Un thriller psychologique dans les montagnes obscures
« Les Enfants Loups » de Vera Buck nous plonge dans l’atmosphère oppressante d’un hameau isolé niché au cœur des Alpes. Dès les premières pages, l’autrice installe un climat de tension qui ne se dissipera jamais totalement. L’isolement géographique reflète parfaitement l’isolement psychologique des personnages, créant ainsi un huis clos à ciel ouvert où chacun porte un masque.
La force du roman réside dans sa capacité à combiner habilement les codes du thriller et du roman noir avec une exploration psychologique fine des personnages. Buck parvient à créer un univers où le danger semble omniprésent, tapi dans l’ombre des sapins et des falaises escarpées. L’intrigue se déploie avec une lenteur calculée, laissant le lecteur s’imprégner de cet environnement hostile.
Ce qui frappe dans l’écriture de Vera Buck, c’est sa maîtrise du rythme narratif qui s’accorde parfaitement avec la montée progressive de l’angoisse. Les disparitions mystérieuses qui marquent le récit servent de catalyseur à une tension sous-jacente qui imprègne la communauté depuis des années. L’autrice joue avec nos nerfs en distillant indices et fausses pistes.
La brume qui enveloppe souvent les sommets trouve son reflet dans le flou des identités et la confusion morale des protagonistes. Buck questionne la notion même de vérité à travers des personnages qui mentent aux autres autant qu’à eux-mêmes. Les ombres s’allongent dans ce paysage montagneux tout comme les secrets s’étirent dans le temps et la mémoire collective.
À travers cette œuvre, l’autrice revisite le mythe du village maudit avec une remarquable contemporanéité. Elle parvient à exploiter les peurs ancestrales liées à la wilderness – ces territoires sauvages – tout en les ancrant dans des problématiques actuelles comme l’isolement social et la défiance envers l’étranger. La forêt dense devient le théâtre d’une sauvagerie qui n’est que le reflet de celle des hommes.
L’atmosphère glaciale qui imprègne le récit ne tient pas uniquement au cadre géographique. Les silences pesants entre les personnages, les regards qui se détournent et les non-dits créent une froideur relationnelle plus mordante encore que le vent qui balaye les cimes. Le véritable tour de force de Vera Buck est de transformer ce thriller en une profonde étude des mécanismes de la peur et de l’emprise.
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Des voix multiples : la structure narrative de « Les Enfants Loups »
La construction narrative de « Les Enfants Loups » constitue l’une des grandes réussites du roman. Vera Buck fait le choix audacieux d’une narration polyphonique, où différents personnages prennent tour à tour la parole pour témoigner de leur expérience. Ce kaléidoscope de voix permet d’appréhender la réalité sous des angles multiples, chaque protagoniste apportant sa vision subjective des événements et son interprétation des faits.
Les chapitres alternent ainsi entre plusieurs narrateurs aux personnalités contrastées : Smilla, Jesse, Edith, Rebekka, Laura et quelques autres. Cette structure fragmentée reflète parfaitement la fragmentation du récit et des vérités dans l’univers du roman. L’autrice jongle avec virtuosité entre ces différentes perspectives, créant un puzzle narratif dont les pièces s’assemblent progressivement dans l’esprit du lecteur.
Particulièrement saisissant est le contraste entre la voix de Smilla, hantée par la disparition de son amie Juli, et celle d’Edith, enfant sauvage dont la perception du monde est aussi fascinante qu’inquiétante. Buck parvient à adopter pour chaque personnage un ton spécifique, reconnaissable, qui traduit sa psychologie profonde et sa place dans la communauté de Jakobsleiter ou d’Almenen.
Cette structure chorale permet également une gestion magistrale du suspense. En dissimulant certaines informations à certains narrateurs tout en les révélant à d’autres, Buck crée un jeu subtil de savoir et d’ignorance qui maintient le lecteur en haleine. Les événements sont ainsi éclairés sous différents angles, souvent contradictoires, brouillant les frontières entre vérité et mensonge.
Le roman se développe comme une partition musicale où chaque voix constitue un instrument unique contribuant à l’harmonie – ou à la dissonance – de l’ensemble. Les chapitres se répondent, se complètent, parfois se contredisent, créant une texture narrative riche et complexe. Cette structure reflète aussi la nature même de la communauté dépeinte : un ensemble d’individualités fortes coexistant dans un équilibre précaire.
