biondillo dresse un portrait sans concession d’une société minée par la corruption, les inégalités et la montée de l’extrémisme, faisant de son intrigue policière le révélateur des maux qui rongent la péninsule.
L’un des thèmes centraux du roman est sans nul doute la question de la mafia et de son emprise tentaculaire sur les rouages de l’État. À travers les destins croisés de ses personnages, Biondillo met en lumière les connivences troubles entre le pouvoir politique et les organisations criminelles, dévoilant un système gangrené jusqu’à la moelle. Des marchés publics truqués aux assassinats commandités, l’auteur explore les arcanes d’une Italie souterraine, où les intérêts mafieux dictent leur loi en toute impunité.
Mais cette corruption endémique n’est que la face émergée d’un mal plus profond, celui des inégalités sociales et de la précarisation croissante des classes populaires. Avec un sens aigu du détail, Biondillo capte les frustrations et les colères qui grondent dans les périphéries déshéritées, les rêves brisés d’une jeunesse sans avenir, condamnée à survivre dans les marges d’une société toujours plus polarisée. Le roman se fait alors miroir d’une Italie à deux vitesses, où la violence apparaît comme l’ultime recours face à l’injustice et à l’exclusion.
Cette atmosphère de désenchantement trouve son expression la plus troublante dans la montée des extrémismes et la résurgence des vieux démons du fascisme. Tout au long du récit, Biondillo met en scène les dérives identitaires et les tentations autoritaires qui menacent la démocratie italienne, des groupuscules néo-nazis aux discours xénophobes relayés par certains médias. Une inquiétante descente aux enfers qui résonne comme un avertissement, un appel à la vigilance face aux périls qui guettent la société transalpine.
Mais le tableau n’est pas entièrement noir : en filigrane se dessine aussi une Italie qui résiste, portée par des figures d’humanité et d’engagement. Qu’il s’agisse de Don Stefano, le prêtre des quartiers populaires, ou de la commissaire Elena Rinaldi, ces personnages incarnent une forme d’espoir, la possibilité d’un sursaut éthique face à la déliquescence ambiante. Une lueur dans la nuit qui invite à ne pas céder au fatalisme et à l’inertie.
Vaste fresque sociale et politique, « Le matériel du tueur » offre une plongée saisissante dans les tourments de l’Italie contemporaine. Par la grâce d’une écriture incisive et d’une construction narrative virtuose, Gianni Biondillo transforme le polar en un formidable outil d’analyse et de compréhension du réel. Un roman essentiel pour saisir les enjeux et les défis d’un pays en quête de repères, à l’heure où les démocraties vacillent sous les coups de boutoir du populisme et de la violence.
Le poids du passé : souvenirs d’enfance et traumatismes
Au cœur de l’intrigue minutieusement orchestrée par Gianni Biondillo, les souvenirs d’enfance et les traumatismes anciens occupent une place prépondérante, comme autant de clés pour comprendre les tourments intérieurs des personnages. De l’inspecteur Ferraro au tueur Haile en passant par la mystérieuse Zahra, chacun semble hanté par un passé douloureux qui ne cesse de resurgir, tel un fantôme obsédant.
C’est sans doute avec le personnage de Michele Ferraro que cette thématique est la plus prégnante. Tout au long du récit, le lecteur plonge dans les réminiscences du policier, marqué à jamais par son enfance dans les quartiers populaires de Milan. Entre les souvenirs lumineux des parties de foot avec ses amis et les épisodes plus sombres de violence et de délinquance, Ferraro se débat avec les démons de sa jeunesse, tiraillé entre la fidélité à ses origines et la volonté de s’en émanciper. Une déchirure intime qui façonne son regard sur le monde et sa manière d’appréhender son métier.
Mais c’est peut-être avec le personnage de Haile que le poids des traumatismes se fait le plus écrasant. Ancien enfant-soldat, le tueur porte en lui les stigmates d’une jeunesse volée, passée à combattre dans les guerres civiles qui ont déchiré l’Afrique. Au fil des chapitres, Biondillo explore avec une finesse psychologique remarquable les méandres de cet esprit brisé, les blessures invisibles qui conditionnent chacun de ses actes. Une plongée vertigineuse dans les abysses de l’âme humaine, qui interroge les racines de la violence et la possibilité de la rédemption.
Quant à Zahra, la jeune Érythréenne qui accompagne Haile dans sa cavale, elle incarne à sa manière la résilience face au traumatisme. Rescapée d’un massacre qui a décimé son village, elle porte sur son corps les marques indélébiles de la barbarie, comme autant de témoignages d’une innocence sacrifiée. Mais loin de sombrer dans le désespoir, elle trouve dans l’amour et la loyauté la force de se reconstruire, de tracer son propre chemin loin des déterminismes et des fatalités.
