Vladimir Ilitch contre les uniformes : résistance et satire dans l’Argentine des années 1970

Vladimir Ilitch contre les uniformes de Rolo Diez

Top polars à lire absolument

Tais-toi, fillette ! Tome 1 de Morgane Pinault
Juliette de Thierry Brun
L'Insane de Marie Ionnikoff

Un roman politique dans l’Argentine de la dictature militaire

« Vladimir Ilitch contre les uniformes » de Rolo Diez s’impose comme une œuvre puissante qui plonge le lecteur au cœur de l’Argentine sous la dictature militaire des années 1970. À travers une narration intense et fragmentée, l’auteur dresse le portrait d’une société écrasée par la violence politique et la répression systématique mise en place par la junte militaire après le coup d’État de mars 1976.

L’œuvre de Diez se distingue par sa capacité à entremêler l’intime et le politique, décrivant avec acuité la vie quotidienne sous un régime autoritaire. Les personnages évoluent dans un univers où la surveillance est omniprésente, où la méfiance règne et où les disparitions forcées constituent une réalité terrifiante qui modifie profondément les comportements sociaux.

Le roman s’articule autour des trajectoires opposées des frères Vladimir et Amadeo, dont les chemins divergent face à la répression. Cette dualité fraternelle devient le miroir des divisions qui traversent la société argentine elle-même, tiraillée entre résistance et soumission, entre risque et sécurité, entre survie individuelle et engagement collectif.

Rolo Diez réussit le tour de force d’aborder la violence politique sans tomber dans le manichéisme. Son écriture, souvent teintée d’humour noir, révèle les contradictions des personnages et la complexité des situations dans lesquelles ils se trouvent plongés, refusant toute vision simpliste du bien et du mal dans un contexte de crise profonde.

Par son regard acéré et son refus des tabous, l’auteur offre une exploration nuancée des mécanismes de pouvoir et d’oppression. Il dévoile comment la terreur institutionnalisée s’immisce jusque dans les espaces les plus intimes, transformant les relations familiales, amicales et amoureuses en terrains minés où chaque parole, chaque geste peut s’avérer fatal.

Le roman s’inscrit ainsi dans une tradition littéraire latino-américaine qui fait de la fiction un espace de résistance et de mémoire. L’œuvre propose une réflexion profonde sur la dignité humaine face à l’oppression, interrogeant avec subtilité la possibilité même de maintenir son intégrité morale dans un système conçu pour broyer les individualités et réduire au silence toute forme de contestation.

livres de Rolo Diez à acheter

Vladimir Ilitch contre les uniformes Rolo Diez
Soleil noir Rolo Diez
L’effet tequila Rolo Diez

La structure narrative et les personnages principaux

« Vladimir Ilitch contre les uniformes » se déploie selon une architecture narrative complexe et fragmentée qui reflète brillamment le chaos social de l’Argentine des années 1970. Rolo Diez construit son roman autour de multiples points de vue et temporalités qui s’entrecroisent, créant une mosaïque narrative où les destins individuels s’entrelacent avec l’histoire collective du pays sous la dictature militaire.

Au centre de cette construction se trouvent les frères Vladimir et Amadeo, deux personnages aux trajectoires diamétralement opposées. Vladimir, le cadet rebelle et inadapté, fascine par son humour mordant et sa capacité à transformer sa marginalité en arme de résistance. Sa vision du monde, nourrie par les bandes dessinées et une perception acérée des hypocrisies sociales, offre un contrepoint décalé aux horreurs du régime.

Amadeo, l’aîné, représente une figure plus conventionnelle de l’engagement politique. Son choix de la lutte armée au sein de l’ERP (Armée révolutionnaire du peuple) l’entraîne dans une spirale dangereuse qui souligne la tragédie de toute une génération confrontée à des choix impossibles. Sa trajectoire illustre le piège qui se referme sur ceux qui choisissent la voie de la résistance active.

