Neige, jazz et fuite en avant : l’odyssée noire de Richard Tabbi

Updated on:

Ce qu'ils nous laissent de Richard Taddi

Top polars à lire absolument

Ce qu'ils nous laissent de Richard Taddi
Les sept enquêtes de l'inspecteur Franck de Gilles Revillon
Douce France de Céline Cléber

Un road trip noir dans l’Amérique des marges

« Ce qu’ils nous laissent » de Richard Tabbi nous plonge dans un road trip aussi noir que poétique, où l’asphalte défile sous les roues du Ford F-150 de Solo Paradise. Ce protagoniste au nom aussi évocateur qu’ironique traverse une Amérique hivernale et désenchantée, loin des clichés touristiques et des cartes postales.

Cette odyssée moderne est rythmée par les rencontres de hasard, les bars miteux et les motels de bord de route où la vie s’accroche comme elle peut. Tabbi excelle à dépeindre ces marges où survivent les laissés-pour-compte d’une Amérique en crise, ces territoires oubliés où la neige recouvre les espoirs perdus.

Solo et Véra, couple improbable mais touchant, fuient après avoir trouvé un sac plein d’argent près d’un lac gelé. Cette découverte, loin d’être une bénédiction, devient le catalyseur d’une cavale éperdue à travers paysages enneigés et villes fantômes, poursuivis par des gangsters russes et des hommes de main locaux.

L’auteur nous livre une géographie alternative de l’Amérique contemporaine, celle des diners décatis, des zones commerciales déshumanisées et des forêts impénétrables. Le contraste entre la grandeur sauvage des espaces naturels et la décrépitude des zones urbaines crée une tension constante qui alimente la narration.

Le rythme haletant de la fuite se mêle à des moments de grâce pure, comme cette scène au bord d’un étang isolé où le couple trouve refuge pendant plusieurs mois. Tabbi sait ralentir le tempo pour nous offrir ces respirations nécessaires, ces instants suspendus qui font toute la richesse de son road trip littéraire.

Dans les traces laissées par Solo et Véra se dessine une cartographie de l’Amérique des oubliés, un pays fantôme qui existe en parallèle de l’Amérique triomphante. L’écriture de Tabbi, nerveuse et poétique, nous entraîne dans ce voyage sans retour avec une force évocatrice rare qui fait de ce roman noir un véritable voyage initiatique au cœur des ténèbres américaines.

livres de Richard Tabbi à acheter

Ce qu’ils nous laissent Richard Tabbi
Ce qu’ils nous laissent Richard Tabbi
Ce qu’ils nous laissent Richard Tabbi

Des personnages en quête de liberté et de rédemption

Solo Paradise, vétéran tourmenté aux prises avec ses démons intérieurs, incarne cette Amérique blessée qui ne parvient pas à cicatriser. Ancien militaire marqué par des opérations peu reluisantes, il cherche dans l’alcool, la musique et l’amour de Véra un semblant de rédemption. Sa voix, cynique et désabusée, porte néanmoins une humanité profonde qui transparaît dans ses moments de lucidité.

À ses côtés, Véra Niebieskaïa apporte une dimension internationale au récit. Cette Sibérienne aux yeux « de la couleur du ciel d’été » représente un contrepoint fascinant à la culture américaine. Forte et pragmatique, elle suit Solo dans sa cavale tout en gardant un recul salvateur. Son origine russe n’est pas anodine dans cette intrigue où les mafieux de l’Est jouent un rôle central.

La galerie des personnages secondaires enrichit considérablement la narration. On pense à « La Momie », pilier de comptoir aux allures de sage indien, à Duluth le contrebassiste noir et son quartet de jazz, ou encore à Sergio et « Le Che », tenanciers du Central Bar. Ces figures marquantes croisent la route du couple en fuite et illuminent le récit de leur humanité complexe.

Richard Tabbi excelle particulièrement à dépeindre ces marginaux qui peuplent l’Amérique profonde. Le personnage d’Austin Rocheuse, rencontré à La Grange, est emblématique de cette approche : ex-mineur reconverti en tireur de pousse-pousse, il incarne la dignité face aux humiliations et l’espoir malgré le désespoir ambiant.

