« Jules Verne contre Nemo » : le choc des titans

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Présentation du roman : synopsis, contexte de publication, genre littéraire

« Jules Verne contre Némo » est un roman policier historique écrit par Céline Ghys, paru aux éditions Fayard Noir en 2024. L’auteure s’était déjà illustrée dans ce genre littéraire avec ses précédents ouvrages comme « Le Manuscrit perdu de Saint-Riquier » (2021) ou « Le Secret de Guy de Ponthieu » (2022), publiés chez Nord Avril.

Le récit se déroule à Amiens en 1882. La ville est sous le choc après plusieurs meurtres sordides commis par un tueur en série surnommé Nemo, qui signe ses crimes en référence au célèbre personnage du roman de Jules Verne, « Vingt mille lieues sous les mers ». L’intrigue suit principalement trois personnages : Jules Verne lui-même, qui se retrouve malgré lui impliqué dans l’affaire; le commissaire Gaston Chastagnol, chargé de l’enquête; et Claudine, une jeune femme journaliste qui se travestit en homme sous le nom de Claude Delafuye pour pouvoir exercer sa profession.

Céline Ghys mêle habilement des éléments historiques réels (la vie de Jules Verne, le contexte social et culturel de l’époque) et une intrigue purement fictive. Elle s’appuie sur une documentation fournie pour reconstituer de façon très vivante l’ambiance de la Picardie à la fin du 19e siècle. Le roman intègre aussi des thématiques modernes comme la condition féminine à travers le personnage de Claudine.

Avec ses chapitres courts, ses rebondissements et son suspense maintenu jusqu’au dénouement final, « Jules Verne contre Némo » est un page-turner captivant. Il se situe dans la veine des romans policiers historiques à la façon d’un Jean-François Parot avec sa série des enquêtes de Nicolas Le Floch au 18e siècle. Par son titre et son intrigue, le livre plaira aussi assurément aux nombreux admirateurs de l’univers de Jules Verne. Un récit divertissant et immersif, servi par la plume alerte de Céline Ghys.

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L’ancrage historique et géographique du récit : Amiens et la Picardie à la fin du 19e siècle

L’un des points forts du roman de Céline Ghys est incontestablement son ancrage dans un contexte historique et géographique précis : la ville d’Amiens et la région de Picardie à la fin du 19e siècle. L’auteure a mené un important travail de documentation pour restituer de façon vivante et détaillée l’atmosphère et les réalités de cette époque.

Le récit nous plonge dans une cité en pleine mutation, marquée par la révolution industrielle. Amiens connaît alors un fort exode rural et voit sa population ouvrière s’accroître, travaillant dans les nouvelles usines textiles qui se développent. Mais derrière la prospérité des nouveaux quartiers bourgeois subsistent des zones de grande pauvreté, insalubres et mal famées.

Au fil des pages, le lecteur est entraîné dans une visite presque exhaustive d’Amiens. Le récit évolue des artères haussmanniennes aux ruelles sordides, en passant par les lieux emblématiques comme la cathédrale Notre-Dame, l’Hôtel de Ville ou les hortillonnages. La topographie de la ville est restituée avec précision, donnant au lecteur l’impression de déambuler aux côtés des personnages.

Les descriptions foisonnent de détails qui témoignent d’un réel souci d’exactitude historique : moyens de transport, éclairage au gaz, tenues vestimentaires, etc. L’auteure parvient à recréer tout un quotidien grâce à une multitude de petites touches évocatrices. Elle intègre aussi à son récit fictionnel des personnages et événements réels de l’Amiens de l’époque, renforçant ainsi l’effet de réel.

Cet ancrage spatio-temporel confère une réelle densité et une grande crédibilité à l’univers du roman. Le cadre n’est pas un simple décor mais un élément à part entière de l’intrigue, qui structure et influence le récit. Cette attention portée au contexte historique est une des grandes réussites de ce roman.