Ce tissage narratif constitue bien plus qu’un simple artifice littéraire dans « Les Enfants Loups ». Il incarne la thématique centrale du roman : l’impossibilité d’accéder à une vérité unique et objective. À travers ces voix multiples qui s’entremêlent, Vera Buck nous rappelle que notre perception de la réalité est toujours subjective, filtrée par nos expériences, nos peurs et nos désirs – une leçon d’humilité face à notre prétention à connaître la vérité absolue.
Le hameau de Jakobsleiter : un microcosme mystérieux et inquiétant
Au cœur du roman se dresse Jakobsleiter, hameau isolé perché dans les montagnes, véritable personnage à part entière de l’œuvre de Vera Buck. Ce lieu clos, presque coupé du monde moderne, constitue un microcosme régi par ses propres lois et traditions. L’autrice dépeint avec une minutie remarquable cet espace à la fois refuge et prison, où les cabanes aux fenêtres étroites « comme des meurtrières » semblent se recroqueviller contre la montagne, à l’image de leurs habitants.
La description physique du hameau traduit parfaitement son caractère ambigu. Positionné stratégiquement à flanc de montagne, Jakobsleiter offre à ses habitants une vision surplombante du monde extérieur tout en demeurant invisible depuis la vallée. Cette configuration géographique symbolise la relation paradoxale que la communauté entretient avec le reste du monde : observer sans être vu, connaître sans s’exposer.
L’antenne de télécommunication récemment installée, qui domine désormais la chapelle du hameau, cristallise les tensions entre tradition et modernité, isolement et connexion. Ce corps étranger technologique devient le catalyseur des peurs et des résistances d’une communauté qui se définit précisément par son rejet du monde extérieur. Vera Buck utilise brillamment cet élément pour matérialiser la menace d’intrusion que ressent Jakobsleiter.
La dimension religieuse du hameau, suggérée par son nom même – l’échelle de Jacob biblique – ajoute une couche supplémentaire à ce microcosme. La présence d’un prêtre aux sermons apocalyptiques, la chapelle et les rituels communautaires dessinent les contours d’une spiritualité dévoyée, où la foi semble moins servir l’élévation de l’âme que la justification d’un repli identitaire et d’un contrôle social implacable.
Les relations entre les habitants de Jakobsleiter reflètent la complexité de cet environnement claustrophobe. Les non-dits, les regards en coin, les silences pesants traduisent un climat de méfiance généralisée. Pourtant, une forme de solidarité existe, née moins de l’affection mutuelle que de la nécessité de survie dans cet environnement hostile et de la conscience d’un destin commun, d’un secret partagé.
Ce hameau fonctionne comme une métaphore puissante de tous les espaces clos où se développent des dynamiques toxiques. L’isolement géographique ne fait que refléter un isolement plus profond, celui des consciences enfermées dans leurs propres mensonges. Vera Buck parvient à transcender le simple décor pour faire de Jakobsleiter un laboratoire social où s’observent, comme à travers une loupe, les mécanismes universels de l’exclusion, de la peur de l’autre et de la fabrication des mythes collectifs.

Les personnages et leurs secrets : une toile complexe de relations
« Les Enfants Loups » déploie une galerie de personnages mémorables, chacun dissimulant des secrets qui tissent entre eux une toile d’une remarquable complexité. Jesse, l’adolescent sensible et observateur, se retrouve tiraillé entre sa loyauté envers sa communauté et ses interrogations grandissantes face aux non-dits et aux mensonges qui l’entourent. Sa relation avec son père, Gabriel/Gregor, constitue l’un des axes essentiels du roman, révélant progressivement les failles d’une figure paternelle aux multiples facettes.
Smilla, hantée par la disparition de sa meilleure amie Juli dix ans plus tôt, incarne la quête obstinée de vérité. Sa détermination à résoudre le mystère de cette disparition, qui la conduit à devenir stagiaire dans une chaîne de télévision locale, traduit un besoin viscéral de réparer le passé. Vera Buck dépeint avec finesse ce personnage dont la culpabilité tenace sert de moteur à l’action, tout en illustrant les ravages psychologiques d’un traumatisme non résolu.