Le chat qui accompagne Solo et Véra au début du récit mérite une mention spéciale. Avec son caractère revêche et indépendant, il semble être l’alter ego animal de Solo. Sa présence, puis son absence, ponctuent symboliquement les étapes du voyage et de la transformation intérieure des protagonistes.

La quête de rédemption traverse l’ensemble du roman comme un fil rouge. Chaque personnage porte ses blessures et cherche à sa manière une forme de salut. Tabbi ne juge jamais ses créations, il les accompagne avec une tendresse rugueuse dans leur recherche d’absolution, offrant au lecteur un miroir troublant de notre propre humanité imparfaite et de nos aspirations à la liberté.

Les influences littéraires et musicales: une esthétique beat

« Ce qu’ils nous laissent » s’inscrit dans une filiation littéraire évidente avec la Beat Generation. Les ombres de Jack Kerouac et de son « Sur la route » planent sur ce road trip contemporain, mais Tabbi sait s’approprier cet héritage pour le faire sien. On retrouve également la présence fantomatique de William S. Burroughs, que Solo croit reconnaître dans un personnage croisé dans un motel perdu.

La musique occupe une place prépondérante dans l’univers mental de Solo Paradise. Le jazz, particulièrement John Coltrane, Miles Davis et Thelonious Monk, rythme ses pensées et ses déplacements. Les cassettes qu’il insère dans l’autoradio de son pick-up deviennent la bande-son de sa fuite, une échappatoire spirituelle face aux dangers qui le poursuivent.

Le rock psychédélique des années 60-70 imprègne également le texte. Les références aux Beatles, à Jimi Hendrix ou aux Pink Floyd ne sont pas de simples clins d’œil culturels mais participent pleinement à l’atmosphère du roman. Tabbi utilise ces références comme des marqueurs temporels et émotionnels qui permettent d’ancrer son récit dans une contre-culture américaine toujours vivace.

L’influence du roman noir américain est manifeste, avec des échos de Jim Thompson, Charles Bukowski ou Richard Brautigan. La fascination de Solo pour ce dernier, dont il possède un recueil dédicacé dans sa cantine militaire, témoigne d’une sensibilité littéraire qui transcende la rudesse du personnage. Ces références construisent un palimpseste littéraire riche qui densifie la lecture.

L’écriture de Tabbi s’inscrit également dans une tradition littéraire française, celle des voyageurs désenchantés comme Céline ou Cendrars. Son style ciselé, alternant crudité et poésie, violence et tendresse, rappelle parfois le ton de Jean-Bernard Pouy ou de Jean-Patrick Manchette, maîtres français du roman noir existentialiste.

La culture populaire et la culture savante s’entremêlent sans hiérarchie dans ce roman aux influences multiples. Tabbi parvient à créer une esthétique singulière où le langage se fait musique, où les descriptions de paysages s’apparentent à des tableaux impressionnistes, et où chaque rencontre semble sortie d’un roman beat. Cette richesse intertextuelle confère au roman une profondeur rare dans l’univers du polar contemporain.

Géographie et paysages: entre réalisme et onirisme

La géographie du roman de Tabbi oscille constamment entre description minutieuse et évocation fantasmagorique, créant un univers à la fois familier et étrangement décalé. Les paysages enneigés du Nord, où débute le récit, sont rendus avec une précision quasi photographique : on ressent physiquement le froid mordant, on entend le crissement des pneus sur la neige, on voit la vapeur s’échapper des bouches des personnages.

La traversée vers l’Ouest puis le Sud dessine une carte alternative de l’Amérique contemporaine. Les noms des lieux – La Grange, le col de l’Homme Mort, les chutes du Blaireau Borgne – semblent tout droit sortis d’un atlas fantastique, alors que les descriptions des zones commerciales, des bidonvilles et des forêts primaires ancrent le récit dans un réalisme social saisissant.