Jules Verne en personnage de roman : représentation de l’écrivain, mélange fiction/réalité

L’une des particularités les plus marquantes du roman de Céline Ghys est la présence de Jules Verne lui-même comme personnage central de l’intrigue. L’écrivain n’est pas cantonné à un simple rôle de figurant ou de faire-valoir mais occupe véritablement le devant de la scène. Son implication dans l’enquête sur les meurtres de Nemo en fait un véritable protagoniste au même titre que le commissaire Chastagnol.

Pour construire son personnage, l’auteure s’est appuyée sur de nombreux éléments biographiques avérés. On découvre un Jules Verne à la fois mondain et casanier, partagé entre sa maison d’Amiens (qui existe toujours aujourd’hui) et les cercles qu’il fréquente. Sa vie familiale est évoquée à travers ses relations avec son épouse Honorine et les démêlés passés avec son fils Michel. Ses habitudes d’écriture, sa documentation minutieuse, sonMode de publication chez l’éditeur Hetzel sont aussi décrits.

Mais l’écrivain tel que le met en scène Céline Ghys n’est pas non plus un personnage purement historique. Au contact de Nemo et de ses crimes, c’est un Jules Verne inédit qui se révèle, plus aventureux et volontaire que l’image un peu figée du notable amiénois. Comme pour mieux se réapproprier son personnage du capitaine Nemo qui lui échappe, Verne n’hésite pas à mener l’enquête et à se retrouver aux premières loges de l’action.

En faisant de Jules Verne un héros de roman, Céline Ghys brouille les frontières entre réalité et fiction. Elle nous fait pénétrer dans l’intimité de l’écrivain, allant jusqu’à décrire ses pensées et ses sentiments. Mais elle le place dans un récit qui n’a jamais eu lieu, où il côtoie des personnages imaginaires. Ce mélange de réel et d’invention est assumé et constitue un des charmes du roman.

On peut lire le personnage de Jules Verne comme une sorte d’hommage de Céline Ghys au père de la science-fiction. En le plaçant au cœur d’un récit policier haletant, elle actualise et modernise son image. Elle propose finalement un « Jules Verne contre Némo » qui fait écho aux formidables oppositions entre le bien et le mal que l’on trouve dans l’œuvre de l’écrivain. Une façon de prolonger la mythologie vernienne par-delà le temps.

Les autres personnages principaux : Gaston Chastagnol, Claudine/Claude, Nemo l’assassin

Si Jules Verne est incontestablement la figure centrale du roman, il est entouré de personnages principaux hauts en couleur qui apportent chacun une tonalité particulière au récit. Parmi eux, le commissaire Gaston Chastagnol se détache comme un protagoniste majeur. Cet enquêteur hors normes, muté de Paris à Amiens, incarne une vision moderne et scientifique du policier. Ses méthodes d’investigation novatrices, basées sur l’observation et l’analyse des indices, tranchent avec les pratiques de l’époque. C’est un homme entier, hanté par des démons personnels, qui se lance à corps perdu dans la traque de Nemo.

L’autre grand personnage du roman est Claudine, alias Claude Delafuye. Cette jeune femme désireuse de devenir journaliste n’a d’autre choix que de se travestir en homme pour pouvoir exercer sa profession. À travers elle, Céline Ghys aborde la question de la condition féminine et des combats à mener pour s’imposer dans un monde dirigé par les hommes. Au fil du récit, Claudine s’affirme comme une enquêtrice perspicace et une alliée précieuse pour Chastagnol. Sa double identité est source de nombreux quiproquos et rebondissements.

Face à eux se dresse la figure énigmatique et terrifiante de Nemo, le tueur en série qui sème la mort dans les rues d’Amiens. S’appropriant le nom du célèbre personnage de Jules Verne, il orchestre ses crimes comme une mise en scène macabre. Ses missives pleines de mépris adressées à la presse, ses meurtres sanglants, son insaisissabilité créent autour de lui une aura presque surnaturelle. Il apparaît comme une incarnation du mal absolu, un génie criminel qui semble toujours avoir un coup d’avance sur les forces de l’ordre.

Autour de ce trio gravitent de nombreux personnages secondaires soigneusement campés : l’épouse de Jules Verne, Honorine, femme de caractère qui tient son rang dans la bonne société amiénoise ; Rose, la bonne dévouée ; ou encore les nombreux témoins et suspects interrogés par Chastagnol. Chacun participe à sa façon à l’atmosphère si vivante du roman.

