Andrea Mara : L’architecte irlandaise du thriller psychologique

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L’art du suspense selon Andrea Mara : Familles, secrets et mémoire troublée

Andrea Mara s’est imposée comme une voix incontournable du thriller psychologique irlandais contemporain. Autrice à succès, numéro 1 des ventes du Sunday Times et de l’Irish Times, elle a su conquérir un large public grâce à ses intrigues sophistiquées et son style incisif. Finaliste de plusieurs prix littéraires prestigieux, dont le prix du roman policier irlandais de l’année en 2021 et le prix du Gujan Thriller Festival en 2024, Mara a établi sa réputation d’écrivaine de talent.

Basée à Dublin, où elle vit avec son mari et ses trois enfants, Andrea Mara mène une double vie professionnelle particulièrement enrichissante. En parallèle de son activité d’écrivaine, elle anime le blog OfficeMum.ie, consacré à la parentalité et au bien-être, qui a remporté de nombreuses distinctions. Cette immersion dans l’univers familial nourrit indéniablement son écriture et sa compréhension des dynamiques relationnelles qu’elle dépeint avec finesse.

Avec « Je crois que je l’ai tuée », publié aux éditions Mera, Andrea Mara propose une plongée vertigineuse dans les méandres de la mémoire et de la culpabilité. Ce thriller psychologique dévoile l’histoire de Joanna Stedman, une psychologue dont la vie bascule lorsqu’elle découvre que sa nouvelle maison fut jadis le théâtre d’un drame : la disparition de la petite Lily Murphy, âgée de trois ans, en 1985.

La force de l’écriture de Mara réside dans sa capacité à explorer les zones grises de la nature humaine. Elle excelle particulièrement dans la représentation des doutes qui assaillent ses personnages, confrontés à leurs peurs les plus profondes. Son style, à la fois fluide et précis, maintient le lecteur en haleine, oscillant constamment entre tension narrative et profondeur psychologique.

Traduite dans plusieurs pays, l’œuvre d’Andrea Mara témoigne d’une sensibilité particulière pour les thématiques liées à l’enfance et à la maternité. Elle parvient à tisser des intrigues complexes où les secrets de famille jouent souvent un rôle central, tout en questionnant les apparences trompeuses de la vie suburbaine irlandaise. Son regard acéré sur la société contemporaine constitue l’une des signatures de son travail.

L’originalité de « Je crois que je l’ai tuée » s’inscrit parfaitement dans la tradition du thriller psychologique tout en proposant une approche singulière. En alternant les perspectives temporelles entre 1985 et 2018, Andrea Mara construit un puzzle narratif où chaque pièce révélée transforme notre perception des événements et des personnages, démontrant ainsi sa remarquable maîtrise des ressorts du suspense psychologique.

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Entre présent et passé : la structure narrative comme reflet de la quête de vérité

« Je crois que je l’ai tuée » se distingue par une construction narrative particulièrement astucieuse qui alterne entre deux temporalités : 2018, où nous suivons Joanna Stedman dans sa découverte troublante, et 1985, année de la disparition de la petite Lily Murphy. Cette double temporalité n’est pas qu’un simple artifice littéraire ; elle incarne parfaitement la quête de vérité qui anime le roman et reflète le fonctionnement même de la mémoire, fragmentaire et sujette à caution.

Les chapitres consacrés à 2018 nous plongent dans l’esprit tourmenté de Joanna, cette psychologue devenue mère au foyer qui, en emménageant dans sa nouvelle demeure à Rowanbrook, se trouve confrontée à un mystère qui fait étrangement écho à son propre passé. Andrea Mara capture avec justesse l’angoisse grandissante de son personnage principal, dont les certitudes s’effritent au fil des découvertes sur la disparition de Lily Murphy.

En contrepoint, les chapitres situés en 1985 offrent un éclairage progressif sur les événements entourant la disparition de la fillette. Ces séquences sont narrées à la troisième personne, créant une distance qui contraste avec l’immersion intime dans les pensées de Joanna. L’autrice déploie ainsi un véritable jeu de piste où chaque scène du passé vient enrichir, confirmer ou contredire les suppositions formulées dans le présent.