Les villes traversées par Solo et Véra sont décrites comme des organismes vivants, malades pour la plupart. La Cité, avec sa Vieille Ville gangrenée par le crack et le crime, contraste avec la nature sauvage qui l’entoure. La Grange, ville minière sinistrée, incarne cette Amérique désindustrialisée où la pauvreté côtoie l’opulence obscène des hôtels de luxe comme le Royal Palace.

Le refuge dans la forêt, près de l’étang, constitue une parenthèse onirique dans ce voyage perpétuel. Pendant six mois, Solo et Véra vivent dans un chalet isolé, en communion avec la nature sauvage. Cette halte temporelle, presque mythique, fonctionne comme un contrepoint nécessaire à la violence du monde extérieur et rappelle les aspirations transcendantalistes de Thoreau à Walden.

Les passages les plus marquants du roman sont peut-être ceux où Tabbi décrit la nature dans sa splendeur terrifiante. La rencontre avec l’ourse et ses oursons, le rêve halluciné de Solo peuplé de plésiosaures et de ptérodactyles, la tempête de neige qui manque de les emporter – ces moments où l’homme se confronte à plus grand que lui confèrent au récit une dimension quasi métaphysique.

La cartographie de Tabbi s’impose comme un personnage à part entière de ce roman où l’espace n’est jamais neutre. Les paysages extérieurs reflètent les paysages intérieurs des protagonistes, leurs espoirs et leurs craintes. Cette géographie poétique, où le Grand Sud représente un eldorado peut-être illusoire, traduit admirablement les errances d’une Amérique contemporaine en quête de sens et d’horizon.

La violence et l’argent: moteurs d’une fuite en avant

La découverte d’un sac rempli de billets au bord d’un lac gelé constitue le déclencheur d’une spirale infernale qui propulse Solo et Véra sur les routes. Cet argent mal acquis, fruit d’un règlement de comptes entre mafieux, devient à la fois leur salut et leur malédiction. Richard Tabbi explore ici un thème classique du roman noir : comment l’argent facile peut transformer le destin mais aussi conduire à la perdition.

La violence irrigue le récit comme une rivière souterraine qui affleure par moments à la surface. Des cadavres dans la neige à la crucifixion de La Momie, des affrontements au Central Bar à la fusillade finale, Tabbi ne nous épargne rien de la brutalité du monde. Pourtant, cette violence n’est jamais gratuite ; elle témoigne d’une réalité sociale où la force brute fait loi dans les marges de la société.

Le couple formé par Solo et Véra navigue dans un univers où la menace est permanente. L’argent volé les oblige à une fuite perpétuelle, transformant leur voyage en cavale. Le Rhino, ce revolver que Solo porte constamment, devient l’extension de sa méfiance et le symbole de sa préparation constante au pire. Ancien militaire, il porte en lui une violence contenue qui ressurgit quand les circonstances l’exigent.

Le roman dessine une géographie du pouvoir où l’argent corrompt tout. À la Cité, le clan Heisenberg règne sans partage sur le trafic de drogue. À La Grange, les familles D’Armenville et Saint-Louis exploitent sans vergogne les anciens mineurs. Ces féodalités modernes imposent leur loi par la terreur et l’argent, créant un système qui broie les individus comme Solo et Véra.

La scène où le pousse-pousse d’Austin Rocheuse est dédaigné par un couple de Sri-Lankais richissimes illustre parfaitement cette violence économique. Tabbi montre comment l’argent crée des rapports de domination qui déshumanisent à la fois ceux qui possèdent et ceux qui servent. Cette critique de la marchandisation des rapports humains sous-tend l’ensemble du récit.

L’originalité de Tabbi réside dans sa façon de ne jamais tomber dans le manichéisme facile. La violence et l’argent sont traités comme des forces ambivalentes qui peuvent aussi bien détruire que permettre une forme de libération. Le sac de billets que Solo récupère devient paradoxalement l’instrument d’une possible rédemption, ouvrant la perspective d’une vie nouvelle dans le Grand Sud. Cette complexité morale donne au roman toute sa profondeur et sa résonance contemporaine.