La dynamique qui s’installe entre ces différents protagonistes est un des moteurs du récit. Les interactions entre Jules Verne, fasciné malgré lui par l’affaire, Chastagnol, déterminé à arrêter Nemo, et Claudine, tiraillée entre ses ambitions professionnelles et son attirance pour le commissaire, apportent au roman une tension dramatique sans cesse renouvelée. C’est aussi à travers leurs regards que le lecteur suit les progrès de l’enquête et les développements de l’intrigue jusqu’à son dénouement final.

La construction de l’intrigue policière : meurtres, enquête, fausses pistes et révélations

« Jules Verne contre Nemo » est avant tout un roman policier et Céline Ghys déploie tout son savoir-faire pour construire une intrigue haletante qui tient le lecteur en haleine jusqu’à la dernière page. Le récit s’ouvre par un premier meurtre sordide : celui de Marie Nicolet, une comédienne retrouvée atrocement mutilée dans une ruelle d’Amiens. C’est le point de départ d’une série de crimes sanglants qui vont ensanglanter la ville, chaque nouveau meurtre étant plus brutal que le précédent. L’assassin, qui signe ses forfaits du nom de Nemo, prend un malin plaisir à narguer la police et la presse.

Face à cette menace, le commissaire Chastagnol et son équipe vont déployer toute leur énergie pour tenter de remonter jusqu’au tueur. L’enquête progresse au rythme des chapitres, suivant les interrogatoires des témoins, les analyses des indices, les déductions des enquêteurs. Le lecteur est placé dans la position d’un observateur privilégié qui en sait autant que les personnages. Il est invité à émettre ses propres hypothèses, à échafauder ses théories, dans une participation active au récit.

Car si Céline Ghys distille les révélations avec un art consommé de la tension narrative, elle n’hésite pas non plus à semer de nombreuses fausses pistes pour égarer le lecteur. Chaque nouveau suspect, chaque découverte inattendue peut ainsi apparaître tour à tour comme une clé de l’énigme avant d’être remise en question quelques pages plus loin. L’auteure joue avec les codes du genre, détournant les clichés du roman policier pour mieux surprendre son lecteur.

Mais au-delà de ses qualités proprement littéraires, l’intrigue imaginée par Céline Ghys séduit aussi par sa coloration historique. Les méthodes d’investigation déployées par Chastagnol s’inscrivent dans le contexte de l’époque, avec des chapitres passionnants consacrés à la naissance de la police scientifique. De même, la traque de Nemo est l’occasion de plonger dans les bas-fonds d’Amiens, de la maison close au garni misérable, et de dresser un tableau vivant des tensions sociales qui agitent la ville.

Il faut enfin souligner la qualité du dénouement de l’intrigue. Le dernier acte du roman rassemble tous les fils de l’enquête dans une confrontation finale particulièrement réussie entre le commissaire Chastagnol et le grand manipulateur Nemo. La révélation de l’identité du tueur et de ses motivations est amenée avec beaucoup de maîtrise et de crédibilité, sans rien céder au sensationnalisme. C’est une résolution à la hauteur de la qualité de l’ensemble du roman, qui vient clore magistralement cette aventure hors du commun.

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Thèmes principaux abordés : condition féminine, relations sociales, progrès scientifiques

Au-delà de l’intrigue policière, « Jules Verne contre Nemo » aborde plusieurs thématiques qui donnent au roman une réelle profondeur et résonnent avec des problématiques très actuelles. Le premier de ces thèmes est sans conteste la condition féminine, incarnée par le personnage de Claudine. À travers son travestissement en homme pour pouvoir exercer le métier de journaliste, Céline Ghys met en lumière les inégalités et les discriminations dont sont victimes les femmes à la fin du 19e siècle. Le combat de Claudine pour s’imposer dans un monde professionnel exclusivement masculin fait écho aux luttes féministes d’hier et d’aujourd’hui.