La beauté de cette structure réside dans la façon dont elle distille les informations, créant un effet de puzzle où chaque pièce s’emboîte progressivement. Les révélations du passé alimentent les questionnements du présent dans un mouvement de balancier parfaitement maîtrisé, générant une tension narrative qui ne faiblit jamais. Le lecteur se trouve ainsi engagé dans une double enquête, cherchant à élucider tant le mystère de la disparition que celui du trouble de Joanna.

Cette construction en miroir permet également à Andrea Mara d’explorer la façon dont les souvenirs se construisent et se reconstruisent au fil du temps. Les témoignages recueillis par Joanna en 2018 entrent parfois en contradiction avec les scènes de 1985 auxquelles le lecteur assiste, illustrant la fragilité de la mémoire humaine et la façon dont les perceptions individuelles façonnent l’histoire collective d’un drame.

La structure temporelle duelle constitue ainsi un brillant dispositif narratif qui transcende sa fonction première d’organisation du récit. En naviguant entre ces deux époques qui finissent par converger inexorablement, Andrea Mara tisse une toile complexe où la recherche de la vérité devient aussi importante que la vérité elle-même, transformant ce thriller en une méditation profonde sur notre rapport au passé et aux secrets qu’il recèle.

Joanna Stedman : une protagoniste complexe aux multiples facettes

Au cœur de « Je crois que je l’ai tuée » se trouve Joanna Stedman, un personnage d’une complexité remarquable qui dépasse largement les archétypes habituels du thriller psychologique. Psychologue de profession, elle a récemment mis sa carrière entre parenthèses pour se consacrer à sa famille après leur emménagement dans une nouvelle maison à Rowanbrook. Cette transition professionnelle coïncide avec une période de questionnements intimes, faisant d’elle un personnage en pleine mutation identitaire.

La force du personnage de Joanna réside dans sa dualité constante. À première vue, elle incarne la figure rassurante de la mère attentive et de l’épouse dévouée, soucieuse de créer un foyer harmonieux pour ses enfants. Pourtant, derrière cette façade de normalité se dissimule une femme tourmentée par un secret qu’elle porte comme un fardeau depuis l’enfance, un secret qui résonne étrangement avec l’histoire de la maison dans laquelle sa famille vient d’emménager.

Andrea Mara excelle à dépeindre les contradictions internes de son héroïne. Joanna possède cette capacité professionnelle à analyser les comportements humains, mais se révèle paradoxalement incapable d’appliquer cette même lucidité à ses propres angoisses. Cette dissonance cognitive crée une tension permanente qui nourrit le personnage et le rend profondément humain aux yeux du lecteur, qui ne peut s’empêcher de s’identifier à ses questionnements.

La relation de Joanna avec la vérité constitue l’un des aspects les plus fascinants du roman. Au fil des pages, on découvre une femme qui a construit son existence adulte sur un socle de demi-vérités et d’omissions, tant vis-à-vis de son mari Mark que de son entourage. Cette propension au mensonge par omission n’est pas présentée comme une simple faiblesse morale, mais comme une stratégie de survie élaborée par une psyché blessée.

Le génie d’Andrea Mara est de nous faire épouser la subjectivité troublée de Joanna tout en maintenant une distance critique nécessaire. À travers une narration à la première personne pour les chapitres contemporains, nous pénétrons dans l’intimité de ses pensées, partageant ses doutes, ses peurs et ses soupçons. Cette proximité narrative nous rend complices de ses découvertes tout en nous faisant douter de sa fiabilité comme narratrice.

L’évolution du personnage tout au long du récit témoigne d’un travail d’écriture particulièrement subtil. Loin des épiphanies spectaculaires ou des transformations artificielles, Joanna progresse dans sa quête de vérité par petites touches, avec des avancées et des reculs qui reflètent le processus authentique de guérison psychologique. En construisant un personnage principal d’une telle profondeur, Andrea Mara élève son thriller au rang d’exploration psychologique nuancée sur les mécanismes du traumatisme et ses répercussions à travers le temps.

