« La chambre des morts » : anatomie d’un thriller français majeur

La chambre des morts de Franck Thilliez

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L’univers noir de Franck Thilliez : introduction à « La chambre des morts »

Plonger dans un roman de Franck Thilliez, c’est accepter de s’aventurer dans les recoins les plus obscurs de l’âme humaine. « La chambre des morts », publié en 2005, constitue une pierre angulaire dans la bibliographie de cet auteur incontournable du thriller français contemporain. Ce roman nous entraîne dans une spirale criminelle où le hasard, la destinée et la noirceur humaine s’entrelacent avec une précision chirurgicale.

L’auteur, ingénieur en nouvelles technologies de formation, apporte à son écriture une rigueur scientifique et une précision technique qui rendent ses intrigues particulièrement crédibles. Dans « La chambre des morts », Thilliez déploie un univers où la frontière entre le bien et le mal s’estompe, où chaque personnage porte en lui une part d’ombre susceptible de basculer au gré des circonstances.

Ce thriller se déroule dans le Nord de la France, région chère à l’auteur, où les paysages industriels désolés et les ciels bas amplifient l’atmosphère pesante du récit. Les terrils, les usines désaffectées et les longues routes désertes deviennent des personnages à part entière, témoins silencieux des drames qui s’y jouent et des âmes qui s’y perdent.

L’intrigue s’articule autour d’un accident aux conséquences démesurées, entraînant les protagonistes dans une spirale infernale où chaque décision, même la plus anodine, peut avoir des répercussions fatales. Thilliez excelle à tisser une toile où le destin semble s’acharner sur des personnages ordinaires, confrontés à des situations extraordinaires qui révèlent leur véritable nature.

La force de « La chambre des morts » réside aussi dans la manière dont Thilliez parvient à capturer la psychologie de ses personnages, qu’ils soient victimes, bourreaux ou enquêteurs. L’auteur nous fait ressentir leurs angoisses, comprendre leurs motivations et parfois même éprouver de l’empathie pour les plus sombres d’entre eux, brouillant ainsi nos repères moraux traditionnels.

Ce premier volet de notre analyse nous invite à pénétrer plus avant dans ce roman captivant qui a contribué à faire de Franck Thilliez l’un des maîtres du thriller psychologique français. Son talent pour explorer les aspects les plus troubles de la nature humaine et sa capacité à maintenir le lecteur en haleine font de « La chambre des morts » une œuvre fascinante qui ne laisse personne indifférent.

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Une intrigue haletante entre thriller et polar noir

L’intrigue de « La chambre des morts » s’ouvre sur un accident aux allures de coup du sort qui propulse deux hommes ordinaires dans l’engrenage du crime. Lorsque Sylvain et Vigo heurtent un inconnu en pleine nuit et découvrent une mallette contenant deux millions d’euros, leur décision de fuir avec le butin les précipite dans un abîme moral. La mécanique implacable du récit se met alors en marche, révélant peu à peu les ramifications terribles de cet acte initial.

Parallèlement, Thilliez introduit le personnage de Lucie Henebelle, brigadier de police fraîchement revenue de congé maternité, qui se retrouve impliquée dans l’enquête sur le meurtre d’une fillette aveugle. Cette investigation la confronte à un tueur méticuleux dont les motivations restent d’abord incompréhensibles, mais dont la signature macabre témoigne d’une perversion méthodique et d’un univers mental terrifiants.

L’auteur excelle dans l’art de tisser ces deux trames narratives initialement distinctes, les rapprochant inexorablement jusqu’à leur convergence finale. Cette structure en puzzle, où chaque pièce s’emboîte avec une précision d’horloger, crée une tension constante qui ne se relâche jamais. Le lecteur devient ainsi témoin impuissant d’une catastrophe annoncée, incapable de détacher son regard du désastre qui se profile.

Thilliez maîtrise également l’art d’entrelacer les indices, semant des pistes et des fausses pistes qui maintiennent le lecteur en alerte permanente. Les détails scientifiques et techniques qui émaillent le récit, loin d’être gratuits, servent l’intrigue et renforcent sa crédibilité. L’enquête progresse ainsi au rythme des découvertes macabres, des analyses médico-légales et des déductions des enquêteurs, dans une course contre la montre haletante.