Le roman offre également un tableau passionnant des relations sociales dans l’Amiens de l’époque. En suivant les différents protagonistes, depuis les notables de la bonne société jusqu’aux habitants des quartiers les plus pauvres, Céline Ghys donne à voir une société fortement hiérarchisée et cloisonnée. Les rapports de classe, les préjugés, les hypocrisies sont dépeints sans concession mais aussi sans manichéisme. L’auteure s’attache à montrer la complexité de ces interactions sociales, la coexistence dans une même ville de mondes qui se côtoient sans vraiment se mélanger.

Autre thème central du roman : les progrès scientifiques et leurs applications dans le domaine de l’enquête policière. Céline Ghys met en scène les balbutiements de ce qui deviendra la police scientifique, avec des chapitres détaillés sur les nouvelles méthodes d’investigation (relevé d’empreintes, analyses médico-légales, etc.). Elle montre comment ces avancées bouleversent le travail des enquêteurs et contribuent à faire évoluer la perception même du crime. Cette modernité scientifique est incarnée par le personnage du commissaire Chastagnol, figure d’un nouveau type de policier qui se fie davantage aux preuves qu’à son intuition.

On peut également voir dans le personnage de Nemo une réflexion sur le statut de la création artistique et sur les rapports entre réalité et fiction. En s’appropriant le nom d’un personnage de roman pour signer ses crimes, Nemo brouille les frontières entre l’art et la vie. Il met en abyme le processus de création romanesque, la façon dont la fiction peut influencer le réel. Cette dimension méta-littéraire est renforcée par la présence de Jules Verne, incarnation de l’écrivain confronté à sa propre création.

Au fil d’une intrigue policière trépidante, « Jules Verne contre Nemo » développe ainsi une réflexion à plusieurs niveaux sur la société de son temps. Loin d’être de simples ornements, ces thématiques nourrissent le récit et lui donnent une portée qui dépasse le simple divertissement. C’est cette profondeur, alliée à l’originalité de son concept et à la qualité de son écriture, qui fait de ce roman bien plus qu’un exercice de style nostalgique. Une vraie réussite littéraire.

Références à l’univers vernien : Vingt mille lieues sous les mers, autres romans

Pour les amateurs de Jules Verne, « Jules Verne contre Nemo » est un véritable régal tant il regorge de clins d’œil et de références à l’univers de l’écrivain. La plus évidente est bien sûr le personnage de Nemo lui-même, directement inspiré du célèbre capitaine de « Vingt mille lieues sous les mers ». En choisissant ce nom de plume pour signer ses crimes, l’assassin du roman s’inscrit explicitement dans la filiation du héros vernien. Mais là où le Nemo original était un génie scientifique révolté contre la société, son avatar criminel apparaît comme une figure inversée, utilisant son intelligence à des fins meurtrières.

Au-delà de cette référence centrale, le roman fourmille d’allusions plus ou moins directes à d’autres œuvres de Jules Verne. Les discussions entre les personnages sont l’occasion de nombreuses mentions de ses romans les plus connus, de « Voyage au centre de la Terre » à « Michel Strogoff » en passant par « Le Tour du monde en quatre-vingts jours ». Mais Céline Ghys ne se contente pas d’un simple name-dropping : elle intègre subtilement des éléments de l’imaginaire vernien à son propre récit.

On retrouve ainsi dans « Jules Verne contre Nemo » des thèmes chers à l’auteur, comme l’exploration de mondes inconnus (ici, les bas-fonds d’Amiens), le voyage initiatique (celui de Claudine vers son identité de journaliste) ou encore le triomphe de la science et du progrès (incarné par les nouvelles méthodes d’investigation). Certains personnages secondaires semblent également tout droit sortis d’un roman vernien, comme cet excentrique collectionneur de curiosités rencontré par le commissaire Chastagnol au cours de son enquête.

Mais la présence de Jules Verne ne se limite pas à ces références intertextuelles. L’écrivain apparaît lui-même comme un personnage à part entière, permettant au lecteur de plonger dans son intimité, de découvrir son processus créatif. Plusieurs scènes le montrent en train d’écrire ou de discuter de ses projets littéraires, offrant un éclairage fascinant sur la genèse de ses grands romans. Le Jules Verne de papier interagit même avec certaines de ses créations, dans un jeu de miroir vertigineux entre fiction et réalité.