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Les secrets de Rowanbrook : un quartier résidentiel comme personnage à part entière

Rowanbrook, ce quartier résidentiel de la banlieue dublinoise où se déroule l’essentiel de l’intrigue, dépasse largement son simple statut de décor dans « Je crois que je l’ai tuée ». Andrea Mara développe ce lieu comme un protagoniste à part entière, une microsociété dont le calme de surface dissimule des interactions complexes et des mystères profondément enfouis. Les façades impeccables des maisons bourgeoises dissimulent des vies familiales souvent bien moins parfaites qu’elles n’y paraissent.

À travers les descriptions précises et atmosphériques de Rowanbrook, l’autrice nous plonge dans ces environnements résidentiels irlandais où chacun observe son voisin derrière les rideaux. Le contraste entre les deux époques – 1985 et 2018 – révèle l’évolution du quartier tout en soulignant la permanence de certaines dynamiques sociales. Les arbres ont grandi, certaines maisons ont changé de propriétaires, mais les regards curieux et les commérages perdurent à travers les générations.

Ce qui fait la force de cette représentation spatiale, c’est la façon dont Andrea Mara établit une correspondance subtile entre géographie et psychologie. Les lieux deviennent des extensions des états d’âme des personnages : la maison des Murphy/Stedman avec ses recoins sombres et ses mystères, le parc où Lily a disparu avec son ruisseau inquiétant, ou encore les jardins délimités par des clôtures qui symbolisent les frontières fragiles entre intimité et vie publique.

Les habitants de Rowanbrook, tant ceux de 1985 que ceux de 2018, forment une communauté aux alliances mouvantes et aux secrets partagés. À travers des personnages comme Fran Burke, Cora O’Brien ou Susie Stedman, Andrea Mara tisse un réseau complexe de relations où chacun détient une pièce du puzzle. La vérité sur la disparition de Lily Murphy semble diluée dans la mémoire collective du quartier, comme un secret trop lourd à porter individuellement.

Particulièrement remarquable est la façon dont l’autrice capture les hiérarchies sociales subtiles qui structurent cette communauté. De la sophistiquée Mary Murphy, l’Américaine qui fascine autant qu’elle dérange ses voisins irlandais, à l’acariâtre Ruth Cavanagh qui surveille son territoire avec une vigilance suspicieuse, chaque personnage occupe une place spécifique dans l’écosystème social de Rowanbrook. Ces positions déterminent qui est écouté, qui est suspecté, qui est protégé.

La maison elle-même, celle où vivaient les Murphy et où s’installent les Stedman trente-trois ans plus tard, incarne cette fusion entre espace physique et dimension psychologique. Avec ses murs qui semblent garder la mémoire des événements passés, ses pièces où résonnent les échos d’une autre époque, elle cristallise l’idée que les lieux conservent l’empreinte des drames qui s’y sont joués, transformant ce thriller en une subtile exploration des liens entre espace, mémoire et identité.

Mémoire et perception : les mécanismes du doute et de la culpabilité

« Je crois que je l’ai tuée » explore avec une finesse remarquable les mécanismes de la mémoire humaine et ses défaillances. Andrea Mara construit son intrigue autour de cette question fondamentale : peut-on vraiment faire confiance à nos souvenirs, surtout ceux liés à des événements traumatiques ? À travers le parcours de Joanna, hantée par cette impression persistante d’être impliquée dans la disparition de Lily Murphy, l’autrice nous confronte aux zones d’ombre de notre propre mémoire.

Le titre même du roman – cette affirmation à la fois directe et empreinte d’incertitude « Je crois que je l’ai tuée » – illustre parfaitement cette ambivalence. Ce « je crois » qui précède l’aveu contient toute la problématique du récit : la différence cruciale entre ce que nous pensons avoir fait et ce que nous avons réellement fait. Joanna vit dans cette ambiguïté permanente, incapable de déterminer si son sentiment de culpabilité est fondé sur des faits réels ou sur une construction psychique élaborée.