La dimension psychologique du récit confère au roman sa profondeur. La peur, la culpabilité, l’ambition et la folie deviennent des moteurs aussi puissants que les actes eux-mêmes. Chaque décision des personnages s’inscrit dans une spirale de conséquences qui les dépasse, révélant la fragilité des conventions morales face aux circonstances extrêmes. Cette exploration des zones grises de l’âme humaine ancre résolument l’œuvre dans la tradition du noir.

L’architecture narrative de « La chambre des morts » révèle toute la maîtrise de Franck Thilliez. En jonglant avec les points de vue, y compris celui du tueur, l’auteur nous offre un kaléidoscope de la nature humaine face à l’horreur. Ce thriller psychologique, nourri d’éléments de procédure policière et d’une réflexion sur le hasard et la destinée, se distingue par son implacable progression vers un dénouement aussi surprenant qu’inévitable.

Des personnages complexes face à la noirceur humaine

La force de « La chambre des morts » réside dans la complexité psychologique de ses personnages, tous confrontés à leurs propres démons. Lucie Henebelle, brigadier de police et mère de jumelles, incarne parfaitement cette ambivalence. Passionnée par la psychologie criminelle et les profils de tueurs en série, elle porte un regard particulier sur les enquêtes, à mi-chemin entre fascination et effroi. Sa détermination professionnelle se heurte constamment aux exigences de sa vie personnelle, créant une tension qui nourrit la profondeur du personnage.

Le duo formé par Sylvain et Vigo représente la fragilité morale de l’être humain ordinaire face à la tentation. Ces deux amis chômeurs, poussés par la précarité et l’opportunisme, nous montrent comment le choix d’un instant peut faire basculer des vies entières. Thilliez explore avec finesse l’érosion progressive de leurs valeurs morales, révélant comment la culpabilité et la peur façonnent leurs actions ultérieures et les transforment irrémédiablement.

Le tueur, dont l’identité se dévoile progressivement, est traité avec une profondeur rarement atteinte dans le genre. Loin d’être réduit à un simple monstre unidimensionnel, il apparaît comme le produit d’un parcours traumatique et d’obsessions dévastatrices. L’auteur nous fait pénétrer son univers mental sans jamais tomber dans la complaisance, créant un personnage d’une inquiétante étrangeté qui reste gravé dans la mémoire du lecteur.

Les personnages secondaires bénéficient également d’un traitement soigné qui enrichit la trame narrative. Le capitaine Raviez avec sa moustache emblématique, le lieutenant Norman aux allures de fantôme roux, ou encore le vétérinaire Van Boost à la personnalité gothique sont autant de figures mémorables qui apportent relief et crédibilité au récit. Chacun possède ses failles et ses motivations propres, servant l’intrigue tout en existant pleinement.

Thilliez excelle particulièrement dans sa représentation des victimes, qu’il s’agisse de la petite Mélodie Cunar, enfant aveugle transformée en poupée macabre, ou d’Éléonore, adolescente diabétique dont la vie dépend d’un décompte implacable. L’auteur leur confère une humanité poignante, faisant d’elles bien plus que de simples corps ou statistiques. Ces figures vulnérables, vivantes ou déjà disparues, hantent le récit et renforcent l’urgence de l’enquête.

La richesse des interactions entre ces différents personnages tisse une toile relationnelle complexe qui donne au roman toute sa dimension humaine. À travers leurs confrontations, leurs alliances et leurs trahisons, Franck Thilliez interroge notre propre rapport à la morale, à la vérité et à la justice. Cette galerie de portraits nuancés, où personne n’est totalement innocent ni entièrement coupable, contribue largement à faire de « La chambre des morts » une œuvre qui résonne longtemps après sa lecture.

Une construction narrative implacable

L’architecture narrative de « La chambre des morts » témoigne d’une maîtrise impressionnante du tempo et des mécanismes de tension. Franck Thilliez orchestre son récit en alternant les points de vue de manière stratégique, nous faisant suivre simultanément les trajectoires des enquêteurs, des criminels malgré eux et du tueur. Ce jeu de perspectives multiples permet au lecteur d’avoir toujours un temps d’avance sur certains personnages tout en restant dans l’ignorance d’autres éléments, créant ainsi une frustration savamment dosée qui maintient l’attention en éveil.