Les meilleurs livres à acheter

Quelqu’un d’autre Guillaume Musso
Sans soleil Tome 2 Jean-Christophe Grangé
Dernière Soirée Lisa Gardner
La femme de ménage se marie Freida McFadden

L’écriture de Tabbi: un style incisif et poétique

Le style de Richard Tabbi frappe d’emblée par son oralité maîtrisée et son rythme syncopé. La voix narrative de Solo Paradise, à la première personne, nous entraîne dans un flux de conscience où l’argot côtoie les références littéraires, où la trivialité du quotidien se teinte soudain de fulgurances poétiques. Cette écriture nerveuse, qui n’hésite pas à bousculer la syntaxe, donne au récit une énergie rare.

L’humour noir traverse l’ensemble du roman, agissant comme une soupape face à la violence du monde décrit. Tabbi excelle dans l’art de la formule cinglante et de la métaphore décalée. Quand Solo décrit un personnage comme ayant « une tête à faire peur aux épouvantails » ou compare un plat de diner à « un holocauste culinaire », le lecteur ne peut s’empêcher de sourire malgré la noirceur ambiante.

Les descriptions de paysages révèlent un véritable talent poétique. Les étendues enneigées du Nord, la forêt qui entoure l’étang, les montagnes traversées lors de la fuite vers le Sud – tous ces lieux sont rendus avec une précision sensorielle qui les transforme en véritables tableaux vivants. Tabbi sait capturer l’essence d’un lieu en quelques phrases, créant une atmosphère immersive qui ancre le lecteur dans l’expérience du voyage.

La musicalité de l’écriture constitue l’une des grandes forces du roman. Les dialogues, incisifs et rythmés, sonnent toujours juste, chaque personnage possédant sa voix propre, son phrasé, ses tics de langage. Cette attention portée à l’oralité confère aux échanges une authenticité qui rend les protagonistes profondément vivants. Les silences, également, sont magnifiquement orchestrés, créant des respirations essentielles dans la narration.

L’alternance entre passages narratifs, scènes d’action et moments de contemplation témoigne d’une maîtrise remarquable du tempo romanesque. Tabbi sait accélérer le rythme lors des courses-poursuites ou des confrontations violentes, puis ralentir pour nous offrir ces instants suspendus où Solo observe la nature, écoute du jazz ou contemple Véra endormie. Cette composition dynamique maintient constamment l’attention du lecteur.

Les ruptures formelles ponctuent le texte, avec notamment des passages versifiés qui surgissent au cœur de la narration. Ces moments où l’écriture se libère des contraintes de la prose pour devenir poème pur traduisent les états de conscience altérés de Solo – par l’alcool, la fatigue ou la beauté du monde. La plume de Tabbi, tour à tour crue et délicate, réaliste et onirique, construit un univers littéraire singulier qui reste longtemps en mémoire après la dernière page tournée.

Une critique sociale sous-jacente

Sous ses apparences de roman noir haletant, « Ce qu’ils nous laissent » développe une critique sociale acérée de l’Amérique contemporaine. À travers le regard désabusé de Solo Paradise, Tabbi dresse le portrait d’un pays fracturé où les inégalités sociales atteignent des proportions vertigineuses. La description des bidonvilles de La Grange, contrastant avec le luxe ostentatoire du Royal Palace, illustre cette fracture avec une précision quasi documentaire.

Le système économique est particulièrement visé par l’auteur. Les mines fermées de La Grange, les travailleurs reconvertis en tireurs de pousse-pousse pour touristes, les épiceries thaïlandaises vendant des produits de contrefaçon – tout témoigne d’une économie dérégulée où les plus vulnérables sont sacrifiés sur l’autel du profit. Le personnage d’Austin Rocheuse incarne cette classe ouvrière trahie par les promesses du capitalisme.

La corruption des institutions et des élites locales traverse l’ensemble du récit. À la Cité, le clan Heisenberg contrôle à la fois l’industrie de la viande, les boîtes de nuit et le trafic de drogue. À La Grange, les familles D’Armenville et Saint-Louis règnent sans partage sur l’économie et la politique locales. Cette oligarchie mafieuse, que Tabbi dépeint sans concession, gangrène la société jusqu’à la moelle.