On peut lire « Jules Verne contre Nemo » comme une forme d’hommage à l’univers vernien, une manière pour Céline Ghys de prolonger et d’actualiser l’héritage de l’écrivain. Les très nombreuses références fonctionnent comme autant de clés de lecture, ouvrant des perspectives interprétatives multiples. Elles inscrivent le roman dans une forme de filiation littéraire, tout en lui permettant de développer sa propre identité. Un parfait équilibre entre le respect d’une œuvre patrimoniale et la volonté d’innovation romanesque.

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Style d’écriture et narration : descriptions, dialogues, rythme, ambiance

L’un des grands plaisirs de la lecture de « Jules Verne contre Nemo » réside dans la qualité de son écriture. Céline Ghys déploie un style à la fois classique et efficace, qui sert parfaitement son propos. Loin des expérimentations formelles ou des effets de manche, elle choisit une langue limpide et précise qui vise avant tout à installer son intrigue et à faire vivre ses personnages.

Les descriptions sont un des points forts du roman. En quelques phrases ciselées, l’auteure parvient à planter des décors vivants et évocateurs, qu’il s’agisse des somptueux intérieurs bourgeois ou des ruelles mal famées des bas-fonds amienois. Elle a l’art de sélectionner le détail juste, celui qui fait immédiatement visualiser une scène ou une atmosphère. Ses personnages bénéficient du même traitement, croqués en quelques traits physiques et psychologiques qui les rendent immédiatement identifiables et attachants.

Les dialogues sont un autre atout majeur du livre. Céline Ghys a l’oreille pour restituer la saveur et la vivacité des échanges verbaux. Chaque personnage a son propre idiome, son rythme de parole, qui en dit long sur son origine sociale et sa personnalité. Les joutes verbales entre le commissaire Chastagnol et les suspects qu’il interroge sont particulièrement savoureuses, mêlant tension dramatique et touches d’humour. On sent chez l’auteure un vrai plaisir à faire entendre l’oralité de son époque.

Le rythme du récit est parfaitement maîtrisé, alternant avec fluidité scènes d’action trépidantes et moments plus introspectifs. Le découpage en chapitres courts, souvent construits comme des unités autonomes avec leur propre chute, permet de maintenir en permanence la tension narrative. On est constamment poussé à tourner les pages pour connaître la suite, chaque fin de chapitre relançant les enjeux de l’intrigue. Cette construction habile est un des grands atouts du roman, qui se lit d’une traite malgré son nombre conséquent de pages.

Sur le plan de l’ambiance, « Jules Verne contre Nemo » oscille en permanence entre lumière et ténèbres. Le récit n’hésite pas à plonger dans l’horreur la plus sordide lors de la description des crimes sanglants de Nemo, mais il sait aussi ménager des respirations plus lumineuses, notamment dans les scènes de la vie quotidienne bourgeoise. Cette alternance entre ombre et clarté contribue à installer un climat de tension permanente, le lecteur ayant toujours l’impression qu’un nouveau drame couve sous les apparences lisses de la ville.

Tous ces éléments d’écriture concourent à faire de « Jules Verne contre Nemo » un vrai page turner, où fond et forme se complètent harmonieusement. La limpidité du style de Céline Ghys permet d’entrer de plain-pied dans son univers, de s’attacher à ses personnages et de se laisser happer par son intrigue. Un modèle d’efficacité romanesque, où chaque effet est parfaitement calibré pour servir le propos de l’auteure. Un régal de lecture.

Réflexions sur le genre du roman policier historique : spécificités, apports du roman

« Jules Verne contre Nemo » s’inscrit dans le genre spécifique du roman policier historique, qui connaît un grand succès depuis plusieurs années. Ce sous-genre combine les codes du récit d’énigme classique avec une intrigue se déroulant dans le passé, offrant ainsi au lecteur le double plaisir d’une enquête criminelle et d’une plongée dans une époque révolue. Mais loin de se contenter d’utiliser l’Histoire comme un simple décor, les meilleurs romans policiers historiques, à l’instar de celui de Céline Ghys, en font un véritable matériau narratif.