La culpabilité, qu’elle soit justifiée ou non, devient ainsi un moteur narratif puissant. Andrea Mara dépeint avec justesse comment ce sentiment peut façonner l’identité d’une personne, influencer ses choix et teinter sa perception du monde. Pour Joanna, cette culpabilité est devenue constitutive de son être, un filtre à travers lequel elle interprète chaque nouvelle information sur l’affaire Lily Murphy, chaque rencontre avec les habitants de Rowanbrook.

Particulièrement saisissante est la façon dont l’autrice illustre le caractère sélectif et malléable de nos souvenirs. Les différents témoignages recueillis par Joanna auprès des habitants de Rowanbrook offrent des versions parfois contradictoires des événements de 1985. Chaque personnage a retenu, oublié ou transformé certains détails en fonction de sa propre implication émotionnelle, de ses préjugés ou de ses intérêts, créant ainsi un kaléidoscope de vérités partielles.

Le roman questionne également notre tendance à combler les lacunes de notre mémoire par des constructions fictives qui semblent cohérentes. Lorsque Joanna découvre des photos ou des objets liés à l’affaire, elle les intègre immédiatement dans une narration personnelle qui renforce son sentiment de culpabilité. Ce mécanisme psychologique, brillamment illustré par Andrea Mara, montre comment nous devenons parfois les architectes involontaires de nos propres tourments.

L’exploration de ces mécanismes mentaux confère au récit une dimension universelle qui transcende le simple thriller. En suivant Joanna dans son enquête qui est aussi une quête identitaire, nous sommes invités à réfléchir sur nos propres perceptions, sur la fragilité de nos certitudes et sur la façon dont nos souvenirs, même les plus vivaces, peuvent être des constructions élaborées par notre psyché pour donner sens à un monde chaotique et parfois insupportable.

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Le poids du passé : traumatismes et conséquences dans la construction identitaire

L’une des grandes forces de « Je crois que je l’ai tuée » réside dans son exploration nuancée des traumatismes et de leur impact durable sur la construction identitaire des personnages. Andrea Mara dépeint avec une sensibilité remarquable comment les événements traumatiques de l’enfance façonnent l’adulte que l’on devient. Pour Joanna Stedman, ce n’est pas seulement la culpabilité qui définit son existence, mais la façon dont elle a intégré cette culpabilité à chaque aspect de sa vie, créant une identité construite autour d’un secret qu’elle porte comme un fardeau invisible.

Les mécanismes de défense psychologique sont finement disséqués tout au long du roman. La protagoniste a développé au fil des années des stratégies complexes pour maintenir une façade de normalité – ces mensonges par omission à son mari, cette vie soigneusement orchestrée, cette carrière en psychologie qui semble presque être une tentative inconsciente de comprendre ses propres blessures. Ces mécanismes, initialement protecteurs, deviennent progressivement des prisons qui l’empêchent d’accéder à sa vérité intérieure.

Le roman explore également les répercussions transgénérationnelles du traumatisme. La façon dont Joanna interagit avec ses propres enfants porte l’empreinte de son passé : cette surprotection envers Sophie, sa fille de trois ans, est un écho évident de la tragédie qu’elle croit avoir causée. Andrea Mara illustre avec finesse comment les blessures non cicatrisées d’une génération peuvent inconsciemment influencer les comportements et les choix de la suivante.

Particulièrement saisissant est le parallèle établi entre les traumatismes individuels et collectifs. La disparition de Lily Murphy n’a pas seulement affecté sa famille immédiate, mais a laissé une cicatrice durable sur l’ensemble de la communauté de Rowanbrook. Trente-trois ans plus tard, ce drame continue de définir les relations entre les habitants, révélant comment un traumatisme collectif peut façonner l’identité d’un lieu et de ceux qui y vivent, créant une mémoire partagée mais fragmentée.