Les médias ne sont pas épargnés par la plume acérée de l’auteur. Les passages où Solo écoute le « Service Public » révèlent une critique mordante des émissions formatées et des débats superficiels qui dominent les ondes. La chaîne « FuckNews », parodie transparente d’une célèbre chaîne d’information américaine, est décrite comme un vecteur d’idéologie réactionnaire déguisé en journalisme.

L’industrie culturelle et le star-system sont également passés au crible à travers le personnage de Rulia Joberts, actrice capricieuse venue tourner à La Grange. Tabbi montre comment le vedettariat creuse encore davantage le fossé entre privilégiés et anonymes, tout en créant un écran de fumée qui détourne l’attention des vrais problèmes sociaux. La scène où l’actrice plonge dans le bassin de l’hôtel révèle toute l’absurdité de cette culture de la célébrité.

Le regard critique que porte Tabbi sur la société américaine s’accompagne d’une tendresse manifeste pour ceux qui tentent de survivre malgré tout. Jamais moralisateur, l’auteur nous invite à observer les mécanismes sociaux qui broient les individus, tout en célébrant les formes de résistance quotidienne. Cette dimension politique, jamais didactique mais toujours présente, confère au roman une profondeur qui dépasse largement le cadre du simple divertissement.

Les meilleurs livres à acheter

Personne ne doit savoir Claire McGowan
La Très Catastrophique Visite du Zoo Joël Dicker
Son Cri silencieux Lisa Regan
La vague Poche Todd Strasser

« Ce qu’ils nous laissent »: un roman noir existentialiste

Au-delà de son intrigue captivante, « Ce qu’ils nous laissent » s’impose comme une véritable quête existentielle. Richard Tabbi nous offre une méditation profonde sur la liberté et ses paradoxes à travers le parcours de Solo et Véra. Leur fuite perpétuelle représente à la fois une contrainte et une libération, illustrant cette vérité fondamentale que toute liberté se conquiert dans un cadre qui la limite nécessairement.

La question de l’identité traverse l’ensemble du roman. Solo Paradise, marqué par son passé militaire, se cherche constamment à travers ses références musicales, ses lectures et sa relation avec Véra. Son nom même semble une ironie du destin, un rappel constant de ce paradis perdu qu’il poursuit sans relâche. La transformation physique qu’il subit au cours du récit, notamment lorsqu’il se rase le crâne, symbolise cette quête identitaire jamais achevée.

Face à la violence du monde et à l’absurdité apparente de l’existence, les personnages de Tabbi opposent une éthique personnelle qui fait écho aux préoccupations existentialistes. Solo, malgré sa dérive et ses zones d’ombre, maintient un code moral qui lui est propre. Cette authenticité dans un monde dépourvu de sens transcendant constitue peut-être la véritable héroïsme du personnage, rappelant le « Il faut imaginer Sisyphe heureux » de Camus.

Le titre énigmatique du roman prend tout son sens à la lumière de cette dimension existentielle. « Ce qu’ils nous laissent » évoque à la fois l’héritage d’un passé qu’on ne peut effacer et ce qui reste quand tout s’est effondré. Pour Solo et Véra, ce sont ces moments de grâce éphémère – une truite pêchée au petit matin, un disque de Coltrane qui tourne sur la platine, la chaleur d’un corps aimé dans la nuit froide – qui donnent sens à leur cavale.

La nature sauvage, omniprésente dans le roman, n’est pas un simple décor mais un véritable interlocuteur métaphysique. Face aux montagnes, aux étendues de neige, à l’immensité des forêts, les personnages prennent conscience de leur finitude tout en éprouvant une forme de transcendance. Ces moments de communion avec le monde naturel, décrits avec une sensibilité rare, révèlent l’influence d’une pensée existentielle où l’humain se définit dans sa relation au monde.