L’une des spécificités du roman policier historique est de créer un effet de réel en reconstituant avec minutie le contexte de l’époque choisie. C’est particulièrement vrai dans « Jules Verne contre Nemo », qui regorge de détails sur la vie quotidienne, les mœurs, les événements de l’Amiens de la fin du 19e siècle. L’ancrage historique n’est pas un simple vernis, mais imprègne tous les aspects du récit, de la psychologie des personnages aux méthodes d’investigation utilisées. Cette attention portée à la véracité historique permet une immersion totale du lecteur dans l’univers du roman.

Mais la réussite de « Jules Verne contre Nemo » tient aussi à la façon dont il détourne et réinvente les codes du genre. En choisissant comme personnage principal Jules Verne en personne, Céline Ghys introduit une dimension méta-littéraire qui questionne subtilement les rapports entre fiction et réalité. Le fait que l’assassin signe ses crimes du nom de Nemo, célèbre personnage vernien, ajoute encore à ce brouillage des frontières. Le roman devient ainsi une réflexion sur le pouvoir de la littérature, sur la manière dont elle peut influencer et façonner le réel.

Un autre apport majeur du livre est la façon dont il utilise l’intrigue policière pour explorer des problématiques historiques et sociales. À travers l’enquête sur les meurtres de Nemo, Céline Ghys aborde des thèmes comme la condition féminine, les rapports de classe, les progrès scientifiques. Le roman se fait ainsi le reflet d’une époque, avec ses tensions, ses contradictions, ses évolutions. Loin d’être un simple prétexte, l’énigme criminelle devient un révélateur qui permet de mettre en lumière les enjeux d’une société en pleine mutation.

On peut enfin souligner la manière dont « Jules Verne contre Nemo » renouvelle le personnel romanesque du récit policier historique. Avec le commissaire Chastagnol, scientifique avant l’heure utilisant des méthodes d’investigation novatrices, Céline Ghys propose une figure d’enquêteur originale et attachante. De même, le personnage de Claudine, jeune femme travestie en homme pour pouvoir exercer le journalisme, apporte au genre une touche d’audace et de modernité bienvenue. Ces personnages hauts en couleur contribuent à faire du roman bien plus qu’un simple exercice de reconstitution historique.

Par la qualité de sa documentation, son inventivité narrative et la profondeur de ses thèmes, « Jules Verne contre Nemo » apparaît comme un modèle du genre du roman policier historique. Céline Ghys y démontre avec brio qu’il est possible de concilier la rigueur de l’évocation d’une époque et l’invention romanesque la plus débridée. Une réussite qui prouve que loin d’être un simple effet de mode, le roman policier historique peut être le véhicule d’une vraie ambition littéraire.

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Le mot de la fin : Céline Ghys ou l’Art de Réinventer Jules Verne

Au terme de cette analyse, il apparaît clairement que « Jules Verne contre Nemo » est une réussite éclatante qui devrait séduire un large public. Le premier point fort du roman est incontestablement son concept de départ : mettre en scène Jules Verne lui-même face à l’un de ses plus célèbres personnages. Cette idée brillante, qui aurait pu n’être qu’un simple gimmick, est exploitée avec brio par Céline Ghys qui en tire tous les effets narratifs et thématiques possibles. C’est le point de départ d’une réflexion passionnante sur les rapports entre fiction et réalité, sur le pouvoir de la littérature.

L’autre grande qualité du livre est la manière dont il parvient à concilier le respect des codes du roman policier historique avec une vraie inventivité narrative. L’intrigue est menée de main de maître, avec un sens du suspense et des rebondissements qui tient le lecteur en haleine de la première à la dernière page. Mais cette maîtrise des techniques du récit d’énigme ne se fait jamais au détriment de l’évocation historique. Céline Ghys restitue avec un luxe de détails saisissant l’Amiens de la fin du 19e siècle, sa topographie, ses mœurs, ses habitants. Un vrai travail d’orfèvre qui témoigne d’une grande rigueur documentaire.