Face à ces deux frères se dresse une galerie de personnages incarnant le pouvoir militaire, notamment le commandant Araiza et le comptable Di Gioia. Diez excelle dans la description de ces figures d’autorité, révélant leurs contradictions internes, leurs doutes et leurs compromissions. Ces représentants du régime ne sont pas dépeints comme des monstres unidimensionnels, mais comme des êtres complexes pris dans les rouages d’un système qui les dépasse.

La narration à la troisième personne alterne avec des passages plus intimes, notamment les monologues intérieurs de Vladimir qui offrent une respiration poétique au sein de la violence ambiante. Cette polyphonie narrative permet à l’auteur de multiplier les angles d’approche de la réalité argentine, créant une œuvre kaléidoscopique qui échappe à toute vision simpliste ou manichéenne.

La force de cette structure réside dans sa capacité à maintenir un équilibre précaire entre le récit des événements tragiques et une dimension plus réflexive. Diez parvient à tisser un réseau narratif où chaque personnage, même secondaire, contribue à enrichir la fresque sociale et politique, offrant au lecteur une immersion profonde dans les mécanismes de la terreur d’État et des diverses formes de résistance qui lui sont opposées.

Les frères antagonistes : Vladimir et Amadeo

Au cœur du roman de Rolo Diez se trouve la relation complexe entre Vladimir et Amadeo, deux frères que tout semble opposer et qui incarnent deux réponses possibles face à l’oppression. Leur antagonisme dépasse la simple rivalité fraternelle pour symboliser les tensions qui traversent la société argentine tout entière, divisée entre différentes formes de résistance et d’accommodation au régime militaire.

Vladimir, dont le prénom évoque délibérément Lénine, se présente comme un personnage décalé, marginal et doté d’un humour corrosif qui devient sa principale arme. Refusant les conventions sociales, il cultive une forme de résistance passive-agressive, préférant la subversion intellectuelle et les petits actes de rébellion quotidiens à l’engagement révolutionnaire direct. Son refuge dans l’univers des bandes dessinées et ses références constantes à Vito Nervio révèlent sa façon de créer un univers parallèle où survivre malgré tout.

À l’opposé, Amadeo incarne l’idéalisme révolutionnaire dans sa dimension la plus tragique. Militant de l’ERP, il choisit la voie de la lutte armée avec une conviction qui confine parfois à l’aveuglement. Son engagement politique le conduit à accepter des missions périlleuses, jusqu’à celle qui précipite sa perte. À travers ce personnage, Diez explore les sacrifices et les contradictions de ceux qui ont choisi de prendre les armes contre la dictature.

Ce qui rend la relation entre les deux frères particulièrement fascinante est l’affection indéfectible qui les unit malgré leurs différences. Vladimir, malgré son apparente désinvolture, partage un lien profond avec son frère et souffre intensément de ses choix sans jamais le juger. Cette loyauté fraternelle transcende les divergences idéologiques et offre un contrepoint émouvant à la fracture sociale qui divise le pays.

Les trajectoires des deux frères permettent à l’auteur d’explorer différentes facettes de la masculinité dans un contexte de violence politique. Amadeo, avec son engagement révolutionnaire, perpétue une forme d’héroïsme traditionnel, tandis que Vladimir développe une masculinité alternative qui refuse les codes de virilité associés tant aux militaires qu’aux guérilleros. Cette dichotomie enrichit considérablement la réflexion sur le genre dans les contextes autoritaires.

La dualité entre Vladimir et Amadeo se révèle être l’un des ressorts narratifs les plus puissants du roman. Leurs chemins divergents illustrent les choix impossibles auxquels était confrontée la jeunesse argentine sous la dictature, entre résistance active et survie quotidienne. Diez parvient ainsi, à travers ces deux figures fraternelles, à dépeindre toute la complexité d’une époque où chaque décision pouvait être fatale et où les certitudes idéologiques se heurtaient constamment à la brutalité de la réalité.

Résistance et survie face à l’oppression

« Vladimir Ilitch contre les uniformes » explore avec finesse les multiples formes de résistance qui émergent dans une société sous le joug de la dictature militaire. Rolo Diez dépeint un éventail complet de stratégies de survie et d’opposition, de la résistance armée incarnée par Amadeo aux formes plus discrètes de subversion représentées par Vladimir, en passant par les actes quotidiens de désobéissance silencieuse des personnages secondaires.