En faisant des souvenirs d’enfance et des traumatismes anciens le terreau de son intrigue, Gianni Biondillo donne à son roman une profondeur psychologique et une résonance intime qui transcendent le simple récit policier. Chaque personnage devient le reflet d’une humanité blessée, le miroir de nos propres fêlures et de nos propres combats. Une manière de rappeler que les drames intimes sont souvent le fruit de l’Histoire collective, que les destins individuels s’inscrivent dans le grand roman des peuples et des nations.
Véritable plongée dans les tréfonds de l’âme humaine, « Le matériel du tueur » explore avec une acuité troublante le poids des héritages et la difficulté à se libérer des chaînes du passé. Par la grâce d’une écriture ciselée et d’une construction narrative virtuose, Biondillo transforme le polar en une méditation existentielle sur la part d’ombre qui habite chacun d’entre nous. Un voyage intérieur d’une rare intensité, qui interroge notre rapport à la mémoire et notre capacité à surmonter les épreuves les plus douloureuses.
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Une réflexion sur le Bien, le Mal et la part d’ombre en chacun
Au-delà de son intrigue policière haletante, « Le matériel du tueur » se présente comme une profonde méditation sur la nature humaine, explorant avec une acuité troublante les notions de Bien et de Mal. Tout au long du récit, Gianni Biondillo interroge la frontière ténue qui sépare ces deux absolus, mettant en lumière la complexité morale de ses personnages et la part d’ombre qui sommeille en chacun d’eux.
Loin des manichéismes simplistes, l’auteur s’attache à sonder les zones grises de l’âme humaine, ces espaces troubles où s’entremêlent les pulsions les plus nobles et les plus viles. Des flics intègres aux voyous sans scrupules, nul n’échappe à cette ambivalence fondamentale, à cette dualité inhérente à la condition humaine. Biondillo excelle à dépeindre ces personnages en proie au doute, écartelés entre leur sens du devoir et leurs démons intérieurs, contraints à des choix impossibles dans un monde où les repères éthiques ne cessent de se brouiller.
C’est sans doute avec le personnage de Haile que cette réflexion atteint son paroxysme. Figure insaisissable et fascinante, le tueur incarne à lui seul toute la complexité de l’être humain, oscillant sans cesse entre la lumière et les ténèbres. Victime devenue bourreau, enfant-soldat métamorphosé en machine à tuer, il porte en lui les stigmates d’une humanité brisée, les blessures invisibles d’une innocence sacrifiée sur l’autel de la barbarie. Mais loin de tout manichéisme, Biondillo explore avec une finesse psychologique remarquable les tourments intérieurs de cet être en souffrance, ses tentatives désespérées pour échapper à sa condition et trouver une forme de rédemption.
Car c’est bien la question de la rédemption qui est au cœur de ce roman-miroir. En sondant la noirceur de l’âme humaine, Biondillo n’invite pas au fatalisme ou au désespoir, mais à une forme d’espérance lucide. À travers les destins croisés de ses personnages, il dessine la possibilité d’un rachat, d’un sursaut éthique face aux ténèbres qui nous habitent. Une lueur dans la nuit qui rappelle que l’homme n’est jamais entièrement déterminé par son passé ou ses pulsions, qu’il conserve toujours, envers et contre tout, une part de liberté et de choix.
Véritable plongée dans les abysses de la psyché humaine, « Le matériel du tueur » nous confronte à notre propre ambivalence, à cette part d’ombre tapie en chacun de nous. Par la grâce d’une écriture incisive et d’une construction narrative virtuose, Gianni Biondillo transforme le polar en une puissante réflexion philosophique et morale. Une invitation à interroger notre rapport au Bien et au Mal, à assumer la complexité de notre condition sans sombrer dans le nihilisme ou le cynisme.
Ainsi, bien plus qu’un simple divertissement, ce roman s’impose comme une expérience existentielle d’une rare intensité, un voyage intérieur aux confins de l’âme humaine. Une lecture exigeante et nécessaire, qui nous pousse à affronter nos propres démons et à questionner sans relâche notre humanité.