Le prologue, situé en 1987, pose d’emblée la première pièce d’un puzzle dont le lecteur ne comprendra l’importance que progressivement. Cette technique de flashback initial, qui semble d’abord déconnectée de l’intrigue principale, révèle toute sa pertinence au fil des pages. Thilliez sème ainsi les graines d’une compréhension ultérieure, invitant le lecteur à participer activement à la résolution de l’énigme en connectant les fils temporels distendus.

Le compte à rebours imposé par le diabète de la jeune Éléonore constitue un ressort narratif redoutable qui structure l’ensemble du récit. Cette limite temporelle implacable insuffle un rythme haletant à l’enquête et dramatise chaque seconde qui passe. L’auteur utilise habilement cette contrainte pour accélérer progressivement le rythme des événements, multipliant les scènes d’action et les révélations à mesure que l’échéance fatale approche.

Les chapitres courts et incisifs, souvent conclus par une révélation ou un cliffhanger, contribuent à l’efficacité narrative du roman. Thilliez maîtrise l’art de la chute de chapitre, ces phrases ultimes qui donnent envie de tourner immédiatement la page. Cette structure fragmentée mais cohérente permet de maintenir un rythme soutenu tout en développant simultanément plusieurs axes narratifs qui finiront par converger de manière inexorable.

Les fausses pistes et les rebondissements sont méticuleusement orchestrés pour déjouer les attentes du lecteur sans jamais tomber dans l’artifice. Chaque révélation semble à la fois surprenante et inévitable, fruit d’un travail d’horloger sur la dissémination des indices et des informations. L’auteur parvient à maintenir le mystère autour de l’identité et des motivations du tueur jusqu’aux derniers moments, tout en offrant suffisamment d’éléments pour que la résolution finale paraisse cohérente.

À l’instar d’un mécanisme d’horlogerie parfaitement réglé, la construction de « La chambre des morts » ne laisse rien au hasard. Thilliez utilise la technique du cercle narratif, faisant se répondre le prologue et l’épilogue dans une boucle qui donne tout son sens à l’intrigue. Cette structure circulaire, où chaque élément trouve sa place et sa justification, témoigne d’une réflexion approfondie sur la composition romanesque et transforme ce qui aurait pu n’être qu’un simple polar en une œuvre littéraire accomplie.

L’atmosphère oppressante du Nord de la France

Le Nord de la France, région natale de Franck Thilliez, n’est pas un simple décor dans « La chambre des morts » mais un personnage à part entière qui imprègne chaque page de son atmosphère singulière. L’auteur dépeint avec précision et sensibilité cette terre marquée par son passé industriel, ses paysages de terrils et ses ciels bas. Les éoliennes géantes qui se dressent dans la zone industrielle de Dunkerque, « comme les mamelons terrifiants d’un poitrail démoniaque », deviennent le symbole d’une modernité inquiétante posée sur les ruines d’un monde ouvrier en déliquescence.

Les conditions météorologiques participent pleinement à la création d’une ambiance oppressante. Le froid mordant de décembre, la neige qui ne parvient pas à s’installer durablement, le brouillard qui « coule des toitures en reptations silencieuses » enveloppent les personnages dans un linceul naturel où leurs respirations se matérialisent en « nuages opaques ». Cette météorologie hostile amplifie la sensation d’isolement des protagonistes et semble refléter la glaciation de leurs âmes à mesure que l’intrigue progresse.

L’habitat lui-même raconte une histoire sociale et contribue à l’atmosphère du roman. Des corons miniers où vivent Vigo et sa famille aux fermettes isolées dans la campagne nordiste, en passant par les ruelles étroites du Vieux Lille, chaque lieu porte les stigmates d’une histoire régionale complexe. Thilliez excelle particulièrement dans sa description des intérieurs modestes où « le poids des bibelots, la monochromie des tapisseries » révèlent les vies qui s’y déroulent.

Les paysages naturels transformés par l’homme accentuent cette impression de désolation. Les marais de Clairmarais où est immergé un cadavre, les terrils majestueux où est enterré le magot, ou encore la forêt oppressante qui cache le repaire du tueur constituent des écosystèmes inquiétants à mi-chemin entre nature et artifice. L’auteur saisit parfaitement cette ambivalence d’un territoire façonné par des siècles d’exploitation minière et industrielle.