Le roman met particulièrement en lumière la résistance par l’humour et la dérision, incarnée magistralement par Vladimir. Ce personnage utilise l’ironie et l’absurde comme des boucliers contre la violence du régime, transformant son apparente folie en une forme de lucidité face à la démence collective. Sa fascination pour les bandes dessinées n’est pas simple échappatoire, mais devient un moyen de décoder le réel et d’y résister par le détournement symbolique.

À l’autre extrémité du spectre, la résistance organisée des mouvements révolutionnaires est dépeinte sans romantisme excessif. Diez montre les contradictions internes, les débats idéologiques et les dilemmes moraux qui traversent ces organisations clandestines. L’engagement d’Amadeo dans l’ERP révèle autant la force de ses convictions que les limites d’une lutte armée face à un appareil répressif tout-puissant.

Le roman accorde également une place importante aux formes de résistance plus discrètes, presque invisibles, comme celles des Mères de la Place de Mai, évoquées brièvement mais puissamment. Ces femmes qui tournent inlassablement sur cette place symbolique incarnent une forme de résistance pacifique mais inébranlable, fondée sur la mémoire et la quête de vérité face aux disparitions forcées.

Diez montre avec acuité comment la survie elle-même devient un acte de résistance dans un contexte totalitaire. Le simple fait de préserver sa dignité, de maintenir des relations humaines authentiques ou de refuser intérieurement les mensonges du régime constitue déjà une forme d’opposition. Les personnages comme Mastretta ou don Ramón illustrent cette résistance silencieuse qui s’exprime à travers la préservation d’une éthique personnelle.

L’originalité du roman réside dans sa capacité à montrer l’imbrication permanente entre résistance et compromission. Aucun personnage n’est totalement héroïque ni entièrement soumis – tous naviguent dans les zones grises de l’adaptation nécessaire à la survie. Cette complexité morale fait la force du regard que porte Diez sur cette période sombre, refusant toute vision manichéenne pour mieux saisir les nuances infinies des comportements humains sous l’oppression.

La dimension satirique et l’humour noir

L’une des caractéristiques les plus saisissantes de « Vladimir Ilitch contre les uniformes » est l’omniprésence d’un humour noir et d’une dimension satirique qui servent de contrepoint à la violence du régime militaire. Rolo Diez utilise la satire comme une arme littéraire, transformant le rire en instrument de dénonciation et en stratégie de survie face à l’horreur quotidienne de la dictature argentine.

Vladimir, protagoniste éponyme, incarne parfaitement cette dimension satirique avec son regard décalé sur le monde. Ses commentaires acides sur la société, ses comparaisons entre les militaires et les personnages de bandes dessinées, et sa façon de travestir le langage officiel créent un effet de distanciation qui permet au lecteur de percevoir l’absurdité du système autoritaire. Son humour fonctionne comme un révélateur des contradictions et des hypocrisies du pouvoir.

Les scènes impliquant les représentants du régime sont particulièrement ciblées par cette approche satirique. Les réunions du commandant Araiza avec ses subordonnés, les discours grandiloquents des militaires sur la « guerre anti-subversive », ou encore la bureaucratie tatillonne qui organise la répression sont décrits avec une ironie mordante qui en souligne le caractère grotesque et déshumanisant.

Le roman regorge de situations qui frôlent l’absurde, comme l’épisode du braquage de banque organisé par Vladimir et ses complices improbables, don Ramón et Mastretta. Cette séquence, qui mêle la tension du polar à la comédie burlesque, illustre parfaitement la manière dont Diez parvient à transformer des situations potentiellement tragiques en farces grinçantes qui révèlent néanmoins une vérité profonde sur la société argentine.

Cet humour noir n’est jamais gratuit : il fonctionne comme une stratégie narrative qui permet d’aborder des sujets insoutenables – la torture, les disparitions forcées, la délation – sans tomber dans le pathos ou la complaisance. En créant cette distance ironique, Diez permet au lecteur de supporter l’insupportable et d’appréhender la réalité de la terreur d’État à travers un prisme qui en révèle toute l’absurdité criminelle.