À travers plusieurs personnages secondaires, l’autrice offre un panorama des différentes réponses possibles face au traumatisme. Cora O’Brien, dernière personne à avoir vu Lily vivante, porte le poids de cette journée fatidique d’une manière très différente de Joanna. De même, le parcours de Victor O’Brien, qui sombre dans l’alcoolisme après avoir été injustement suspecté, illustre comment la stigmatisation sociale peut amplifier le traumatisme initial jusqu’à détruire complètement une vie.

Andrea Mara parvient à montrer avec une acuité remarquable que le chemin vers la guérison passe nécessairement par la confrontation avec le passé. L’enquête de Joanna sur la disparition de Lily Murphy devient ainsi une métaphore puissante de son propre parcours thérapeutique – un processus parfois douloureux mais nécessaire pour démêler les fils enchevêtrés de la mémoire, de la culpabilité et de l’identité. Cette dimension psychologique confère au thriller une profondeur émotionnelle qui résonne longtemps après la dernière page tournée.

Une enquête au cœur des relations humaines : la dimension sociologique du thriller

Au-delà de son intrigue captivante, « Je crois que je l’ai tuée » se distingue par sa riche dimension sociologique qui fait de ce thriller bien plus qu’une simple enquête policière. Andrea Mara déploie un véritable tableau de la société irlandaise à travers deux époques – 1985 et 2018 – révélant les évolutions mais aussi les constantes dans les relations humaines. Les non-dits, les préjugés de classe et les dynamiques de pouvoir qui structurent la communauté de Rowanbrook constituent un arrière-plan fascinant qui enrichit considérablement la portée du roman.

Le portrait de l’Irlande des années 1980 est particulièrement saisissant, avec ses conventions sociales rigides et son conformisme ambiant. L’autrice capture parfaitement cette époque où les apparences comptent plus que tout, où les « bonnes familles » s’efforcent de maintenir une façade irréprochable quelles que soient les tensions qui couvent en coulisses. Ce contexte social explique en partie pourquoi certains événements ont pu être dissimulés et certaines voix réduites au silence.

Les relations de genre sont finement analysées tout au long du récit. Andrea Mara montre avec subtilité comment les femmes de Rowanbrook naviguent dans un monde encore largement dominé par les hommes. Mary Murphy, l’Américaine sophistiquée qui dérange par sa différence, Inès O’Brien qui s’échappe régulièrement du carcan domestique, ou encore la jeune baby-sitter Cynthia qui utilise sa séduction comme un outil de pouvoir – toutes ces figures féminines illustrent différentes stratégies d’adaptation ou de résistance face aux attentes sociales.

La question de la maternité traverse également le roman, explorée sous des angles multiples et parfois contradictoires. De la mère obsessionnellement protectrice qu’est devenue Joanna à la figure d’Inès O’Brien, décrite comme distante et peu maternelle, en passant par Mary Murphy qui perd tragiquement son enfant unique, Andrea Mara confronte différentes expériences de la maternité sans jugement moral, montrant comment ce rôle reste socialement surinvesti et source de pressions considérables.

Particulièrement réussie est la façon dont l’autrice met en lumière les mécanismes sociaux du commérage et de la rumeur. Dans cette communauté fermée de Rowanbrook, l’information circule, se déforme, s’amplifie selon des circuits bien établis. Ce qui n’est au départ qu’une simple supposition devient rapidement une certitude partagée, pouvant détruire des réputations et des vies entières. Ces dynamiques sociales, loin d’être anecdotiques, jouent un rôle crucial dans le déroulement du drame central.

L’analyse sociologique proposée par Andrea Mara élève ce thriller au rang d’œuvre littéraire substantielle, capable de nous éclairer sur les mécanismes collectifs qui façonnent nos existences individuelles. En entremêlant habilement les fils de l’enquête criminelle et de l’observation sociale, l’autrice nous rappelle que nos vies sont toujours inscrites dans un contexte plus large qui influence nos choix, nos perceptions et même nos souvenirs les plus intimes.