Un style incisif, un regard acéré sur la société
Ce qui frappe d’emblée à la lecture du « Matériel du tueur », c’est l’incroyable maîtrise stylistique de Gianni Biondillo. Loin des fioritures ou des effets de manche, l’auteur milanais déploie une écriture incisive et nerveuse, qui semble épouser le rythme effréné de l’intrigue. Chaque phrase, chaque paragraphe est ciselé avec une précision d’orfèvre, comme autant de coups de scalpel qui disséqueraient le réel pour en révéler les rouages secrets.
Cette écriture chirurgicale se met au service d’un regard d’une acuité redoutable sur la société italienne contemporaine. Avec une minutie quasi-entomologique, Biondillo ausculte les travers et les dérives de son époque, des connivences mafieuses aux ravages de la crise économique en passant par la montée des populismes. Nul domaine n’échappe à son œil acéré, à cette radiographie impitoyable d’un pays en proie au doute et au désenchantement.
Mais ce constat lucide ne verse jamais dans le misérabilisme ou la complaisance. Biondillo excelle au contraire à débusquer la poésie tapie dans le quotidien, à traquer la beauté secrète des âmes et des choses. Ses descriptions de Milan, entre réalisme cru et lyrisme des matières, restituent toute l’âpreté et la grâce d’une ville en perpétuelle mutation. De même, ses dialogues ciselés, d’une justesse et d’une força saisissantes, donnent à entendre la voix rauque d’une humanité cabossée mais toujours vibrante.
Car c’est bien d’humanité dont il est question dans ce roman noir et lumineux. Par-delà la noirceur du propos et la violence des situations, Biondillo n’a de cesse de traquer l’étincelle de vie qui persiste au cœur des ténèbres. Ses personnages, du plus misérable au plus flamboyant, sont tous habités d’une complexité et d’une épaisseur qui les rendent terriblement attachants. Flics désabusés, malfrats tourmentés, figures de l’ombre et soldats perdus : tous portent en eux une fêlure secrète, une blessure intime qui les rend bouleversants de vérité.
Ainsi, par la grâce d’un style aussi sensuel que clinique, d’une écriture tour à tour charnelle et cérébrale, Gianni Biondillo signe avec « Le matériel du tueur » bien plus qu’un polar : une véritable fresque humaniste et sociale, un grand roman de la désillusion et de l’espérance. Une œuvre à la beauté convulsive, miroir sans fard de notre époque et de ses tourments, qui interroge sans relâche notre rapport au monde et à ses violences.
Le lecteur ressort de ce voyage au bout de la nuit transfiguré, hanté durablement par la puissance d’une écriture et d’une vision. Biondillo s’impose définitivement comme un immense écrivain, passé maître dans l’art de scruter les âmes et les consciences, de sonder les plaies d’une société à la dérive sans jamais perdre de vue la quête obstinée de la lumière.
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« Le matériel du tueur » : un polar italien noir et ambitieux
Avec « Le matériel du tueur », Gianni Biondillo livre un roman policier d’une noirceur et d’une ambition rares, qui vient confirmer sa place de choix au sein du polar transalpin contemporain. Loin de se cantonner aux codes éculés du genre, l’auteur milanais propose une œuvre protéiforme et exigeante, qui entremêle avec virtuosité les fils de l’intrigue et les questionnements existentiels.
Au cœur de ce maelström narratif, une enquête à hauteur d’homme et de société. En suivant les pas de l’inspecteur Ferraro, c’est toute l’Italie contemporaine que Biondillo passe au crible, des arcanes du pouvoir aux bas-fonds de la pègre en passant par les tourments intimes de chacun. Une plongée dans les eaux troubles du réel, qui n’a pas peur de se frotter à la complexité du monde et des êtres, de traquer la noirceur tapie au cœur du quotidien.
Mais le roman ne se résume pas à cette radiographie sans concession. Il est aussi un grand récit d’apprentissage et de filiation, qui explore avec une finesse psychologique rare les blessures de l’enfance et le poids des héritages. De Michele Ferraro à Zahra la combattante, de Don Stefano le père courage à Haile le soldat perdu, chaque personnage se débat avec ses démons et ses secrets, tentant vaille que vaille de tracer sa route dans un monde qui n’offre plus de repères.
Car c’est bien d’humanité dont il est question dans ce polar crépusculaire. Par-delà la violence des situations et la noirceur de l’intrigue, Biondillo n’a de cesse de traquer la lueur vacillante au fond des ténèbres, l’étincelle de vie qui persiste envers et contre tout. Ses personnages, tout entiers pétris de doutes et de contradictions, n’en finissent pas de nous bouleverser par leur vérité et leur soif éperdue de sens et de justice.