La satire développée tout au long du roman constitue finalement une forme de résistance littéraire face à l’oppression. Par son refus des discours officiels, son détournement des symboles du pouvoir et sa célébration des marginaux comme Vladimir, l’œuvre de Diez s’inscrit dans une tradition latino-américaine où l’humour noir devient un acte politique, une façon de préserver sa liberté de pensée face aux tentatives d’uniformisation des esprits par les régimes autoritaires.

Les meilleurs livres à acheter

Quelqu’un d’autre Guillaume Musso
Sans soleil Tome 2 Jean-Christophe Grangé
Dernière Soirée Lisa Gardner
La femme de ménage se marie Freida McFadden

Symbolisme et allégories dans le roman

« Vladimir Ilitch contre les uniformes » est émaillé d’un riche réseau symbolique qui approfondit considérablement la portée politique et philosophique de l’œuvre. Le titre lui-même constitue une première clé allégorique essentielle : Vladimir Ilitch, prénom complet de Lénine, se dresse contre les uniformes qui représentent non seulement l’armée mais tout système oppressif cherchant à uniformiser la pensée et à étouffer l’individualité.

La passion de Vladimir pour les bandes dessinées, notamment pour le personnage de Vito Nervio, dépasse le simple trait de caractère pour devenir un puissant symbole de résistance culturelle. Ces références constantes à la culture populaire fonctionnent comme un contre-discours face à la rhétorique militaire, opposant l’imagination et la créativité à la violence institutionnalisée et à la pensée unique imposée par le régime.

Les espaces dans le roman portent également une forte charge symbolique. L’opposition entre les lieux ouverts comme la Plaza Flores, où Vladimir passe son temps, et les espaces clos des bureaux militaires ou des salles de torture, illustre la tension entre liberté et enfermement qui traverse toute l’œuvre. Les déplacements des personnages entre ces différents espaces racontent, sur un plan allégorique, leur positionnement moral face au régime.

Le motif de la folie, incarné par Vladimir mais aussi par d’autres personnages comme Mastretta, constitue une allégorie puissante de la résistance au pouvoir. Dans un monde où la raison d’État justifie l’injustifiable, la folie apparente de certains personnages devient paradoxalement le signe d’une lucidité supérieure. La frontière entre normalité et folie s’estompe, suggérant que la véritable démence réside dans l’acceptation passive de l’horreur quotidienne.

L’opposition fraternelle entre Vladimir et Amadeo peut se lire comme une allégorie des choix impossibles auxquels était confrontée la gauche latino-américaine face aux dictatures. Amadeo, avec son engagement dans la lutte armée, et Vladimir, avec sa résistance culturelle et symbolique, représentent deux voies distinctes mais complémentaires de l’opposition au régime, révélant la complexité des stratégies de résistance et leurs coûts respectifs.

La dimension symbolique du roman s’exprime également à travers certains objets récurrents qui acquièrent une signification allégorique. Les armes, les uniformes, mais aussi les livres et les bandes dessinées deviennent les emblèmes des forces antagonistes qui s’affrontent dans l’Argentine des années 1970. Par ce jeu d’allégories subtiles, Diez transcende le simple récit historique pour proposer une réflexion universelle sur le pouvoir, la résistance et la préservation de l’humanité face à l’oppression.

Le contexte historique : Argentine des années 1970

« Vladimir Ilitch contre les uniformes » s’ancre profondément dans la réalité historique de l’Argentine des années 1970, période marquée par une escalade de violence politique qui culmina avec le coup d’État militaire du 24 mars 1976. Rolo Diez reconstitue avec précision l’atmosphère oppressante de cette époque où la junte militaire, dirigée par le général Jorge Rafael Videla, instaura ce qu’elle nomma le « Processus de Réorganisation Nationale », euphémisme qui masquait un appareil répressif sans précédent.