Le tissu urbain et industriel sert de caisse de résonance aux drames qui s’y jouent. La zone industrielle de Dunkerque est décrite comme « une nécropole de boulons vissés et de plaques soudées », un « monstre de métal » qui dévore les destins humains. Ces espaces déshumanisés, où les grillages rouillés côtoient les bâtiments abandonnés, constituent le théâtre idéal pour les crimes et les transgressions qui jalonnent le récit.

Cette géographie physique et émotionnelle traduit l’authenticité d’un regard porté sur une région souvent mal-aimée. Dans ces paysages que Thilliez dépeint sans misérabilisme ni complaisance, la beauté surgit parfois de la désolation, comme lorsque Sylvain contemple le coucher de soleil depuis un terril et observe « une immense boule de feu qui embrase une mer de champs ». Ce Nord à la fois rude et attachant, terre de contrastes et de résilience, confère au récit une profondeur sociologique qui transcende les codes habituels du thriller.

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Les thématiques fortes : violence, hasard et destinée

« La chambre des morts » explore avec une acuité remarquable le thème du hasard et de ses conséquences implacables. L’accident initial, ce choc dans la nuit entre une voiture et un homme transportant une rançon, constitue le point de bascule à partir duquel toutes les destinées des personnages seront irrémédiablement modifiées. Cette réflexion sur le hasard s’incarne dans les méditations de Vigo sur la « boulette de papier » qui, par effet papillon, peut provoquer des catastrophes en chaîne, soulignant ainsi comment un geste anodin peut engendrer des conséquences démesurées.

La violence sous toutes ses formes imprègne le récit sans jamais tomber dans la complaisance gratuite. Thilliez aborde la violence physique à travers les meurtres et les mutilations, mais s’intéresse tout autant à la violence économique qui frappe la région et pousse les personnages dans leurs retranchements. Le chômage qui touche Sylvain et Vigo, la précarité qui en découle, constituent des formes de violence sociale qui servent de terreau au drame. La brutalité des destins brisés par les licenciements fait écho à celle des corps violentés.

La frontière ténue entre normalité et monstruosité constitue l’un des axes de réflexion les plus perturbants du roman. L’auteur nous montre comment des êtres ordinaires peuvent basculer dans l’horreur sous l’effet de circonstances exceptionnelles. La progressive déshumanisation de Vigo, qui passe d’employé modèle à meurtrier calculateur, illustre cette porosité inquiétante entre le bien et le mal. Parallèlement, l’exploration des motivations du tueur révèle les mécanismes psychologiques complexes qui transforment une souffrance initiale en pulsion destructrice.

La fascination pour la mort et la préservation artificielle de la vie traversent l’œuvre comme un fil rouge. À travers la taxidermie, pratiquée par l’assassin, Thilliez interroge notre rapport au corps, à sa dégradation et aux tentatives humaines de transcender la finitude. Les animaux empaillés, figés dans une éternité illusoire, font écho aux corps des victimes transformées en poupées macabres. Cette obsession de figer le vivant dans une posture éternelle traduit une angoisse existentielle profonde face à la disparition.

La question du libre arbitre face au déterminisme social et psychologique traverse l’ensemble du récit. Les personnages semblent constamment tiraillés entre leur capacité à choisir leur destin et les forces qui les dépassent – origines sociales, traumatismes passés, pressions économiques. Cette tension entre liberté et déterminisme s’illustre particulièrement dans les choix moraux auxquels sont confrontés Sylvain et Vigo après l’accident, ou dans la façon dont Lucie Henebelle tente de concilier sa vocation professionnelle avec ses responsabilités maternelles.

L’œuvre de Thilliez propose une méditation profonde sur la façon dont le passé conditionne le présent. Chaque personnage porte en lui les cicatrices d’événements antérieurs qui déterminent ses réactions et ses choix. Le prologue énigmatique, situé dans les années 1980, trouve progressivement sa résolution dans le présent du récit, démontrant comment les traumatismes enfouis ressurgissent inévitablement. Cette architecture temporelle complexe, où le passé ne cesse de faire irruption dans le présent, confère au roman une profondeur philosophique qui dépasse largement les conventions du genre.

Le style et l’écriture de Thilliez : précision et efficacité

L’écriture de Franck Thilliez dans « La chambre des morts » se distingue par une précision quasi clinique qui sert admirablement le genre du thriller. Sa formation d’ingénieur transparaît dans sa capacité à décrire avec exactitude les procédures scientifiques, les détails médico-légaux ou les aspects techniques de l’enquête. Cette rigueur documentaire, loin d’alourdir le récit, lui confère une crédibilité qui renforce l’immersion du lecteur et l’impact des scènes les plus intenses.