L’inquiétante Edith, enfant sauvage au comportement déroutant, représente peut-être le personnage le plus fascinant du roman. Son rapport particulier à la nature, sa connaissance intime de la montagne et sa perception décalée du monde en font un personnage à la lisière de l’humanité et de l’animalité. À travers ses yeux, le lecteur perçoit une réalité alternative, où la frontière entre normalité et déviance s’estompe complètement.
Laura Bender, l’institutrice venue de la ville, joue le rôle du regard extérieur, du témoin qui perturbe l’équilibre précaire de la communauté. Sa trajectoire illustre le danger que représente toute intrusion dans un système fermé. L’autrice utilise ce personnage pour explorer la collision entre modernité et traditions, entre rationalité urbaine et croyances ancestrales, créant ainsi une tension palpable qui alimente le suspense.
Le prêtre Isaiah, figure d’autorité morale ambiguë, symbolise la manipulation idéologique à l’œuvre dans le hameau. Son discours apocalyptique et son emprise sur les habitants révèlent les mécanismes de contrôle qui sous-tendent toute communauté isolée. Vera Buck parvient à créer un personnage charismatique et troublant, dont les motivations profondes demeurent longtemps impénétrables.
La richesse du roman émane en grande partie de ces interactions entre personnages, de ces liens tissés ou rompus qui forment la trame narrative. Buck excelle dans l’art de révéler progressivement les motivations de chacun, transformant les relations apparemment simples en constructions complexes où se mêlent amour et méfiance, protection et domination. Ce jeu d’ombres et de lumières entre les protagonistes constitue le véritable cœur battant de « Les Enfants Loups », éclairant subtilement la nature humaine dans toute sa contradictoire splendeur.
Sommets impitoyables et âmes tourmentées : le paysage comme miroir
Dans « Les Enfants Loups », la montagne dépasse largement sa fonction de simple décor pour s’imposer comme un véritable personnage, une présence constante qui influence les actions et les psychologies. Vera Buck dépeint un environnement alpin à la fois majestueux et implacable, où les sommets enneigés, les forêts denses et les falaises abruptes créent un sentiment permanent d’enfermement paradoxal à ciel ouvert. Cette nature sauvage dicte le rythme de vie des habitants, imposant ses lois et ses contraintes avec une autorité silencieuse.
La verticalité du paysage traduit parfaitement les hiérarchies sociales à l’œuvre dans le roman. Le hameau de Jakobsleiter, perché en altitude, domine physiquement le village d’Almenen situé en contrebas, symbolisant la position de surplomb moral que s’attribuent ses habitants. Buck utilise brillamment cette topographie pour matérialiser les rapports de force entre communautés et la vision du monde cloisonnée des personnages.
L’autrice exploite avec finesse la symbolique du glacier, le « Noir Supérieur », masse glacée impénétrable recelant en son sein grottes et crevasses. Cette présence minérale ancestrale représente la mémoire figée d’un passé qui ne passe pas, d’une histoire collective dissimulée sous la surface lisse des apparences. Les personnages s’y aventurent à leurs risques et périls, comme ils s’aventureraient dans les replis de leur inconscient collectif.
La forêt de Wolfstann constitue un autre élément central de cet environnement oppressant. Espace de transition entre civilisation et wilderness, elle abrite à la fois les loups – symboles d’une nature indomptée – et les secrets des humains qui la traversent. Buck décrit avec une précision saisissante cette végétation dense où la lumière peine à pénétrer, créant un monde d’ombres propice aux rencontres troublantes et aux révélations dangereuses.
Les variations météorologiques jouent également un rôle crucial dans la construction de l’atmosphère. L’orage qui piège Laura Bender lors de sa descente de la montagne agit comme un personnage hostile, tandis que le froid mordant de l’hiver isolant davantage la communauté reflète la glaciation des relations humaines. L’autrice parvient à faire de chaque manifestation naturelle un miroir des tensions psychologiques qui habitent ses personnages.
L’environnement montagnard façonne ainsi profondément l’identité des protagonistes du roman. Leur rapport à cet espace détermine leur vision du monde et leur position morale. Vera Buck réussit l’exploit de transformer la géographie physique en géographie intérieure, les reliefs escarpés devenant l’expression d’âmes tourmentées. La montagne, dans toute sa grandeur indifférente aux drames humains qui se jouent sur ses flancs, incarne finalement cette part sauvage qui sommeille en chacun des personnages, prête à se réveiller sous l’effet de circonstances exceptionnelles.