Le roman fait référence à plusieurs organisations politiques et militaires qui ont réellement existé, notamment l’ERP (Ejército Revolucionario del Pueblo) dont fait partie Amadeo, et les Montoneros, qui constituaient les principaux mouvements de guérilla urbaine opposés au régime. L’auteur évoque également la Triple A (Alliance Anticommuniste Argentine), escadron de la mort d’extrême droite qui, avant même le coup d’État, avait commencé à éliminer systématiquement les opposants politiques.

Diez dépeint avec justesse les méthodes de la dictature : disparitions forcées, centres de détention clandestins, torture institutionnalisée et vol d’enfants. Ces pratiques, désignées par les autorités comme la « guerre sale », visaient à anéantir toute forme d’opposition politique et à terroriser la population civile. Le roman montre comment ces mécanismes de terreur s’immisçaient dans tous les aspects de la vie quotidienne, créant un climat de peur et de méfiance généralisées.

L’œuvre illustre également les divisions profondes qui traversaient la société argentine, tiraillée entre différentes visions politiques et diverses réactions face à la dictature. L’auteur évoque les complicités civiles, notamment dans le monde des affaires représenté par le personnage de Di Gioia, mais aussi les formes de résistance passive ou active qui ont émergé malgré la répression, comme le mouvement des Mères de la Place de Mai brièvement mentionné dans le roman.

Le contexte économique et social est également restitué avec finesse, notamment la politique néolibérale mise en place par la junte en collaboration avec certains secteurs économiques, représentée dans le roman par l’entreprise Mercedes Benz. Cette alliance entre pouvoir militaire et intérêts économiques constitue l’un des ressorts essentiels de la dictature argentine, qui cherchait à remodeler en profondeur la structure sociale du pays au profit des classes dominantes.

Le cadre historique que Diez intègre à sa fiction est d’autant plus saisissant qu’il repose sur sa propre expérience. Ayant lui-même vécu cette période troublée et ayant dû s’exiler au Mexique, l’auteur imprime à son récit une authenticité et une intensité qui transcendent la simple reconstitution historique. Son œuvre devient ainsi un témoignage littéraire crucial sur l’une des périodes les plus sombres de l’histoire argentine moderne, contribuant au nécessaire travail de mémoire collective face aux horreurs de la dictature.

Les meilleurs livres à acheter

L’instinct Nicolas Druart
L’Heure bleue Paula Hawkins
Trauma(s) Karine Giebel
Les enfants du lac Ivar Leon Menger

Vladimir Ilitch : une voix singulière dans la littérature latino-américaine

« Vladimir Ilitch contre les uniformes » occupe une place à part dans le panorama de la littérature latino-américaine consacrée aux dictatures militaires. Par son approche singulière mêlant réalisme cru et dimension satirique, l’œuvre de Rolo Diez se distingue des nombreux romans qui ont abordé cette période sombre. Sa capacité à explorer la terreur d’État à travers le prisme d’un personnage aussi atypique que Vladimir enrichit considérablement la réflexion littéraire sur la mémoire historique.

Contrairement à de nombreux romans politiques qui adoptent un ton grave et solennel, Diez fait le pari audacieux de l’humour et de la fragmentation narrative. Cette approche s’inscrit dans une tradition littéraire latino-américaine qui, de Cortázar à Bolaño, a su utiliser l’expérimentation formelle pour rendre compte de réalités politiques complexes. L’originalité de Diez réside dans sa capacité à transformer cette expérimentation en arme de résistance culturelle.

Le roman établit également un dialogue fécond avec d’autres œuvres marquantes de la littérature argentine, notamment celles de Rodolfo Walsh et de Ricardo Piglia. Comme ces auteurs, Diez brouille les frontières entre fiction et document, entre littérature et témoignage, créant une forme hybride qui répond aux défis éthiques et esthétiques posés par la représentation de la violence politique. Cette hybridité devient la condition même d’une parole authentique sur l’indicible.