Servi par une écriture incisive et puissamment évocatrice, « Le matériel du tueur » s’impose comme une œuvre à la beauté convulsive, qui vient bousculer les frontières du polar pour embrasser une ambition romanesque et métaphysique. Un récit labyrinthique et vertigineux, qui happe le lecteur jusqu’à la lie et le laisse durablement ébranlé, habité par la puissance d’une vision et d’un style.
Avec ce roman coup de poing, Gianni Biondillo confirme son statut d’écrivain majeur, passé maître dans l’art d’ausculter les tourments d’une époque sans jamais perdre de vue la quête éperdue de l’humain. Une œuvre ardente et profonde qui érige le polar au rang de la grande littérature, rappelant avec force que le genre n’a décidément pas fini d’explorer les zones d’ombre de nos sociétés et de nos âmes.
Mots-clés : Polar noir, Milan, Corruption, Ambition littéraire, Italie contemporaine
Extrait Première Page du livre
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1
La brume, la brume, cristaux de glace suspendus, nuage pédestre, la brume qui monte, petite pluie fine, orgeat opalin qui cache les choses lointaines, halo blanchâtre, pâle, diffuseur laiteux d’abstraites réminiscences lunaires, la brume dure, presque, solide, trempée, des millions de gouttelettes dansantes, qui estompent, émoussent, amortissent l’ouïe, la brume qui presse, qui étouffe les chuchotements, capitonne les pas, fait taire les chiens, se couche sur la plaine, la brume, drap de coton étendu, voûte de voile, coupole de fumée, vapeur, brouillard, la brume, celle des contes de fées, mystérieuse, menteuse, domestique, la brume des rêves, celle que les enfants de Milan n’ont jamais vue, mur d’ouate, rideau de théâtre, haleine de la terre, la brume qui presse dans le cadre en damier de la fenêtre, qui voudrait se précipiter, gicler, entrer dans l’obscurité de la cellule, se répandre, glace sèche, fumigène, la brume qui enfin se retient, pudique, effrayée par les hurlements de détresse qui résonnent dans le noir profond, la brume qui se fait vague lueur, verre gravé, qui se retire, retourne dans le monde, et, vaincue, quitte les cris et les gargouillis de sang éructés par les mâchoires épuisées de l’homme, écroulé sur la civière, à un pas de la mort. Peut-être.
2
Effondré sur le fauteuil déchiré, en attendant la fin de son service de nuit, le gardien de prison ne prêta pas tout de suite attention aux hurlements dans la deuxième unité. Il serrait et manipulait avec fougue son engin entre ses jambes, dans une masturbation furieuse face aux mises à jour continues de YouPorn qu’il gardait ouvertes sur plusieurs fenêtres ; dès que celle de la blonde en levrette, servile comme les femmes devraient l’être (vu que la parité des sexes est une connerie de notre époque), plantait, il passait, d’une légère pression sur le touchpad, à la quinquagénaire couguar en train de sucer l’ami de son fils, si ce n’était pas carrément son fils. C’est du moins ce qu’on devinait d’après la présentation de la vidéo, étant donné qu’elle était en anglais (alors que les deux personnages semblaient ukrainiens), et comme dans la maigre rémunération de l’administration le cours intensif d’anglais par correspondance n’était pas compris, peu lui importait de découvrir les degrés de parenté et les éventuels arbres généalogiques incestueux de ces corps exposés pour son plaisir privé. «
- Titre : Le matériel du tueur
- Titre original : I materiali del killer
- Auteur : Gianni Biondillo
- Éditeur : Métaillé
- Nationalité : Italie
- Date de sortie : 2013
Page Facebook : www.facebook.com/giannibiondillo
Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis une soixantaine d’années, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.
Vous me donnez l’envie de lire ce roman à découvrir Milan avec certains quartiers a voir la vraie vie entre Mafia délinquants personnes ordinaires , connaitre les démons qui perturbe la commissaire et ceux de Zahra et Haile , la corruption sur l’Italie l’extrait de la première page excellent .
Merci
Merci pour votre enthousiasme ! Vous avez parfaitement saisi l’essence du roman de Gianni Biondillo. Le Matériel du tueur offre en effet un portrait captivant de Milan, loin des clichés touristiques, où l’on découvre les subtilités d’une ville vibrante, mais aussi ses ombres. Les personnages comme le commissaire, Zahra, et Haile sont profondément humains, avec leurs forces et leurs failles, et donnent une dimension émotionnelle forte à l’histoire. Si l’extrait de la première page vous a déjà conquis, je suis sûr que le reste du roman saura vous transporter. Bonne lecture et n’hésitez pas à revenir partager vos impressions ! 😊