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Entre sauvagerie et civilisation : les thèmes centraux du roman
Au cœur de « Les Enfants Loups » se déploie une réflexion fascinante sur la frontière ténue entre sauvagerie et civilisation. Vera Buck explore cette dualité à travers de multiples dimensions, qu’elles soient géographiques, sociales ou psychologiques. Le contraste entre le hameau isolé de Jakobsleiter et le monde extérieur symbolise cette tension permanente entre deux modes d’existence. L’autrice interroge avec subtilité ce qui définit véritablement la barbarie : est-elle du côté de la nature sauvage ou des constructions sociales qui prétendent la domestiquer ?
La figure du loup, omniprésente dans le roman, incarne parfaitement cette ambivalence. Animal sauvage par excellence, le loup est pourtant capable d’attachement et de fidélité, comme le montre la relation entre Jesse et Freigeist. À l’inverse, les humains, supposément civilisés, peuvent faire preuve d’une cruauté calculée que l’on ne retrouve pas dans le règne animal. Buck questionne ainsi nos catégorisations traditionnelles, suggérant que la frontière entre humanité et animalité est plus poreuse qu’on ne le croit.
L’installation de l’antenne de communication à Jakobsleiter cristallise les tensions entre tradition et modernité. Cette intrusion technologique dans un espace préservé suscite des réactions viscérales qui révèlent le rapport ambivalent des personnages au progrès. L’autrice dépeint avec finesse cette collision entre deux mondes, sans jamais tomber dans le piège d’une vision manichéenne qui glorifierait la simplicité rustique ou encenserait le progrès technique.
Le personnage d’Edith incarne de façon saisissante cette position liminaire, à la frontière entre culture et nature. Enfant sauvage qui comprend mieux les lois de la forêt que celles des hommes, elle représente cette part indomptée qui subsiste en chacun de nous. Sa perception particulière du monde, sa connexion intime avec la nature et sa logique décalée interrogent nos certitudes sur ce qui constitue un comportement « normal » ou « civilisé ».
Buck explore également la question de l’identité collective et de ses mythes fondateurs. La communauté de Jakobsleiter s’est construite autour d’un récit des origines qui se révèle progressivement factice. Cette découverte ébranle profondément Jesse et soulève des questions essentielles : comment se définir lorsque les fondements de son identité s’effondrent ? Peut-on échapper aux déterminismes familiaux et communautaires pour façonner sa propre existence ?
La violence, dans ses manifestations tant explicites que larvées, traverse l’ensemble du roman comme un fil rouge sanglant. L’autrice parvient à montrer comment cette violence surgit précisément aux points de friction entre nature et culture, entre communautés fermées et monde extérieur. Les disparitions mystérieuses qui jalonnent le récit constituent la manifestation ultime de ce thème central, reflétant les mécanismes d’exclusion à l’œuvre dans toute société humaine confrontée à l’altérité.
Suspense et mystère : l’art de maintenir la tension narrative
Vera Buck manifeste un talent remarquable pour entretenir une tension narrative constante tout au long du roman. Dès les premières pages, l’autrice installe un climat de mystère avec la disparition non élucidée de Juli, amie d’enfance de Smilla, qui hante cette dernière depuis dix ans. Cette absence fondatrice constitue le socle sur lequel se construisent d’autres disparitions – celle de Rebekka, puis celle de Laura Bender – créant ainsi un motif récurrent qui maintient le lecteur en haleine.
Le choix d’une narration polyphonique sert admirablement la construction du suspense. En alternant les points de vue, Buck nous révèle certains éléments tout en nous en dissimulant d’autres, jouant habilement avec notre horizon d’attente. Ce que sait un personnage peut rester caché à un autre, créant ainsi des zones d’ombre et de lumière qui incitent le lecteur à reconstituer lui-même le puzzle narratif.
L’autrice maîtrise particulièrement l’art du contraste entre calme apparent et violence sous-jacente. Les descriptions contemplatives de la montagne ou des scènes quotidiennes du hameau sont subtilement teintées d’une inquiétude diffuse qui maintient constamment l’attention. Cette technique, qui évoque le calme avant la tempête, crée un sentiment d’appréhension presque physique qui ne quitte jamais totalement le lecteur.