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« Je crois que je l’ai tuée » : un thriller psychologique irlandais remarquable

« Je crois que je l’ai tuée » s’impose comme une œuvre majeure dans le paysage du thriller psychologique contemporain, confirmant le talent singulier d’Andrea Mara sur la scène littéraire irlandaise. Au-delà de son intrigue parfaitement maîtrisée, ce roman séduit par sa profondeur psychologique et son habileté à maintenir le lecteur dans un état constant de questionnement. L’autrice parvient à tisser une toile narrative complexe où chaque révélation ouvre sur de nouvelles interrogations, créant ainsi une expérience de lecture immersive et intellectuellement stimulante.

La force du roman réside également dans sa capacité à transcender les codes traditionnels du genre. Si l’énigme centrale – qu’est-il arrivé à Lily Murphy et quel est le lien avec Joanna Stedman ? – constitue le moteur du récit, Andrea Mara ne se contente jamais de simples effets de suspense ou de rebondissements artificiels. Chaque développement narratif s’inscrit dans une exploration plus large des thèmes universels que sont la culpabilité, la mémoire et la façon dont nous construisons notre identité autour de nos blessures passées.

L’ancrage du roman dans la réalité irlandaise contribue à sa richesse et à son authenticité. Loin des représentations parfois stéréotypées de l’Irlande, Andrea Mara nous livre un portrait nuancé de ce pays en constante évolution, capturant avec justesse les transformations sociales et culturelles qui ont marqué les trois dernières décennies. Ce contexte spécifique, loin de limiter la portée du récit, lui confère au contraire une dimension universelle en montrant comment l’Histoire collective façonne les destins individuels.

Le style d’Andrea Mara, à la fois fluide et précis, sert admirablement son propos. L’autrice excelle particulièrement dans l’art délicat de la suggestion, préférant souvent l’ellipse à la description explicite, l’ambiguïté au dévoilement complet. Cette retenue narrative, loin d’être une facilité, témoigne d’une confiance remarquable en l’intelligence du lecteur et d’une maîtrise consommée des ressorts psychologiques du suspense. Le non-dit devient ainsi aussi éloquent que ce qui est exprimé.

La construction des personnages secondaires mérite également d’être soulignée. Loin de n’être que de simples faire-valoir pour la protagoniste, ces figures périphériques possèdent toutes une épaisseur psychologique et une histoire propre qui enrichissent la trame principale. Qu’il s’agisse de Cora O’Brien, de Fran Burke ou de Susie Stedman, chacun de ces personnages porte en lui une part du mystère central, illustrant ainsi l’idée que la vérité, toujours fragmentaire, ne peut émerger que de la confrontation des perspectives.

L’œuvre d’Andrea Mara s’inscrit avec brio dans la tradition littéraire du thriller psychologique tout en proposant une voix distinctement contemporaine et irlandaise. À la croisée du roman à suspense, de l’étude de caractères et de la chronique sociale, « Je crois que je l’ai tuée » nous rappelle que les meilleures œuvres du genre sont celles qui utilisent les ressorts du thriller pour éclairer les zones d’ombre de la condition humaine. Cette exploration des recoins les plus troublants de notre psyché fait de ce roman une lecture aussi perturbante que profondément satisfaisante.

Mots-clés : Thriller psychologique, Mémoire traumatique, Irlande, Culpabilité, Double temporalité, Secret familial, Banlieue dublinoise


Extrait Première Page du livre

 » 1.
Juin 2018

Dix secondes.

C’est le temps qu’il a fallu à Sophie pour disparaître.

C’est le temps qu’il m’a fallu pour m’apercevoir qu’elle n’était plus dans la cour devant la maison. Qu’elle ne s’est pas non plus cachée derrière la voiture, ni derrière le portail, ou derrière le pilier du porche. Elle n’est dans aucune de ses cachettes préférées.

Sophie a… disparu.

— Sophie ? Sophie !