Les dialogues, nerveux et percutants, constituent l’un des points forts du style de Thilliez. Ils sonnent juste, reflétant parfaitement la psychologie des personnages et leur milieu social. L’auteur capte avec justesse les expressions du Nord, cette langue colorée et directe qui donne une saveur particulière aux échanges. Cette authenticité des voix participe pleinement à la construction des personnages et ancre le récit dans un réalisme saisissant.

La description des scènes de crime et des examens post-mortem témoigne d’un équilibre remarquable entre précision technique et sensibilité. Thilliez ne verse jamais dans le voyeurisme gratuit ou le gore spectaculaire, préférant suggérer l’horreur plutôt que de l’exhiber. Sa manière de décrire les corps, les blessures ou les processus de la mort relève davantage d’une approche scientifique que d’une recherche d’effets faciles, ce qui paradoxalement renforce l’impact émotionnel de ces passages.

Les paysages et les atmosphères bénéficient d’un traitement particulièrement soigné. L’auteur excelle dans l’art de créer des ambiances inquiétantes à partir d’éléments ordinaires, transformant un entrepôt désaffecté ou un marécage nocturne en lieux de terreur pure. Sa prose devient alors plus évocatrice, plus imagée, multipliant les métaphores qui ancrent profondément ces décors dans l’imaginaire du lecteur et amplifient la tension narrative.

Le rythme constitue l’une des grandes forces de l’écriture de Thilliez. Alternant habilement entre passages contemplatifs, scènes d’action haletantes et moments de tension psychologique, il maîtrise parfaitement la respiration du récit. Les phrases courtes, incisives dans les moments critiques contrastent avec des descriptions plus amples lorsque le texte plonge dans l’intériorité des personnages, créant ainsi une partition littéraire aux variations maîtrisées.

La plume de Thilliez se caractérise par son impressionnante adaptabilité aux exigences narratives. Tantôt chirurgicale dans les descriptions techniques, tantôt sensible dans l’exploration des émotions, elle sait également se faire poétique quand elle évoque les paysages du Nord ou les états d’âme troublés des personnages. Cette versatilité stylistique, toujours au service de l’efficacité narrative, constitue la signature d’un auteur qui maîtrise parfaitement les codes du thriller tout en leur insufflant une dimension littéraire incontestable.

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« La chambre des morts » : un incontournable du thriller français contemporain

« La chambre des morts » a marqué un tournant dans la carrière de Franck Thilliez et dans le paysage du thriller français. Paru en 2005, ce roman a immédiatement capté l’attention des lecteurs et des critiques, remportant le Prix des lecteurs Quais du polar 2006 et le Prix SNCF du polar français 2007. Cette reconnaissance précoce a confirmé l’émergence d’une voix singulière dans le genre, capable de rivaliser avec les maîtres anglo-saxons du thriller tout en proposant une approche résolument ancrée dans la réalité française.

L’adaptation cinématographique du roman en 2007, réalisée par Alfred Lot avec Mélanie Laurent et Éric Caravaca dans les rôles principaux, a permis de faire connaître cette œuvre à un public encore plus large. Si le film a pris quelques libertés avec le matériau original, il a contribué à asseoir la notoriété de Thilliez et à démontrer la puissance visuelle de son écriture. Cette transposition sur grand écran témoigne de la force narrative et du potentiel cinématographique inhérents à la prose de l’auteur.

L’influence de « La chambre des morts » sur le thriller français contemporain est considérable. En combinant enquête policière rigoureuse, exploration psychologique des personnages et contexte social réaliste, Thilliez a ouvert la voie à une nouvelle génération d’auteurs. Son approche, qui refuse les facilités et privilégie l’authenticité, a contribué à l’émergence d’un polar hexagonal ambitieux, capable de transcender les codes du genre pour proposer une véritable réflexion sur la société française.

Ce roman constitue également une pièce importante dans la construction de l’univers littéraire de Franck Thilliez. Bien qu’il s’agisse d’une œuvre autonome, on y retrouve déjà les thèmes de prédilection qui jalonnent toute sa bibliographie : fascination pour les mécanismes de la violence, intérêt pour les sciences forensiques, exploration des troubles psychiques et ancrage dans une réalité sociale française. Des éléments qui seront développés par la suite dans ses célèbres romans mettant en scène le duo Sharko-Hennebelle.