Les indices disséminés au fil des pages constituent un autre ressort essentiel du suspense. Buck parvient à placer des éléments signifiants sans jamais les souligner excessivement, invitant subtilement le lecteur à devenir détective. Ces détails apparemment anodins révèlent souvent leur importance cruciale bien plus tard, créant ces moments de révélation où tout s’éclaire rétrospectivement.
La temporalité du récit, avec ses accélérations soudaines et ses ralentissements stratégiques, contribue également à maintenir la tension. L’autrice sait parfaitement quand suspendre une scène à son point culminant pour basculer vers un autre narrateur, frustrant délibérément notre attente pour mieux attiser notre curiosité. Cette gestion du rythme, presque musicale dans sa précision, témoigne d’une maîtrise narrative consommée.
La construction par cercles concentriques qui caractérise le roman ajoute une dimension supplémentaire à son efficacité dramatique. Buck part d’énigmes personnelles pour révéler progressivement des secrets plus vastes, communautaires, presque historiques. Le lecteur découvre ainsi que l’enjeu dépasse largement le cadre initial, les mystères individuels n’étant que la partie émergée d’un iceberg bien plus imposant. Cette amplification progressive de l’enjeu narratif maintient l’intérêt jusqu’aux dernières pages de ce thriller psychologique captivant.
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Un roman noir moderne aux résonances universelles
« Les Enfants Loups » s’inscrit résolument dans la tradition du roman noir contemporain tout en la renouvelant avec une singularité remarquable. Vera Buck parvient à transcender les codes du genre pour proposer une œuvre qui, tout en satisfaisant les amateurs de suspense, offre une profondeur thématique et une richesse stylistique qui élargissent considérablement sa portée. La noirceur qui imprègne le récit n’est jamais gratuite mais sert un propos plus large sur la condition humaine.
Le roman explore des thématiques profondément actuelles comme l’opposition entre communautés fermées et monde extérieur, ou la persistance des secrets familiaux à travers les générations. Ces préoccupations contemporaines entrent en résonance avec des problématiques sociales bien présentes dans nos sociétés modernes, faisant de cette œuvre bien plus qu’un simple divertissement. La réflexion sur l’identité collective et ses mythes fondateurs résonne particulièrement dans notre époque de replis identitaires.
La force de l’écriture de Buck réside notamment dans sa capacité à créer une atmosphère unique, où le réalisme social se teinte d’éléments presque gothiques. Les descriptions précises et sensorielles des lieux, la présence constante d’une nature à la fois magnifique et menaçante, la caractérisation nuancée des personnages contribuent à forger un univers littéraire immédiatement reconnaissable. Cette signature stylistique place l’autrice parmi les voix les plus originales du roman noir européen actuel.
L’ancrage dans un espace géographique spécifique – les Alpes et leurs communautés isolées – n’empêche nullement le roman de revêtir une dimension universelle. À travers l’histoire particulière de Jakobsleiter, Buck aborde des questions fondamentales qui traversent toutes les sociétés humaines : le rapport à l’altérité, la construction des mythes collectifs, la transmission intergénérationnelle des traumatismes. Ce passage constant du particulier à l’universel confère au roman une profondeur philosophique indéniable.
La maîtrise narrative dont fait preuve l’autrice témoigne d’une connaissance approfondie des ressorts psychologiques qui sous-tendent les relations humaines. Chaque personnage, même secondaire, possède une épaisseur et une complexité qui le rendent profondément crédible. Cette finesse dans la caractérisation, combinée à une intrigue solidement construite, explique pourquoi le roman parvient à captiver des lecteurs aux profils très divers, dépassant ainsi les frontières habituelles du roman noir.
L’œuvre de Vera Buck nous rappelle avec force que la littérature dite « de genre » peut atteindre une dimension véritablement littéraire sans rien sacrifier de son efficacité narrative. « Les Enfants Loups » s’impose comme un roman noir qui, par sa richesse thématique et son écriture ciselée, transcende les catégorisations réductrices pour offrir une expérience de lecture complète, à la fois divertissante et profondément stimulante. L’autrice nous livre une réflexion saisissante sur les zones d’ombre de l’âme humaine qui continuera de résonner longtemps dans l’esprit des lecteurs.