La confusion me gagne. Je ne suis pas inquiète. Pas vraiment. Elle sait qu’elle n’a pas le droit de sortir dans la rue. Enfin, je suis presque certaine qu’elle le sait. Les règles de notre jeu de cache-cache sont simples : je compte jusqu’à dix, elle court se cacher non loin de là, et je me mets à la chercher. Parfois, je fais mine de ne pas l’apercevoir pour prolonger le jeu. Comme lorsqu’elle se cache derrière le cerisier dont le tronc est beaucoup plus étroit qu’elle, bien qu’elle n’ait que trois ans. Je déambule alors à sa recherche, en l’appelant à grands cris comme je le fais maintenant.

Seulement, elle n’est pas derrière le cerisier. Et je ne la vois nulle part.

— Sophie ! Tu peux sortir, maintenant, le jeu est terminé.

Voilà pourquoi je n’aime pas ce jeu. Voilà pourquoi je ne l’autorise pas à se cacher ailleurs que dans la cour. Pourrait-elle être allée dans la maison ? Je me retourne pour faire face à la porte d’entrée, qui est fermée. Et la clé se trouve dans la poche de mon short. Se serait-elle cachée dans le chemin qui mène au jardin, derrière la maison ? Dans le jardin ? Dans la cabane ? L’inquiétude me tenaille. La cabane est encombrée de râteaux, de sécateurs, de marteaux et de désherbant. Mark l’a-t-il bien fermée à clé hier soir ? Sophie aurait-elle pu…

— Je crois que j’ai trouvé quelque chose qui vous appartient, fait une voix en provenance de la cour voisine.

Je me retourne pour apercevoir une femme qui désigne le muret qui sépare nos deux maisons du menton – quelque chose hors de ma vue. Quelque chose, ou quelqu’un ?

— Sophie ?

En trois foulées, j’atteins le muret qui m’arrive à la taille, et je l’aperçois, accroupie au milieu des hortensias du jardin de l’inconnue.

— Sophie ! Sors de là. Tu ne peux pas entrer chez les gens comme ça.

Elle lève ses grands yeux bleus vers moi, son nez couvert de taches de rousseur et fait une moue innocente.

— Est-ce que j’ai gagné ?

— Non, tu es sortie de la cour sans permission, réponds-je d’un ton vif, en sentant le regard brûlant de la femme sur ma nuque. Maintenant, excuse-toi auprès…

Je lève les yeux vers notre voisine. « 


  • Titre : Je crois que je l’ai tuée
  • Titre original : Hide and Seek
  • Auteur : Andrea Mara
  • Éditeur : Mera éditions
  • Traduction : Impossible de trouver l’information
  • Nationalité : Irlande
  • Date de sortie en France : 2024
  • Date de sortie en Irlande : 2022

Page Officielle : andreamara.ie

Résumé

Lorsque Joanna emménage dans sa nouvelle maison, elle est loin d’imaginer qu’elle appartenait autrefois à la famille d’une petite fille portée disparue… Le jeu de cache-cache est terminé, mais la petite Lily Murphy demeure introuvable. Ses parents s’efforcent de rester positifs, mais ils savent que la paisible banlieue de Dublin ne sera plus jamais la même.Des années plus tard, Joanna emménage dans une nouvelle maison. Cette dernière semble parfaite en tous points, jusqu’au jour où elle apprend qu’il s’agissait autrefois de la maison des Murphy et de la petite disparue. Dès lors, un sentiment d’effroi semble la suivre de pièce en pièce.À mesure que Joanna dévoile les secrets de cette communauté très soudée, son propre passé refait surface. Car elle pense savoir ce qui est réellement arrivé à Lily. Et si la vérité éclatait au grand jour, elle pourrait bien la mener à sa perte… « Un thriller domestique de haute volée. Même les twists ont des twists. J’ai adoré, Andrea Mara est incroyable ! » – Lee Child « Mara sait comment transformer les pires cauchemars de tous les parents en des page-turner de haut niveau. Elle parvient à doser efficacement le suspense dans ce roman qui se lit d’une traite et qui vous tient en haleine jusqu’au dernier retournement de situation. » – Ellery Lloyd, auteur bestseller du New York Times


Je m’appelle Manuel et je suis passionné par les polars depuis une soixantaine d’années, une passion qui ne montre aucun signe d’essoufflement.


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