Le roman de Richard Tabbi s’inscrit dans une tradition littéraire qui, de Céline à Jim Harrison, de Kerouac à Brautigan, place l’errance au cœur de l’expérience humaine. À travers cette odyssée moderne dans une Amérique à la fois réelle et fantasmée, l’auteur nous offre une œuvre d’une profonde humanité qui interroge notre propre rapport à l’existence. En accompagnant Solo et Véra sur les routes du Grand Sud, c’est notre propre quête de sens et d’absolu que nous poursuivons, dans un monde où seuls « ce qu’ils nous laissent » – ces fragments de beauté arrachés au chaos – méritent peut-être qu’on continue d’avancer.

Mots-clés : Road trip, Polar, Beat Generation, Existentialisme, Américana, Jazz, Contre culture


Extrait Première Page du livre

 » PREMIÈRE PARTIE AU NORD DE TOUTES CHOSES

J’ABANDONNE SUR UNE CHAISE LE JOURNAL DU MATIN LES NOUVELLES SONT MAUVAISES D’OÙ QU’ELLES VIENNENT J’ATTENDS QU’ELLE SE RÉVEILLE ET QU’ELLE SE LÈVE ENFIN JE SOUFFLE SUR LES BRAISES, POUR QU’ELLES PRENNENT
PHILIPPE DJIAN

Je m’étais réveillé à quatre heures du matin. Impossible de me rendormir. Je me tortillais dans le lit au risque de réveiller Véra qui avait bu presque discontinuer depuis une dizaine de jours et les prévisions étaient catastrophiques… Le pire de tout était le vent qui soufflait du nord. Un blizzard vicieux qui vous gelait de l’intérieur et vous rappelait que votre jeunesse s’était enfuie depuis longtemps. Je redoutais de quitter l’abri des couvertures, mais je n’y tenais plus. Je me levai et m’habillai tout en contenant l’envie de pisser qui contractait mon bas-ventre. Véra marmonna un truc et se tourna contre le mur, rabattant les couvertures sur sa tête. Je dévalai les marches jusqu’au rez-de-chaussée.

Après m’être soulagé, je m’approchai du poêle où rougeoyaient encore quelques braises. J’y ajoutai du bois. Le thermomètre cloué au mur indiquait neuf degrés. La journée promettait d’être merdique. Je fis chauffer du café de la veille. Dans un coin, près du buffet déglingué, le chat croquait la tête d’une souris. Inutile d’espérer trouver le repos. Le café se mit à bouillir. Je m’assis sur la moitié de canapé qui n’était pas défoncée et allumai le transistor.

J’eus droit à une rediffusion de Grand Bien Vous Trace, l’émission feelgood du Service Public.

1/ les vertus apaisantes du tricot et des tisanes à la
camomille biologique
2/ les vertus apaisantes de la lecture sous un plaid dans un
environnement meublé suédois « 


  • Titre : Ce qu’ils nous laissent
  • Auteur : Richard Tabbi
  • Éditeur : Euderie Éditions & créations Collection Du Noir en Dedans
  • Nationalité : France
  • Date de sortie : 2025

Page officielle : richard-tabbi.com

Résumé

L’argent ne fait pas le bonheur, parole de riche. C’est ce que pense Solo Paradise qui tire le diable par la queue, s’efforçant d’oublier un passé traumatique de vétéran. Il partage ses journées entre la pêche sur glace et le bar « Le Central » tenu par deux frères obsédés par la lutte des classes. Il fait de son mieux pour échapper à l’emprise des puissants, politiciens, hommes d’affaires, narcotrafiquants et fréquente volontiers les paumés, les désabusés et les musiciens de jazz. Un jour, il se trouve, selon la formule bien connue, au mauvais endroit, au mauvais moment. Sa vie va alors changer du tout au tout.
Ce qu’ils nous laissent prend corps dans un monde qui n’est pas tout à fait le nôtre, mais qui lui ressemble furieusement. Road-book déjanté, ce roman, né dans un univers urbain qui se délite, embarque le lecteur vers les Grands Espaces du néowestern à une allure folle, à la rencontre de personnages tous plus étranges les uns que les autres ; cela jusqu’au terminus du mythique Grand Sud.


Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis une soixantaine d’années, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.


2 réflexions au sujet de “Neige, jazz et fuite en avant : l’odyssée noire de Richard Tabbi”

Laisser un commentaire