L’influence du polar et de la culture populaire constitue un autre trait distinctif de l’écriture de Diez. En intégrant des références aux bandes dessinées et au roman noir, l’auteur renouvelle les codes de la littérature politique latino-américaine, traditionnellement plus proche des formes classiques ou du réalisme magique. Cette appropriation de genres considérés comme « mineurs » participe à une démocratisation des moyens d’expression de la résistance culturelle.

La dimension autobiographique du roman, perceptible à travers certains détails et références, enracine l’œuvre dans l’expérience vécue tout en la transcendant par la fiction. Comme d’autres écrivains exilés tels que Cortázar ou Gelman, Diez transforme le déracinement forcé en position d’observation privilégiée, capable de saisir les contradictions de la société argentine avec un regard à la fois intime et distancié.

La contribution majeure de « Vladimir Ilitch contre les uniformes » à la littérature latino-américaine tient à sa démonstration que l’engagement politique peut s’exprimer à travers une écriture ludique et innovante. En créant un personnage comme Vladimir, qui résiste par l’imagination et l’humour plus que par l’action directe, Diez élargit le champ des possibles littéraires face à l’oppression. Son œuvre affirme ainsi que la résistance culturelle, loin d’être un substitut à l’action politique, constitue une dimension essentielle de la lutte contre les totalitarismes.

Mots-clés : Dictature, Argentine, Résistance, Satire, Fraternité, Subversion, Mémoire


Extrait Première Page du livre

 » Une leçon d’intelligence
Le commandant Araiza se pencha au-dessus du plan étalé sur son bureau et planta une épingle à tête rouge dans le rectangle où on lisait : « Entretien. » De sa main il lissa sa moustache grisonnante puis, en guise d’introduction, jeta un regard au visiteur qui attendait. Il choisit un stylo bien pointu dans le porte-crayon qui se trouvait à sa droite et, sans toucher le papier, le dirigea vers le bas et commença :

— Je vais vous expliquer de quoi il retourne, monsieur Di Gioia. Voici un plan de l’usine, intégré dans une carte de la zone. Voilà notre champ de bataille, notre objectif, le terrain où nous allons lancer une opération stratégique, sans interruption de temps, circonscrite dans cet espace pour des raisons d’économie et d’efficacité opérationnelle. Et pour d’autres raisons dont l’exposé vous ennuierait.

Di Gioia faisait mine d’écouter attentivement et s’apprêtait à s’ennuyer. Lorsque le commandant le prenait pour son élève, il n’avait d’autre choix que d’écouter. La tentation de l’envoyer paître couvait en lui comme un enfant qui se prépare à agir plus tard, quand les conditions s’y prêteront.

— La liste de noms que vous nous livrez résout une partie du travail : la désignation des cibles, mais encore faut-il les atteindre.

Araiza pointa le stylo sur lui (il avait appris un tas d’astuces en lisant Dale Carnegie), et poursuivit :

— Et puis vous nous fournissez là vingt noms, alors que dans votre usine il y a près de deux cents recrues. Deux mille dans toute la zone. Qu’est-ce que vous en dites ?

— Que la situation est grave, répondit-il en tombant dans le piège de croire qu’on lui posait une question.

— Elle sera grave si nous ne la maîtrisons pas, enchaîna le commandant. C’est pourquoi nous travaillons. Les batailles se gagnent en combattant, en attaquant – on n’a rien inventé de mieux. Cependant, c’est la situation de chaque camp au moment où s’engagent les opérations qui détermine l’issue de celles-ci. Dans la guerre moderne, et particulièrement dans la guerre non conventionnelle antiguérilla, ce qui est déterminant, c’est l’Intelligence. Aucune armée à l’horizon. Personne en face de nous. L’ennemi peut être un frère, ce peut être vous ou n’importe qui. Le détecter, le désigner est la tâche la plus ardue. « 


  • Titre : Vladimir Ilitch contre les uniformes
  • Titre original : Vladimir Ilitch contra los uniformados
  • Auteur : Rolo Diez
  • Éditeur : Gallimard
  • Nationalité : Argentine
  • Date de sortie en France : 2019
  • Date de sortie en Argentine : 1989

Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis une soixantaine d’années, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.


Laisser un commentaire