Mots-clés : Thriller psychologique, Montagne, Communauté isolée, Secrets, Disparitions, Identité, Sauvagerie
Extrait Première Page du livre
» PROLOGUE
LES parois, noires. Le sol, noir. Ça sent la pourriture, la moisissure, et la pierre humide. Je respire vite, par à-coups.
Trouve la sortie.
Je suis à quatre pattes, une fois de plus. J’étouffe ici. Un truc me grimpe sur la main, et je la lève si brusquement qu’elle frappe contre la roche. La douleur me lance dans les doigts jusqu’à mes ongles éraflés. Je secoue frénétiquement mon poignet. Aucune idée de ce que c’était, mais c’est parti, j’essaie de me rassurer. Sans doute un mille-pattes. Un cafard. Une scutigère. Il n’y a rien ici que tu ne connaisses pas.
Un mensonge que je me raconte pour que la panique ne me fasse pas perdre complètement la tête. Pour dire la vérité, je ne connais rien du tout ici. Je n’ai jamais vu cette grotte. Ce labyrinthe dans la montagne doté, paraît-il, d’une autre issue.
Trouve la sortie.
Une mission simple pourtant. Même les rats réussissent à sortir d’un labyrinthe. Mais ici, il fait nuit noire. Où que j’avance à tâtons : la nuit noire. Ça goutte quelque part.
Une secousse soudaine traverse mes jambes, mes chevilles. D’abord très légère.
Je supplie en silence : Pas déjà.
La deuxième secousse est si brutale que la frayeur étrangle mon cri. Tout à coup, mes genoux se dérobent sous mon corps, j’atterris sur le ventre, je suis tirée en arrière comme si un souffle m’aspirait vers l’entrée du tunnel. Ce tunnel à travers lequel je me suis traînée si péniblement. J’essaie de me protéger la tête avec les bras. Trop vite, ça va trop vite, et la seconde qui suit, je percute un angle que je n’avais pas vu venir dans l’obscurité. Cette fois-ci je crie, mes pieds sont entraînés dans le coin, mon corps se heurte contre la paroi opposée, je suis aspirée vers la galerie suivante. Je crie plus fort, tends les bras, essaie de m’agripper à quelque chose. Mais la roche est lisse, et la traction sur mes pieds, trop forte. Je sais ce qui m’attend et m’attire dehors, et je sais que je n’ai pas les moyens de lui tenir tête.
Mes genoux, mon ventre, mon corps tout entier brûle. Je replace les bras sur ma tête pour la protéger, je me laisse tirer sans résistance, comme une poupée.
Quelle ironie… Moi qui voulais m’échapper de cette montagne, voilà que je suis enfouie dans ses entrailles. «
- Titre : Les Enfants Loups
- Titre original : Wolfskinder
- Auteur : Vera Buck
- Éditeur : Éditions Gallmeister
- Nationalité : Allemagne
- Date de sortie en France : 2024
- Date de sortie en Allemagne : 2023
Résumé
Dans les montagnes, au cœur des forêts où rôdent encore les loups, se niche le hameau de Jakobsleiter. La vie y est rude et la nature impitoyable. Surtout pour la jeune Rebekka qui rêve de s’enfuir très loin.
Puis, un jour, Rebekka disparaît. Elle n’est pas la première jeune femme engloutie par cette région hostile. S’agit-il d’accidents ou de meurtres en série ?
Pour Smilla, stagiaire au journal local, une chose est certaine : sa meilleure amie, disparue il y a dix ans, a bien été enlevée. Pour découvrir la vérité elle est prête à tout, quitte à faire voler en éclats les sombres secrets enfouis au plus profond des montagnes.

Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis une soixantaine d’années, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.
Bonjour,
Votre analyse du roman est très intéressante, mais dans les informations que vous donnez sur le livre vous en oubliez une d’importance : vous ne citez pas le traducteur ! Or sans une bonne traduction vous n’auriez sans doute pas apprécié le texte de la même façon.
Cordialement.
Oooooh très bonne idée Camille ! Je n’y avais jamais pensé. On ne peut pas penser à tous ☺️
Je vais le faire dès à présent 😉
Amicalement,
Manuel