La résonance de « La chambre des morts » perdure près de vingt ans après sa publication, témoignant de sa qualité intrinsèque et de sa pertinence durable. En dépeignant une France périphérique rarement représentée dans la littérature, en abordant les conséquences de la désindustrialisation et de la précarité sociale, Thilliez a ancré son thriller dans une réalité qui continue malheureusement de faire écho dans notre présent. Cette dimension sociologique confère au roman une profondeur qui transcende les limites habituelles du genre.

La trajectoire exceptionnelle de ce roman dans le paysage littéraire français illustre la capacité de Thilliez à toucher un large public sans jamais sacrifier l’exigence de son propos. En équilibrant parfaitement tension narrative, profondeur psychologique et pertinence sociale, « La chambre des morts » s’impose définitivement comme une œuvre fondatrice du renouveau du thriller français, dont l’influence continue de se faire sentir auprès des lecteurs et des auteurs contemporains.

Mots-clés : Thriller, Taxidermie, Hasard, Nord-de-France, Enquête, Psychologie-criminelle, Destin


Extrait Première Page du livre

 » PROLOGUE
AOÛT 1987 – NORD DE LA FRANCE

Depuis la nuit dernière, l’odeur avait encore empiré. L’infection ne se contentait plus d’imprégner les draps ou les taies d’oreiller, elle se diluait dans toute la chambre, tenace et nauséeuse. Une fois son tee-shirt ôté, la fillette l’avait écrasé sur son nez avant de nouer les extrémités autour de sa tête. Stratagème inefficace. Malgré la barrière de tissu, les molécules olfactives distribuaient leur poison invisible. Il est des fois où l’on ne peut rien contre plus petit que soi.

À travers les fenêtres verrouillées, l’été déversait une moiteur grasse, les mouches bourdonnaient, agglutinées en losanges émeraude sur un trognon de pomme pourri. De plus en plus, l’enfant se sentait impuissante face aux hordes ailées. Les insectes se multipliaient à une vitesse prodigieuse et fondaient sur le lit, trompes en avant, à chaque fois que la petite relâchait son attention. Bientôt, épuisée, affamée, elle serait forcée de capituler.

Même pas neuf ans et pourtant, déjà, l’envie de mourir.

Sa gorge brûlait, sa langue gonflait, son organisme se liguait contre elle en un arc douloureux. Il fallait boire, absolument. Ce qui impliquait quitter la couche, s’éloigner de la chambre et foncer jusqu’à la salle de bains.

Oh non !

Des facettes d’yeux la disséquaient par dizaines, des ailes se déployaient, parées à arracher de terre les petits corps velus.

Ça ne prendra qu’une minute ! Une seule minute ! Ces sales bêtes n’auront pas le temps de…

La gamine laissa flotter une main le long des couvertures sans lâcher du regard ses ennemis répugnants. Une forte envie d’uriner la torturait depuis plusieurs heures. Dans la salle d’eau, elle en profiterait pour se soulager dans le lavabo, comme elle le faisait depuis trois jours. Pas question de descendre au rez-de-chaussée.

Son front, ses membres, marbrés de bleus, luisaient de sueur. Pas un murmure d’air. Oxygène brûlant. Températures caniculaires même ici, dans le poumon lugubre de la forêt. À chaque inspiration, l’impression d’inhaler des lames de rasoir. Quand le calvaire cesserait-il ?

La fillette terrorisée serra sa peluche, un singe miniature, avant de regrouper ses pieds sur la moquette, prête à courir. Un craquement d’escaliers brisa son élan. Ça y est. Son tour arrivait. « 


  • Titre : La chambre des morts
  • Auteur : Franck Thilliez
  • Éditeur : Éditions Le Passage
  • Nationalité : France
  • Date de sortie : 2005

Résumé

Qui n’a jamais rêvé de trouver deux millions d’euros dans un sac dans la rue ?
Imaginez…
Vous roulez en pleine nuit avec votre meilleur ami, tous feux éteints.
Devant vous, un champ d’éoliennes désert.
Soudain le choc, d’une violence inouïe. Un corps gît près de votre véhicule. À ses côtés, un sac de sport. Dedans, deux millions d’euros.
Que feriez-vous ?

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Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis une soixantaine d’années, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.


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