Il faut aussi souligner la qualité de l’écriture de Céline Ghys, qui trouve le ton juste pour rendre son univers vivant et attachant. Sans jamais céder à la facilité du pastiche, elle propose une langue à la fois classique et efficace, qui sait rendre avec le même bonheur les atmosphères poisseuses des bas-fonds et les dialogues savoureux de la bourgeoisie locale. Les personnages, à commencer par le commissaire Chastagnol et la jeune Claudine, sont croqués avec un art consommé du portrait. On s’attache à eux dès les premières pages, et on les quitte à regret au moment de refermer le livre.

S’il fallait trouver une limite au roman, on pourrait éventuellement regretter que la résolution finale de l’intrigue, pour satisfaisante qu’elle soit, n’ait pas la même force d’invention que le reste du récit. On peut aussi noter que les très nombreuses références à l’univers de Jules Verne, si elles raviront assurément les amateurs de l’auteur, risquent de perdre un peu les lecteurs moins familiers de son œuvre. Mais ce sont là des réserves mineures qui n’entament en rien le plaisir de la lecture.

Car c’est bien de plaisir qu’il s’agit avec « Jules Verne contre Nemo ». Plaisir de se laisser happer par une intrigue haletante, plaisir de découvrir un univers historique foisonnant, plaisir de retrouver des personnages attachants. Le roman devrait séduire un très large public, des amateurs de récits policiers aux passionnés d’Histoire en passant bien sûr par les nombreux fans de Jules Verne. Mais au-delà de ces catégories, c’est à tous les amoureux de la littérature que ce livre remarquable est destiné. Une vraie réussite romanesque, et incontestablement l’une des grandes révélations de cette rentrée littéraire. À lire de toute urgence !


Extrait Première Page du livre

 » 1
Vendredi 27 octobre 1882 Théâtre d’Amiens 1 h
Marie Nicolet remisa son costume de scène sur un cintre, une affreuse robe dans laquelle, tous les soirs, elle ressemblait à une poupée russe obèse. Elle referma l’armoire qui sentait l’écorce de cèdre utilisée par les costumières pour éloigner les mites pullulant dans les loges.

La comédienne s’installa à la table en bois brut faisant office de coiffeuse. Elle prit un morceau de coton dans un grand bocal de confiseur, le trempa dans une lotion, frotta pour ôter le fard et la poudre de riz de son visage.

Elle scruta son reflet dans le miroir.

Comment, en vingt ans, son teint de rose avait-il pu faner pour virer au rouge carmin ?

J’ai donné ma vie au Théâtre ! Bientôt, j’achèterai de bonnes pommades pour guérir ma couperose et mes pattes-d’oie disparaîtront !

Revigorée par cette pensée, elle entreprit de trier affaires et accessoires, distinguant ses biens de ceux du Théâtre d’Amiens.

Marie Nicolet ne voulait rien oublier, ne faire aucun cadeau au directeur. Ce dernier l’avait bien maltraitée, lui donnant, pour commencer, une loge décrépite, bien loin de l’alcôve en velours rouge de la jeune actrice principale qui était, bien entendu, sa maîtresse.

Rideau ! C’est fini ! Demain, je mènerai la grande vie à la capitale.

Elle était fermement décidée à mettre un terme à plus de vingt ans « d’un quotidien de saltimbanque », comme le lui avait prédit son père lorsqu’elle avait foulé les planches pour la première fois et qu’elle avait choisi d’embrasser la carrière de comédienne. La soixantième représentation de cette pièce serait la dernière. Michel Strogoff, du talentueux Jules Verne, passionnait les Amiénois et sa reprise en province promettait de dépasser le succès des presque quatre cents levers de rideau du Châtelet à Paris. Pourtant, Marie Nicolet détestait interpréter ce rôle, soir après soir. « 


  • Titre : Jules Verne contre Némo
  • Auteur : Ghys Céline
  • Éditeur : Fayard Noir
  • Nationalité : France
  • Date de sortie : 2024

Page officielle : leslouvesdupolar.fr/celine-ghys
Page Facebook : www.facebook.com/Ghys Céline


Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis plus de 60 ans, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.


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